Foundation : Review 1.10 The Leap

Date : 25 / 11 / 2021 à 13h45
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Unification


Dans la mesure où la série d’Apple est un mille-feuille scénaristique, Foundation 01x10 The Leap possède l’ambition de raccrocher les nombreux wagons narratifs et de rassembler les pièces éparpillées d’un vaste monde étiré à travers le temps et l’espace. C’est ainsi que l’histoire B (Cleon XIII revenu métamorphosé de son expérience sur Surah) et l’histoire C (les ambitions avortées d’émancipation de Cleon XIV et sa condamnation à mort pour imperfection génétique) fusionnent sur Trantor, tandis que l’histoire A (la geste terminusienne réunissant désormais la Fondation, les Anacreoniens, et les Thespiens) et l’histoire D (le "voyage vers le futur" de Gaal Dornick vers sa natale Synnax établissent une jonction 138 ans après.
Fait inhabituel, David S Goyer se sera lui-même chargé de l’écriture et de la réalisation de l’épisode, pour une implication personnelle qui pourrait témoigner du désir sincère de conclure efficacement une saison frappée par d’innombrables écueils diégétiques...

(A/D) Lorsque le deus ex machina se transforme en révolutionnaire et les deux Mary Sue découvrent leur filiation.

(...)

NOTE HISTOIRE A/D

(B/C) La dynastie génétique des Cleon, du bug dans le meilleur des mondes à la triste histoire de la mort des rois

(...)

NOTE HISTOIRE B/C

Il ne fait aucun doute que Foundation 01x10 The Leap réussit à éclairer bien des zones d’ombres qui avaient été laissées en suspens au fil d’une saison à la construction délibérément éclatée, tout en se rattachant ostensiblement à des jalons symboliques du premier volume publié en 1951 par Isaac Asimov, mais aussi en puisant çà et là des éléments dans les tomes suivants voire même dans le cycle étendu (ouvrages sis dans l’univers de Fondation mais écrits par d’autres écrivains).

Ainsi, le Sanctuaire (le Vault) est bien une création de Hari Seldon pour guider périodiquement Fondation en périodes de crise et révéler les véritables objectifs du plan Seldon, à savoir non pas seulement archiver le savoir humain en prévision de l’inéluctable chute, mais engendrer un véritable contre-pouvoir à l’Empire galactique. Et alors, davantage en mode Barrabas ou Muḥammad qu’en mode Jésus, tel un tribun révolutionnaire voire un chef de guerre, Hari unira sous une même bannière tous les peuples de l’Outer Reach (dont l’inimitié mutuelle avait été fabriquée de toute pièce par une manipulation de Cleon II), à l’appui de la puissance inégalée du mythique Invictus (à la fois pour le reproduire en de nombreux exemplaires et pour faire accroire à l’Empire la disparition de toutes les sociétés humaines des Spires extérieures).

Les super-pouvoirs mentalistes de Salvor Hardin (visions périodiques, télépathie, capacité à altérer les lois de la probabilité, immunité envers le null field et le FTL du Jump) ont été hérités de Gaal…car icelle se révèle être sa mère biologique (tandis que Mari était seulement la mère porteuse de l’embryon – façon GPA – du fait des directives de natalité durant le long voyage du vaisseau Deliverance). Les deux Mary Sue de la série sont donc mère et fille, empruntant pour cela au twist le plus inhérent des soaps du soir (où les VIP ont tous des liens de familles comme les familles monarchiques de la vieille Europe). Le mentalisme serait donc une affaire héréditaire. Se sentant télépathiquement connectée à sa mère, Salvor sera poussée par un désir irrépressible de retrouver Gaal quelque part dans l’univers. Pour cela, elle abandonnera sa mère adoptive (Mari), son fidèle petit-ami et chevalier servant (Hugo), et ses responsabilités de Gardienne de Terminus juste avant qu’elle ne soit élue maire (ce qu’avait été son homologue masculin littéraire).

Tout en exposant Azura Odili à une sanction bien plus cruelle encore ("zuxing") que sous la dynastie Qin de la Chine impériale (à savoir l’assassinat systématique de tous ceux l’ayant un jour connu dans sa vie voire ayant même simplement posé le regard sur elle soit 1 551 personnes), Cleon XIII prétendra tirer un enseignement de son épreuve de la Grande Spirale et des prédictions de Hari Seldon pour faire plier la dynastie génétique et épargner la vie de Cleon XIV. Mais il en résultera une opposition tellement haineuse (jusqu’à l’empoignade violente) entre Cleon XII et Cleon XIII que la robotique Demerzel – au nom de sa servitude programmatique aux intérêts supérieurs de l’Empire – prendra l’initiative d’exécuter elle-même Brother Dawn (en lui brisant la nuque par surprise au moment il lui faisait le plus confiance). In fine, Shadow Master Obrecht révélera que les forces clandestines de rébellion (qui avaient failli remplacer Brother Dawn par un clone) ont en fait réussi à altérer l’ADN de Cleon I en amont du clonage de Cleon XIV, étendant les altérations génétiques à Cleon XIII voire peut-être même à des empereurs précédents. Ce qui crédibilise ainsi une résistance active depuis des décennies voire des siècles tout en expliquant mieux les écarts de comportements entre Brother Day et Brother Dusk

Et une dernière fois, la narration de Gaal Dornick unifiera les multiples théâtres scéniques d’une perspective historiciste voire mythologique, pour mieux se rattacher allégoriquement à l’atavisme livresque...

À un niveau de lecture superficiel et même symbolique (voire affectif), ce final pourra être considéré comme satisfaisant, d’autant plus que le destin de certains personnages sortant de leur environnement (au travers de technologies comme le cryo-sommeil et son corollaire de paradoxe spatiotemporel, le clonage, la copie quantique de conscience dans les hologrammes, ou les nanites réplicateurs) les exposera à des problématiques "larger than life" (adieux prématurés, passages d’une époque à l’autre sans vieillir, ubiquité, genèse de légendes, influence sur le temps long, causalités complexes ou paradoxales...). L’épisode y gagnera ainsi un souffle à la fois civilisationnel et épique.
Les nombreux gages de continuité internes que ce final tente de donner à la série (et reconnaissons que toutes les séries actuelles sont loin de pouvoir en dire autant) ne parviennent malheureusement pas à effacer l’avalanche d’incohérences, de ficelles, et de passages scriptés de JdR par lesquels les épisodes précédents ont dû en passer pour en arriver là...
En outre, à un niveau de lecture approfondi et exigent, ce dixième épisode n’est lui-même pas dépourvu d’invraisemblances (l’arrivée du Vault sur Terminus avant le Deliverance avec des technologies de propulsion au mieux équivalentes voire inférieures, l’impossibilité pour Seldon de prédire l’implication personnelle de Phara dans l’appropriation de l’Invictus par la Fondation, la parfaite connaissance par Hari du complot historique organisé par Cleon II, les contraintes contreproductives d’accès au Vault, le départ solitaire de Salvor sur le Beggar sans réelle expérience de pilote et alors que quelques mois après une flotte entière de Jumpships allait émerger de la Fondation élargie...) et de trous scénaristiques (la métamorphose du cadavre de Seldon en Vault "sentient" et en e-Seldon #1 via des nanomachines autoréplicantes a de quoi laisser très perplexe, la grande improbabilité de la rencontre entre Gaal et Salvor au fond de l’océan de Synnax...).
Si l’influence de la fantasy (avec ses corollaires de prédestination dans un univers non neutre) n’est jamais bien loin (ainsi va l’air du temps), c’est surtout que la SF est ici très light sur le fond (faisant donc injure au paradigme asimovien), même si son visuel réussit quant à lui à demeurer toujours aussi hard (lenteur hypnotique, "slow burn", silence spatial, froideur de l’univers, un certain sens de d’implacabilité...).

Ce dernier épisode apporte la confirmation, s’il le fallait encore, que l’immense défi d’adapter Asimov n’a malheureusement pas été véritablement relevé. À la fois du fait des contraintes – conceptuelles et idéologiques – hollywoodiennes d’aujourd’hui que de l’impossibilité de relater au format audiovisuel une histoire dont les vrais héros ne seraient pas des personnages iconiques mais des civilisations, des dynamiques évolutionnistes, et des concepts... à une échelle de temps non humain. Étant donné l’incompatibilité structurelle avec les codes scénaristiques de l’industrie audiovisuelle, les showrunners n’ont donc eu d’autre choix que de "tricher" à divers niveaux... avec un bonheur variable...
Sur un marché hautement concurrentiel où l’intérêt voire l’addiction des spectateurs est davantage commandée par le pathos que par le logos et l’ethos, où il est virtuellement impossible de captiver l’audience sans que celle noue des relations affectives avec des personnages attachants et récurrents ayant une trajectoire familière et identifiable (dans laquelle il est possible de se projeter), la triche première (celle dont découle toutes les autres) aura consisté à hypertrophier la visibilité et le développement de la plupart des personnages humains. Et cela soit par voie soapesque (romances, sexe, liens de familles totalement HS chez Asimov), soit en leur inventant des talents voire des "pouvoirs" absents des romans (le mentalisme asimovien ayant bon dos). La série est même allée jusqu’à introduite une ribambelle de personnages inédits, certains très créatifs au sens de la SF (comme les clones dynastiques de Cleon I), d’autres très paupérisants au sens du MCU (comme Phara qui a abusivement monopolisé l’attention tout au long de la saison). Mais dans le même temps, l’un des rares personnages essentiels du cycle littéraire (R Daneel Olivaw alias Eto Demerzel) a totalement changé de nature du fait de l’absence de pans entiers de l’univers asimovien comme Les Lois robotiques (certes pour des questions de droits légaux, il faut le rappeler pour rester équitable).
Mais de focus en prépondérances, les personnages repensés et rebootés par la série (Hari Seldon, Gaal Dornick, Hari Seldon…) ont fini par voler la vedette aux thématiques originelles – ces personnifications audiovisuelles s’accompagnant des corollaires cultuels quasi-inévitables en 2021 (surestimation, idéalisation, vedettisation, électivité, messianisme, omniscience, super-pouvoirs…). Or à partir du moment où un univers se voit réduit – par le fait d’une démagogie supposée garantir un niveau d’audience minimal – aux seuls personnages (character driven et non plus story driven ou universe driven), tandis que ces derniers se démarquent ontologiquement de leurs inspirateurs livresques, c’est la philosophie et l’épistémologie de l’univers qui changent, et partant, la finalité même de l’œuvre. Le glissement peut être imperceptible au départ, comme au voisinage d’un fork, mais potentiellement considérable avec le temps…

C’est ainsi que de mathématicien brillant mais néanmoins classique apparu seulement dans une nouvelle, Gaal Dornick est devenu une génie cosmique, ayant la science infuse, précog, narratrice, centrale, et quasi-éternelle (grâce une série de cryo-suspensions commodément utilisées).
De même, Salvor Hardin qui était un maire pacifique mais tacticien et pragmatique de la Fondation s’est transformé en guerrière bad ass, et disposant peu ou près des même qualités quasi-surnaturelles que Gaal.
Quant à Hari Seldon, l’inventeur de la psychohistoire et du plan Seldon, il a été promu deus ex machina, puppet master, omniscient, Jesus à ses heures, Barrabas ou Muḥammad à d’autres moments, ultra-manipulateur, infaillible, ubique et immortel (se multipliant de diverses façons à plusieurs endroits différents de la galaxie depuis sa mort...).
Même en faisant l’hypothèse que ces personnages seraient parfaitement réussis en eux-mêmes (grâce à la qualité des lignes de dialogues et au talent de leurs interprètes), leur relation cardinale (et rétroactive) à l’univers lui-même ne peut qu’en altérer la substance et modifier le sens général de la série (au regard du matériau source).
Rien que d’avoir érigé les retrouvailles des deux Mary Sue (Gaal et Salvor) – par "télé-tropisme" au mépris des lois physiques et probabilistes – en point d’orgue (et cliffhanger final) de la première saison, c’est peut-être poétique et touchant (une mère et sa fille se retrouvant par-delà l’espace et le temps sur une planète aquatique désertée), mais cela dénature en profondeur la finalité du cycle Foundation. D’autant plus que la tentation sera grande de convoquer l’un des plus célèbres twists de la pop culture, à savoir "Luke, I am your father" dans Star Wars : Episode V – The Empire Strikes Back de Irvin Kershner (1980), mais ici inversé et féminisé ("Gaal, I am your daughter"). Et il faut dire que c’est loin d’être la première fois que la série Fondation lorgne l’univers de George Lucas...

Malgré tout, la prévalence des destinées individuelles aura paradoxalement permis à la série de respecter – et peut-être même d’exacerber – une caractéristique foncièrement asimovienne : l’art éristique, les débats philosophiques, et les interrogations existentielles… venant jusqu’à hanter les personnages durant une partie significative de leur temps d’écran. Et cette part accordée au poids des dialogues, va à contrecourant des modes audiovisuelles actuelles, si bien que c’est ce qui sauve Foundation de la médiocrité. Car même si le worldbuilding est lourdement plombé par une narration manquant de rigueur, la série n’est jamais économe en apport sémantique, les personnages (même les plus criminels comme les Cleon) ne manquant jamais une occasion de philosopher sur leur raison d’être, le sens de la vie, le poids du destin, les choix et leurs conséquences individuelles ou collectives. Tandis que la narratrice Gaal vient couronner le tout par une touche méta pour questionner l’exercice diégétique lui-même et ses limites de crédibilité. Cela reste loin de la richesse multi-thématiques et holistique (politique, sociale, sociétale, scientifique, philosophique...) des romans, mais la parenté est incontestable, quand bien même baissière ou au rabais.
Soit une façon pour les showrunners de confesser leur impuissance à relater la grande Histoire collective autrement que par la somme des petites histoires individuelles.
Alors oui, les incohérences factuelles et les dénaturations asimoviennes feront périodiquement bondir, mais les échanges interpersonnels s’avéreront souvent nourrissants pour l’esprit. Presque un "fair trade" face à la concurrence. Presque en effet, car cette "trahison" serait de bonne guerre si elle répondait à un vrai parti pris d’auteur pour transcender Asimov à l’écran et non à un réflexe de Procuste pour tenter d’enfermer Asimov dans le corset de bienséance des étouffantes normes hollywoodiennes. Pareille calibration à l’aune des convenances contemporaines (notamment en matière d’us, de mœurs, d’émois, de romances) est fatalement préjudiciable lorsqu’il s’agit de dépeindre dans toute sa largeur de spectre une mosaïque de sociétés et de cultures déployées sur une galaxie aussi plurielle.

Autant conclure que la série de David S Goyer et Josh Friedman n’a pas – à proprement parler – adapté ni transposé le cycle littéraire de Foundation, mais s’en est seulement inspirée pour relater une histoire alternative sur les terrains tant narratifs que philosophiques.
Certes, Asimov se rappelle périodiquement aux spectateurs par les noms d’individus et de lieux, par certaines fragrances profondes (le temps long, les causalités complexes, les duels rhétoriques, les questionnements existentiels, la relation entre l’histoire et le mythe...), et un constant désir d’émergence qui affleure.
Hélas ce space opera souffre d’une perte d’identité et de spécificité, comme si le passage au format audiovisuel avec ses retombées commerciales revenait à faire gagner l’entropie...
Qui ne connait rien à Asimov ou qui est prêt à faire une expérience d’inquiétante étrangeté (comme dans tout univers parallèle) pourra trouver un intérêt ludique ou documentaire à se plonger dans cette série. Avec à la clef quelques madeleines de Proust subtiles lorsque les empreints littéraires se font plus prégnants. Mais la plupart des fidèles de l’œuvre littéraire se sentiront trahis à divers titres et degrés, selon un niveau de tolérance qu’il appartiendra à chacun de déterminer...
Est-ce à dire que pour apprécier la série, mieux vaut méconnaitre l’œuvre littéraire ou ne pas s’en préoccuper ? Probablement, car comme trop souvent avec ce que Hollywood produit aujourd’hui, la connaissance est un handicap. Et le complexe intelligent a tendance à être remplacé par le compliqué bancal (et le politiquement correct)...
Si Foundation elle-même demeure fort regardable (ne fût-ce que pour son visuel référentiel et sa direction artistique hautement dépaysante), voire même appréciable grâce à d’authentiques richesses de fond (la qualité certaine des dialogues, de vrais concepts exaltants de SF...) susceptibles de racheter en partie de nombreuses carences (narration incohérente ou au forceps, multiples absurdités ou inconséquences, poids de la doxa et du wokisme...), la série ne mérite cependant pas d’être recommandée en tant qu’adaptation. Car elle s’aliénera les plus grands connaisseurs de l’œuvre littéraire... et elle pourrait aussi donner aux néophytes une fausse idée d’Asimov (conduisant à des malentendus ou renforçant des préjugés...).

Foundation a beau faire périodiquement des efforts mesurables pour se rapprocher ostensiblement du maître des Big Three du Golden Age, elle en reste pourtant toujours aussi éloignée, épisode après épisode ! En somme, aussi paradoxal et inaccessible que la vitesse de la lumière dans le vide (c) selon le modèle standard de la physique des particules.
Au chapitre des portages audiovisuels de monuments de la SF, lorsque Stanley Kubrick et même Peter Hyams avaient prouvé qu’il était parfaitement possible de mettre en image Arthur C Clarke sans le trahir, quand Richard Matheson a apporté le même enseignement pour Ray Bradbury, et tandis que Denis Villeneuve a récemment démontré que Frank Herbert pouvait être lui aussi fidèlement transposé à l’écran (au point d’aller jusqu’à questionner le bénéfice de l’exercice)... Alex Proyas et désormais David S Goyer confirmeraient que le grand Isaac semble quant à lui condamné à demeurer "lost in translation"...
Même si le Foundation d’Apple reste assurément bien moins irrespectueux et bien moins profanateur de la source que le Star Trek d’Alex Kurtzman et le Valerian de Luc Besson, il est permis d’exprimer quelques appréhensions à la perspective que Hyperion de Dan Simmons ou encore L’Incal d’Alexandro Jodorowsky soient adaptés à leur tour...

NOTE ÉPISODE

NOTE ADAPTATION ÉPISODE

NOTE SAISON

NOTE ADAPTATION SAISON

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ÉPISODE

- Episodes : 1.10
- Titre : The Leap
- Date de première diffusion : 19 novembre 2021 (Apple TV+)
- Réalisateur : David S. Goyer
- Scénariste : David S. Goyer

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