Mort du Père d’Albator : Hommage aux œuvres de Leiji Matsumoto
Leiji Matsumoto, l’un des grands maîtres du manga, père d’Albator, est mort le 13 février 2023, d’une crise cardiaque, à l’âge de 85 ans, ce que vient d’annoncer sa maison de production, la Toei.
Toute sa vie a été marquée par l’héritage de son père, officier de l’Armée de L’Air Impériale Japonaise pendant la Seconde Guerre Mondiale. Très marqué par la défaite du pays du soleil levant, et particulièrement par l’explosion de la bombe nucléaire américaine à Hiroshima, il parsèmera son œuvre de référence aux destructions de mondes.
Revenons, ensembles, sur la longue carrière d’un des piliers du manga.
Il commence à dessiner professionnellement pour des revues de shōjo manga (manga pour les filles) alors qu’il n’a pas 20 ans, et devient ami avec Tetsuya Chiba (auteur d’Ashita no Joe) mêlant leurs inspirations et styles. Leur mentor à tous deux (comme absolument tous les mangakas de l’époque) sera l’inventeur du manga moderne, Osamu Tezuka (Astro le petit Robot, Black Jack, Le Roi Léo…)
Il connaît toutefois ses premiers succès commerciaux quand il s’oriente vers le shōnen (manga pour les garçons), au début des années 60. Il y développera ses thèmes phares : La SF, la Guerre, le Western.
SES PRINCIPALES ŒUVRES
Mais c’est dans les années 70 qu’il publiera ses plus grands mangas :
Captain Herlock (à partir de 1970), est le nom original d’Albator, le pirate de l’espace (ou Harlock d’ailleurs), le personnage apparaissant dans le manga Dai-Kaizoku en 1969, Il est vraiment connu à partir de Uchū kaizoku en 1977. Il apparaitra dans presque tous les mangas de l’auteur.
Leiji Matsumoto en publia un préquel (L’Anneau des Nibelungen à partir de 1992), à la recherche d’un métal précieux nommé Or du Rhin, capable de maîtriser le temps. Inspiré des quatre opéras de Wagner, on y croise tous les personnages de l’arc SF, mais aussi les vaisseaux inédits Arcadia 3 et les Death Shadow 1 (le vaisseau du père d’Harlock) et Death Shadow 2 (le premier vaisseau conçu par Toshiro alias Alfred).
Il proposa aussi un reboot nommé Captain Harlock : Dimensional Voyage (2014), mais dessiné par un autre mangaka. Les VF ont été éditées chez Kana à partir de 2002.
Gun Frontier (1972), est un manga d’inspiration western, avec désert infinis, vengeance, duels et mise à mort par pendaison. Leiji Matsumoto en fit une nouvelle version en 1983, transposée dans un monde SF, afin de coller aux personnages d’Albator.
Yamato (à partir de 1974), lance la saga d’un gigantesque cuirassé de l’espace.
The Cockpit (1975), rend hommage à son père, en parlant de combats d’avions.
Galaxy Express 999 (1977), est un long périple vers l’illusion de la vie éternelle.
Queen Emeraldas (1977), est une version féminine d’Albator, elle est immortelle et hante l’espace, détruisant tous ceux qui pourraient l’empêcher d’atteindre ses rêves.
LES ADAPTATIONS EN ANIME
Toutefois c’est surtout à travers les adaptations de ses œuvres en anime, qu’on le connaît en occident, essentiellement par le prisme de son arc principal, son monde SF, l’univers d’Albator, qu’il qualifiait de « plus fidèle et vieil ami ».
Dans cet univers, il s’amusera à faire se rencontrer les différents personnages principaux, dans de multiples apparitions. Bien qu’indépendantes, ces productions peuvent donc tout à fait être considérées comme liées historiquement, où tout du moins se dérouler dans le même monde.
12 séries et de nombreux films et OAV furent adaptés en anime.
Yamato connut 2 séries, plusieurs films et OAV.
La Reine du fond des temps une série et un film.
Mais c’est surtout à travers 3 séries notables que nous le connaissons :
Albator 78, Galaxy Express 999, Albator 84.
Mais franchement, avez-vous besoin que je vous en parle ?
Les souvenirs de votre enfance ne vous envahissent-ils pas déjà ?
Je vous invite plutôt à regarder les vidéos en fin d’article, qui vous présenteront les génériques de ces séries, en VF et en VO, mais aussi les thèmes musicaux clefs d’Albator.
Si vous n’y voyez pas de splendides vaisseaux s’affronter et manœuvrer, comme dans un film de pirates, les canons arrosant l’ennemi, les silhouettes filiformes des Sylvidres et leurs yeux perdus dans l’infini, l’épée fusil-laser d’Albator, le petit Alfred qui court partout pour réparer le vaisseau (et son doubleur VF, Jacques Balutin, qui fut aussi la voix de Starsky et William Dalton), si vous ne voyez pas les visages inquiets des personnages, leurs magnifiques designs, ainsi que ceux des vaisseaux (Ah, L’Atlantis !)... je ne peux rien pour vous !
Pour finir, vous vous souviendrez que Leiji Matsumoto est aussi l’auteur d’Interstella 5555, un film d’animation musical servant d’illustrations aux clips de l’album Discovery des Daft Punk (One More Time, Aerodynamic, Digital Love, Harder - Better - Faster - Stronger, Face to Face, Something About Us...)
LE MOT DE LA FIN
De toutes ces œuvres, et de leurs adaptations en anime, on retiendra un sens inouï de l’aventure et de l’héroïsme. Que ce soit à bord d’un avion de la Seconde Guerre Mondiale, à la barre d’un splendide vaisseau pirate, ou marchant dans un désert sans fin vers leur destinée, tous ses héros ont une volonté et un charisme de fer, sont parfaitement mis en dessin (ils ont tous une classe folle) et en scène (les impressions de profondeur, les mouvements de cape, les rafales de vent, les expressions des visages sont autant de signatures d’actions faciles à adapter en anime).
Son œuvre la plus personnelle, La Reine du fond des temps, met en scène ses cauchemars de destruction de monde et de disparition des corps dans une sorte de verticalité, partant en poussière, comme lors de l’explosion de la bombe nucléaire d’Hiroshima, ses combats désespérés contre l’oppression aussi.
Son obsession pour le temps (Galaxy Express 999, L’Anneau des Nibelungen…) et de l’héritage (le père d’Albator, la mère de Teddy, la destiné de la princesse Millenium…) met en exergue la culture japonaise. On pourra même lui reprocher d’être patriote (aux côtés de l’Allemagne nazi donc), avec de nombreuses symboliques (costumes noirs typés SS, mise en avant de la musique de Wagner…)
Dans toute son œuvre, il mettra en avant un trio de héros, aux rôles bien définis :
Un grand homme charismatique (Albator), silencieux, longiligne (héritage de ses débuts dans le shōjo manga), accompagné d’un compagnon extrêmement fidèle, petit et replet (Alfred) et amoureux de splendides femmes aux yeux nimbées d’étoiles (Nausiccä).
Leiji Matsumoto représentera d’ailleurs la profondeur de la beauté de la femme comme personne, allant de la douceur la plus grande, à l’ennemi la plus sournoise (les Sylvidres dans Albator), en passant par l’égale de l’héroïsme des hommes (Queen Emeraldas).
Il se trouve que je l’avais rencontré de manière fortuite, il y a plus de 20 ans. Je voyageais alors à Tokyo pour acheter des mangas et produits dérivés (c’était alors mon métier, dans une autre vie), et je traînais dans le magasin mythique de Mandarake dans le quartier de Nakano. À l’époque, il faut bien vous dire que les occidentaux y étaient rares, et que j’attirais l’attention, dépassant tout le monde d’une bonne tête (j’arrivais à faire rire des rames entières de métro, quand je me cognais le haut du crâne dans les portes d’1m85, en lançant un puissant et très nippon "kusooo..." -merde- tout en me frottant la tête à la Nicky Larson). Ainsi, un groupe de fans de mangas essayait de communiquer avec moi et mon japonais presque inexistant, et me proposèrent de participer à une soirée.
Après une hésitation de courte durée (les rues de Tokyo sont très sûres), je les ai finalement suivi, pour atterrir dans un... parking, dans lequel tous les poteaux étaient recouverts de dessins de Leiji Matsumoto, et dont un attroupement d’une douzaine de personnes discutait avec un petit homme au bandeau de corsaire.
L’auteur d’Albator était là, et fut surpris de me voir. Je n’échangeai malheureusement que peu de choses avec lui, de par la barrière de la langue, mais le moment fut magique. Aujourd’hui, je ne puis que me remémorer avec tristesse cet instant trop court.
Il était l’un des plus grands mangakas, pétri de talent et d’inventivité, à des années lumières de celui des auteurs actuels.
Nous savons que la recherche de l’immortalité est vaine (voir Galaxy Express 999). Leiji Matsumoto est mort, et nous laisse tous, avec Albator, orphelins.
GÉNÉRIQUES ET THÈMES MUSICAUX
Les illustrations des articles sont Copyright © de leurs ayants droits. Tous droits réservés.