Star Trek Picard : Critique 3.02 Disengage
STAR TREK PICARD
Date de diffusion : 24/02/202
Plateforme de diffusion : Paramount+ / Prime Video
Épisode : 3.02 Disengage
Réalisateur : Doug Aarniokoski
Scénaristes : Christopher Monfette & Sean Tretta
Interprètes : Patrick Stewart, Jonathan Frakes, Jeri Ryan, Amanda Plummer, Gates McFadden, Michael Dorn, LeVar Burton, Marina Sirtis, Brent Spiner, Michelle Hurd, Orla Brady, Ed Speleers et Todd Stashwick
LA CRITIQUE FM
On avait laissé Picard et Riker dans une situation assez inconfortable. Si ceux-ci s’interrogeaient sur la révélation d’un jeune homme, ils étaient rejoint par un vaisseau menaçant.
Le design du vaisseau est assez significatif des raccourcis empruntés par, soyons juste, l’ensemble des grosses productions SF. C’est pointu, donc c’est méchant. D’ailleurs, quand j’ai vu rapidement pour la première fois ce vaisseau dans la bande annonce, je m’étais demandé s’il y avait un lien avec celui de Nero dans le premier Star Trek de J.J. Abrams.
Ce qui est nouveau, c’est la personnalité de l’individu qui est assis sur le siège de commandement. Interprétée par l’excellente Amanda Plummer, l’actrice arrive à exprimer une menace létale avec une voix de dessin animée. C’est donc globalement, à mon avis, un excellent départ pour Vadic qui est à confirmer dans les épisodes suivants. Une bonne interprétation n’est pas suffisante, faut-il encore donner de la matière à l’actrice pour développer son personnage. Et cerise sur le gâteau : miracle, bye bye Jean Louque Picarde, c’est sans doute une des premières à prononcer correctement le nom de notre cher Amiral !
Autre point positif, c’est à nouveau la prestation de Todd Stashwick dans le rôle du Capitaine Liam Shaw. Acteur très expressif, c’est très agréable d’adorer/détester ce personnage qui devrait avoir, je croise les doigts, une trajectoire intéressante dans cette saison.
Comme pour le premier épisode, les scènes de Raffi restaient assez soporifiques, mais c’était sans compter sur l’arrivée spectaculaire de notre Klingon favori. L’association des deux personnages devrait par la suite être assez savoureux quand on réfléchi un instant à la psychologie des deux personnages, Tati Raffi risquant d’exaspérer Papy Worf.
Un constat donc plutôt positif sur cet épisode si ce n’était la trame scénaristique principale de cet épisode. Mais qui est donc réellement Jack Crusher ?
Les vingt secondes qui séparent l’entrée de Beverly Crusher, le regard rempli de tristesse qu’elle envoie à Picard et la décision de celui ci de prendre le contrôle de la situation est assez négativement hallucinante. Déjà, parce je pense qu’il n’y avait personne devant l’écran qui a pu, à la base, être surpris par cette révélation. Ensuite parce que l’ensemble de la scène est juste risible.
Sur le lien de parenté entre Jean Luc Picard et ce jeune homme, je ne cherche même pas une justification ou son absence tant je pense que cela ne sert à rien de se poser des questions. Pour rappel, la saison dernière, Matalas et le reste des scénaristes sont allés jusqu’à occulter l’existence du frère de Jean Luc dans leur réécriture de l’histoire familiale des Picard. Alors un fils caché, c’est petit joueur...
On va donc dire qu’après deux épisodes, les deux tiers des protagonistes sont arrivés à l’écran. Il ne manque que Geordi, Deanna Troi et Lore pour compléter le tableau et comprendre, peut-être, où cette troisième saison de Star Trek Picard veut nous conduire...
LA CRITIQUE YR
Picard 03x01 The Next Generation se voulait le premier chapitre d’une saison sérialisée en dix parties, et Picard 03x02 Disengage est sa suite directe, démarrant à l’instant même où le précédent s’était interrompu en plein cliffhanger. Cependant, il introduit dans son teaser un flashback, portant ici sur le quotidien picaresque de Jack Crusher (trafiquant d’armes et de médicaments pour la bonne cause)... deux semaines avant le timeframe de la saison et de l’épisode. Il est très probable que ce type de flashback devienne la norme dans les épisodes suivants...
Si Picard 03x01 The Next Generation avait surpris par son cannibalisme systémique de sources audiovisuelles antérieures (trekkiennes et non-trekkiennes), portant l’exploitation nostalgique éhontée à un niveau que seule Lower Decks avait atteint jusqu’à présent, Picard 03x02 Disengage frappe surtout de prime abord par son degré record de prévisibilité (à un twist près malgré tout). Non pas une prévisibilité qualitative qui rime avec vraisemblance, mais une prévisibilité ennuyeuse envers toute la "boite à outils" dramaturgique auquel le système Kurtzman a habitué ad nauseam les spectateurs depuis 2017. Dès lors, les incompétences ou les fautes tactiques/décisionnelles répétitives des personnages principaux à l’instant t deviennent simplement des ressources scénaristiques pour l’instant t+1 et des rattrapages improbables pour l’instant t+2.
À bord du SS Mariposa Eleos XII, Jean-Luc, William et Jack se retrouvent totalement impuissants face au gigantesque vaisseau prédateur Narada-like, perdant sous l’effet des attaques répétées le peu d’énergie qu’ils possédaient encore (notamment pour alimenter l’unité médicale où est enfermée Beverly) et même la navette par laquelle ils sont arrivés. N’ayant pas de backup ni d’équipe de soutien, ils sont logiquement perdus ou à la merci de leurs poursuivants. Ce qui, au passage, confirme une nouvelle fois l’irresponsabilité de leur opération dans l’épisode précédent.
Dès lors, pour que les protagonistes ne soient pas tués ou capturés (issue scénaristiquement inenvisageable), la seule option narrative était que l’USS Titan — resté commodément dans les parages — intervienne dans l’équation malgré la colère ou l’indifférence de son capitaine (s’estimant trahi et abusé). Restait juste à savoir comment la XO Seven Of Nine, en disgrâce, réussirait à convaincre Shaw... ou bien à s’emparer ponctuellement du vaisseau. Jouer sur l’orgueil et la réputation de ce dernier n’était alors qu’une formalité pour s’assurer de la première solution...
Après le sauvetage réussi (par voie de téléportation) de Picard, Riker et Crusher fils et mère (téléportée quant à elle depuis le caisson médical sur le SS Eleos XII vers l’infirmerie de l’USS Titan), au lieu de donner l’ordre de se débiner à distorsion 9.99 (comme le suggérait Seven Of Nine) vers le cœur des territoires de la Fédération (dont la bordure se situe seulement à quelques encablures de là), le capitaine Shaw (pourtant entrainé sur ce terrain miné contre son gré) décide contre toute prudence de ne pas bouger face à ce vaisseau bien plus imposant pour en savoir plus ! Et toc. Pour un capitaine qui s’illustrait dans l’épisode précédent par le refus de toute prise de risque (reprochant aux héros Picard et Riker d’en prendre trop jusqu’à l’irresponsabilité), ce choix est particulièrement contradictoire.
Mieux, Shaw n’aura même pas pris la peine en amont d’envoyer en urgence par le subspace à Starfleet un message de détresse (ou au minimum un rapport) avant de placer son vaisseau entre le marteau et l’enclume, c’est-à-dire entre le SS Mariposa Eleos XII et le rayon tracteur déployé par le vaisseau inconnu.
Un choix doublement idiocratique qui donnera alors toute latitude à la capitaine (Vadic) du vaisseau prédateur (Shrike) pour entrer en contact avec l’USS Titan et lui imposer sa volonté, en révélant la perversion de son jeu de domination et en prenant en otage le vaisseau de Starfleet (sur la base d’un rapport de force qui serait en défaveur de ce dernier). Avec à la clef le classique choix impossible : « livrez-moi Jack ou périssez, vous avez une heure pour décider » — comme par hasard la durée de l’épisode.
Et pour démontrer sa supériorité, elle utilisera son rayon tracteur pour catapulter l’épave du SS Mariposa Eleos XII (nettement plus petit) sur l’USS Titan... passant à travers ses boucliers et endommageant sa coque... avant de ricocher et de s’éloigner. L’analogie avec une fronde matérielle est évidente, mais il est difficile de déterminer la vraisemblance de cet usage détourné d’un rayon tracteur. Cela n’avait jamais été réalisé on screen dans la franchise avant et les protagonistes sont pour le moins surpris. Sidney La Forge, qui a hérité de l’esprit créatif de son père (quoique pilote et non pas ingénieure), estimera que c’est réalisable au moyen d’un "rayon tracteur inversé avec déphasage de polarité anti-gravitationnel". Why not ? Pour une fois, le technobabble convoqué apparaît bien moins absurde que dans la "science pour rire" (100% nawak de fantasy) des autres FakeTrek (notamment Discovery). Serait-ce là le signe du discret retour du couple Okuda dans les coulisses ?
Reste que la lenteur de réaction (voire la passivité) de Shaw et du personnel de l’USS Titan est assez curieuse, alors qu’il n’était pourtant pas si difficile de comprendre que le SS Mariposa Eleos XII était projeté dans leur direction tel un astéroïde ou autre gros projectile balistique, a fortiori au regard de tous les équipements de détection et de protection (par exemple pour anticiper les trajectoires de collisions même des micro-particules) dont est supposé équipé tout vaisseau de Starfleet (et ce depuis le NX-01 de Jonathan Archer au 22ème siècle). S’il y avait bien un moment pour engager la distorsion (et sortir de la trajectoire du SS Mariposa Eleos XII), c’était bien là...
D’après ce que prétend Vadic — femme d’une bonne soixantaine d’années au visage humain mais balafré — elle serait chasseuse de prime et la tête de Jack aurait une grande valeur sur le marché interlope. Il n’en faudra pas davantage pour que les protagonistes (Seven, Shaw, Picard…) trouvent en quelques secondes dans les bases de données de Starfleet que Jack Crusher est connu à travers toute la galaxie pour de nombreux délits sous divers alias (Jack Canby, John Carson, James Cole, Jarlis Carvel…) mais toujours avec de communes initiales (par vanité à la façon de Sherlock Holmes ?) qui sont aussi celles de Jésus Christ. Rien que ça !
Un développement qui ne fait que renforcer rétrospectivement l’impéritie d’un amiral Picard plus lamentable que jamais : durant les vingt ans de silence de Beverly (alors que de toute évidence ce ghosting lui pesait), ça ne lui est jamais venu à l’esprit de faire de lui-même quelques recherches, à fortiori lorsque celle-ci l’a appelé au secours dans l’épisode précédent ? Navrant qu’une bounty hunter sans scrupule soit plus scrupuleuse et mieux informée que l’amiral le plus décoré de Starfleet.
Même s’il ne fait aucun doute qu’Amanda Plummer est très bonne actrice (outre d’être la fille de Christopher Plummer qui avait illuminé de sa présence ST VI The Undiscovered Country), Picard 03x02 Disengage se sert au rabais de Vadic pour recycler à nouveau tous les tropes cartoonesques de Mirror-Georgiou dans les deux premières saisons de Discovery et de l’Orionne Osyrae dans la troisième, à savoir un alignement obscène de marqueurs caricaturaux de malveillance : intimidations psychologiques multi-niveaux, prétention de supériorité et d’invulnérabilité, énumération détaillée et graphique de tous les outrages gores qu’elle réserve aux héros, délectation orgasmique devant sa propre malveillance, possible sadomasochisme sexuel, gros cigare mafieux (tant qu’à faire), et même un rire sardonique si ce n’est démoniaque (carrément après le fondu au noir final) pour que la panoplie soit complète ! C’est proprement surréaliste d’assister à une pareille exhibition au premier degré de pauvres clichés dans une série TV de 2023, alors que cela aurait déjà été ridicule dans les sixties, avant même le lancement de ST TOS…
Lorsque la capitaine Vadic désactivera les boucliers de son vaisseau pour montrer à quel point elle en possède une grosse, l’inventaire de sa puissance de feu (40 ogives à éclat isolytique, 88 torpilles à plasma, 236 torpilles à photons, 18 missiles à antimatière, vingt ogives à impulsion, trente série de (…) et même quelque chose d’inconnu et d’inquiétant braqué sur l’USS Titan), la scène évoquera quelque peu l’entrée en scène du Scimitar dans ST Nemesis… à ceci près que plus de vingt ans avant, l’USS Enterprise était capable de scanner par lui-même les capacités d’un vaisseau adverse hyper-puissant même boucliers levés (comme lors de la plupart des autres confrontation dans la franchise où les rapport de force n’étaient pas opaques). Or pour qu’aucun scan ne soit possible à travers des boucliers, il faudrait que l’écart évolutionniste ou paradigmatique soit du niveau des Voths (cf. ST VOY 03x23 Distant Origin). Ce qui n’est clairement pas le cas ici...
Toujours est-il que ce qui importe vraiment en pareil cas, c’est moins l’inventaire des stocks d’armes que les capacités de défenses comparées des boucliers, la rapidité d’esquive, la vitesse de distorsion maximale, et diverses autres facteurs opérationnels... Mais à aucun moment, les protagonistes (et donc le scénario) n’ont véritablement de préoccupation tactique, se bornant à indexer le rapport de force sur une échelle de grosbill.
Sachant que le passage en distorsion est tellement instantané qu’il peut prendre l’adversaire par surprise (cf. par exemple la Picard Maneuver dans ST TNG 01x09 The Battle), il est permis de s’étonner que l’USS Titan n’ait jamais envisagé de fausser compagnie au Shrike dans le subspace malgré les menaces bien grasses et auto-satisfaites de sa capitaine. Le moment de grande vulnérabilité où les boucliers ont été baissés par Vadic pour le show off auraient même pu représenter pour l’USS Titan une opportunité unique d’endommager le vaisseau ennemi ou au minimum faire diversion pour déguerpir en distorsion (quitte à être éventuellement poursuivi à la façon de l’USS Vengeance dans ST Into Darkness). Mais au lieu de cela, le vigoureux Shaw est ici aussi mou et atone que papy Picard, comme s’il consentait lui-même à s’enfermer dans une nasse durant les trois-quarts de l’épisode...
S’ensuivront une interminable série de gesticulations, opposant notamment Shaw préoccupé par son équipage et Picard rappelant le principe de Starfleet de ne pas céder aux intimidations de terroristes. Jack Crusher sera enfermé dans une cellule du vaisseau (protégée par un champ de force), et Seven — bien que maintenue dans ses fonctions dans la première moitié de l’épisode — sera progressivement démise de ses fonctions de XO puis consignée dans ses quartiers.
Or dans le teaser, Picard avait eu la preuve que Vadic tenait absolument à capturer Jack vivant (tentative de téléportation seulement stoppée au moyen de quatre inhibiteurs), un constat conforté par la découverte de l’existence d’une prime élevée pour sa capture. Mais à aucun moment sur l’USS Titan, les protagonistes ne cherchent à mettre à profit cet évident avantage tactique... qui garantissait justement que le Shrike ne détruise pas l’USS Titan (en dépit de la campagne d’intimidation psychologique menée par Vadic) tant que Jack serait à son bord.
Du coup, Picard argue du procès que mériteraient les délits de Jack Crusher pour prétendre que le livrer au Shrike reviendrait à l’exécuter ! Tandis que Shaw argue de l’intérêt du plus grand nombre (son équipage) pour ne même pas considérer la probabilité que Vadic détruise l’USS Titan précisément dès lors que Jack en serait parti.
Soit, de part et d’autre, des raisonnements allant à contresens de la logique et de la stratégie. En revanche, pas une once de brainstorm collectif, alors que l’USS Titan est pourtant composé de 500 membres d’équipage supposés incarner l’élite de Starfleet ! Autant dire un contexte toujours idiocratique accouchant d’un antagonisme artificiellement posé et traité.
In fine, s’inspirant peu ou prou du schéma de ST VOY 04x16 Prey, Jack manifestera la volonté de se livrer au Shrike lui-même, quitte à l’imposer de force à l’USS Titan (phaser au point), mais moins pour préserver la vie de l’équipage que celle de sa mère, histoire de prouver à tous qu’il fait en réalité partie des "gentils" (selon la jurisprudence de Star Wars).
L’altruisme de cette initiative offre une occasion à Picard de faire valoir auprès de Shaw l’intégrité de Jack, mais l’amiral s’oublie en tentant de faire croire que si le fiston Crusher avait voulu s’évader (au lieu de se livrer), il serait déjà à l’autre bout du système en navette ! Contredisant déjà par cette simple assertion la posture paralytique des officiers devant les menaces de Vadic. Parce que si cette dernière possède vraiment les moyens d’empêcher un vaisseau aussi puissant que l’USS Titan de s’enfuir par voie de distorsion, il en serait a fortiori de même pour une navette.
Mais VIPisme oblige, le script ne laissera évidemment pas le fiston se sacrifier (alors que tous, y compris Picard y étaient alors presque résignés à ce moment-là). Telle une intercession de la divine providence, Beverly sortira du coma au dernier moment (grâce à une intervention de Riker), et s’invitera sur la passerelle, tout auréolée de grâce et de majesté. Alors, d’un simple jeu de regard intense entre les deux anciens amants, Jean-Luc comprendra que Jack est bel et bien son fils (ce que William et les spectateurs avaient deviné depuis l’épisode précédent).
Et aussitôt, parce qu’il est maintenant question du rejeton de Picard (comme ce dernier l’avouera explicitement à Shaw), les règles du jeu changent dans les trois dernières minutes de l’épisode. Parce que les lois de l’univers ne sont pas les mêmes pour les VIP et pour le vulgum. La présence d’un "fils de" change donc tout ("il faut sauver le soldat Picard").
Désormais, il n’est plus question de céder au chantage à la mort de Vadic !
Désormais, l’amiral Picard range sa sénilité au placard et retrouve miraculeusement toute son autorité.
Désormais, le héros mythique de ST TNG, incarnation des lumières trekkiennes et du légalisme impersonnel, se fait le chantre du népotisme en n’hésitant pas à sacrifier un équipage entier pour sauver son fils (et un fils dont il ignorait l’existence encore quelques minutes auparavant).
Désormais, l’intraitable Shaw fait soudain fi des procédures (dont il se gargarisait jusque-là) et obéit sans discuter au patriarche (pourtant à la retraite).
Désormais, le pragmatique Shaw accepte de subordonner la vie de 500 anonymes (dont il a pourtant la charge) à la cause personnelle d’une légende vivante (voulant aider deux renégats).
Désormais le monstrueux vaisseau Shrike — qui a pourtant paralysé l’USS Titan et tétanisé son personnel durant tout le déroulé de l’épisode — n’est plus une menace dirimante qui imposerait une seule alternative (c’est à dire deux choix exclusifs sans troisième possible).
Désormais, il est possible d’échapper à l’astronef prédateur de Vadic, qui plus est sans se presser.
Désormais, il n’est même plus nécessaire de "sauter" en distorsion (option qui n’avait de toute façon été envisagée par aucun officier) en un dixième de seconde, il suffit de s’ébranler péniblement à la manière d’un train de marchandises en gare de triage pour aller se cacher dans la nébuleuse du coin (Ryton).
Décidément, la nébuleuse de ST II The Wrath Of Khan est devenue une martingale tout terrain dans le FakeTrek kurtzmanien, tel un cheat code de jeux vidéo. Strange New Worlds 01x04 Memento Mori en avait offert la Z-exploitation la plus ridicule à ce jour, Picard 03x03 Seventeen Seconds réussira-t-il à faire mieux (ou pire) ? Réponse au prochain numéro...
Il en résulte que les trois quarts de Picard 03x02 Disengage relèvent d’une manipulation narrative, à la façon de toute la première saison de Discovery ou de Strange New Worlds 01x06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach, puisqu’il s’avère rétrospectivement qu’il n’y avait aucun réel enjeu contrarié... y compris dans la tête du héros en titre (Picard) puisqu’il lui suffisait de simplement modifier la réalité par sa seule volition !
En apparence, l’épisode aura adopté un mode discursif (confrontations de points de vue divergents) dans la tradition hautement trekkienne de ST TNG. Mais en réalité, le cœur douloureux des dilemmes moraux insolubles aura été escamoté, d’abord par des débats qui sont restés assez superficiels, ensuite par la tentative de sacrifice à l’initiative de Jack (épargnant ainsi aux protagonistes la charge ou la honte de décisions polémiques), et enfin par une réécriture du code l’air de rien (trahissant les conditions de départ mais aussi la typo procédurière initiale de Shaw et la personnalité non-népotique de Picard). Il suffisait que Jean-Luc décide que la menace n’était pas absolue (ni stricte ni paralysante)… pour qu’elle ne le soit plus ! Et voilà tout.
Soit un exemple involontairement parodique du "wishful thinking", du mode performatif inhérent à la fantasy, où il suffit de vouloir ou de déclarer (électivité, parcours initiatique, puissance de l’esprit, formules magiques…) pour (re)définir le cours des événements. Malgré tout, le changement des règles en cours de partie demeure une triche (et donc une arnaque) quelle que soit le genre imaginaire considéré. Mais il est probable que les scénaristes de Secret Hideout ont comme à leur habitude tablé sur le voile noir émotionnel provoqué par la révélation de la filiation de Jean-Luc Picard ("je suis ton père...") et le réveil corollaire de son autorité amirale… conjurant (par un symbolique "engage" le titre de l’épisode ("disengage").
En amont, puisque c’était si simple d’aller se planquer tranquilou dans la nébuleuse, pourquoi n’avoir pas commencer par ça au lieu d’en passer par ce "psychodrame" stérile de quarante minutes ? Eh bien parce qu’il fallait justement ce psychodrame pour servir la caractérisation. Du coup, une fois de plus, l’externalisme le plus pesant se devine grossièrement à travers la couche bien fine d’internalisme, signe d’une écriture médiocre et insincère.
Terry Matalas a beau être le showrunner de cette saison, les stigmates kurtzmaniens se retrouvent à tous les étages du château de cartes, y compris dans la personnalité de Jack Crusher Picard (Ed Speleers), qui est un décalque de celle de Baby-Kirk de ST 2009 : culotté, joueur, arrogant, insouciant, brillant, voyou au grand cœur... quoique cette fois avec un accent british. Et c’est donc selon une pure "logique" de FakeTrek que Riker verra en lui une parfaite réplique jeune de Jean-Luc. C’est cela, oui...
Certes, un épisode comme ST TNG 06x15 Tapestry n’avait pas manqué de juvéniliser et de dynamiser le très sage capitaine de l’USS Enterprise D, mais cela ne cautionne pas pour autant de telles réductions à un cliché abramsien interchangeable… quand bien même hors du cadre de recrutement de Starfleet.
Si d’aventure, la jeunesse de l’amiral devait un jour être mise en scène par l’écurie Secret Hideout, on imagine déjà que le young Picard ressemblerait en tout point au young Kirk — des héros iconiques réduits à des clichés étant toujours interchangeables.
Et bien entendu, puisqu’il est confirmé que Jack est bien le fils de Jean-Luc, la question qui se posait déjà dans l’épisode précédent est donc plus que jamais d’actualité : quand donc la Dr Crusher aurait-elle pu être enceinte de Picard ? Durant la seconde saison de ST TNG comme une fille-mère honteuse du 19ème siècle, auquel cas Jack aurait plus de 35 ans (comme son acteur) ? Ou bien après ST Nemesis alors que Beverly avait déjà 55 ans (!), auquel cas Jack aurait à peine plus de 20 ans (soit 15 ans de moins que son acteur). Bref, pas très raccord tout ça, entre le coup de poker et le soap forcing.
Si Picard 03x02 Disengage ne sera pas rédimé par son visuel caviste (toujours plus dark) ni par ses effets spéciaux — une fois de plus assez médiocres (contrastes saturés, blancs brulés, définition digne de jeux vidéo assez cheap) au regard des normes actuelles –, ses rares qualités (bien réelle quoique très relatives) sont à chercher du côté de quelques dialogues et interactions :
L’épisode compte en particulier une réplique bien sentie, à savoir lorsque Seven réussira à convaincre Shaw d’intervenir par cette seule punchline : « vous pourriez être le héros qui a sauvé des héros ou alors on se souviendra de vous pour être le capitaine qui a laissé mourir deux légendes ». Efficace.
Il faut également signaler une lantern assez jouissive... lorsque Jack dira à Jean-Luc que l’histoire l’a surtout retenu comme capitaine et non comme amiral. Sans blague ?
Même si le style Baby-Kirk de Jack possède autant de parenté avec celui de Jean-Luc qu’un pommier avec un baril de clous, et même si Riker n’est pas particulièrement qualifié pour reconnaître une version djeun de Picard (puisque ce dernier avait déjà 59 ans lorsqu’ils se sont rencontrés pour la première fois dans dans ST TNG 01x01+01x02 Encounter At Farpoint), l’obstination de l’amiral à ne pas voir ce qui tenait de l’évidence pour son ex-Number 1 forme une situation psychologie assez crédible : le principal intéressé n’est pas dupe de sa probable paternité, mais il donne néanmoins le change à son entourage, faisant mine de se réfugier le plus longtemps possible dans un apparent déni.
La longue scène de retrouvailles entre Picard et Crusher, où ils se comprennent mutuellement par-delà les mots, presque télépathiquement, se veut un moment de poésie, convoquant toute la connivence des trekkers au long cours à travers celle qui continue à lier les personnages malgré les séparations et les épreuves de la vie. Évidemment, le regard gorgé de tristesse de Beverly, et davantage encore le regard tombant de Jean-Luc comme s’il allait pleurer (devenu presque un tic dont Patrick Stewart use et abuse dans la série) ne sont pas d’une immense sobriété. Mais ce moment de non-dit vient tacitement confirmer — par le seul langage facial et corporel — ces propos antérieurs de Riker que Picard ne voulait pas entendre mais qu’il avalisait intérieurement. Et mine de rien, cette scène aura réussi par son long silence (un jeu de regard durant plus de 30 secondes !) a reproduire, si ce n’est la pudeur, du moins le pace bermanien... même si la petite madeleine reste aussi volatile que fugace.
Malheureusement, il faut déplorer (là aussi) une petite manipulation en amont, puisque Riker a risqué la vie de Beverly en la sortant de force du coma contre l’avis médical, comme s’il savait par avance que Dr Crusher allait donner des ailes à Picard et lui permettre de neutraliser la "menace bloquante" du Shrike d’un coup de baguette magique. Parler ici de plan sur la comète ou de coup de billard à trois bandes serait un euphémisme...
De surcroît, la schizophrénie de l’industrie hollywoodienne envers le vieillissement (des actrices surtout) conduit toujours à un "old age shaming" qui n’épargne évidemment pas Secret Hideout. Car plutôt que d’assumer le temps qui passe (Gates MacFaden étant restée belle au naturel) ou au pire d’utiliser des CGI de lifting, c’est un vrai masque de cire qui a été plaqué sur le visage de Beverly, tellement lissé qu’il pourrait presque évoquer celui de Christiane dans Les yeux sans visage de Georges Franju (1960). Jarring.
Enfin, quand Picard sera autorisé par Shaw à s’entretenir en privé avec Jack dans sa cellule avant de le livrer en pâture à Vadic, l’amiral jouera à la fois le rôle de l’inquisiteur (sur la base du dossier à charge de Starfleet lui valant d’être "wanted" partout), du procureur, de l’avocat, et du confesseur. Cette scène-là témoigne d’un embryon d’écriture ambitieuse, malheureusement sans se réaliser pleinement. Mais avoir osé un (bref) huis clos psychologique est déjà en soi une petite audace au regard des normes Tricatel Hideout. Néanmoins, cinq minutes ne suffiront pas à sauver cinquante minutes d’épisode.
Hélas, ledit huis clos aura un impact négatif sur le worldbuilding. Car il ressort des justifications impeccables (pour le crime organisé sur Andoria, pour le terrorisme sur Binar III, pour avoir tué un Falsetti sur Andreus 5, pour le trafic sur Kemiyo) et des confidences de Jack que c’est sa mère Beverly qui l’a entrainé dans cette voie illégale au point d’avoir été son mentor puis sa partenaire ! Pourquoi ? Eh bien parce que c’était manifestement la seule manière d’aider la veuve et l’orphelin dans un univers aussi imparfait, et cela même... au sein des sociétés membres de l’UFP !!!
Voilà qui inverse totalement la perspective et la charge. Et surtout qui prolonge et confirme le discours mélancolique de Seven Of Nine dans l’épisode précédent (lorsqu’elle regrettait les Fenris Rangers), où seuls les vigilantes, les mercenaires, les interlopes, les laissés pour compte peuvent désormais prétendre à l’idéalisme et à la compassion. La société serait-elle tellement dystopique qu’il faille être hors-la-loi pour pouvoir aider les autres ? Beverly aurait-elle quitté Starfleet pour apprendre à son fils caché à devenir un "Robin des Bois cosmique" par dégout envers la fausse utopie de toutes les hypocrisies ? Tel un manifeste idéologique contre son premier fils Wesley Crusher qui avait été imaginé par Gene Roddenberry comme une jeunesse idéale dans une société idéale ? Pouah, la doxa ne veut plus entendre parler de ça de nos jours ! Ainsi donc, dans le FakeTrek, les vrais héros seraient forcément à la marge, hors du système, voire même pourchassés par lui. Car quoi de plus démagogique aujourd’hui que de flatter ainsi une génération de résistants de pacotille derrière leurs claviers et leurs écrans, biberonnés de Justice League & d’Avengers, et se vivant comme des cyber-SJW...
Visiblement, la série Picard a beau se rebooter elle-même implicitement à chaque saison, l’idéologie porteuse demeure quant à elle invariante : un Starfleet has been et répulsif, une UFP cynique et dystopique, un naturel mafieux pour tout l’univers, et quelques redresseurs de torts populaires auprès des humbles mais désignés à la vindicte légale. Et ce tropisme systémique foncièrement anti-trekkien ne pourra probablement pas être relativisé (et encore moins effacé) par le complot d’état — forcément récent et probablement exogène — qui tient lieu de colonne dorsale à cette troisième saison.
Autre invariance faketrekkienne : le VIPisme, qui conduit ici au pluri-népotisme, aussi bien intradiégétique qu’extradiégétique. "Le fils de" Jean-Luc Picard est bien sûr le rhème de l’épisode, celui dont la vie est incontestablement la plus précieuse. De même, au sein du personnel de l’USS Titan, qui donc émerge de l’anonymat (en dehors du capitaine Shaw et de la XO Seven) ? Eh bien évidemment Sidney, because la "fille de" de Geordi La Force of course.
Sur M’Talas Prime, à bord de l’USS La Sirena (hérité de Rios) qui lui sert de moyen de transport et de QG opérationnel, Musiker est encore sous le choc de la destruction du bâtiment de recrutement de Starfleet au sein du District 7, totalisant pas moins de 117 morts. Elle recontacte alors sa référente (agent ou handler en VO) à Starfleet Intelligence, toujours par voie écrite/audio (aucun visage à l’écran, juste un curseur clignotant).
Celle-ci lui révèle que le suspect principal de l’attentat terroriste est bien l’individu déjà désigné par les médias, à savoir le romulien dissident Lurak T’Luco (chef d’une faction rebelle et criminel de bas étage), tandis que l’intermédiaire ("broker" en VO) avec le voleur de la technologie "quantum tunneling" à l’Institut Daystrom serait un gangster ferengi, Sneed. Mais la référente ajoute que, disposant désormais de suffisamment d’informations, Starfleet met un terme à cette enquête (l’opération Daybreak), Raffi étant alors invité à ne pas se culpabiliser pour cette tragédie.
Mais indignée, soucieuse de défendre la mémoire des victimes, et absolument pas convaincue par la version officielle, Musiker demande à poursuivre l’enquête. Face à un refus catégorique assortie de menace explicite (« 118 victimes si vous persistez »), elle demande alors à rencontrer en personne sa référente, mais une fin de recevoir lui est opposée.
Voilà qui ne pourra que raviver la propension du personnage à voir des complots partout. Raffi rechutera très vite dans les incontinences qui lui avaient valu de se faire jeter de Starfleet et de se retrouver dans une caravane (cf. la première saison de Picard). Oh, cette peinture du complotisme à la manière d’une pathologique mentale d’illuminé·e — entre alcoolisme et junkisme — aurait pu constituer une belle charge contre un syndrome des plus contemporains et ses ravages mentaux… si les événements ne se déroulaient pas dans une réalité profondément x-filesienne (tout au long de Discovery comme dès 2385 dans Short Treks 02x06 Children Of Mars) où les complots existent et sont même la norme sociétale.
Tout cela ne fera que décupler la motivation de Musiker, ayant pour habitude de s’impliquer très personnellement dans toutes ses activités professionnelles... Heureusement pour elle, le KurtzTrek est toujours minuscule… et comme par hasard, le Ferengi Sneed exerce ses activités sur M’Talas Prime District 6, et mieux encore dans le bar tenu par son ex-mari Jae ! Pratique.
Ce sera alors l’occasion pour ce dernier de tenter d’imposer à son ex. un "choix cornélien" : renouer avec son fils Gabe (et revenir à une vie normale) XOR se faire introduire auprès de l’infréquentable Sneed (et s’enfoncer dans les délices conspi’). Mais il n’y a jamais de vrai dilemme dans Picard, et le choix est donc toujours évident.
Avec ses manières de toxico hystérique et shootée, prête à taper le premier venu pour se procurer sa came, Raffi se révèlera ici plus exaspérante que jamais pour le spectateur. Mais il reste difficile de décider si cela est volontaire et maîtrisé ou non, et donc si le jeu Michelle Hurd est excellent ou lamentable.
Premier Ferengi a tenir un vrai rôle dans le FakeTrek, Sneed bénéficiera d’un maquillage presque digne de ceux Michael Westmore, et nettement plus crédible que les ectoplasmes cadavériques entraperçus dans Discovery. Dans son attitude initiale envers Raffi, Sneed (Aaron Stanford) émule même plutôt bien les Ferengis rencontrés au travers de ST TNG et ST DS9. Mais trop expérimenté pour gober son jeu (Musiker tente de se faire passer pour une collaboratrice ou une employée de Lurak T’Luco, plaidant ainsi le faux pour connaître le vrai), Sneed l’oblige à se droguer (au moyen d’un stupéfiant de sa composition, le Splinter, inoculé par voie oculaire et faisant office de sérum de vérité)...
Et c’est alors là que ça se gâte (pour l’épisode). Tellement mithridatisée en tant que junkie de compétition, Raffi résiste et ne grille par son narratif. Qu’importe, cela ne convaincra par Sneed… tout simplement parce qu’il détient dans son coffre personnel la tête de Lurak T’Luco… qu’il a lui-même tranchée et qu’il exhibe cyniquement !
Cette version Barbe bleue (ou empereur Cartagia) des Ferengis ne colle guère à ce que le ST historique avait montré de cette civilisation, même dans son expression la plus violente et amorale (ST ENT 01x19 Acquisition, ST TNG 03x24 Ménage À Troi, ST TNG 06x07 Rascals, ST DS9 05x18 Business As Usual, ST DS9 06x10 The Magnificent Ferengi, ST VOY 07x06 Inside Man), les Ferengis étant trop lâches pour massacrer à main nue aussi froidement. Mais il faut probablement verser cette nouvelle tendance (à la page) sur l’ardoise (déjà bien chargée) des retcons en série.
Au moment où Sneed s’apprêtait à faire subir même sort à une Raffi qui en savait décidément trop à son goût (mais commodément diminuée par la drogue et lui opposant malgré tout une vive résistance physique), un sabreur inconnu débarque sans crier gare et massacre méthodiquement en quelques secondes tous les gardes du corps (la plupart probablement humains sauf évidemment celui qui se fait transpercer vu les flots de sang vert), puis tranche la tête de Sneed… avant d’embarquer Raffi (dans un état second).
Il s’agit de Worf, interprété par un Michael Dorn plus majestueux que jamais avec sa nouvelle barbe blanche de patriarche. Mais lui aussi se voit retconée à la façon des Romuliens du Qowat Milat (cf. Picard 01x04 Absolute Candor) tant il massacre désormais à l’arme blanche avec la même aisance et le même naturel qu’Elnor dans les deux premières saisons de Picard. Oh, Worf était assurément un guerrier, et les paradigmes de sa culture klingonne pouvaient le conduire à honorer certaines dettes de sang (par exemple contre le criminel The Albino dans ST DS9 02x19 Blood Oath) ou à perdre son self control (brisant la nuque de Weyoun 7 qui l’avait emprisonné et torturé dans ST DS9 07x19 Strange Bedfellows). Mais c’est aussi un officier de Starfleet, non le spadassin derrière la tenture. Et de là à assassiner de façon aussi préméditée et systématique, froidement et par derrière... disons qu’il ne reste pas grand-chose ici de la typo de Worf ni de l’honneur klingon que Ronald D Moore avait su si bien célébrer dans ses mythiques scenarii passés.
Mais il est vrai que le FakeTrek… possède bien moins de points communs sociétaux avec Star Trek qu’avec Game Of Thrones (mais sans en avoir la relative qualité d’écriture). Et dans Picard, la mise à mort est le régime coercitif par défaut, le meurtre systématique est le seul mode de défense, que ce soit au phaser (désintégration) ou au bat’leth (décapitation). Le crime est donc la nouvelle norme trekkienne, tel un mirror universe qui ne s’assumerait pas. Et puis, trancher des têtes est graphiquement tellement plus cool qu’épargner des vie... Quand Star Trek fait son aggiornamento...
Ah oui, petite confiserie : Worf soufflera à l’oreille de Raffi « je vous avais prévenue "n’intervenez pas" » ! En prononçant ainsi mot pour mot la phrase qui s’était affichée sur l’écran du SS La Sirena, il apparaît que la mystérieuse référente à la froideur d’I.A. au sein de Starfleet Intelligence… n’était autre que Worf en personne ! Quel twist (ou pas) ! Difficile quand même d’imaginer ce vaillant Klingon en Agent 007. La personnalité très entière de Worf ne le disposait guère à la subtilité et à la duplicité inhérentes aux activités d’espionnage un minimum crédibles. Allez, on dira que c’est un retcon de plus. Et puis, il fallait bien que tous les personnages de ST TNG se rencontrent ou se retrouvent dans ce bac-à-sable miniature.
Seulement du coup, si Worf est l’agent secret qui supervise l’opération Daybreak, il ne pouvait tactiquement être davantage contreproductif d’assassiner aussi gratuitement Sneed... puisque celui-ci était justement l’un des mieux informés sur cette affaire pour avoir lui-même décapité le suspect public numéro un de l’attentat de District 7 ! En outre, puisque Worf n’ignorait rien du profil psychologique de Raffi au point d’anticiper ses initiatives personnelles et de se sentir moralement tenu de la tirer des griffes de Sneed, c’est à croire que ce jeu de massacres fut pour lui un objectif intégralement planifié.
L’effondrement de l’idéalisme trekkien peut aussi se mesurer par la distribution démographique : que ce soit dans les bas-fonds mafieux de M’Talas Prime (à commencer par Jae Hwang, l’ex-mari de Raffi, qui y tient un bar), dans le service d’ordre au service du gangster assassin ferengi Sneed, et même dans le cas de la capitaine Vadic en personne (qui est tellement familière de la Terre qu’elle est allée jusqu’à donner à sa terreur de vaisseau le nom d’un passereau typiquement terrien, à savoir la pie-grièche !), on y croise surtout des humains, du moins dans l’ordre de l’apparence et/ou de la culture (s’il est vrai que certains extraterrestres peuvent avoir des phénotypes humains, ce n’est pas le cas le plus fréquent). Est-ce à dire, qu’outre l’influence impérialiste de la Terre, le modèle de l’UFP a totalement perdu de son attractivité auprès de l’un de ses peuples fondateurs, au point que de plus en plus de ses ressortissants ont préféré s’épanouir dans la mafia, le mercenariat, la chasse aux primes, le fric, le crime ? Un peu comme si la colonie de Turkana IV dans ST TNG 04x06 Legacy ou la vie de Liam Bilby dans ST DS9 06x15 Honor Among Thieves étaient devenues la norme de la Fédération revue et corrigée par Alex Kurtzman, et un avant-goût du 32ème siècle dans la troisième saison de Discovery...
Quant à la décadence de Starfleet, elle peut se détecter dans l’impuissance confrontationnelle de l’USS Titan — pourtant un des vaisseaux les plus fameux de la flotte même s’il ne vaut probablement pas l’USS Enterprise — face à un "simple" vaisseau privé de chasseur de prime (le Shrike).
Pourquoi par exemple les vaisseaux de Starfleet ne bénéficient-ils pas de "l’ablative armor" (résistant même à une flotte borg) que l’amirale Janeway avait rapporté de 2404 dans ST VOY 07x25+07x26 Endgame ? (Certes, l’USS Enterprise de ST Nemesis n’en disposait pas non plus, mais c’était seulement un an après le retour de l’USS Voyager, or là, vingt ans se sont écoulés...).
Et même à l’échelle d’une timeline distincte (où par exemple Jean-Luc Picard n’aurait pas eu de frère et où sa mère serait morte jeune) de celle de ST TNG-VOY, pourquoi ne pas avoir implanté toutes les avancées technologiques entrevues dans les deux saisons précédentes de Picard (en provenance notamment des Borgs et des Romuliens) ?
Résultat : un puissant bâtiment spatial de Starfleet, avec un équipage de 500 personnes, se retrouve littéralement à la merci (sauf bien sûr quand Jean-Luc décide que ce n’est plus le cas) d’un vaisseau mafieux composé de six gus. Un peu la honte quand même.
Mais la capitaine Vadic est-elle vraiment une chasseuse de prime ? Son astronef (une légende apparemment parmi les Fenris Rangers d’après Seven) ressemble davantage à un croiseur de guerre qu’à un vaisseau de mercenaire enrichi. Et surtout, elle possède une connaissance intime de chaque membre d’équipage de l’USS Titan (par exemple le nom et le prénom du capitaine Liam Shaw mais également son dossier d’évaluation psychologique confidentiel !). Serait-ce la preuve de l’existence d’une brèche de sécurité au plus haut niveau de Starfleet, infiltré par la désormais omniprésente mafia (façon Osyraa et l’Emerald Chain au 32ème siècle) ? Ou bien est-ce que Vadic ne serait pas vraiment ce qu’elle prétend, mais plutôt une redoutable agente de la Section 31 (par exemple)... qui convoiterait Jack Crusher Picard comme Leland avait convoité Spock (Ethan Peck) un siècle avant dans Discovery 02x07 Light And Shadows ?
Il faut dire que la Section 31 a ici davantage en commun avec celle de Discovery au 23ème siècle (s’affichant au grand jour au point d’être bien connue du Ferengi Sneed) qu’à celle ST DS9 au 24ème siècle (inconnue de tous et même officiellement inexistante). Contribuant, comme tant d’autres indicateurs, à la divergence des timelines. Dès lors, les manières vulgaires, immatures et anti-professionnelles (genre « je suis le roi de l’univers, je ne crains personne, et je me la joue devant tout de monde ») d’une Mirror-Georgiou ou d’un Leland seraient parfaitement raccord avec celles de la capitaine Vadic... et aux antipodes de celles (incomparablement plus crédibles) d’un Harris (ST ENT) et d’un Luther Sloan (ST DS9).
Dans la traditionnelle rubrique des incohérences en bullet points :
Durant le flashback du teaser deux semaines avant, le SS Mariposa Eleos XII orbite autour de Sarnia Prime pour livrer des médicaments aux milliers de victimes de la Galarian Fever, et il arraisonné par des Fenris Rangers pour inspection du fait d’un viol d’une zone de quarantaine. Jack Crusher aurait transgressé par moins de 27 protocoles ! Pourtant avec l’aplomb et la maestria d’un Ferengi de ST DS9, mais aussi avec l’humour et la décontraction d’un Thadiun Okona dans le médiocre ST TNG 02x04 The Outrageous Okona, Jack parvient les doigts dans le nez à justifier la possession dans ses soutes de bière romulienne toujours interdite (prétendument employée pour la stérilisation et la désinfection médicales)... et même d’armes (destinées aux réfugiés contre les seigneurs de la guerre qui ont ingéniéré la Galarian Fever). Armes qui serviront à acheter la complaisance des Fenris Rangers pour s’épargner toute sanction. Mais en repartant avec cette cargaison, le leader de la patrouille préviendra discrètement avoir trouvé celui que cherchait la "Marked Woman", c’est-à-dire Vadic (comme le comprendra le spectateur dans la suite de l’épisode). De toute évidence (étant donné le niveau de décontraction de Jack), cette scène semble sonner le départ de la traque infernale (à Sarnia, à Kaphar, à Exo-Port, à Ryotn…) des Crusher mère et fils. Pourtant, lors de l’interrogatoire mené par Picard, Jack (dont la bonne foi ne fait guère de doute étant donné qu’il est présenté comme un Bon Samaritain prêt à se sacrifier pour les autres) déclarera que cela fait des mois que lui et sa mère sont pourchassés ! Soit une sérieuse dissonance chronologique... à l’intérieur d’un même épisode.
Visiblement, les Fenris Rangers forment une organisation hautement corrompue. Or même si la corruption et l’idéalisme peuvent être des notions indépendantes (toutes les combinaisons étant virtuellement possibles), il est tout de même statistiquement rare que les racketteurs soient des chevaliers blancs. Est-ce à dire que Seven Of Nine idéalise l’organisation à laquelle elle appartenait ? En outre, d’après cet épisode, il semblerait que les Fenris Rangers prétendent faire respecter les lois de l’UFP et sont fondés à en vérifier les codes d’identification ! Alors dans l’hypothèse où il existerait un lien de subordination légal, cet état naturel de corruption serait... tristement révélateur d’une déliquescence normative.
Est-il pertinent que des Fenris Rangers aient des mines aussi patibulaires, limite Deadpool ? À croire qu’il faudrait que chaque personnage ait toujours la tête de son positionnement axiologique supposé, comme en fantasy.
Le statut du SS Mariposa Eleos XII reste à définir. L’absence de "U" au début de sa désignation suggère que ce n’est pas un vaisseau militaire de Starfleet, au même titre que le SS La Sirena de Rios/Raffi. Il s’agit cependant d’un vaisseau de la Fédération. Alors que des activités illégales (quand bien même pour la bonne cause) aient été menées durant tant d’années en tout impunité par le Dr Crusher et son fils sous la bannière de la Fédération, cela appellerait de solides explications... pour que les spectateurs n’en tirent pas un autre enseignement...
Lorsqu’il est enfermé dans une cellule de l’USS Titan, Jack sort tranquillement de sa poche un petit gizmo qui lui permet de brièvement désactiver le champ de force pour s’évader. Même si ses intentions sont nobles (s’offrir en sacrifice pour que le vaisseau soit épargné), comment se fait-il que le fils Crusher n’ait pas été fouillé et/ou scanné avant d’être emprisonné ? C’est là une disposition tellement basique que n’avoir même pas pris la peine de l’appliquer tient du mauvais gag. Mais chut, ne salissons pas la beauté du geste de "Bon Samaritain Jack" par de si basses considérations de crédibilité.
Pour l’anecdote, Vadic (Amanda Plummer) aura fait partie des très rares personnages de la franchise à prononcer correctement en VO le prénom Jean-Luc (moyennant un "u" bien français) avec le capitaine Walker Keel (Jonathan Farwell) dans ST TNG 01x25 Conspiracy (un épisode resté ouvert...). Serait-ce alors une façon volontaire ou non de diriger le regard vers les symbiotes parasitaires (qui avaient phagocyté une partie de Starfleet en 2364) dont le retour formerait le fil rouge de la troisième saison de Picard (i.e. le complot "trust no one") ?
À moins que l’entrée en scène de Worf (pilier de ST DS9 et pas seulement de ST TNG) et la multiplicité des poursuivants de Jack (tantôt Fenris Rangers, tantôt Klingons, tantôt Starfleet...) ne suggèrent un retour en force des métamorphes du Dominion du quadrant gamma. Une menace pourtant scellée à la fin de ST DS9... mais que le gang de Kurtzman pourrait bien ressusciter et upgrader à sa sauce (du genre : les changelings auraient infiltré toute la Fédération car ils seraient désormais devenus indétectables aux technologies de Starfleet…).
Mais entre... terminer une aventure de ST TNG restée en quelque sorte inachevée... et défaire ce que sept saisons ST DS9 avaient si bien accompli, il ne fait aucun doute que c’est la seconde option qui sera privilégiée ! Car l’expérience a montré qu’en toute situation, Secret Hideout fait le pire choix narratif possible. La série Picard avait déjà réussi à galvauder les héritages de ST TNG et ST VOY, il est donc temps désormais de faire subir le même sort à ST DS9 — la seule série (sise au 24ème siècle) encore épargnée jusqu’à présent (mais hélas plus pour longtemps).
Conclusion
Servir en grande pompe les spécialités déréalisantes de la "marque K", ainsi en va-t-il de Picard 03x02 Disengage : jouer de l’urgence et de la tension pour tenter de détourner l’attention de la mystification et des grosses ficelles, moyennant de faux dilemmes éthiques, de fake choices, et de suspens pour des prunes. Donc promettre la Lune... et ne pas dépasser le troisième sous-sol, prendre son élan... pour finalement faire du surplace. Ils prétendaient délivrer une tragédie grecque et ils ont juste pondu une lapalissade.
L’épisode est un condensé et un parangon des pires facilités d’écriture du FakeTrek (pillages, manipulations, diversions, dévoiements, dérobades, facticité, idéologisme, dystopie, VIPisme/népotisme, incohérences à foison, simplismes, clichés, "méchants" de cartoons, irrespect des typos historiques, retcon-system ou viols collectifs de la chronologie, triche ou réécritures des règles, wishful thinking...), capitalisant toujours davantage sur la nostalgie et la créativité d’hier, mais (dé)construisant toujours davantage sur le dos du worldbuilding et de l’idéal trekkiens...
À ce stade, il ne manque au "tableau d’honneur Tricatel" que le soap, le mélo et le pathos, mais c’est probablement pour très bientôt (car tous les ingrédients requis à cet usage sont presque réunis).
Et pourtant, paradoxalement, certaines répliques, certaines scènes de Picard 03x02 Disengage peuvent être considérées comme réussies par elles-mêmes, mais hélas sans significativement infléchir l’appréciation globale (une affaire de masse critique). Il en ressort donc, davantage que d’habitude, une sensation de gâchis de potentiel.
BANDE ANNONCE