Il était une fois le Cinéma : La signification des miroirs
...DIS MOI, QUI EST LA PLUS BELLE
Le miroir, dans son utilisation première, est bien entendu la représentation de la beauté (féminine surtout), de l’attention et de l’intérêt à une arme redoutable (tel Narcisse contemplant indéfiniment son reflet dans l’eau).
Dans Blanche-neige et les Septs Nains (1937), Blanche-neige est à l’abri de la jalousie de la Reine tant que le miroir de cette dernière lui répond que la cruelle régnante a la beauté "parfaite et pure".
Dans ce dessin animé, l’objet a déjà une autre signification, on y parle magie, reflet et âme, car ce n’est pas tant le physique qu’il juge, mais bien la beauté intérieure de Blanche-neige par rapport à celle, noire, de la Reine.
On retrouve de cette magie dans La Belle et la Bête (1946) où le réalisateur Jean Cocteau propose une scène poignante dans laquelle Belle assiste à l’agonie de son père, sans pouvoir rien y faire. Le cinéaste utilisa souvent cet objet comme symbolique, dans Le Sang du Poète (1932) et Orphée (1950), entre autres. Jacques Demy reprit le même thème dans Peau d’âne (1970).
Peu avant, dans Le Portrait de Dorian Gray (1945), on offre au Narcisse moderne un miroir déformant, qui le représente tel qu’il est vraiment, et le Faust de René Clair dans La Beauté du diable (1950) y contemple son destin.
En célébrant la beauté, le miroir met aussi en avant l’érotisme et l’illusion, comme dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick en 1999.
Le miroir illustrait pourtant déjà les multiples facettes, comme dans le chef d’œuvre Citizen Kane (1941) ou dans nombre de films de Fritz Lang, dont M le Maudit (les multiples personnalités du tueur, que l’on retrouvera dans L’Étrangleur de Boston de 1968 ou Dr.Jekyll et Mr. Hyde de 1931) et La Femme au Portrait (la dualité des protagonistes), puis d’Alfred Hitchcock (Psychose, Vertigo...) puis de Brain de Palma (Pulsions, Body Double), pour les mêmes thèmes : l’autre.
Dans la pop culture, on pensera au miroir du Rised (Harry Potter à l’école des Sorciers en 2001) qui montre son désir le plus ardent, l’inscription Redrum (Murder à l’envers) sur le miroir dans Shining (1980), le Miroir magique de l’Histoire sans fin (1984) qui révèle la véritable nature des vivants, ou celui d’Alice au pays des merveilles, l’absence de reflet des vampires (voir à peu près toutes les adaptations cinématographiques depuis Dracula, mais surtout Le Bal des vampires de 1967), les 7 ans de malheur s’ils sont brisés (The Broken en 2008) ou encore la légende urbaine pour faire apparaître un monstre en prononçant plusieurs fois son nom devant un miroir (Candyman).
James Bond s’affronte lui-même, ou tout du moins un adversaire à sa taille, dans le labyrinthe de miroirs de L’Homme au pistolet d’or (1974).
Le jeu de miroir a souvent été utilisé avec brio, comme dans la scène géniale de La Dame de Shangai (1947) ou dans Ça partie 2 (2019).
Passons sur la scène des miroirs dans Inception (2010) trop largement "inspirée", comme bon nombre d’éléments du film de Christopher Nolan, par le film Paprika (2006).
Le miroir est aussi une symbolique de l’autre monde, et plus particulièrement de l’au-delà, (voir L’Associé du Diable en 1997, L’œil du diable en 1960, dans Conjuring (2013) ou encore dans Prince des ténèbres en 1987.
Dans Lost in Translation (2003), les deux personnages sont confrontés sans cesse à leurs images, Charlotte (Scarlett Johansson) dans les surfaces réfléchissantes et Bob (Bill Murray) sur les panneaux publicitaires. Ils sont sans cesse ramenés à leur image publique, qui ne les représente pas vraiment et les enferme dans une forme de solitude.
Enfin, et presque principalement de nos jours, le miroir est devenu un mélange de tout cela. Quand un personnage se regarde dans un miroir, c’est pour signifier sa folie montante comme dans la scène mythique "You talkin’ to me ?"de Taxi driver en 1976 (pastichée dans La Haine de Mathieu Kassovitz en 1995). Le réalisateur Martin Scorsese emploie d’ailleurs souvent le procédé dans Le Rasage (1967), Aviator (2004) et Shutter Island (2010). Dans ce dernier l’utilisation du miroir est problématique, car elle révèle, dès la première minute du film, le twist final, pour ceux qui auraient un tant soit peu de culture cinématographique.
Dans Black Swan (2010), c’est la dictature de la beauté, et le destin funeste de Narcisse qui guette Nina (Natalie Portman) à travers sa quête de perfection.
Heureusement, le miroir donne parfois des scènes d’humour théâtral, comme dans la longue scène de Soupe au canard (1933) où un homme tente de "tromper" son image.
Le procédé technique permettant de ne pas voir la caméra dans le miroir (avant les effets numériques peu coûteux), en est d’ailleurs inspiré, puisqu’il s’agissait de filmer une doublure de dos et l’acteur de face à travers une vitre, faisant exactement les mêmes mouvements.
Pour finir, il faut parler de la meilleure scène de miroir à mon sens.
Dans Contact (1997) de Robert Zemeckis, avec Jodie Foster et Matthew McConaughey, Ellie court dans un couloir suite à la crise cardiaque de son père. Ce que l’on pense d’abord être une fuite est en fait une course contre la montre pour arriver à une armoire à pharmacie, cachée par un miroir, pour chercher des médicaments. La scène, d’une grande technicité, consiste donc à filmer, en Steadicam, le reflet du personnage à travers le miroir.
Certains pourraient lui préférer la fantastique scène de La Dame de Shangai, d’Orson Welles en 1947, déjà citée plus haut (voir photo finale).
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