Foundation : Review 1.03 The Mathematician’s Ghost

Date : 05 / 10 / 2021 à 14h30

Ironiquement, Foundation 01x03 The Mathematician’s Ghost s’est fait éreinter outre-Atlantique par le public, y compris cette fois par ceux qui ne sont guère attachés (ou qui méconnaissent) la source littéraire.
Au nombre des motifs invoqués, souvent péremptoires ou subjectifs :
- l’épisode est trop lent, il ne raconte rien ;
- c’est fade et plat ;
- c’est superficiel et sans intérêt ;
- l’épisode passe à côté de son sujet ;
- c’est une accumulation de clichés et de gimmicks déjà vus avant dans trop de productions US ;
- c’est un "filler episode", un interlude, ou une salle d’attente pour faire patienter avant que la vraie séance ne débute ;
- les auteurs font du remplissage ce qui est tristement symptomatique au regard de la richesse du matériau livresque ;
- la narration est confuse, il y a trop d’époques différentes et de bonds dans le temps ;
- c’est frustrant, car l’épisode ne répond à aucune question posée (ou laissée en suspens) dans les deux épisodes précédents.
Autant dire que si cette critique détaillée de contentait d’être un agrégateur – ou une caisse de résonance – des avis du web, la note épisode et la note adaptation tendraient vers le zéro pointé !

Et pourtant, si l’on prend le parti fataliste de considérer le "facteur adaptation" comme une cause perdue… pour y gagner la liberté d’esprit d’aborder avec un œil vierge la série de Josh Friedman et de David S Goyer, à la manière d’une œuvre originale (quoique lourdement marquée par son époque de production), Foundation 01x03 The Mathematician’s Ghost dévoile des lignes de forces inattendues, suggérant même paradoxalement une vraie montée en qualité – dans son référentiel propre – par rapport aux deux premiers opus. Avec, en filigrane, quelques surprises…

Si vous ne souhaitez pas vous plonger dans une analyse exhaustive du contenu (forcément riche en spoilers), veuillez cliquer ici pour accéder directement à la conclusion.

Ce troisième épisode est très distinctement découpé en deux parties reliées entre elles seulement par le fil d’Ariane tissé par la narratrice, Gaal Dornick, autour du thème universel des fantômes – psychanalytiques, métaphoriques, ou réels – qui hantent les vivants, puissants ou misérables. Soit une originalité bien rare en série TV (et même au cinéma), tant les impératifs de dynamisation et la prévention anti-zapping poussent en général à infliger d’incessante "navettes"...

L’histoire A se déploie sur un timeframe de quatre siècles, entre -381 ans avant la destruction du Star Bridge de Trantor et +19 ans après, suivie d’un bref épilogue quelque seize années plus tard (lorsque le quatorzième Cleon deviendra adolescent). Et son sujet d’étude est le triumvirat génétique impérial, depuis sa genèse sous le règne finissant de Cleon Ier, jusqu’à la naissance mécanisée de Cléon XIV (le nouveau Brother Dawn) assortie quasi-simultanément de la mise à mort programmatique par désintégration de Cléon XI, passant de Brother Dusk (Frère au Soir) à Brother Darkness (Frère à la Nuit) durant un rituel mortifère nommé Ascension. Et alors, selon un cycle immuable, comme dans un jeu de dominos ou un passage de relais cosmique, chaque Frère prend avec résignation la place officielle de son aîné pour que la trinité demeure, toujours préservée et intacte.
Avec l’implacabilité d’une interminable liturgie religieuse sacrificielle, Foundation 01x03 The Mathematician’s Ghost plonge ainsi le spectateur dans une vertigineuse palingenèse au sens d’Épictète, voire dans une chronique de l’anitya bouddhiste… où une technologie futuriste déshumanisée réussit à emblématiser jusqu’aux confins de l’irréalité le cycle absurde de la vie, de la naissance à la mort, sans fin.
L’idée est extraordinairement forte et riche, elle rayonne dans d’innombrables directions philosophiques et anthropologiques... Ce sont les meilleures références audiovisuelles que convoque viscéralement cette première partie de l’épisode, dans l’ombre de la cauchemardesque The Twilight Zone de Rod Serling (1959-1964), allant du génial L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais (1961) au cultissime Logan’s Run (L’âge de cristal) de Michael Anderson (1976) et sa série homonyme dérivée.

Alors certes, il est permis de regretter que l’épisode n’ait pas profité de cette plongée dans les arcanes impériales pour détailler l’organigramme politique, pour explorer son interaction avec le reste de la société dans toute sa diversité de classes, pour exacerber le gigantisme de son univers d’appartenance, en s’ouvrant sur des horizons sociologiques plus larges, par-delà les épaisses murailles du palais.
Mais il serait aussi possible d’y voir un vrai parti pris maîtrisé d’auteur, afin de faire vivre au spectateur une expérience unique, très "alien" dans la relation à la vie et au monde, tout en poussant dans ces derniers retranchements (que seule le permet la SF) la fonction sacrificielle monarchique – ainsi dépeinte par James George Frazer en 1890 dans The Golden Bough, A Study In Magic And Religion (Le rameau d’or) puis théorisée par René Girard en 1972 dans La Violence et le Sacré.
En prenant pour cadre unique l’imperial palace, gigantesque mais vide et fantomatique, comme s’il était totalement déconnecté du peuple ou du "pays réel" – aussi bien la foisonnante Trantor (entrevue dans les épisodes précédents) que son Empire de proportion galactique –, l’épisode convoque les Cités obscures de Benoît Peeters et François Schuiten. En effet, l’hypnose et la mélancolie s’élèvent à un paroxysme sans égal lorsque la caméra nous submerge dans les épanchements déclinistes du vieil empereur au seuil du trépas avant qu’il ne revête son habit de lumière final (aussi bien Cleon XI que symétriquement Cleon I 400 ans avant), lorsque la caméra nous perd au sein des méandres ténébreux du palais, au cœur du Mural Of Souls où le vieil homme salue une ultime fois les "icônes vivantes" qu’il avait passionnément animées de son art sibyllin sa vie durant… ou encore dans l’immense galerie où se matérialisent les bustes holographiques de tous les Cleon – célébrant une diversité troublante à travers leurs noms de règnes distincts (Cleon I le rêveur, Cleon II le lettré, Cleon III l’alchimiste… Cleon XI le peintre).
Ainsi que le confirmeront les échanges (remarquablement bien écrits et d’une grande finesse) avec Demerzel, le clonage n’interdit pas l’unicité, ce qui implique une prévalence très SF de l’acquis sur l’inné (cf. l’excellent film Star Trek Nemesis).
L’introspection métaphysique douce-amère de Cleon XI au crépuscule de son grand soir est un dernier soubresaut de résistance, si vain et si célinien, contre le fatalisme stoïcien à la frontière du nihilisme, telle une rencontre avec la Mort qui vient… en un "no man’s land" sis quelque part entre la Danse macabre de Charles Baudelaire (1857) et Det sjunde inseglet (Le Septème Sceau) d’Ingmar Bergman (1957).
Tout comme la nativité artificielle de Frère à l’Aurore et l’avènement-couronnement de Frère au Grand Jour, l’exécution-autodafé de Frère au Soir est ici un sacre, qui abolit l’individu en même temps qu’il le sublime.

Mais cette histoire A est surtout ouvertement symboliste. Par sa répétitivité lancinante et son malaise indicible, par sa cyclicité kafkaïenne, elle instille dans l’esprit du spectateur que, dans leur purgatoire hors-sol et leur prison nombriliste, constitués de cycles au parfum de boucles temporelles et de tables rases illusoires, les Cleon sont devenus des zombis sans en avoir conscience... parce qu’ils sont convaincus d’avoir atteint une forme de perfection indépassable ! Et ils emblématisent ainsi homothétiquement le déclin de l’Empire et son inéluctable chute. Telles des dagydes vivantes, leur histoire personnelle raconte celle de la civilisation entière, dont le destin tragique est le corollaire systémique de sa propre culminance. Un possible seuil existentiel ou évolutionniste qui s’inscrirait dans un corpus de lois naturelles ignorées – à l’instar de l’hypothétique singularité d’une IA forte ou encore de l’évolution des Krell dans Forbidden Planet (1956) de Fred M. Wilcox. Cette systémique auto-destructrice était au cœur de la formidable série Odyssey 5 (annulée tellement trop tôt)...
Plutôt que de faire le choix du manichéisme facile que laissaient craindre les deux premiers épisodes, Foundation 01x03 The Mathematician’s Ghost a préféré l’option d’une empathie limitless dépourvue de jugement et la voie nuancée d’une exploration SF non-contemporanocentrée... pour proposer une expérience de pensée haut perchée, pour faire ressentir au lieu de déclamer. Et à cet effet, porté par l’impressionnant jeu d’acteur de Terrence Mann, l’épisode a osé une composition sur le temps long… qui est le fondement incontournable du worldbuilding en Hard-SF... mais qui est aussi un doigt d’honneur à la culture du zapping nourrie d’urgence et de dispersion. Quitte à y perdre une partie des spectateurs...
C’est donc une audace, une vraie. Et une audace de fond, pas seulement de forme. Peut-être la première de la série. Conduisant à une sorte de chef d’œuvre conceptuel.

Et dans les entrailles de cette "time loop" dynastique, commence à se dévoiler vraiment le personnage central et le point d’orgue du "greater Robot/Empire/Foundation universe" d’Isaac Asimov, à savoir le robot positronique R Daneel Olivaw, quoique sous l’identité d’Eto Demerzel.
Or ici, telle une divinité païenne, elle est à la fois l’exécutrice testamentaire de Cleon Ier pour son programme de clonage de lui-même, la responsable du renouvellement de générations impérial, la confidente intime du triumvirat, la conseillère stratégique de leur politique, le socle même du régime, et… la mère perpétuelle de tous les empereurs, accueillant chaque nouveau-né Brother Dawn d’une berceuse qui deviendra aussi l’hymne d’adieu à chaque Brother Darkness.
L’équanimité du jeu de Laura Birn, qui semblait, par sa fadeur et sa transparence, être une faiblesse jusqu’à présent... pourrait bien se révéler une force sur la durée tant son inquiétante étrangeté convergerait à l’horizon de l’humanité et de l’inhumanité. En même temps vierge et putain, mère et fille, c’est tout la démesure robotique qui s’exprime à travers elle.
Quand bien même profondément "rebooté(e)" par la série, la connaissance de la nature androïde d’Olivaw par l’imperium et sa place fondamentale dans la circularité dynastique pose donc probablement les fondements d’une cardinalité non moins déterminante à l’échelle de l’évolution civilisationnelle dans l’univers de la série.
En somme, c’est lorsque la série n’a plus rien à voir avec Asimov… qu’Asimov revient subrepticement par une voie détournée.

Cerise sur la pièce montée, la longue immolation de Brother Darkness au Carrousel de la mort réussit à être poignante... mais sans la moindre once de pathos ! Chapeau ! Un exploit qui aurait pu être bermanien dans un autre univers, mais qui est ici hardiment... asimovien !

Deux incohérences potentielles sont malgré tout à déplorer dans l’histoire A :
- Le décompte des ans s’accorde mal au cycle de renouvellement séquentiel du triumvirat et sa corrélation avec la chronologie de Terminus City. Il est difficile de croire que la même durée sépare les états Brother Dawn / Brother Day (de Cleon XIII), et Brother Day / Brother Dusk (de Cleon XII), sauf à considérer que la longévité des clones est inférieure à celle de nos contemporains (le cadre futuriste appellerait plutôt l’inverse) et que leur rythme de croissance puis de vieillissement différerait de celui des humains normaux. Pas impossible mais un peu capillotracté...
- Comment expliquer qu’en 19 ans, l’ascenseur orbital n’ait pas été réparé, détruit, ou reconstruit par les empereurs de Trantor ? Fallait-il attendre le dernier jour de vie de Cleon XI pour lui offrir en cadeau d’adieu l’explosion – stérile – de l’épave du Star Bridge encombrant l’orbite géostationnaire tel un vulgaire déchet spatial ? Il y a là une profonde disparité structurelle entre l’incapacité en deux décennies à reconstruire – ni même commencer à le faire – l’édifice qui faisait la fierté de la planète-capitale… et un empire prétendant régner sur des milliers de planètes dans l’intégralité de la Voie Lactée, un empire ayant bombardé avec une facilité déconcertante aux confins de la galaxie les planètes Anacréon et Thespis au moyen de plusieurs armadas de croiseurs disposant des Jumpdrive (FTL), un empire ayant largement atteint le Type III sur l’échelle de Kardachev. Même au petit jeu conscientisé de la transposition, les USA – réputés en déclin – n’ont pas mis plus de treize ans à reconstruire le One World Trade Center après le 9/11. Faut-il alors convoquer un autre parallèle, plus ancien, à savoir l’abandon des aqueducs alimentant en eau potable la Rome antique à l’ère de sa décadence, pour voir en cette soudaine "impuissance" de Trantor l’effondrement de l’Empire en seulement une vingtaine d’années ? Dans l’œuvre littéraire, pourtant, le déclin était si lent... qu’il s’avérait quasi-indétectable par des signes extérieurs.
En amont, étant donné le gigantisme de l’Empire galactique et le prestige de l’œcuménopole Trantor sise en son centre, il est de toute façon curieux qu’il n’y ait pas eu plusieurs ascenseurs orbitaux en activité avant l’attentat terroriste...

L’histoire B porte, quant à elle, sur la colonisation de l’énigmatique Terminus par les humains après 1 878 jours de voyage sur 50 000 années-lumière. Elle se décline sur environ trente ans, entre l’arrivée en orbite du Deliverance (le vaisseau de la Fondation mais sans feu Hari Seldon ni Gaal Dornick)... et 35 années après l’attaque terroriste du Star Bridge sur Trantor, soit le point temporel par lequel avait débuté le pilote Foundation 01x01 The Emperor’s Peace, lorsque Salvor Hardin adulte bravait le champ invalidant / de répulsion (null field) de l’indéchiffrable Sanctuaire (Vault).
Les sauts de puce ou les pas de géant successifs dans la chronologie, quoique nombreux, ne perdent donc aucunement le "nord". Et tant qu’ils restent homogènes et consistants, ce n’est pas demain la veille qu’ils dérouteront les lecteurs familiers des cycles littéraires d’Isaac Asimov, indépassables en la matière... car presque browniens sur la ligne du temps.

Ainsi parlait Gaal Dornick : « And as Empire cycled through a generation of Cleons, the Foundation began colonizing Terminus. The Empire underestimated Hari. We all did. Hari had predicted the Cleons would opt for exile over execution… that his followers’ end point would be Terminus. Every aspect of their arrival was predetermined : when the colonists would land, where they would build their outpost… So imagine their surprise when they discovered that something else was already there ! (…) It became known as "the Vault". And over the decades, countless myths grew up around it : it was an ancient artifact left by aliens, or a surveillance outpost send ahead by the Cleons… But all the settlers knew for certain was that the Vault wouldn’t allow anyone to approach it. And so they kept away. The slow ship was scuttled a refuge built from its bones. And, what was one mysterious, became mundane. [Et tandis qu’une nouvelle génération de Cleon accédait aux fonctions impériales, la Fondation lança la colonisation de Terminus. L’empire avait sous-estimé Hari. Comme nous tous. Hari avait prédit que les Cleon choisiraient l’exil à l’exécution et que le voyage conduirait ses fidèles sur Terminus. Chaque détail de leur arrivée avait été prédéterminée : la date de leurs premiers pas, l’endroit où ils devaient bâtir leur avant-poste… Alors imaginez leur surprise lorsqu’ils ont découvert que quelque chose était déjà installé là ! (…) Ils le baptisèrent "le Sanctuaire". Au fil des décennies, il donna naissance à de multiples légendes : un ancien artefact abandonné par une race non humaine, ou un avant-poste de surveillance envoyé par les Cleon… Mais la chose dont les colons étaient sûrs, c’est qu’il projetait un champ ne permettant à personne de s’en approcher. Notre vaisseau fut dépouillé, ses entrailles transformées en refuge. Et, ce qui était autrefois mystérieux, devint banal.] »

Ces 3 minutes 30 qui relatent l’acte de Fondation sur Terminus forment un grand moment de science-fiction, l’un de ceux où souffle le vent de l’Histoire, avec un texte à la hauteur du visuel. La cannibalisation d’un vaisseau spatial qui ne permet aucun retour, l’édification d’une vraie ville centrée autour d’une statue de Hari Seldon (et d’une tour), encadrée et protégée par une vaste barrière énergétique (energy fence ou energy barrier en VO), la prise de contact difficile avec une nature sauvage et ses monstres cruels pourtant non dépourvus de noblesse (e.g. griffon-pasteur ou en VO bishop’s claw)… ce sont autant d’éléments synesthésiques pour tous les habitués de la SF, qu’elle soit littéraire, BD, ou audiovisuelle. Renvoyant comme l’histoire A à une forme de palingenèse, telle une épure ou une synthèse parfaite de l’esprit pionnier à l’origine des civilisations, mais magnifié ici par cet objet mystérieux suspendu dans les cieux, semblant violer toutes les lois physiques… et attendre les humains de toute éternité.

Cependant, il faut veiller à ne pas inverser les relations de causes à effets, car ce sont surtout les autres œuvres de Hard SF qui doivent quelque chose à la Terminus d’Asimov (et non l’inverse) étant donné son antériorité (1951, en réalité 1942). Et pas que de SF d’ailleurs, mais également de fantasy, à l’instar de Tatooine (monde d’origine de la famille Skywalker) dans Star Wars, elle aussi aride et peu hospitalière, elle aussi sise en périphérie galactique (même s’il ne s’agit pas de la même galaxie), et accueillant elle aussi des véhicules hydroglisseurs de même style.

Bien que formellement très classique, pour ne pas dire classieux, le second exercice n’en est pas moins brillant parce qu’il ose, oui il ose, lui aussi, donner du temps au temps ! Soit l’ingrédient premier d’une immersion convaincante et hautement dépaysante dans un monde extraterrestre. Or un monde au sens du réel ne saurait livrer instantanément tous ses mystères. C’est là, une nouvelle fois, toute la viscéralité du temps long, faite de trivialités quotidiennes, de tranches de vies, mais toutes subtilement irriguées d’uncanny valley...
Quoique aimantée consciemment ou inconsciemment par le Sanctuaire (à l’origine même d’un rituel initiatique durant lequel les enfants de colons viennent y tester leur résistance à l’évanouissement dans le sillage du premier détachement ayant posé pied sur Terminus...), la colonie humaine s’est progressivement organisée tel un avant-poste du vieux Far West. Sauf que le pouvoir s’y exerce de manière largement collégiale autour de Lewis Pirenne (le directeur) ainsi que de Mari (la mère de Salvor), et la cité se pense au rythme des agoras où sont débattues les meilleures technologies à "sauvegarder" en prévision de la chute (par exemple l’horloge à eau ou le gnomon ?). Et parfois, des astro-commerçants (tel Hugo) viennent approvisionner la communauté depuis la planète Thespis… C’est ainsi que la Première Fondation aura petit à petit fait société.
De quoi convier irrésistiblement les mémoires de la série oubliée Earth II (1994-1995), mais également du remarquable diptyque Stargate Universe 02x17 Common Descent + 02x18 Epilogue, et plus récemment de l’ineffable Raised By Wolves (2020)… En outre, par son visuel plus que référentiel et par sa dimension contemplative, il y a une fragrance du Dune de Denis Villeneuve (2022) qui se love dans cette expérience de vie à Terminus City ! L’histoire B est manifestement en bonne compagnie...

Dès son enfance, la rêveuse Salvor fut irrépressiblement attirée par l’œil du Vault, au point d’acquérir la réputation d’être "différente". Puis adulte, elle succéda à son père Abbas pour assurer la sécurité des colons...
Mais un beau jour, imperceptiblement, la tension s’est mise à monter telle une marée submergeant la noosphère : discrète au départ avec le réveil supposé du Sanctuaire, étouffante à la fin durant l’approche silencieuse des vaisseaux de guerre anacréoniens et la perte de contact avec l’Empire (privant les protagonistes de tout SOS et de tout renfort)... Les réunions fébriles des leaders de la Fondation – se sachant totalement impuissants devant la menace qui sourde – sont empreintes d’une authenticité prenant littéralement à la gorge, et cette sensation de vécu n’a pas de prix.
Tandis que dans sa solitude de marginale, hantée toutes les nuits par le spectre d’un gamin la conduisant dans l’épave abandonnée de l’aéronef colonial à l’écart de la colonie, Salvor Hardin y croisera une griffon-pasteur femelle de 600 kg que, de "guerrière" à "guerrière", elle aura appris à respecter jusqu’à la baptiser Maybel. Mais ses visions nocturnes chroniques finiront aussi par la conduire directement dans la gueule de l’ennemi... L’épisode s’achèvera alors par un nouveau cliffhanger, lorsque l’héroïne sera mise en joue par des archers anacréoniens fraichement débarqués (une technologie apparemment anachronique, mais néanmoins au cœur de cette culture comme en avait témoigné l’offrande solennelle de l’arc du plus illustre chasseur, Larken Keaen, par l’ambassadeur Xandem à l’empereur Cleon XII dans Foundation 01x01 The Emperor’s Peace).

Alors bien sûr, avec l’électivité si "special" (au sens anglophone) de Salvor et l’appel crypto-mystique exercé par le Vault, la dialectique prestidigitatrice de la Mystery Box so fantasy affleure sans aveu...
Et d’une perspective anti-asimovienne, comment ne pas soupçonner Hari Seldon d’avoir organisé sa propre mort avec la complicité de Raych Foss façon Judas-complice dans The Last Temptation Of Christ (1988) de Martin Scorsese ? Devenir martyr servirait en effet bien davantage sa "cause" eschatologique (comme l’avait d’ailleurs bien compris l’empereur Cleon XII). Autant dire une manipulation suicidaire-par-procuration digne des pires fanatiques religieux ! Quant à Gaal, serait-elle partie (malgré elle) créer la Seconde Fondation ?
Toujours est-il qu’il serait imprudent de faire un procès d’intention à l’épisode, le récit ne laissant transparaître que trop peu de la big picture. D’autant plus que l’établissement de la colonie sur Terminus ainsi que le Sanctuaire font – peu ou prou – partie du matériau littéraire originel. À ceci près que Foundation 01x03 The Mathematician’s Ghost accorde bien davantage de temps et d’espace à l’implantation terminusienne que ne le fit Asimov...
Et si l’on s’abstient de présumer de la suite sur la base de ce qui précède, il devient alors possible de jouir sans arrière-pensée (ou presque) de l’instant, et ainsi s’emplir de la profonde "alienitude" polarisée autour de l’impénétrable Vault, témoin silencieux de la genèse d’une civilisation nouvelle, et aussi hermétique que le monolithe de 2001 : A Space Odyssey d’Arthur C. Clarke & Stanley Kubrick (1968) ou que la planète Solaris dans le roman éponyme de Stanisław Lem (1961) et les films dérivés d’Andrei Tarkovsky (1972) & Steven Soderbergh (2002).

Dans un acte de désespoir, privée de la compréhension exclusive de la psychohistoire qu’en avaient Hari Seldon et Gaal Mari (depuis leur disparition durant le voyage), Mari tend à Salvor le Prime Radiant en forme de tétrakaidécaèdre de type cuboctaèdre, pour voir si sa fille – réputée exceptionnelle – ne serait d’aventure pas capable d’en percer les secrets. Après un frémissement d’inspiration, le test s’avère un échec.
Alors certes, loin de l’œuvre littéraire où l’objet projetait de solides équations mathématiques sur les murs, le Prime Radiant de la série génère des hologrammes nébuleux qui semblent davantage s’adresser à un hypothétique sixième sens qu’à la raison ou au logos.
Et pourtant, surprise, les dialogues entre la mère et la fille établissent un point essentiel, à savoir que la mission de la Fondation serait un acte de foi, oui, mais rationnel et agnostique, et non religieux ou mystique. Tandis que la plus "athée" (Salvor) est sollicitée par la plus "croyante" (Mari) pour raviver la flamme de sa "foi".
Ce paradoxe d’une "foi rationnelle" était présent chez Asimov ! On avance...

Si les deux premiers épisodes semblaient manquer de cohérence ou de courage dans leur posture démonstrativement woke, Foundation 01x03 The Mathematician’s Ghost corrige un peu le tir en mettant en scène une relation sexuelle entre Salvor Hardin et Hugo. Avec ce couple mixte, la série a osé briser l’ultime tabou social étatsunien. Il était temps, surtout pour des événements supposés se dérouler plus de 24 000 ans dans le futur...
Il est impossible d’établir à ce stade si le commerçant intergalactique Hugo se substitue ou non au personnage littéraire de Hober Mallow. Mais sa romance avec la guerrière bad ass de Terminus est, si ce n’est intéressante, du moins instructive par ce qu’elle révèle. À savoir une absence totale de pathos, de mélo et de soap, ce qui tord le cou aux désagréables relents teen (ou vaudevilesques) laissés par l’épisode précédent.
La distanciation cultivée par cette fresque diachronique terminusienne est décidément un incontestable atout aux accents... asimoviens ! Again ! Autant dire un mème désormais. Bigre !

Dans le registre de l’audace, ce troisième opus ose également ne pas donner aux spectateurs ce qu’ils attendaient si impatiemment, c’est-à-dire une suite directe à l’insoutenable cliffhanger par lequel s’achevait Foundation 01x02 Preparing To Live.
Ledit cliffhanger pouvait être considéré comme une facilité. Mais ne pas le satisfaire, du moins immédiatement, c’est une ambition.
De quoi réaffirmer et renforcer ce mille-feuille scénaristique que la série cherche à être. Et pour qui connait Isaac Asimov, c’est plutôt un indicateur encourageant...

Enfin, le sens général de l’écriture de ce troisième opus accorde une place sensible au mécanisme paradoxal qui préside à la nativité des mythes et des légendes à partir de faits réels oubliés ou incompris. Or ce tropisme méta-historique est au cœur même du cycle Foundation d’Isaac Asimov, et J Michael Straczynski s’en était d’ailleurs copieusement inspiré pour sa magnifique série Babylon 5 (hélas en passe d’être rebootée).

La voix de la narratrice, Gaal, offre une vraie colonne vertébrale à l’épisode pour unifier les histoires A et B, dont Ce procédé est souvent une marque littéraire pour établir une filiation avec une source livresque...
Mais c’est aussi à double-tranchant, a fortiori lorsque le·la narrateur·trice est intradiégétique. Car l’omniscience qui en émane est susceptible de postuler un deus ex machina ou à défaut un déterminisme, au risque de compromettre l’ouverture cosmologique de l’univers (lorsque la SF bascule dans la fantasy), mais également d’appauvrir le spectre sémantique en imposant une interprétation unique, voire d’infliger une contreproductive dimension pédagogique en prenant le public par la main.

Bref, Épochè à nouveau.
Mais déjà, un considérable progrès sur tous les plans.

Conclusion

Foundation 01x03 The Mathematician’s Ghost est peut-être anti-hollywoodien, frustrant, imparfait. Mais il est audacieux, ambitieux, profondément alien.
La première partie (la prison kafkaïenne des Cleon) tient du chef d’œuvre inédit de pure SF, la seconde (la fondation de la Première Fondation) est une subjuguante décorporation (OBE) vers l’ailleurs. Les deux segments ont néanmoins en partage la témérité de s’accorder le temps de la contemplation, le temps du worldbuilding, le temps de la Hard SF. Ce que d’aucuns prennent pour de la fadeur ou de la platitude, c’est ni plus ni moins la froideur et la distanciation intrinsèques du cycle littéraire mythique... que, contre tout attente, cet épisode retranscrit à merveille. Pour une fois, les somptueux effets spéciaux servent la grande Histoire, au lieu de n’être que des cache-misères (ou des bouche-trous) à adrénaline.

Même si ce n’est toujours pas véritablement de l’Isaac Asimov dans le texte (et ça ne le sera peut-être jamais), cela pourrait cependant devenir de l’Asimov... dans l’esprit ! Car, de plus en plus souvent, au détour d’un dialogue, dans le creux d’une fulgurance, l’ombre du maître se rappelle aux spectateurs-lecteurs, telle une madeleine de Proust ou un désir d’émergence...
Dès lors, faute d’être pleinement asimovien, ce troisième épisode prodigue – au contraire des deux précédents – nombre de vrais moments asimoviens... qui tutoient la complexité des concepts du monument littéraire ! Ce qui, mine de rien, est déjà énorme.
Et si l’on entérine bien le postulat selon lequel adapter Asimov à l’écran est matériellement impossible, alors les choix créatifs qui ont été faits dans ce troisième épisode sont indubitablement intelligents et respectueux, à défaut d’être fidèles. Tel un mensonge qui dit la vérité. J’aime à croire que ce n’est pas fortuit.

NOTE ÉPISODE

NOTE ADAPTATION

YR

ÉPISODE

- Episodes : 1.03
- Titre : The Mathematician’s Ghost
- Date de première diffusion : 1 octobre 2021 (Apple TV+)
- Réalisateur : Alex Graves
- Scénariste : Olivia Purnell

BANDE ANNONCE



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