Si le vent tombe : La critique
Le premier long-métrage de la réalisatrice arménienne Nora Martirosyan met en vedette... un aéroport. Voilà un point de départ bien original pour une oeuvre qui ne l’est pas moins. Sélection officielle du Festival de Cannes 2020, le film a pâti de la crise sanitaire - comme une grande majorité des productions cinématographiques - et il sort enfin, des mois après la date prévue à l’origine.
Je ne suis pas très bon public pour les films trop contemplatifs où l’on aurait pu raconter l’histoire en quelques minutes seulement : le manque d’action et de rebondissements me pèse et je finis régulièrement par piquer du nez ou jouer de la zapette. Mais quelque chose dans Si le vent tombe a réussi à capturer mon attention : le côté décalé de l’histoire, la qualité du jeu des acteurs, le lien totalement accidentel avec la crise que nous vivons actuellement... Bref, ce n’est pas le genre de film que j’irais voir au cinéma, et pourtant, il y a sa place.
Si le film est une fiction, il est basé sur un contexte tout à fait véridique : un aéroport en activité mais sans aucun trafic. Construit en 1974, l’aéroport de Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh, est parfaitement bien géré et maintenu, régulièrement mis à jour avec des technologies récentes, mais il lui manque juste... des avions. Depuis des années, la situation du pays est délétère : les conflits armés se succèdent et l’aéroport est un enjeu stratégique menacé régulièrement, notamment par l’Azerbaïdjan dont le Haut-Karabagh a fait sécession en 1991. Cette minuscule république caucasienne auto-proclamée n’est reconnue par aucun membre de l’ONU, autre raison pour laquelle il est difficile d’y faire atterrir des avions en provenance de l’étranger. Et un trafic national n’est même pas envisageable : c’est le seul aéroport du pays !
En s’appuyant sur ces faits, l’auteure-réalisatrice a imaginé un expert français qui irait auditer l’aéroport en vue de lui donner le feu vert pour son ouverture au trafic international. Voici donc Alain Delage (Grégoire Colin) qui débarque dans ce pays dont il ignorait peut-être même l’existence avant de partir, et découvre ce site perdu au milieu du Caucase. Pas une géographie facile pour ce pays enclavé dont l’aéroport est trop proche d’une frontière dont les limites fluctuent selon l’évolution du conflit rampant avec ses voisins. ’Nord, nord-est, Azerbaïdjan : ennemi. Nord-ouest, Arménie, Géorgie, amis. Plus au nord, Russie. Ouest, Turquie : ennemi. Sud, sud-ouest, Iran : en bons termes.’ explique le directeur de la tour de contrôle à Alain. Un véritable casse-tête pour Alain, mais il voit bien que l’espoir de tout un pays repose sur ses épaules et il ne peut pas tourner le dos à ces gens si sympathiques. Lorsqu’il décide de se rapprocher de nuit de l’une des frontières pour voir la réalité des choses, il va mettre sa vie et celle de quelques locaux en danger.
Parallèlement à cette histoire, on découvre celle d’Edgar (Hayk Bakhryan), un gamin d’une dizaine d’années qui gagne sa vie en vendant aux gens du coin de l’eau miraculeuse qu’il va, prétend-il, chercher à pied à une source cachée dans les montagnes. Lui aussi apporte de l’espoir, celui de la guérison, de la santé, du bonheur, qui sait ? Sauf que l’eau, il la prend au robinet des toilettes de l’aéroport, mais ça, il n’y a que lui qui le sait. On se dit que, finalement, cet aéroport ne sert pas complètement à rien s’il peut rendre ainsi service à Edgar et à ses clients... Alain voit passer Edgar sur le terrain de l’aéroport et se fait du souci pour la fiabilité des clôtures. Le manège de l’enfant l’intrigue, mais lorsqu’il part à sa recherche il ne le trouve pas, et les deux personnages principaux du film ne se rencontreront jamais.
Tourné en 2018, le film n’aura pas connu le gros conflit du Haut-Karabagh de 2020 qui l’amputera des trois-quarts de son territoire. Quid de l’aéroport depuis ? Si le vent tombe n’aura pas connu non plus la crise du Covid-19, et pourtant il décrit si bien ce confinement que nous avons tous vécu. Un expert peut-il nous rendre notre liberté en étudiant objectivement les faits ? Il voudrait bien, mais la politique est tellement plus forte...
Une jolie cinématographie et une belle sensibilité pour ce film réalisé sobrement. Grégoire Colin et les acteurs arméniens sont justes et émouvants, et donnent à cette oeuvre une impression de réalité, à la limite du docu-fiction. La réalisatrice peut être fière de son premier long-métrage.
SYNOPSIS
Auditeur aéroportuaire, Alain Delage débarque à Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh, une petite république auto-proclamée du Caucase, afin d’expertiser la possibilité de réouverture de l’aéroport qui n’a jamais vraiment fonctionné. La situation politique rend le travail d’Alain difficile mais au contact des habitants, il va comprendre l’importance de sa mission et ira jusqu’à se mettre en danger pour la mener à bien.
BANDE ANNONCE - EXTRAITS
FICHE TECHNIQUE
Durée du film : 1 h 40
Titre original : Si le vent tombe
Date de sortie : 26/05/2021
Réalisatrice : Nora Martirosyan
Scénaristes : Nora Martirosyan, Emmanuelle Pagano, Olivier Torres, Guillaume André
Interprètes : Grégoire Colin, Hayk Bakhryan, Arman Navasardyan, David Hakobyan, Vartan Petrossian, Narine Grigoryan
Photographie : Simon Roca
Montage : Yorgos Lamprinos, Nora Martirosyan
Musique : Pierre-Yves Cruaud
Costumes : Lusine Khachatryan
Décors : Avet Tonoyants
Productrice : Julie Paratian
Distributeur : Arizona Distribution
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