Foundation : Review 1.01 The Emperor’s Peace + 1.02 Preparing To Live
Il n’existe probablement aucune œuvre plus séminale et matricielle en (hard) science-fiction littéraire que le cycle Foundation (Fondation) d’Isaac Asimov. Nouvelles initialement publiées à partir de 1942 dans le pulp mythique Astounding Science-Fiction, colligées en une trilogie de recueils en 1951, puis augmentées durant les années 1980 de deux sequels et de deux prequels établissant une connexion internaliste étroite avec les cycles des Robots et de l’Empire (ainsi qu’avec quelques opus isolés comme The End Of Eternity), c’est finalement une authentique Histoire du futur en dix-huit épais volumes que le célèbre scientifique et romancier russo-étatsunien aura offert à la postérité… avant que certaines des plus grandes plumes de la SF (Harry Turtledove, George Zebrowski, Roger MacBride Allen, Greg Bear, David Brin, Mark W Tiedemann, Alexander C Irvine, Donald Kingsbury, Mickey Zucker Reichert, Robert Silverberg, Frederik Pohl, Poul Anderson, Ray Bradbury, Orson Scott Card, Mike Resnick, George Alec Effinger, Connie Willis, Edward Wellen, Pamela Sargent, Barry N Malzberg, Sheila Finch, Robert Sheckley, Edward D Hoch, Hal Clement, Harry Harrison…) n’apportent leur propre contribution à l’édifice (sans jamais de trahir).
Et ce n’est pas moins de 20 000 ans de chronologie d’une exceptionnelle cohérence internaliste qu’Asimov aura réussi à couvrir de son spectre chirurgical, n’hésitant pas à consolider et perfectionner le "greater Robot/Empire/Foundation universe" tout au long de sa vie, comme le fera de son côté JRR Tolkien avec le monde d’Arda.
Autant dire que l’impact et l’influence de Foundation sur les cultures imaginaires auront été fondamentales et sans commune mesure. Dès lors, rares sont les grands cycles et univers de SF qui ne lui doivent pas quelque chose, voire énormément, à commencer par Dune de Frank Herbert pensé tel un contrepoint (et lui aussi sous le feu des projecteurs de l’actualité grâce à la nouvelle version cinématographique de Denis Villeneuve).
Cependant, par son caractère très littéraire, son scope multimillénaire et non-linéaire (pluridimensionnel en fait), son ambition folle d’embrasser la grande Histoire (plutôt que les petites), son profond historicisme (sorry Karl Popper), son étude acérée des relations de causalités appliquées à la théorie des (grands) ensembles, ses mises en abyme paradoxales et relativistes, sa diégèse exclusivement story driven voire concept driven (mais aucunement character driven), et une complexité ne laissant que peu de prises aux codes narratifs audiovisuels (perspectives avant tout épistémologiques, philosophiques et sociologiques, grande ventilation des protagonistes d’un tome à l’autre, très faible "héroïsation" des personnages, éclatement chronologique via d’innombrables segmentations temporelles, enjeux peu "dramatisables" dans le temps polynomial d’un visionnage…), Fondation avait acquis la réputation – au demeurant assez justifiée – d’être inadaptable à l’écran !
Ce ne sont pourtant pas les tentatives qui ont manqué depuis 1998, notamment par Roland Emmerich au format cinématographique vers 2008, et par Jonathan Nolan en série TV vers 2014.
In fine, seul le projet lancé en 2017 par Skydance Media et Apple aura connu l’insigne honneur d’une concrétisation en 2021, sous l’égide de Josh Friedman (à qui l’on doit la remarquable série Terminator : The Sarah Connor Chronicles) et du boulimique auteur-producteur David S Goyer… capable du pire (l’affligeant Terminator : Dark Fate, The Crow : City Of Angels…) mais aussi du meilleur (l’inoubliable Dark City, The Dark Knight, FlashForward…).
Trêve d’illusions, il aurait été irréaliste (et quelque peu naïf) d’espérer retrouver intact on screen l’inimitable traité conceptuel d’Isaac Asimov. Même à l’ère peu sélective (en terme d’audiences sur l’échelle de Nielsen) de la SVOD, le monde de 2021 n’est plus celui de la seconde moitié du 20ème siècle, surtout que ce ne sont pas moins de 79 ans qui nous séparent de la publication originelle ! Et l’expression audiovisuelle impose d’innombrables contraintes, tant commerciales que narratives, mais désormais aussi des pressions... d’ordre idéologique.
Sachant que (presque) toute adaptation est en essence une trahison, il était fatal que de la "matière première" asimovienne fût "lost in translation". Et une infidélité se pardonne d’autant mieux lorsque les enfants adultérins sont beaux et réussis. Reste alors à déterminer dans quelle mesure cet aggiornamento est acceptable (ou non). La réponse dépendra évidemment en grande partie de la connaissance et du degré d’attachement de chacun à l’œuvre littéraire source...
Alors oui, disons-le d’emblée sans ambages, comme les bandes-annonces le suggéraient, la série Foundation est profondément woke, comme nulle autre – ou presque – ne l’aura été jusqu’à maintenant ! C’est du woke de pointe et de course, renvoyant les initiatives progressistes de For All Mankind à un timide blueprint, l’intersectionnalité est ici propulsée vers une orbite industrielle. C’est toute la check list du politiquement correct "Democratic Party approved" qui aura été consciencieusement cochée :
relifting jeuniste de tous les personnages du volume Foundation (1951) d’Isaac Asimov (le premier sorti, mais en chronologie interne le treizième sur les dix-huit originaux, soit le troisième du troisième cycle) ;
féminisation par le gender swap quasi-systématique des personnages masculins essentiels (Gaal Dornick, Salvor Hardin, et même le robot positronique central R Daneel Olivaw alias Eto Demerzel sont dorénavant des femmes) ;
redéfinition du personnage de Gaal (prononcée en VO comme le prénom féminin anglais "Gale") pour en faire une prodige élective et messianique façon Michael Burnham dans Discovery, et de même interprétée par une jeune actrice POC (de couleur), à savoir Lou Llobell ;
pouvoir absolu totalitaire et criminel matérialisé comme de bien entendu par un "mâle blanc" incarnant la masculinité toxique, mais en triple exemplaire, pour mieux couvrir les trois âges possibles (enfant, adulte, vieillard) ;
blackwashing des figures de la résistance, de l’émancipation et du salut, désormais incarnés majoritairement par des personnages noirs de peau ou issus des minorités, si possible féminins ;
terrorisme (pour un 9/11 de proportion cosmique sur Trantor dès le premier épisode) et obscurantisme (persécution des scientifiques sur la planète Synnax) posés comme attributs premiers de la religion…
(…)
Ces partis pris seront peut-être rédhibitoires aux yeux d’une partie des spectateurs, mais il serait malgré tout dommage d’en faire une réelle pierre d’achoppement, car après tout, l’allégeance des auteurs à une doxa n’est pas un phénomène nouveau. Chaque époque (et chaque société) aura eu la sienne. Dans le meilleur des cas, ce n’est qu’un effet de mode... qui n’interdit pas en soi la créativité et le fond...
Et puis, il faut être équitable et garder à l’esprit que la place des femmes et des minorités a (heureusement) beaucoup évolué en presque un siècle... or celles-ci, quoique (omni)présentes, n’étaient pas ostensiblement mises à l’honneur dans les romans d’Isaac Asimov...
Enfin, soyons justes, dans le cycle SF (profondément anti-soapesque) d’Isaac Asimov les caractéristiques physiques/plastiques (couleur de peau, genre...) des personnages importaient peu (souvent, elles n’étaient même pas explicitées). Dès, lors s’il y a bien une œuvre littéraire qui permettait tous les x-swaps et x-washing légitimes dans le cadre d’un processus de portage audiovisuel, c’est bien celle-là.
D’ailleurs, ironiquement, il serait permis de prendre le problème à l’envers, c’est-à-dire d’une perspective intradiégétique (i.e. internaliste) : en effet, comment se fait-il qu’après plus de 24 000 ans de brassages humains à l’échelle d’une Voie Lactée entière (la Terre originelle étant devenue invivable et/ou tombée dans l’oubli), il y ait encore des phénotypes aussi marqués, ou du moins que ces derniers soient les mêmes que dans l’humanité contemporaine ?
En réalité, c’est davantage sur la façon dont le Hollywood actuel a digéré et entériné – ou plus exactement a été incapable de digérer et entériner véritablement – l’héritage philosophique d’Isaac Asimov qu’il y aurait à redire…
Ainsi, créer une dynastie génétique tricéphale perpétuellement constituée de Brother Dawn (Frère à l’Aurore), Brother Day (Frère au Grand Jour), et Brother Dusk (Frère au Soir) – respectivement les clones enfant, adulte et âgé de l’empereur Cleon I (quant à lui momifié et exposé en vitrine) – peut sembler être une idée fort poétique et audacieuse au sens de la SF, qui plus est en prise avec le transhumanisme en vogue et son miroir d’immortalité, telle une antisymétrie d’Aleksandr XI dans Die Haarteppichknüpfer (1995) d’Andreas Eschbach. Mais en figeant ainsi la fonction impériale dans la circularité perpétuelle d’Ouroboros, on accentue considérablement le manichéisme des rapports de force.
L’authentique cycle Foundation d’Asimov figurait un Empire galactique destiné à s’effondrer, non pas au motif qu’il aurait été mauvais ou démoniaque, mais sous le poids de son propre gigantisme ; les empereurs y étaient dépeints dans toute leur diversité morale et politique, mais ces derniers n’avaient au final guère d’importance individuelle à l’aune de la grande Histoire...
À l’inverse, l’adaptation audiovisuelle de Goyer fait un focus narcissique sur le triumvirat de visages impériaux pour les stariser auprès du public, tout en les réduisant à un archétype concentrant – et caricaturant – l’hubris haïssable d’un pouvoir absolu, iso-transgénérationnel, éternel et figé dans l’ambre (ou le formol), personnifiant l’institution (le vocatif pour s’adresser aux empereurs est "Empire" !), tandis que les millésimes s’incrémentent mécaniquement (désormais Cleon XII pour Brother Day).
Dès lors, avec une pareille reconfiguration de l’inhérence de l’imperium, tout devient simple, pour ne pas dire simpliste : d’un côté le "Mal" (l’empereur3 n’ayant aucun respect pour la vie et la dignité humaine), de l’autre le "Bien" (les valeureux dissidents et "rebelles" de la Fondation), dans le but de favoriser une conflictualité maximale au profit d’une arène dramaturgique de blockbuster. Et c’est ainsi que l’Empire galactique d’Isaac Asimov transcendant toute axiologie usuelle... s’avilit et s’échoue dans la binarité super-héroïque de son homonyme de l’univers de George Lucas, quoique mâtiné au passage des cruelles intrigues de cours de Game Of Thrones ! Or vu l’emprise de ces deux pôles (SW et GoT) sur la pop culture contemporaine, l’écueil du cliché n’est jamais loin. Et dans la grammaire asimovienne, cela frise même le HS intégral.
Plus généralement, toutes les caractérisations de la série ont été dénaturées dans leur essence même, et partant, dans ce qu’elles racontent et dévoilent de leurs sociétés respectives d’appartenance. Ainsi :
On ne présente plus la figure primale du cycle d’Asimov, originaire la planète Helicon, professeur de probabilités à l’université de Streeling (sur l’œcuménopole capitale Trantor), et célèbre pour être l’inventeur de la psychohistoire permettant de prédire mathématiquement les grandes évolutions civilisationnelles, et en la circonstance d’anticiper l’inéluctable effondrement (sous moins de cinq siècles) de l’Empire galactique (pourtant à la tête de 12 000 ans d’existence). La Fondation aurait alors pour mission de se préparer à la chute en collectant tout le savoir humain pour raccourcir à "seulement" 1 000 ans la période de barbarie qui s’ensuivra (au lieu de 30 000 ans). Mais dans l’adaptation télévisuelle, Hari Seldon est littéralement transformé en gourou, par surcroît de son vivant ! Et avec sa secte de disciples psychohistoriens, il cherche à sauver la civilisation ! Soit la dialectique même du MCU (X-Men, Avengers... et donc la négation complète du cycle littéraire Foundation... où Seldon devenait un mythe... mais longtemps après sa mort, au même titre que l’Empire galactique et, avant lui, le berceau perdu de l’humanité (la Terre).
Même si l’évocation de son cas peut sembler prématurée, il n’existe pas de personnage plus fondamental et multidimensionnel dans l’œuvre d’Asimov (si ce n’est dans la SF en général) que R Daneel Olivaw (sous l’identité d’Eto Demerzel dans ce timeframe). Or "l’audace" de l’adaptation se borne à avoir changé son genre sexuel (ou plus exactement son expression de genre). Mais pour le reste, sa caractérisation frôle l’invisibilité et l’asepsie, tandis que le jeu de Laura Birn est bien lisse. Certes, aucune porte n’est fermée en la matière et la série n’en est encore qu’à son début, mais quelques inquiétudes sourdent...
Salvor Hardin est désormais métamorphosée en guerrière de choc et bad ass, seule à disposer du "super-pouvoir" de franchir le champ de répulsion (alias champ invalidant ou en VO null field) de l’énigmatique Sanctuaire (Vault en VO) de la planète Terminus !
Ejusdem farinae, faire le choix "sexy" de transformer le chercheur Gaal Dornick en une jeune prodige, disposant de la science mathématique infuse, littéralement Élue du destin, et attendue prophétiquement par Hari Seldon, cela concourt également à changer la nature profonde de la relation des personnages à l’univers, jusqu’à redéfinir l’ontologie de ce dernier... glissant imperceptiblement vers la fantasy...
Et il faut dire que les vertus et les nombreux "super-pouvoirs" de Gaal Dornick ne manquent pas d’épater la galerie à ce stade du récit :
alors que Hari lui a sciemment fait un "cadeau empoisonné" en la faisant venir sur Trantor pour travailler à ses côtés sur la psychohistoire (puisqu’il lui révèle savoir que ça lui vaudra d’être arrêtée par le pouvoir impérial dès le lendemain de son arrivée), Gaal a pourtant la "loyauté prédestinée" envers Seldon de ne céder à aucune offre-qui-ne-se-refuse-pas de la part de l’envoyé des empereurs, Jerril ; et sans même détenir la preuve de la validité scientifique de la psychohistoire (comme elle l’avouera par la suite à Raych), Dornick acceptera spontanément de partager le sort fatal du professeur, aussi bien dans la mort qu’à défaut en exil sur Terminus ;
sans la moindre once d’autisme (ni même de syndrome d’Asperger), elle s’avère capable de déterminer mentalement les nombres premiers à huit chiffres… presque à la vitesse de l’algorithme quantique de Shor ;
elle est apparemment la seule humaine "normale" à pouvoir se réveiller et être pleinement consciente sans y perdre la raison durant les voyages en FTL (faster than light) c’est-à-dire durant les sauts en Jumpdrive (hormis les Spacers qui eux sont des humains génétiquement modifiés pour survivre indemnes en état d’éveil à l’hyper-espace mais qui sont du coup "condamnés" toute leur vie à superviser la navigation en FTL et le sommeil de leurs passagers) ;
elle se révèle une precog (façon Minority Report de Philip K Dick) puisque sans le moindre prodrome annonciateur, elle "sait" inexplicablement (avec plusieurs secondes d’avance) que le Star Bridge de Trantor va être attaqué (en l’occurrence de manière coordonnée par des terroristes) ;
accessoirement, elle semble presque amphibie (record du monde d’apnée ou capacité à respirer sous l’eau).
Gaal Dornick n’est donc plus bien loin de la Mary Sue (qui-a-toujours-raison) de Discovery, et elle semble réduite à une fonction, celle de cocher toutes les cases...
La "super-héroïsation" des personnages se voit en sus renforcée par le recours à une origin story, se dessinant en filigrane à la faveur, non pas simplement de flashbacks, mais d’une narration pluri-temporelle (sise essentiellement sur deux périodes séparées de 35 ans).
Alors que les designs des technostructures et des vaisseaux sont très convaincants (e.g. les sphères armillaires qui prennent en FTL l’apparence de singularités façon Mass Effect pour fold space c’est-à-dire replier l’espace), alors que la série cultive des mathématiques futuristes aux accents crédibles (l’analyse ordinale, la psychohistoire, la conjecture d’Abraxas, la Kalle’s Ninth Proof Of Folding, le Prime Radiant ayant pris ici la forme d’un tétrakaidécaèdre de type cuboctaèdre et non orthobicoupole hexagonale...), alors que l’intégration technologique est en parfait accord avec l’état d’avancement de l’humanité de ce très lointain futur (sis plus de 24 000 ans après J-C) tout en témoignant d’un profond fonctionnalisme aux antipodes du tapage clinquant du #FakeTrek d’Alex Kurtzman (par exemple aucun hologramme stérile aussi peu praticable comme interface que le thérémine en musique)... les deux premiers épisodes de Foundation accusent pourtant plusieurs invraisemblances scientifiques indignes du long développement (et de la méticulosité) de la série :
Lorsque Hari Seldon et ses disciples furent condamnés à l’exil sur Terminus par le tribunal de Cleon XII (pour développer leur Encyclopedia Galactica loin de l’œcuménopole capitale, ils furent toutefois privés de tout accès à la Jumpdrive technology, les obligeant donc à accomplir les 50 000 années-lumière entre Trantor (le centre de la Voie Lactée) et Terminus (la périphérie de la galaxie) via un vaisseau conventionnel (au demeurant très vaste et tout confort, incluant notamment piscine et holodeck-like pour entrainer l’équipage à survivre aux conditions difficiles sur leur future planète, en particulier face au redoutable fauve indigène nommé griffon-pasteur ou en VO bishop-claw). Or il apparaît pourtant que ce voyage ne durera que 1 878 jours soit environ 5 ans et 2 mois (selon le calcul de Gaal), ce qui est absurde, car à vitesse subluminique, cela prendrait obligatoirement plus de 50 000 ans ! Alors certes, en poussant la célérité vers un horizon asymptotique relativiste (moyennant des ressources énergétiques quasi-infinies), la durée pourrait être considérablement raccourcie pour les voyageurs (jusqu’à confiner à l’instantanéité), mais pas à l’échelle de l’Empire galactique (qui se prendrait tout de même 50 millénaires "in the face") – relativité restreinte (et générale) oblige. Quant à faire l’hypothèse d’une forme de FTL moins rapide que le Jumpdrive, cela est invalidé dans Foundation 01x02 Preparing To Live à la fois par le visuel (espace normal quasi-immobile durant le voyage) et par l’expulsion forcée de Gaal en nacelle de secours au sein d’un champ d’astéroïde suite à la tentative d’assassinat de Hari par son fils adoptif Raych Seldon (curieusement rebaptisé Raych Foss dans la série). Ce genre d’écueil grossier jure d’autant plus dans une Hard SF de 2021 qu’Isaac Asimov avait su les éviter dès les années 1940 !
Le speech de Gaal au sous-comité budgétaire (durant la réunion de la Fondation) où elle plaide pour une sauvegarde des systèmes de numérotation de base 12 et 27 est un non-sens mathématique. Car quand bien même certaines planètes de l’Empire auraient adopté des bases aussi improbables et peu intuitives (du moins pour des humains), elles demeurent pleinement convertibles et interprétables (sans conversion) en décimale, en hexadécimale, et en binaire. On sent presque s’esquisser une volonté d’idéologiser (et donc de culpabiliser) la prépondérance de la base 10, tel un attribut honni du patricarcat (impérial) !
Le Tether (un ascenseur spatial) et le Star Bridge (une station en orbite géostationnaire) constituent sans nul doute un bel hommage, non à Isaac Asimov pour le coup, mais à autre Big Three du Golden Age, à savoir Arthur C Clarke dans le roman The Fountains Of Paradise (1978), et bien sûr en amont au pionnier russe de l’astronautique, Constantin Tsiolkovski (dès 1895). En aval, c’est la trilogie Red Mars (1992) + Green Mars (1993) + Blue Mars (1996) de Kim Stanley Robinson qui est probablement convoquée pour les attaques terroristes coordonnées ciblant le Tether. La destruction et l’effondrement de cet édifice pharaonique sont particulièrement spectaculaires, leur scope est proprement titanesque ! Mais eu égard à l’épaisseur du "câble" du liaison et face aux ravages démesurés infligés par sa chute (300 millions de morts, écrasement de 50 niveaux à la surface, "garrotage" de toute la planète...), il est permis de s’étonner qu’un monde aussi avancé et organisé que Trantor (visiblement pourvu d’un bouclier orbital) n’ait prévu aucun plan d’urgence en pareil cas, par exemple au moyen d’accélérations différentielles et tangentielles pour mettre en orbite les diverses sections du Tether (sachant que le Star Bridge est supposé rester en position géostationnaire malgré la rupture du "cordon ombilical").
La série s’emmêle les pinceaux à l’endroit de la démographie impériale. Durant le procès médiatisé de Hari Seldon dans Foundation 01x01 The Emperor’s Peace, le procureur Xylas (interprété par Alexander Siddig, anciennement Dr Bashir dans Star Trek Deep Space 9) annonce que l’Empire galactique est composé de 8 000 milliards d’humain. Mais dans Foundation 01x02 Preparing To Live (environ un an après), le sous-comité du budget de la Fondation déclare que les seuls Inner Worlds (soit seulement une petite fraction de l’Empire localisée à proximité de Trantor) totalisent 40 000 milliards d’humains !
Enfin, au regard des moyens et du temps que la série s’est accordée au sein d’un écosystème (Apple) théoriquement moins obnubilé que la concurrence par les retombées économiques immédiates, il est regrettable que Fondation ne se soit guère démarquée de trop de productions contemporaines standardisés… ne l’éloignant que davantage de l’œuvre littéraire inspiratrice. Au nombre de ces facilités conformistes, on notera :
Un cliffhanger totalement opaque à la fin de Foundation 01x02 Preparing To Live (le disciple assassine sans raison apparente le maître puis enferme sa dulcinée dans un cryopod et le balance dans l’espace) pour s’assurer au forceps l’addiction des spectateurs... On devine aussi la volonté artificielle d’éliminer Hari Seldon du champ des vivants dès le second épisode (alors qu’il y avait encore tant à faire du personnage) pour le réintroduire sous forme d’hologramme 35 ans après (à la façon d’un deus ex machina)...
La romance aussi précipitée que soapy entre Raych Foss et Gaal Dornick (quoique potentiellement féconde puisque cette dernière "cryogénisera" un embryon) semble susciter une possible jalousie de Hari Seldon. Sachant que l’œuvre littéraire transcendait ses (innombrables) personnages, l’adaptation audiovisuelle méritait-elle vraiment un triangle amoureux de vaudeville ou de teen soap ? En outre, lorsque le seul couple (Gaal et Raych) de la série est cysgenre et black, comment ne pas y voir la perpétuation d’un pauvre cliché ségrégationniste (voire esclavagiste) qui fait tache dans une série se targuant d’être à l’avant-garde du progressisme ! Est-ce toujours aussi trangressif voire tabou dans une production US de mettre en scène un couple mixte ? Auquel cas, le woke de la série Fondation ne serait qu’une posture suiviste et branchouille, donc sans réel courage...
Le cadre et l’ambiance d’une civilisation aussi lointaine dans le temps et l’espace (comme l’illustre par ex. l’altération morphologique des lettres de l’alphabet latin) ne manque pourtant jamais l’occasion de ramener lourdement le spectateur dans la trivialité contemporaine. Certes pas aussi grossièrement et vulgairement que dans Discovery, Picard ou Lower Decks, mais à travers toutes ces obsessions nombrilistes du présent qui polluent déjà bien assez l’actualité… et certaines œuvres de fiction très populaires. Ainsi, il n’aura pas fallu plus de deux épisodes pour que Foundation prenne le contrepied d’Asimov afin d’infliger au spectateur un énième épitomé magnifié du 9/11 avec ses conséquences disruptives : récitant l’équivalent d’un "Allah akbar" de djihad (en la circonstance des "war cries" endogènes aux planètes Anacreon et Thespis), deux terroristes se font simultanément sauter en deux points distincts au sein de la plus haute construction de Trantor… avec une hécatombe à la clef. S’ensuivent inéluctablement les investigations musclées et les persécutions multiples de la part du pouvoir impérial, par exemple sur Aethra sous la conduite de la première ministre Eto Demerzel (dissimulant sa nature robotique), pour "culminer" par les génocides "rétributifs" (par voie de bombardements orbitaux) des planètes Anacreon et Thespis devant leurs ambassadeurs respectifs (Xandem et Shae Un Shae) réduits à l’impuissance. Cette scène-là, venant renforcer la perversion extrême et gratuite de l’empereur Cleon XII Brother Day (ayant déjà liquéfié en bouillie gore le loyal Master Orlio, artiste en chef de l’hypnotique Mural Of Souls), fait bel et bien passer ce "reboot" audiovisuel de Fondation pour une version space op’ et high tech de Game Of Thrones, au point d’évoquer ce moment fondateur de sa première saison où le preux Eddard "Ned" Stark fut déshonoré, trahi, puis exécuté par Cersei Lannister…
N’empêche, amalgamer ainsi un terroriste isolé avec tout un peuple, qui plus est par deux fois, jusqu’à infliger des exterminations de proportion cosmique en guise de représailles, c’est non seulement antinomique de l’Empire galactique d’Isaac Asimov (n’étant aucunement celui de George Lucas), mais c’est finalement indigne d’une civilisation aussi avancée, forte de 24 000 ans de maturité évolutionniste depuis le monde contemporain. Même au plus fort de la douleur et de la colère suscitées par le 9/11, il ne serait venu à l’idée de personne au sein du gouvernement très républicain des USA d’atomiser tous les pays musulmans de la planète, ni même un seul.
Les ambassadeurs Xandem et Shae Un Shae étaient naïvement venus solliciter le triumvirat impérial pour pacifier les querelles qui opposaient leurs planètes respectives. Mais loin du chêne de Louis IX ou du jugement de Salomon, Cleon XII a mis les plaideurs d’accord à la façon de Raminagrobis. Cela pourrait édifier (ou faire rire) comme une fable de Jean de La Fontaine... si cela ne se nommait pas Fondation.
Pour couronner le tout :
La Seer church mutile – à des fins d’initiation ou de vassalisation – la chair de ses fidèles (presque à la façon de la Caste des Méta-Barons d’Alejandro Jodorowsky), proscrit les mathématiques et massacre les scientifiques sur Synnax (probablement pour allégoriser les affreux climatosceptiques trumpistes), tout en pratiquant le culte d’un mystérieux Sleeper (aka "Celui-qui-sommeil" en VF) supposé "rêver le futur des humains"... tel un écho du Sandman de Neil Gaiman (que David S Goyer s’emploie également à "adapter" en série TV). L’empereur Cleon XI Brother Dusk n’hésitera d’ailleurs pas à consulter un des prêtres de la Seer church dans les décombres de Trantor...
Le Vault (Sanctuaire) de Terminus enveloppé d’un null field (champ invalidant) – correspondant probablement peu ou prou au Time Vault où l’hologramme de feu Hari Seldon révèlera les véritables objectifs derrière l’Encyclopedia Galactica – est déployé ici à la manière d’un totem cabalistique. Une pure Mystery Box sortie de Lost, et mise en opéra par la narration : « No one could approach the Vault. No one but an outlier like Savor Hardin. And I always wondered, when Hari was formulating his plan, did he realize the galaxy’s fate would rest on what she found inside ? [Nul ne pouvait s’approcher du Sanctuaire. Personne sauf une aberration de la nature comme Salvor Hardin. Et je me suis toujours demandé, quand Hari composait son plan, s’il avait conscience que le sort de la galaxie allait reposer sur ce qu’elle trouverait à l’intérieur ?] ») ;
Et la psychohistoire elle-même vient à flirter parfois – du fait de son usage à géométrie variable – avec une forme de divination surnaturelle, donc de religion-qui-ne-dit-pas-son-nom, quitte à lorgner les mathématiques-pour-rire de la piètre série Numb3rs, et au risque de transformer Hari Seldon en deus ex machina...
De là à dire que la construction narrative de la nouvelle série d’Apple TV+ baigne dans un mysticisme nébuleux – voire poisseux – qui est largement étranger au paradigme asimovien, il n’y a qu’un pas...
Finalement, la philosophie véritable de cette adaptation est exprimée par Gaal – narratrice et donc point de mire de la série – dès le début de Foundation 01x01 The Emperor’s Peace : « Salvor Hardin, Hober Mallow, The Mule. I would learn these names one day. The heroes and villains fighting for the salvation of mankind. [Salvor Hardin, hober mauve, le Mulet. J’apprendrais ces noms un jour. Les héros et les méchants qui se battent pour le salut de l’humanité.] ».
Soit un manifeste éloquent qui emprunte au paradigme épique et dualiste de l’heroic fantasy, renversant ainsi la proposition épistémologique et méta-civilisationnelle du Fondation d’Isaac Asimov, dont la force et l’originalité consistaient précisément à éviter les jugements de valeur et les ordalies pour conserver une parfaite neutralité cosmologique (et donc cosmogonique) dans l’étude de l’évolution.
Mais dans une industrie désormais dominée par un Panthéon super-héroïque et assujettie une axiologique universaliste (en d’autres termes une pensée unique), aucune distanciation n’est vraiment possible, or celle-ci est pourtant le fondement même de la vraie hard-SF...
Autant de traits foncièrement anti-asimoviens qui concourent à faire prévaloir les individus sur le système comme dans la grande majorité des productions étatsuniennes actuelles, à la fois au nom de l’individualisme-roi de l’american way of life que de la dynamique porteuse (populiste ?) des cultes de la personnalité. Tandis que la SF d’Isaac Asimov avait toujours fait primer le collectif sur l’égo... exactement comme Star Trek (du moins le vrai entre 1964 et 2005).
By the way, incidemment, la "wokitude" ou le "wokisme" se prendrait-elle·il à nouveau les pieds dans le tapis ? Car l’emploi de "mankind" – plutôt que "humankind" – par Gaal Dornick dans son introduction narrative pourrait être considéré comme l’inexplicable vestige d’un sexisme nauséabond ! Eh oui, à partir du moment où l’on ouvre cette boîte de Pandore... "à woke, woke et demi".
Et puis, la "police diversitaire" de Hollywood serait-elle sujette à quelques préjugés ? Car il n’y a pas un seul asiatique dans la distribution de Foundation ! Alors que même en 1966, Star Trek The Original Series ne souffrait pas d’un pareil manquement...
De toute évidence, l’objectif premier de cette "re-imagination" de Fondation est de proposer par son entremise une transposition autocentrée et propitiatoire du monde contemporain. David S Goyer ne se prive d’ailleurs pas de l’assumer et même de le claironner, notamment au travers de ses déclarations dans la presse, à l’instar de celle-ci, très éclairante : « He wasn’t writing about the distant future. He was writing a post-World War Two environment. He was talking about Nazi Germany. He was talking about being a Jew who had emigrated from Russia. He was talking about the old empires of Europe collapsing and the ascendancy of America. The first thing I said to the Asimov Estate is that Asimov crafted Foundation to be a mirror so I need to write about what’s happening now. I need to write about Brexit, MeToo, the ascent of nationalism again. I need to write about climate change. [Il n’écrivait pas à propos de l’avenir lointain. Il écrivait sur un contexte post-seconde guerre mondiale. Il parlait d’Allemagne nazie. Il parlait d’être un Juif qui avait émigré de Russie. Il parlait des anciens empires d’Europe s’effondrant et de la domination de l’Amérique. La première chose que j’ai dite à l’Asimov Estate est que la fondation fabriquée par Asimov n’est qu’un miroir, donc c’est sur ce qui se passe maintenant que je dois écrire. J’ai besoin d’écrire sur le Brexit, sur le MeToo, sur la nouvelle montée des nationalismes. J’ai besoin d’écrire sur le changement climatique.] »
Alors certes, il est incontestable que pour jeter les fondations de son Empire galactique, Asimov fut au départ inspiré par le très classique Decline And Fall Of The Roman Empire d’Edward Gibbon (1776) et aussi par l’actualité traumatique de la WW2. Tout auteur doit bien partir de quelque chose comme aurait pu l’énoncer feu René Girard. Mais quarante années de développement au cordeau auront permis au grand Isaac d’autonomiser de plus en plus – et ainsi élever intellectuellement – sa création, jusqu’à bâtir un univers de SF pleinement homogène et autosuffisant, enfin affranchi du "eye of the beholder", où la facilité de la transposition a progressivement cédé la place à une authentique conceptualisation science-fictionnelle haut-perchée.
En somme, pour tenter de conférer un supplément d’autorité à ses obsessions politiques personnelles et mieux asseoir son "sacerdoce" de conscientisation propagandiste, David S Goyer dénie à Isaac Asimov la réalité évolutive de son parcours d’auteur, réduisant l’œuvre achevée d’une vie entière à son seul moteur créatif initial (histoire d’en faire un update tendance), pourtant rétroactivement sublimé et transcendé par l’acte créateur et par le temps. Ce qui revient à ne considérer que le petit bout de la lorgnette – tel un PGCD passe-partout de 1 – pour tenter de légitimer n’importe quelle licence...
La franchise décomplexée de David S Goyer sur sa réinterprétation sophistique d’Asimov et sur ses intentions utilitaristes envers Fondation assène surtout une vraie démonstration de cynisme... derrière un vernis de moraline bienpensante.
Alors quid de la question lancinante qui hantait les connaisseurs et les amoureux du monument d’Isaac Asimov depuis l’annonce faite il y a quatre ans : est-il possible d’adapter à l’écran le plus inadaptables des cycles littéraires de la SF ?
Eh bien, à ce stade, la réponse à ce défi historique est plutôt négative (sous réserve de la suite), tel un insoluble oxymoron (d’où un 0,5/5 provisoire). Ce n’est pourtant pas faute de s’être donné les moyens : travail d’herméneutique et de portage minutieux durant quatre longues années, élitisme de production d’Apple TV+, implication de showrunners expérimentés (Josh Friedman et David S Goyer), giga-casting sur tous les continents, production value sans commune mesure pour une série TV, soin apparent du worldbuilding…
Mais pour en faire une production banquable, l’épistémologie systémique et civilisationnelle d’Isaac Asimov est tragiquement appauvrie et dénaturée, convertie en un outil idéologique trendy au service d’un dénominateur commun messianique, super-héroïque, "Gentils versus Méchants", et foncièrement transpositionnel donc exclusivement contemporano-centré.
Pour relever un challenge aussi improbable, peut-être eût-il fallu les moyens actuels de la série Foundation... mais propulsés par l’approche radicalement antithétique de Richard Matheson dans son exemplaire adaptation de Ray Bradbury, The Martian Chronicles (1980)...
Faut-il pour autant convoquer exutoirement l’anathème du #Faketrek d’Alex Kurtzman dans son "anti-adaptation" profanatrice du Star Trek roddenberro-bermanien depuis 2009 et surtout depuis 2017, étant donné qu’il y aurait comme un vague air de parenté dans la démarche et dans les finalités ?
Pas tout à fait. Car il subsiste malgré tout une différence majeure : Foundation est incontestablement une belle série de SF, belle non seulement par son visuel écrasant (une tuerie !) et par sa mise en scène contemplative (qui sied si bien à la Hard-SF), mais belle également par ses dialogues tout en retenue, par son interprétation sobre (en particulier Jared Harris – qui fut mémorable dans le chef d’œuvre Chernobyl (2019) – et Lee Pace emblématisant ici un empire en déclin) quoique parfois un peu fade (Laura Birn en Daneel Olivaw), par sa narration chorale (sise "simultanément" à plusieurs époques et divers points de la galaxie) confinant au mille-feuille scénaristique, et par de vrais moments poignants (la chute de l’ascenseur orbital à la surface de Trantor, l’anéantissement quasi-mythologique d’Anacréon et Thespis...).
Et curieusement, les deux premiers épisodes semblent moins s’inspirer des écrits originaux d’Isaac Asimov que de la myriade de grands noms de la SF (plus d’une vingtaine) qui ont continué vaillamment à développer avec beaucoup de cohérence l’univers Robots-Empire-Fondation après le décès de son créateur. Ainsi par exemple, le procès public intenté par l’administration impériale contre Hari Seldon provient directement du deuxième volume de la Second Foundation Trilogy (Second cycle de Fondation) composé(e) de Foundation’s Fear (Fondation en péril) de Gregory Benford (1997), Foundation And Chaos (Fondation et Chaos) de Greg Bear (1998) et Foundation’s Triumph (Le Triomphe de Fondation) de David Brin (1999).
Les immersions saisissantes sur de nombreuses planètes extraterrestres de l’Empire (ah l’aquatique Synnax où le minimalisme zen se superpose à l’himalayisme d’anneaux orbitaux radiants dans le ciel !), un hyperespace (durant le FTL) qui convie l’indicible expérience de Dave Bowman dans la dernière partie du 2001 : A Space Odyssey de Stanley Kubrick (1968), un générique d’ouverture flamboyant (un peu baroque) et hautement symboliste (dans la veine de celui de la série Westworld), un travail d’orfèvre sur les décors cyclopéens et les costumes, une photographie et un art design virtuoses... représentent autant d’atouts pour garantir un profond dépaysement "alien" au public féru de SF. Il en ressort un puissant sentiment de gigantisme et de foisonnement dans la volonté démiurgique de donner vie à un cosmos aussi vaste que vertigineux, si ce n’est dans le fond, du moins dans la forme. De quoi faire naître une furieuse envie de voir la suite... quand bien même avec une certaine appréhension et un zeste de masochisme.
Sans pour autant réussir à tutoyer la référentielle The Expanse sur ce plan, il y a malgré tout dans cette Fondation 2.0 de Josh Friedman et David S Goyer un désir de worldbuilding susceptible de rédimer à terme (?) ses nombreux biais cognitifs anti-asimoviens et ses quelques absurdités scientifiques (dans la mesure où icelles n’ont heureusement atteint aucune masse critique).
Conclusion
Le moins que l’on puisse dire est que la série Foundation était très attendue. Et sur le papier, elle a virtuellement le mérite de vulgariser Isaac Asimov en le mettant à la portée du plus grand nombre.
Toutefois, est-ce vraiment Asimov qu’elle rend accessible ?
Non contente d’accumuler plusieurs incohérences scientifiques et techniques (qui auraient facilement pu être évitées), la série de David S Goyer et Josh Friedman souffre d’un pesant formatage par la doxa étatsunienne (coercitions exercées par la mouvance woke/token/SJW/intersectionnelle/inclusive/cancel culture) mais surtout – et c’est bien pis – par la réification utilitariste (outil de transposition du contemporain, opportunisme politique et idéologique...) et par la dialectique comicsienne individualiste/super-héroïque/élective/messianique/religieuse/manichéenne. Avec pour corollaires la paupérisation de la pensée, des clichés de plus en plus indigestes, une dérive ontologique crasse, et le paragon historique de la Hard SF sacrifié sur l’autel de la fantasy.
Somme toute, Fondation usurpe en partie son nom et son identité. Non seulement, ce n’est pas de l’Asimov, mais c’est même – par bien des côtés – de l’anti-Asimov, avec en filigrane la possible arrogance typiquement hollywoodienne de prétendre faire mieux que lui, comme si son œuvre littéraire – toute estimable qu’elle soit – était considérée aujourd’hui quelque peu dépassée ou has been, tandis que l’héritage racoleur et entropique de Star Wars et Game Of Thrones devait forcément prévaloir.
Et pourtant, pourtant, pour qui n’a pas lu l’œuvre fondatrice du maître, ou pour qui possède (en son for intérieur cloisonné) la "schizophrénie contrôlée" d’en faire abstraction, cette nouvelle série d’Apple TV+ ne manque pas de qualités propres, hors de toute filiation. Elle s’avère impressionnante, au minimum intrigante… car envoûtante par sa forme et potentielle par son fond.
Grâce à sa très haute production value, Foundation pourrait bien marquer un jalon – celui de la disparition de toute frontière entre le 7ème et le 8ème Art. Son visuel paroxystiquement grandiose n’a en effet plus rien à envier aux vitrines les plus opulentes des salles obscures (tels Interstellar de Christopher Nolan, Dune de Denis Villeneuve…), tout en s’accordant le luxe de l’approfondissement et du temps suspendu pour être en mesure – essentiellement une note d’intention à ce stade ! – de développer sur la durée des psychologies nuancées, des problématiques enrichissantes, et un univers véritable.
Mais cette incontestable ambition de forme réussira-t-elle en définitive à "faire fond"... quand bien même sur des rivages sémantiques si éloignées de l’esprit d’Isaac Asimov... où "adapter" est devenu synonyme de "réécrire" ?
Épochè, c’est-à-dire wait and see...
Brillant et prometteur XOR désolant voire lamentable... selon la perspective adoptée.
À moins que ce ne soit les deux en même temps dans un entendement schizophrène, palinodique, ou... quantique.
YR
ÉPISODES
Episodes : 1.01 + 1.02
Titre : The Emperor’s Peace + Preparing To Live
Date de première diffusion : 24 septembre 2021 (Apple TV+)
Réalisateurs : Rupert Sanders + Andrew Bernstein
Scénaristes : David S Goyer & Josh Friedman + Josh Friedman & David S Goyer
BANDE ANNONCE
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