Star Trek Strange New Worlds : Critique 1.06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach

Date : 14 / 06 / 2022 à 16h30
Sources :

Unification


STAR TREK STRANGE NEW WORLDS

- Date de diffusion : 9/06/2022
- Plateforme de diffusion : Paramount+
- Épisode : 1.06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach
- Réalisateur : Andi Armaganian
- Scénaristes : Robin Wasserman & Bill Wolkoff
- Interprètes : Anson Mount, Ethan Peck, Rebecca Romijn, Jesse Bush,Christina Chong, Celia Rose Gooding, Melissa Navia et Babs Olusanmokun

LA CRITIQUE FM

Nos prières à Saint Roddenberry, auraient-elles été entendues ? La procédure pour faire un bon Star Trek aurait-elle été exhumée d’un placard poussiéreux par un archéologue de la Paramount ?

L’épisode de cette semaine est un choc tant dans sa construction, sa narration, ses enjeux, celui-ci a un goût de Old Star Trek. Vous savez, cette sensation au bout de 45 minutes de ne pas arriver à quitter l’histoire, d’avoir à digérer ce qui s’est passé, de réfléchir à la conclusion de l’épisode et le sentiment que cela vous a apporté autre chose que 45 minutes de distraction.

Et bien voilà, au bout d’un certain nombre d’années de Kurtzmanworld, ils l’ont enfin fait, un Star Trek. Alors ne vous méprenez pas, je ne suis pas aveugle, ce n’est pas parce que le sixième épisode de Strange New Worlds est une réussite que le train est définitivement sur les rails. C’est juste la preuve que c’est possible de faire un épisode de Star Trek en respectant l’ADN de la Franchise tout en instillant un visuel et de l’action un peu plus spectaculaire.

Sur la problématique du sacrifice d’une personne, en l’occurrence un enfant, pour le bon fonctionnement d’une planète ou d’un peuple, bien évidemment, nous réagissons en humain comme Pike. Cela ne peut que nous indigner. L’intelligence des scénaristes a été de le faire avec un peuple tellement identique physiquement à nous que cela rend les choses clairement difficiles à accepter pour Pike et pour nous.

Après le visionnage, je me suis demandé si j’aurais réagi de la même manière si le peuple de Majalis avait eu des têtes de Mantes religieuses. Ma réponse personnelle est non, car c’est plus facilement entendable qu’un peuple extraterrestre, totalement différent de nous, ait des coutumes totalement opposées à nous.

Le fait que cela soit un enfant entre également en ligne de compte. Dans nos sociétés, un individu devient responsable à sa majorité ou tout au moins à l’émancipation de ses parents. En l’occurrence, rien n’a été caché au futur Premier Servant. L’enfant est totalement conscient de sa destinée. D’où la question du consentement. Un enfant peut-il le donner ?

Et cela m’a conduit à réfléchir aux enfants vulcains. La vision de l’enseignement de la logique et de la philosophie de Surak ne pourrait-elle pas être considérée comme de la maltraitance selon nos principes ? Y a-t-il consentement de ces enfants à suivre cette voie ?

Voilà ce que provoque chez moi un vrai Star Trek. Merci donc à Robin Wasserman et Bill Wolkoff, les scénaristes de cet épisode, d’avoir permis ça après 17 ans de disette.

LA CRITIQUE YR

Alors oui, aucun doute, SNW 01x06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach ressemble comme jamais à du Star Trek… du moins depuis le début du règne de Kurtzman Ier. On pourrait même penser qu’il s’agit d’un script perdu écrit par Gene Roddenberry, Gene L Coon ou Dorothy C Fontana pour ST TOS, l’animée ST TAS, ou l’avortée ST Phase II !

La promesse

Tous les ingrédients de forme et de fond semblent là, toutes les cases de la check list trekkienne cochés, toutes les idiosyncrasies et les signes de ralliement réunis :
- L’exploration de Majalis, une planète paradisiaque non-membre la Fédération, visuellement fascinante avec des constructions suspendues au-dessus de magmas de lave et de lacs d’acide, faisant ainsi honneur (pour la première fois) à la dénomination même de la série Strange New Worlds (une locution tirée du motto énoncé par Kirk dans le mythique générique de ST TOS).
- Une rencontre (ou plutôt des retrouvailles après dix années) entre le sémillant capitaine (Pike) et une belle extraterrestre "space girl" (la ministre Alora de Majalis) qui conduira à une romance dans la plus pure tradition kirkienne (quoique consommée ici), imitation des BO romantiques de ST TOS incluses.
- Un peuple majalan étrange, apparemment hautement civilisé et ayant bâtie une société paradisiaque, bien moins avancée en technologie de propulsion spatiale et de défense que Starfleet (leurs petits et fragiles vaisseaux ne faisant pas le poids face à l’USS Enterprise), mais beaucoup plus avancée en revanche dans d’autres domaines (la médecine notamment).
- Un inquiétant nœud dynastique (avec son lot d’intrigues de cours) impliquant le futur "sacre" (nommé ici Ascension) d’un enfant surdoué proto-tülkou (le First Servant), faussement protégé par son père biologique et médecin officiel (le Elder Gamal) qui en réalité complote pour épargner à son fils un tel "honneur", et un mystérieux ennemi (ayant initialement attaqué la navette d’Alora puis tenté de kidnapper le First Servant) officiellement inconnu des Majalans mais provenant en réalité de Prospect VII, une ancienne colonie de Majalis ;
- Le dénouement qui se révèle être un sacrifice rituel (l’Ascension régalienne du First Servant consiste en fait à le câbler au réseau neuronal d’une gigantesque machine qui le siphonne de son énergie vitale pendant des années dans d’affreuses souffrances jusqu’à ce que mort s’ensuive afin de maintenir viable l’écosystème suspendu de Majalis) avec toute la reconnaissance du bon peuple (qui vénère le First Servant durant toute la durée du "don" consenti de sa personne).
- Un épilogue ou le héros Pike passera successivement par l’état d’indignation proactive (il n’écoutera que sa conscience au mépris de la Prime Directive pour tenter d’empêcher cet "autodafé" mais sans y parvenir car s’y prenant seul et trop tard), par l’état d’opposition frontale à Alora (en dépit de ses tentatives de justification rationnelle), par l’état de rejet complet de sa "space girl" (qui l’aime pourtant d’un amour tendre et souhaiterait que Pike finisse ses jours à ses côtés sur l’envoûtante Majalis), et finalement par l’état de méditation solitaire hautement picardienne devant les hublots spatiaux de son vaisseau.
- Pike — et à travers lui le spectateur — découvre ainsi horrifié le prix réel du paradis, il est confronté au relativisme moral, il soupèse les limites de la notion même de consentement (lorsqu’un enfant est éduqué et donc conditionné à une finalité sacrificielle), il doit accepter l’impuissance à changer les droits naturels des autres civilisations...
- Cadeau bonus : la grande supériorité médicale des Alorans offre un soudain espoir de guérison à Rukiya (l’infortunée fille du Dr M’Benga affligée de cygnokemia en phase terminale) ; bien que les Majalans ne soient normalement pas autorisés à partager leurs secrets médicaux avec des tiers, le nouveau statut de dissident du Dr Gamal (ayant décidé de migrer chez les rebelles de Prospect VII) lui permettra de fournir à l’USS Enterprise des informations théoriques sur le traitement du cygnokemia ; de quoi légitimer rétrospectivement la distribution générale de traumas (M’Benga) et la sortie périodiquesdu "frigo" (Rukyia)...

En somme, voilà la quintessence de ce que ST TOS et ST TNG pouvaient offrir de meilleur : les explorations fantasmatiques, les fraternisations sexy, les chocs civilisationnels, les dilemmes moraux, et les épiphanies philosophiques émaillant le long chemin civilisationnel vers la maturité. Et par-dessus tout, une fin ouverte, n’imposant aucune réponse obligatoire et préformatée aux spectateurs... mais les invitant à réfléchir sur l’existence et sur eux-mêmes, à faire leur propre examen de conscience.

La réalité

Faut-il être un incurable rabat-joie pour ne pas accorder la note maximale, ni même une note élevée, à une telle proposition ? Faut-il souffrir d’incurables biais anti-Kurtzmaniens pour ne pas croire que Secret Hideout et son écurie ont enfin vu la lumière et ont compris ce que signifie Star Trek ? Faut-il être un éternel insatisfait — après des années de disette et d’arnaques en tous genres — pour refuser de se réjouir humblement, benoîtement, avec gratitude, sans arrière-pensée de ce qui présente apparemment toutes les caractéristiques de Star Trek dans sa forme la plus pure ?

Eh bien, non, sorry. Si cet épisode peut éventuellement être considéré comme une proposition de SF intéressante pour les raisons évoquées ci-dessous (toutes ou du moins certaines), il est en réalité paroxystiquement trompeur à l’aune de Star Trek.

Si vous ne souhaitez pas vous plonger dans une analyse exhaustive du contenu (fatalement riche en spoilers), veuillez cliquer ici pour accéder directement à la conclusion.

Dans le cadre des rotations de fonctions imposées aux cadets, après avoir fait un stage en ingénierie sous l’égide de Hemmer, Uhura est désormais affectée à la sécurité sous la houlette de La’an. La cadette mène ainsi une enquête "policière" qui lui fait découvrir d’une part (via une comparaison linguistique) que les attaquants appartiennent en fait à une colonie de Majalis (Prospect VII), et d’autre part que Gamal est leur complice (il a transmis les biopatterns de son fils et de lui-même pour faciliter une téléportation sauvage hors de l’USS Enterprise). L’astronef kidnappeur aura explosé pour avoir trop tiré sur ses réacteurs afin de tenter d’échapper au rayon tracteur du vaisseau de Starfleet. Mais impressionné par la science infuse du First Servant (ayant notamment développé sa propre fréquence subspatiale), Spock ne mettra pas longtemps à capter un signal de détresse émanant du garçon, en réalité téléporté dans un caisson à bord de l’USS Enterprise.
Dès lors, les intentions de son père Gamal étaient devenues claires : s’allier avec les colons rebelles de Prospect VII non pour faire du mal à son fils (genre le "vendre" ou le tuer), mais au contraire le protéger de son destin programmé sur Majalis.
Quand bien même à ce moment-là Pike & co ne pouvaient savoir en quoi consistait exactement d’Ascension (alors que pas mal de spectateurs l’avaient largement deviné…), leur niveau "d’alerte professionnelle" aurait dû se placer en DEFCON 1 en découvrant que le père et protecteur du First Servant n’avait pas hésité à s’allier avec des ennemis pour simuler l’enlèvement et même finalement la mort de son propre fils ! C’est tout de même du lourd. Alors l’empressement de l’équipage de l’USS Enterprise à "livrer" le First Servant à Majalis (sur la seule base de la pression culpabilisante exercée par Alora et de sa vaticination sans preuve de cataclysmes), exactement comme Égée offrait sept enfants tous les neuf ans au Minotaure, c’est une faute de commandement difficile à avaler. D’autant plus que l’existence de la Prime Directive n’est pas incompatible avec le statut de réfugié (le contact entre Majalis et l’UFP étant depuis longtemps établi...).

Mais pire encore, si cela est possible : Gamal était tellement décidé à éviter à son fils l’Ascension qu’il n’a pas hésité à trahir Majalis en sollicitant ses ennemis (les rebelles), impliquant donc de jouer durablement double jeu envers tout le monde (notamment la ministre Alora et le First Servant lui-même), n’hésitant en outre pas à exposer à la mort pas mal de ressortissants de Prospect VII (impliqués dans cette "opération commando" contre un vaisseau bien plus puissant). Autant dire que sa motivation et sa détermination absolues ne faisaient aucun doute. Alors comment se fait-il qu’il se soit muré dans un complet silence lors des interrogatoires (pourtant amicaux) des officiers de Starfleet... alors que son fils était encore à bord de l’USS Enterprise (et n’avait pas encore éré livré à Alora) ? Au titre de médecin de pointe donnant des complexes à M’Benga, l’Elder n’était pas idiot au point de ne pas comprendre que parler à Starfleet était non seulement sa dernière chance, mais également sa meilleure chance de sauver son fils. Ayant passé pas mal de temps à bord de l’USS Enterprise, il ne pouvait ignorer les valeurs humanistes de ses hôtes, d’autant plus que la Fédération était positivement connue de Majalis depuis au moins une décennie (lorsqu’il était encore lieutenant dix ans avant, Pike avait sauvé d’un pulsar celle qui allait devenir ministre). Au regard de tout ce qu’il avait déjà entrepris, le père du First Servant n’avait de toute façon plus rien à perdre (mais tout à gagner) à crier la vérité au sujet de son fils dans une situation aussi désespérée...
En revanche, aussitôt que son fils aura été pieusement livré aux processions sacrificielles des Majalans et que l’irréversible rituel aura été entamé, c’est seulement là que Gamal décidera de se mettre à table et à cracher le morceau à la douce Una !!! Nan mais allo quoi ! Et bien entendu, la XO sera alors dans l’incapacité de contacter Pike sur Majalis ni de téléporter quiconque à la "surface" (commodément en raison de rayonnements résultant de l’Ascension).
Donc l’Elder était prêt à n’importe quoi pour sauver son fils, mais il ne demande pas l’asile pour son fils lorsque celui-ci est encore sur un vaisseau de Starfleet ; en revanche il demande l’asile pour lui-même après que son fils a été envoyé à la mort ! On se paye vraiment la tête du spectateur. La réalisation de la diégèse repose sur un complet artifice idiocratique, typiquement kurtzmanien, et qui s’étale en sus complaisamment durant les trois quarts de l’épisode. L’issue n’est pas la résultante d’un enchaînement internaliste un minimum logique ou cohérent, elle est juste imposée ex cathedra par un externalisme péremptoire et autosatisfait qui réussirait à faire passer (en comparaison) l’introduction (pourtant forcée) du possible nouveau péril dans The Orville 03x02 Shadow Realms pour un modèle de naturel.

Le nœud du problème

Mais l’apothéose de l’enfumage réside dans la conclusion de SNW 01x06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach...

Tout d’abord, il serait permis d’épingler le manque de clairvoyance et d’expérience de Pike pour n’avoir aucunement anticipé jusqu’à la dernière seconde ce qui allait se produire… alors que les indices ne manquaient pourtant pas (et s’accumulaient même de façon critique), du moins pour qui a un minimum d’intuition, de culture et de lecture… Surtout que les voyages dans l’espace à la rencontre des autres civilisations humanoïdes s’apparentent sociologiquement bien souvent à des voyages dans le temps vers le propre passé de l’humanité (à l’exemple même de SNW 01x01 Strange New Worlds).

Ensuite, que dire de l’absence totale de tempérance et de self control de Christopher lorsque le First Servant monte avec le plus grand ravissement sur son "cyber-trône" pour être physiquement multi-câblé aux équipements qui maintiennent l’habitat paradisiaque des Majalans au-dessus de l’enfer tellurique ? Puisque le capitaine de l’USS Enterprise n’avait rien deviné de lui-même ni senti venir préalablement, à quel titre pouvait-il se permettre de rentrer ainsi brutalement dans le lard de ses hôtes pour interrompre un rituel collectif sacré et consenti par toute une société entière, sans même savoir quelle conséquence ladite interruption pourrait avoir pour le sujet et pour le collectif. Majalis n’est pas une planète de l’UFP, ses ressortissants n’ont aucune obligation de se conformer à la morale humaine, et la Prime Directive s’y applique de plain-pied. Sauf que curieusement, pas un officier de Starfleet ne l’évoque, à croire qu’elle n’existe pas (ou qu’elle fait juste partie d’un décorum esthétique comme les panneaux "rouge TOS" à l’intérieur de l’USS Enterprise re-rebootée). C’est-à-dire en gros comme dans les épisodes de Discovery et Picard). Et c’est carrément à Alora et à ses compatriotes qu’il revient l’humiliant devoir de rappeler à Pike qu’il n’est pas chez lui et que la Fédération n’a aucune autorité sur les Majalans ! Vraiment le monde à l’envers. Le comportement de Pike est ici d’un boyscoutisme impulsif et immature totalement indigne de son uniforme, réussissant presque à faire passer le bouillant Kirk de ST TOS (qui n’était pourtant pas avare d’action et d’ingérences en tous genres) pour un parangon de distanciation vulcaine.

En amont, la problématique "morale" qu’impose la société de Majalis est un artifice hautement sophistique (donc intellectuellement malhonnête). Car si le concept du bonheur d’une société entière reposant sur le malheur d’un seul être s’inspire en grande partie d’un passage du Lévitique (le bouc pour Azazel alias bouc émissaire destiné à porter tous les péchés d’Israël) transposé en Grèce antique par le pharmakos du rite de purification (cf. La violence et le sacré de René Girard), il était question à l’origine au mieux d’une symbolique, au pire d’une superstition propitiatoire ou d’un acte de foi ne reposant sur aucune réalité tangible et démontrable.
Or si tel avait été le cas dans cet épisode, il aurait été possible de faire passer Alora et ses semblables pour d’obscurantistes fanatiques religieux, hermétiques à toute raison.
Mais il n’y a rien de tel ici ! C’est même exactement le contraire. À la façon d’une religion qui serait présentée comme une vérité objective et universelle, le sacrifice du First Servant pour permettre à Majalis de perdurer est une réalité scientifique parfaitement tangible et avérée. Le discours d’Alora se veut même un modèle de rationalité car elle a passé toute sa vie à désespérément chercher une solution technique de substitution moins cruelle (que celle imposée par les "grands anciens" fondateurs du "miracle" de Majalis) pour assurer la survie de son monde. Mais faute d’avoir trouvée ce moindre mal, eh bien nécessité fait droit comme dans tout système vivant ! La survie collective et l’intérêt de la majorité ne peuvent que l’emporter, et ce n’est pas l’UFP qui pourrait contester ce principe démocratique élémentaire.
Autant dire que le script impose de force, à la massue, et même (sur le fond) avec une immense violence aux spectateurs une alternative unique, impérieuse, holistique, obligatoire, totalement irréfragable (puisque validée causalement par la science et l’empirisme), à savoir : "l’infanticide XOR l’apocalypse" ! La cannibalisation de l’enfant sacré devient une solution magique à tous les problèmes de fin du monde, et ce n’est même pas une arnaque, puisque ça marche, et il n’y a de toute façon aucun autre moyen. Voilà. Et si vous n’êtes pas content, c’est le même tarif. Point barre. C’est tellement binaire, tellement manichéen, tellement absolu, tellement simpliste en réalité... qu’il n’y a même pas de débat possible. Car aussi éclairé que soit un utopiste et un humaniste, du moins s’il est responsable et rationnel, jamais il ne pourrait préférer une extermination générale au sacrifice consenti d’un seul... du moins en l’absence matérielle de tout autre choix possible.
Bien évidemment, c’est dans l’absence d’alternatives (exprimées dans l’épisode) que se love le cœur de la mystification. Par exemple l’alternative de repenser totalement la technologie des fondateurs pour maintenir l’écosystème sans le faire reposer sur un sacrifice (quitte pour cela à devoir remettre en question une pratique à la fois justifiée rationnellement et institutionnalisée crypto-religieusement). L’alternative de réviser à la baisse ses exigences de luxe et de confort jusqu’à pouvoir contourner d’une façon ou d’une autre l’Ascension. L’alternative de diluer sa fierté identitaire et s’ouvrir davantage sur l’altérité pour solliciter des aides extérieures. L’alternative de déménager sur une autre planète (quitte à en baver collectivement un peu pour bâtir un nouvelle colonie)… Dans tous les cas, une société comme Majalis — dont les enfants se prétendent plus intelligents et plus experts que des Vulcains adultes — est forcément suffisamment avancée (scientifiquement et technologiquement) pour développer d’autres solutions de survie, même si cela implique de profondes remises en question sociétales et paradigmatiques. Et cela aussi, le scénario aurait dû avoir le conséquentialisme de l’exprimer explicitement.
Alors certes, les spectateurs les plus créatifs peuvent toujours conjecturer toutes ces possibilités (et éventuellement d’autres…) dans leur for intérieur. Pour autant, il ne leur appartient pas d’assurer eux-mêmes pour pas un rond le SAV d’un script kurtzmanien acheté à un prix exorbitant, et pourtant toujours indigent (i.e. ne faisant pas le dixième de son travail syndical) ou tendancieux (i.e. qui omet délibérément de verbaliser certaines options essentielles afin de fausser sournoisement l’entendement). Il est même probable que ce soit "les deux mon capitaine" parce que si les auteurs avaient vraiment voulu mieux verrouiller la binarité de leur sophisme, il leur aurait "suffi" de faire des Majalans des humanoïdes ne sachant pas voyager dans l’espace et possédant un niveau technologique très inférieur à la technostructure dont il aurait hérité depuis des temps immémoriaux et maintenant leur monde à flot (ou plutôt dans les airs).
Mais il existe aussi une autre mystification, en amont, à un niveau plus philosophique ou épistémologique, dans la simple hypothèse d’une société rationnelle et technologiquement beaucoup plus avancée que la Fédération (du moins dans certains domaines) mais dont le paradigme d’existence serait profondément obscurantiste, rétrograde et figé… alors qu’un pareil assemblage hautement artificieux représente une complète aporie évolutionniste, le second prédicat ne permettant pas au première d’exister. L’héritage abscons et le MacGuffin indéchiffrable des Grands Anciens a vraiment bon dos pour s’exonérer de toute responsabilité dans une perpétuation tellement invariante et stagnante (dépourvue de toute évolution) qu’elle verse dans la momification et la zombification. Mais il faut dire que sur ce terrain, Strange New Worlds n’en est pas à son coup d’essai puisque la série avait déjà fait le même coup dans SNW 01x02 Children Of The Comet — un épisode dont la conclusion était justement du même tonneau que celle de SNW 01x06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach via une "leçon de choses" anti-trekkienne mais doctement prescrite aux héros de Starfleet. Et la série recommencera très certainement sur une base régulière... parce que les "planètes de la semaine" technologiquement primitives de ST TOS ne seraient plus assez sexy pour les standards actuels, mais SNW tient tout de même à laisser à ses héros une prétention morale (s’il le faut au détriment de leur propre société, la Fédération). Donc... à la fois le beurre, l’argent du beurre, et la crémière... mais qui accouche d’une chimère. Du coup, il n’y a aucune incarnation, donc aucune allégorie signifiante possible ; cette configuration est même foncièrement anti-allégorique, donc anti-TOS par essence.
En réalité, dans les termes où SNW 01x06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach pose son équation, il n’y a strictement aucun dilemme moral… Sauf que l’épisode tente de faire croire qu’il y en a un… essentiellement par un jeu d’omissions (le script ne fait pas du tout son travail), de biais cognitif (la logique est délibérément faussée par des tours de passe-passe), et de postures (notamment chez Pike).
Et c’est là que réside la première manipulation.
Faut-il rappeler que pour qu’il y ait dilemme moral, un choix impossible doit être imposé aux héros, ce qui induit alors des brainstormings, des dialectiques, une maïeutique, et fait éclore des débats ontologiques qui sont le sel et l’âme de la SF la plus ambitieuse (l’exemple peut-être le plus emblématique étant l’exceptionnel ST VOY 02x24 Tuvix). Or le script du sixième épisode de SNW se débrouille justement avec une certaine adresse mais énormément de malhonnêteté intellectuelle à épargner aux personnages tout choix difficile, et même à dire vrai, tout choix réel. Ce qui permet ainsi aux auteurs de s’épargner toute réelle ambition d’écriture. Rien qu’avec le matériau disponible — aussi bancal et incohérent qu’il soit à la base — si les scénaristes l’avaient vraiment voulu, ils auraient pu proposer un authentique dilemme trekkien... en laissant simplement Gamal révéler la vérité à Pike avant qu’il ne livre le tülkou à Alora. Et alors là, le capitaine de l’USS Enterprise aurait porté tout le poids moral de devoir choisir entre la survie d’une civilisation entière et l’agonie organisée d’un enfant innocent. Là, l’épisode n’aurait eu d’autre choix que d’aborder les véritables sujets de fond. Là, l’épisode n’aurait pas pu faire l’économie de vrais dialogues et d’un vrai contenu à la fois de SF et de philosophie. Le boulevard était tellement énorme, l’invitation si attractive... qu’il a vraiment fallu que Robin Wasserman et Bill Wolkoff luttent de toutes leurs forces pour y échapper, quitte à faire agir Gamal de la plus incohérente des manières.
"Secret Hideux"... ou la paresse, la médiocrité, la dérobade, et la manipulation érigées en système... même avec des potentialités en or massif. Chapeau !

Mais il y a peut-être plus grave encore. Vu la façon (abusive) dont l’épisode impose sa problématique à prétention universaliste, il est ainsi établi sans la moindre ambiguïté possible qu’Alora possède un esprit sensé, éthique, empathique, rationnel… soit l’antithèse même d’une fanatique illuminée.
Or l’épisode s’achève par une pesante leçon de relativisme invertébré (où tout se vaut) que cette même Alora délivre à Pike : « Can you honestly say that no child suffers for the benefit of your Federation ? That no child lives in poverty or squalor, while those who enjoy abundance look away ? The only difference is we don’t look away. And because of that, the suffering is borne on the back of only one. That’s what makes it a sacred honor. »
Donc, exactement comme dans la plupart des opus depuis Discovery 01x01 The Vulcan Hello très inclus, c’est la Fédération… qui prend une nouvelle fois très très cher et morfle grave. Peut-être même que jamais encore le #FakeTrek ne s’était autant soulagé sur l’héroïne roddenberienne. Comme quoi il est toujours d’aller plus loin dans la déchéance...
Ainsi, la prétendue exploitation et/ou misère des enfants au sein de l’UFP ne serait pas cumulativement moins cruelle que le sacrifice encadré du First Servant sur Majalis ! Il y a même une ambivalence encore plus insidieuse et nauséabonde dans cette assertion de la ministre Alora... qui pourrait carrément suggérer que la Fédération a érigé sa prospérité sur la souffrance d’enfants de mondes extérieurs hors de sa juridiction (des victimes collatérales ? des esclaves ?).
Et que fait Pike en retour ? Eh bien tenez-vous bien : rien du tout ! Il ne répond pas... et se casse ! Une scène totalement surréaliste.
En effet, "cassé" pourrait ajouter le chœur antique de Brice de Nice. Cassée en profondeur comme l’est assurément la Fédération revue et corrigée par le "système K". Un grand merci pour nous avoir enfin ouvert les yeux sur les mensonges de cette imposture utopique créée par Gene et structurée par Rick.
Dans le but de voler au secours de cet épisode, certains trekkers pourraient bien trouver quelques "justifications" plus ou moins capillotractées à l’absence de réaction de Pike, genre : "il était encore sous le choc de l’infanticide", ou "ses sentiments pour Alora l’aveuglaient et le paralysaient", ou bien "il prenait la ministre pour une illuminée qu’il serait bien vain de chercher à détromper sur quoi que ce soit", ou encore "Pike se moque bien de ce que peut croire ou dire une meurtrière d’enfants", ou même "quand une ministre sort des conneries pareilles, seul le silence est grand" (LOL). Certes, il est toujours possible de conjecturer ou d’extrapoler sur ce qu’un épisode évite commodément de verbaliser, mais il n’en demeure pas moins qu’il existe un devoir de responsabilité et de représentativité pour un capitaine de Starfleet. Un petit raisonnement par l’absurde permet de bien saisir tout le problème : si un extraterrestre — même irrationnel et fanatique (ce que n’était de toute façon pas Alora selon l’épisode) — avait "jadis" balancé à Kirk, à Picard, à Sisko, ou à Janeway une vacherie du genre « votre Fédération n’est qu’une dystopie faux cul exploitant/cachant la misère de ses enfants et cherchant à se faire passer pour utopique », un trekker peut-il imaginer une seule seconde que ces figures si emblématiques de Star Trek auraient laissé passer ça en répondant juste "OK" ou bien en ne répondant rien du tout (au motif par ex. que ça ne changerait rien, que le calomniateur serait obtus ou fanatique, que le héros serait fatigué ou dépressif), quitte à renvoyer à tous les spectateurs un message contradictoire ou illisible, celui de repartir fragilisé et plein de mauvaise foi ou bien honteux et la queue entre les jambes. Et pourtant, c’est bien là l’édifiant "mot de la fin" de SNW 01x06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach ! Et en l’état, si l’on dresse un simple bilan pondéral ou volumique cumulé des lignes de dialogues, la Fédération se fait verbalement bien davantage critiquer et même agonir que Majalis dans cet épisode ! Le comble non ?
Alors si d’aventure, l’objectif des scénaristes avait été de réaffirmer à l’occasion de cet épisode la réalité utopique de l’UFP roddenberrienne, le minimum syndical eût été que Christopher réplique à son ex-amante, dénie une comparaison aussi impropre et une analogie aussi calomnieuse, qui plus est renforcée par un infamant "la Fédération détournerait le regard sur ce que Majalis assume". Oui, si vraiment l’intention des showrunners n’était pas de faire passer l’UFP pour le "méchant qui s’ignore", il était alors absolument impératif que Pike ne se laisse pas sermonner comme un gosse sans réagir, qu’il balaye de pareils sophismes, déconstruise ces contresens, étrille les préjugés d’Alora, la confronte moralement, lui dise ses quatre vérités en face, ait tout bonnement le dernier mot... avant de tirer sa révérence en grand seigneur. Pour mémoire, le débat argumentaire n’est pas supposé faire peur à Christopher (cf. ST TOS 00x01 The Cage et même SNW 01x01 Strange New Worlds), sa vie n’est aucunement en danger sur Majalis, et il peut s’y exprimer librement. De plus, Alora est on ne peut mieux disposée envers lui (carrément amoureuse comme ses larmes finales l’ont montré), au minimum prête à l’écouter à défaut de l’entendre. Dès lors, il appartenait déontologiquement à Pike de ne pas laisser la ministre dans le confort intellectuel de ses certitudes... du moins si celles-ci étaient infondées. Ne fût-ce que pour détromper des spectateurs qui encaissent non-stop depuis des années sous l’imperium d’Alex Kurtzman une perpétuelle tournante infligée à la Fédération et à ses idéaux...
Par conséquent, dans un contexte comme celui-ci, ne pas répondre sur le fond (ni même sur la forme), cela revient narrativement à consentir et avaliser, quand bien même la mort dans l’âme (avec dégout ou par orgueil mal placé). Et se débiner (parce que le plan cul n’était comme on l’avait imaginé ?), cela revient diégétiquement à être à bout d’arguments, et laisser au contradicteur une victoire rhétorique par forfait.
Dont acte.
Dès lors, quand Pike se retrouve face à lui-même dans la solitude de ses quartiers, cette "belle" scène finale aux relents de ST TNG ne peut s’interpréter en toute logique que comme la tristesse égocentrée d’avoir perdu une bonne occasion d’échapper à son destin paralytique, mais surtout comme l’expression de son malaise ineffable devant la "leçon d’humilité" délivrée doctement par une extraterrestre lucide (quand bien même son orgueil starfleetien piqué au vif ne l’autorisait pas à l’admettre devant elle). Soit un choc conceptuel faisant vaciller ses certitudes, le poussant à réévaluer tout ce qu’il tenait pour acquis, le conduisant à prendre soudain conscience que la Fédération ne vaut guère mieux que cette société qu’il fut si prompte à juger ! Alléluia.
Car en définitive, au pays des usines à sophismes et à moralines, il n’y aurait qu’un pas à franchir pour estimer que Majalis a l’admirable courage de regarder en face le sacrifice que son existence appelle, tout en ayant la gratitude de vénérer cultuellement le sacrifié — le paradis étant séparé (littéralement) de l’enfer par l’agonie sacrale d’un enfant innocent qui se consume pour le salut de "son" peuple aimant (au sens originel régalien), lui évitant une chute collective dans la géhenne planétaire. Comparativement à une telle poésie (à la fois monarchique et macabre), la Fédération semble bien médiocre et petite, ses nombreux enfants "sacrifiés" sont ignorés et même dissimulés, elle n’assume rien et se ment lâchement à elle-même (et aux autres).
Somme toute, le capitaine Christopher Pike encaisse ici le même type de "recadrage" que l’amiral Jean-Luc Picard au début de la série Picard : « pauvre has been d’idéaliste va, t’as vraiment rien compris au monde et à la vie ».
Du coup, la "belle" péroraison prétendument "ouverte" repose en réalité sur le plus anti-trekkien des "messages" : à savoir que la Fédération roddenberrienne est aussi peu utopique et aussi tartuffe (si ce n’est davantage) que nos sociétés contemporaines... tandis que Majalis possède la maturité d’assumer sa realpolitik et de comprendre le monde réel pour mieux servir l’intérêt général.
Soit une seconde manipulation, du moins à l’échelle du paradigme trekkien.

Mais reconnaissons que cette manipulation-là est consistante avec l’idéologie que Kurtzman n’a cessé de dispenser depuis 2009 et davantage encore depuis 2017. Pour lui, la Fédération, ce sont les USA contemporains... quand ce n’est pas carrément le Troisième Reich... au gré des besoins scénaristiques.
Dans tous les cas, c’est l’UFP qui porte encore et toujours la plus grosse charge transpositionnelle des dénonciations plus ou moins wokes du Zeitgeist, et la série SNW n’y fait aucunement exception, épisode après épisode.
La fausse utopie, voire la franche dystopie, c’est en fait le seul fil conducteur vraiment consistant de toutes les productions Secret Hideout, sa seule cohérence (et invariance) internaliste dans le tapis de laquelle les showrunners ne se prennent pas constamment les pieds. Peut-être parce que leur réel objectif est de perpétuellement réinventer l’eau tiède, c’est-à-dire dénier en toute occasion l’utopie originelle pour pouvoir la reformater à leur sauce branchouille, avec pour seul horizon la doxa bienpensante contemporaine et une incapacité à penser le futur.
Ironiquement, si Pike avait véritablement respecté la Prime Directive en ne s’ingérant pas ab ovo dans un conflit spatial opposant deux vaisseaux (dont les occupants appartenaient en fait à la même espèce), le First Servant aurait probablement été soustrait à Alora, et les Majalans n’aurait eu d’autre choix que de trouver par eux-mêmes une autre façon de survivre (ou pas). Mais en intervenant au nom de sa "conscience" (sic), le capitaine s’est mine de rien rendu complice d’un infanticide ! Voilà une observation qu’un bon script aurait dû inclure explicitement à un moment ou à un autre, comme lorsque Picard avec reproché au vice-amiral Matthew Dougherty de s’être involontairement ingéré dans une "vendetta" opposant les Son’as aux Ba’kus (une même espèce en réalité) dans ST Insurrection.
Mais puisque la Prime Directive n’est visiblement plus qu’une note de bas de page, un comportement responsable d’officier de Starfleet — guidé par le logos (ou l’ethos) et non le pathos (ou l’incontinence) — aurait impliqué à la fin de l’épisode que Pike propose à Alora une assistance scientifique de la Fédération (voire même de tout le "known universe") pour aider Majalis à s’affranchir un jour du maillon First Servant. Et/ou une assistance matérielle pour migrer et s’implanter sur une autre planète (qui ne nécessiterait pas de léviter en permanence au-dessus du magma) sans pour autant altérer leur équilibre social utopique (et il existe dans le Trekverse de nombreuses planètes de classe M qui sont déjà des paradis naturels). Chercher à construire un monde et futur meilleurs plutôt que juger et/ou chérir son indignation, voilà qui aurait été trekkien. Mais eût-il encore fallu pour cela que la visée de cet épisode ait été logos-constructiviste et non pathos-propagandiste. Le Spock originel disait qu’il y avait toujours des possibilités... mais ici il n’y en a aucune parce que les showrunners le veulent bien.
SNW 01x06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach ne saurait donc être plus limpide et éloquent dans son enseignement anti-trekkien. Et pourtant... tout est fait pour que cet épisode passe aux yeux des trekkers énamourés pour le plus authentique des Star Trek possibles, émouvant à se croire revenu — les larmes dans les yeux — au bercail après 17 ans d’exil.
Soit une troisième manipulation.

Les scénaristes de SH ont-ils seulement vu et surtout compris le chef d’œuvre ST DS9 07x16 Inter Arma Enim Silent Leges ? Dans cet épisode comme dans beaucoup d’autres de ST DS9, le prix réel de l’utopie était implacablement étudié, sous tous les angles (philosophique, politique, épistémologique...) possibles. Car du temps de Rick Berman (et d’Ira Steven Behr), Star Trek osait véritablement questionner l’utopie, sa vraisemblance et ses limites, mais pour mieux la crédibiliser au sens des lois naturelles. C’était parfois violent et déstabilisant, mais toujours cohérent et nourrissant pour élever la réflexion et le worldbuilding. Le chemin de crête était souvent étroit et difficile, mais il évitait adroitement les reniements, les viols en réunion, les simplismes, et les inconséquences que Strange New Worlds inflige en réalité avec la même assiduité et intensité que Discovery et Picard.

En dépit de ce que sa forme (assez retenue) pourrait laisser penser, SNW 01x06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach est un sommet de pathos. Mais attention, pas le pathos sucré des larmes, des mélos, de la guimauve, et des voix doucereuses (encore que…) comme dans Discovery, mais un pathos mental touchant à la construction narrative et au mécanisme même de la pensée. Un pathos qui réussit à se faire passer pour du logos ou du moins pour de l’ethos, à la façon d’un coucou (ou d’un changelin) intellectuel, obscurcissant l’esprit et faussant la logique rationnelle. Donc une forme de pathos bien plus manipulatoire encore que le pathos ordinaire des telenovelas.
En ce sens-là, il est loisible d’estimer que le #FakeTrek s’améliore redoutablement, mais dans sa propre spécialité, c’est-à-dire le "fake"… qui tente de se faire passer pour du "genuine".
Et c’est au moyen de cette forme systémique de pathos que les scénaristes dénaturent — et même renversent totalement — la sémantique de la composante impersonnelle de la conclusion (supposée porter sur l’éthique, sur l’utopie, sur la société, sur le worldbuilding…) pour ne flatter que sa composante nombriliste (soapesque voire vaudevillesque), à savoir le courage d’un Pike qui aurait stoïquement décidé d’accepter son fatum en prenant l’initiative de rompre avec Alora… alors qu’elle avait incarné pour lui durant l’épisode la tentation (voire la promesse) d’échapper à son destin tragique (de la première saison de ST TOS) en s’abandonnant à l’ataraxie du "paradis" Majalis.
Quand bien même autocentrée et mélodramatique, il y aurait eu là — in abstracto ou dans la note d’intention — une jolie symbolique (le refus du paradis collectif ou personnel) qui aurait pu jouer dans la cour d’épisodes aussi trekkiens que ST TOS 01x25 This Side Of Paradise, ST TOS 02x04 Who Mourns For Adonais ?, ST TOS 03x02 Elaan Of Troyius, ST TOS 03x10 For The World Is Hollow And I Have Touched The Sky…. Mais pour cela, eût-il encore fallu que cette issue ne soit pas amenée aussi grossièrement et à la truelle (des impératifs externalistes étouffant sans cesse la moindre once d’internalisme crédible), ne s’apparente pas aux pires passages scriptés de jeux de rôles dans le seul but de faire chialer (moyennant des choix programmatiques illogiques transformant les pseudo-héros en demeurés accumulant plusieurs trains de retard sur les spectateurs), ne soit pas bâtie à ce point contre le postulat trekkien lui-même (l’utopie de l’UFP), et ne soit pas aussi aisément réfutable (il n’y a ni tiraillement existentiel ni destin de tragédie antique puisqu’il suffit à Pike de prendre ses dispositions longtemps à l’avance pour que ne se produise pas l’accident parfaitement évitable de ST TOS 01x15+01x16 The Menagerie).
Alors si telle était bien l’intention des auteurs (une simple hypothèse), ce serait tellement maladroit, mal fichu, contreproductif, et préjudiciable (au propos, aux personnages et au Trekverse) que les auteurs gagneraient à ne pas revendiquer cet objectif. Car à Hollywood, mieux vaut encore passer pour un manipulateur que pour un cancre.
Toujours est-il qu’en l’état, par une voie ou par une autre, que ce soit intentionnel ou pas, SNW 01x06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach peut se résumer à un festival d’égocentrismes. Chacun pense surtout à son petit MOI-JE, exactement comme dans toutes les productions de Secret Hideout et de Bad Robot avant : Pike nique et coïte, et il serait bien tenté de prolonger son repos du guerrier par une vie de château ambulant (et tant pis pour ce qui arrivera aux cadets qu’il est supposé secourir), Gamal veut juste sauver son fils (et tant pis pour ce qui arrivera à Majalis), M’Benga continue à penser d’abord à sa fille, Alora est surtout intéressée par Pike (qui ferait assurément un excellent mari), le bon peuple de Majalis pense surtout à son confort… Finalement, le seul à ne pas privilégier son MOI-JE (du moins passé sa prétention de supériorité sur tout le monde et le culte dont il fait l’objet), c’est encore le First Servant. Mais que vaut vraiment chez un enfant l’altruisme fabriqué par voie de conditionnement depuis la naissance par des adultes ultra-égoïstes ?

Un "tableau d’honneur" auquel il faut également ajouter les plagiats...
En effet, ce sixième épisode de SNW adapte sans complexe (mais a minima) la nouvelle littéraire The One’s Who Walk Away From Omelas (Ceux qui parlent d’Omelas) d’Ursula K Le Guin (1973), mais évidemment cette dernière n’a pas été créditée au générique selon le bon usage de "Secret Hideux".
En parallèle, il faut aussi comptabiliser le pillage de Babylon 5 01x18+01x19 A Voice In The Wilderness, lorsque le Minbari Draal décide de son propre chef de se sacrifier ad vitam en se câblant lui-même aux machines souterraines cyclopéennes d’Epsilon III pour assurer la survie future de la station Babylon 5.
Il y avait bien aussi des plugs HCI de ce genre dans l’excellent ST ENT 02x04 Dead Stop, mais c’était loin d’être consenti... Quant au vaste imaginaire cyberpunk, sa finalité n’est pas vraiment la même...
Certes, les épisodes Stargate SG-1 03x05 Learning Curve et Doctor Who 31x02 The Beast Below n’avaient pas davantage crédité Ursula Le Guin, mais il ne s’agissait alors que de vagues inspirations assorties de très importantes plus-values.

En annexe

En simple annexe, voici le classique "bilan comptable" (en bullet points) qui est aussi affligeant que dans chaque épisode précédent, même si cette fois son importance s’efface comparativement au nœud argumentaire qui précède :
- Après avoir reçu le signal de détresse de la navette majalane (d’Alora, Gamal et son fils) happée par les "grapplers" du petit croiseur rebelle, Pike prend le parti de l’agressé contre l’agresseur. Mais l’écart de puissance est en fait tel que l’USS Enterprise doit prendre de lourdes précautions pour neutraliser le vaisseau rebelle de Prospect VII sans l’endommager de manière létale. Il est alors profondément irresponsable de confier la charge d’un tir jugé aussi délicat même pour un expert aguerri comme La’an (les phasers en gradation minimale restant trop puissants) à une cadette totalement novice dans ce domaine, c’est-à-dire Uhura. Il est tout de même question ici de la vie ou de la mort d’autrui. N’est-il pas totalement irresponsable que les bleus de Starfleet en atelier de découverte et d’initiation à d’autres spécialités soient autorisés à transformer des cibles vivantes et sentients en cobayes ? Et ça n’a effectivement pas raté, puisque le vaisseau attaquant a été gravement endommagé. La justification invoquée par la cadette (« oups, j’ai détruit le vaisseau sans faire exprès, il avait bougé, M’sieur ») renvoie l’élite de Starfleet dans un bac-à-sable de maternelle.
- Étant donné l’écart flagrant et écrasant de puissances de feu, il est totalement absurde que le premier réflexe du vaisseau rebelle en réponse à la semonce verbale de l’USS Enterprise soit de lui tirer dessus. Il espérait réussir ou gagner quoi en faisant cela… hormis s’exposer au risque fou de se faire vainement détruire (par exemple s’il s’était agi d’un vaisseau klingon) ?!
- S’il est légitime de se préoccuper du sort des occupants de la navette attaquée (en téléportant à bord ses occupants s’ils le demandent et/ou si leur vie est en danger), il est en revanche particulièrement choquant de constater la complète indifférence des officiers de l’USS Enterprise au sort de l’équipage du vaisseau attaquant qu’Uhura a lourdement endommagé — Spock allant même jusqu’à cyniquement déclarer que cet équipage a très peu de chance de s’en sortir ! Mais les héros s’en moquent comme de l’an quarante, et l’USS Enterprise se garde bien de chercher à les secourir. Euh, mais sommes-nous dans Starfleet ou dans la flotte du Terran Empire ?! Évidemment, si les officiers avaient fait leur devoir de sauvetage élémentaire en téléportant également à bord l’équipage rebelle de Prospect VII (avant que leur vaisseau ne se crashe sur la lune voisine), il n’y aurait plus eu d’histoire à rallonge (avec dilemmes de pacotille et fausses tragédie), tout aurait probablement été clarifié dès le teaser.
- Quelle est la probabilité de rencontrer par hasard dans le vaste cosmos un·e extraterrestre que l’on avait croisé·e dix ans avant, et pire encore dans une semblable configuration et situation ? Tellement infinitésimale que non chiffrable ! Que Pike ait ainsi sauvé par deux fois en dix ans Alora dans une navette en péril, c’est à la frontière du running gag (du moins hors champ, en internaliste). Quoique moins voyant que dans le commun de Discovery et de Picard (car les spectateurs n’étaient pas témoins la première fois), il s’agit à nouveau ici d’un pur "syndrome VIPs", miniaturisant toujours davantage le micro-univers kurtzmanien. Tout à l’inverse, lorsque Kirk avait revu Tyree sur Neural dans ST TOS 02x16 A Private Little War, c’était intentionnel.
- En dépit d’une interprétation déjà limite de la Prime Directive pour interférer "en conscience" dans un conflit qui ne regardait en rien Starfleet (une institution n’ayant pas la vocation autoproclamée de "gendarme de l’univers"), Pike a ensuite invoqué le tir du petit croiseur sur l’USS Enterprise pour engager une investigation complète sur le terrain, violant donc encore plus ouvertement et profondément le General Order One ! Mais oublie-t-il que ce vaisseau rebelle de Prospect VII n’a pas eu l’initiative de l’affrontement avec l’USS Enterprise ; ce fut une réponse à l’ingérence de ce dernier, qui plus est sans dommage aucun (ses boucliers furent juste réduits de 0,02%) ; tandis que la réciproque n’aura aucunement été vraie (le petit croiseur a été quasiment anéanti). S’il fallait estimer les responsabilités et chiffrer des dommages & intérêts, l’agresseur serait davantage l’USS Enterprise. Et comble de l’anti-trekkisme, la Prime Directive n’est pas une seule fois considérée à l’initiative de Starfleet...
- L’épisode n’a vraiment pas la main légère dans sa façon de faire du très jeune First Servant un petit génie tout terrain et tout équipé en science infuse et en omniscience. Fait à peine croyable, c’est encore plus caricatural qu’avec le Dr Zee de la piètre série (ou seconde saison) Galactica 1980, car lui au moins ne cherchait pas dans chaque ligne de dialogue à en mettre plein la vue et à rabaisser tous ses interlocuteurs.
- Au nombre des exploits du First Servant : avoir fait la leçon au scientifique vulcain Spock sur la nécessité de polariser radialement les signaux dans subespace pour en accroitre la portée en l’absence de relais sachant que "la vitesse maximale de la radio subspatiale et de 52 000 fois la vitesse de la lumière" (au passage une formulation scientifiquement fautive et que le real-Star Trek avait toujours su éviter) ; avoir instantanément compris (à peine arrivé à bord) que le Dr M’Benga a une fille qui souffre de cygnokemia, la localiser, la sortir du buffer de téléportation... et lui fabriquer un marelle 3D multicolore au moyen de gaz nobles issus d’un processeur atmosphérique ! Il n’aurait pas pu faire mieux s’il avait été télépathe. De quoi rétrospectivement donner de sérieux complexes intellectuels et déductifs à l’équipage de l’USS Enterprise au regard de sa lenteur à (ne pas) en avoir fait autant dans SNW 01x03 Ghosts Of Illyria ni dans les épisodes antérieurs. Curieux comment le monde de Kurtzman est toujours divisé en seulement deux catégories d’individus : les idiocrates et les dei ex machina, avec quasiment personne entre les deux.
- Après que Gamal et le First Servant ont été sauvagement téléportés par un (autre) croiseur de combat de Prospect VII (avec la complicité du Elder rematérialisé aussi sec dans l’USS Enterprise tout comme son fils mais dans une autre partie du vaisseau), Pike se lance à la poursuite de l’astronef kidnappeur, et pour l’empêcher de passer à distorsion… il l’enveloppe d’un rayon tracteur. Alors, comme une mouche dans un bocal, le vaisseau de Prospect VII semble devenir dingue, s’agite dans tous les sens, pousse ses moteurs à fond pour tenter de franchir l’endiguement par la force brute. De peur qu’une irresponsable entrée en distorsion à intérieur du rayon tracteur ne provoque l’explosion du vaisseau captif, Pike donne alors l’ordre de le libérer. Mais trop tard : une seconde après la désactivation du rayon, ce vaisseau explose. Est-ce une résultante du forcing qui avait précédé, ou est-ce une autodestruction décidée par l’équipage de Prospect VII ? Toujours est-il que les scénaristes n’ont absolument pas compris ce qu’est vraiment un rayon tracteur qu’ils confondent ici avec un champ de force. Dans un champ de force, toutes les ressources énergétiques et défensives demeurent intactes, et auquel cas il est en effet possible de tenter de faire du forcing à la façon d’un bras de fer dans l’espoir de sortir de la "cage" mais également au risque de ne pas y survivre. Tandis qu’un rayon tracteur est un dampening field, c’est-à-dire un champ d’amortissement qui paralyse, bloque et inhibe à des degrés divers les ressources techniques (comme dans de nombreux témoignages d’abductees en ufologie). Cette caractéristique de "camisole de force" énergétique permet précisément d’empêcher les comportements inconséquents voire littéralement suicidaires comme celui qui a été mis en scène dans SNW 01x06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach. Donc encore une fois, l’épisode a tout faux, mais là encore il fallait bien faire durer l’intrigue factice, car un contact direct avec des ressortissants de Prospect VII aurait conduit à un dénouement plus rapide et peut-être moins tragique. Encore que "l’équation binaire de Majalis" n’eût laissé la place à aucune autre issue : soit la vampirisation lente du First Servant, soit le génocide de tous les habitants de la planète.
- Tout l’épisode sera émaillé, tel un refrain, de pompeuses "leçons de sécurité" — rigoureusement numérotées — prodiguées par la "gourou" La’an à la "disciple" Uhura. Certaines auront même le culot d’être illégales (i.e. la sixième leçon de sécurité)… Suivant exactement le même schéma que pour l’ingénierie avec l’Aenar Hemmer dans SNW 01x04 Memento Mori, le maître est d’abord ivre d’arrogance, puis il se transforme en premier fan de son élève. Parce ce que bon, il s’agit quand même de la VIP Uhura, et (si l’on excepte le couac de la quasi-destruction du premier petit croiseur de Prospect VII) elle ne pouvait être rien de moins qu’absolument exceptionnelle en tout point, aussi bien dans le domaine de la sécurité que dans celui de l’ingénierie avant ou dans n’importe quel autre (outre l’exolinguistique bien entendu). La cadette sera donc rapidement utilisée par Noonien-Singh pour mener à sa place toutes les enquêtes opérationnelles (sur les Majalans et leurs adversaires). Quitte à mettre minable par son aisance et son ascendant les officiers dont cela est supposé être la spécialité. On retombe ici dans la surqualification incontinente des peoples, comme pour l’infirmière — médecin et biologiste — Chapel 2.0.
- Et les auteurs seront tellement impatients à poly-glorifier la cadette qu’ils finiront par lui imputer des exploits qui n’étaient matériellement pas à sa portée, des connaissances qu’elle ne pouvait avoir. Ainsi, après qu’Alora a promis la fin du monde suite à l’annonce de la mort du First Servant, Pike, désemparé, exige de ses subordonnés qu’ils déterminent la cause de la téléportation sauvage hors de l’USS Enterprise. Et aussitôt, Uhura désigne avec aplomb… Gamal ! Fière de son élève, La’an lui apporte aussitôt un soutien public. Il était pourtant impossible à la cadette de faire la preuve de cette accusation, parce qu’entre la téléportation sauvage, la destruction du second croiseur de Prospect VII, et la question de Pike, il s’est écoulé seulement 2’30 (temps réel à l’écran sans ellipse possible) durant lesquelles Uhura est perpétuellement restée aux côtés de Pike. Or elle prétend que c’est la rapidité de la téléportation qui l’a ensuite convaincue que les biopatterns du First Servant et de son père avaient été préalablement transmis au vaisseau kidnappeur, ce qui l’aurait conduit à faire une investigation dans les dossiers de l’infirmerie pour découvrir l’identité de celui qui y avait illégalement accédé (en l’occurrence l’Elder). Une enquête matériellement incompatible avec ce que l’épisode montre de l’enchaînement précipité des événements, et qui ne pourrait être casée dans un timing si resserré. Sauf bien sûr si Uhura est precog et qu’elle a anticipé les intentions de Gamal avant la téléportation, mais dans ce cas sa passivité (à ne prévenir personne pour empêcher le drame) ne serait pas moins un WTF.
- De son côté, comment l’Elder a-t-il accédé aux biopatterns dans les bases de données de l’infirmerie ? Des données de ce genre sont forcément verrouillées, et il n’était qu’un visiteur...
- Et comment Gamal a-t-il transmis impunément ces deux biopatterns au croiseur de Prospect VII sans se faire repérer par l’USS Enterprise ? La’an était-elle trop occupée à se mettre en scène et à promouvoir Uhura pour effectuer son travail incompressible au poste de sécurité ?
- En outre, si Majalis et Prospect VII maîtrisent la technologie de téléportation, en quoi accéder aux biopatterns collectés par l’infirmerie de l’USS Enterprise était nécessaire ? Puisque Gamal et les dissidents de Prospect VII s’étaient préalablement entendus, ces derniers auraient logiquement dû posséder de telles données (du moins dans le cas où celles-ci pouvaient avoir une utilité)...
- Même s’il peut être compréhensible que Pike se soit indigné de cette téléportation sauvage à son nez et à sa barbe, le pragmatisme suppose tout de même d’admettre que lorsque les boucliers (déflecteurs ou énergétiques) sont désactivés, toute téléportation initiée (en entrée ou en sortie) par une puissance extérieure est toujours possible. En situation de conflit ou de risque, il faut avoir la cohérence d’activer les boucliers par défaut. La procédure d’interception et d’endiguement ad hoc d’une tentative externe de téléportation (rencontré dès la série originale par exemple dans ST TOS 02x26 Assignment : Earth) demeure une parade aussi aléatoire et peu fiable que l’interception de missiles hypersoniques de nos jours. Et curieusement, on s’indigne ici de la réussite de cette téléportation par un tiers mais pas de non-détection en temps réel de la transmission de données de téléportation depuis le vaisseau.
- Enfin, devoir fournir au préalable les biopaterns pour accélérer une téléportation demeure un argument capillotracté, du moins pour qui comprend ce qu’implique vraiment (au sens moléculaire et quantique) une téléportation qui ne saurait être approximative ni incrémentielle. Il n’y a donc rien d’étonnant que ce procédé douteux ne se soit jamais rencontré dans le ST historique...
- La’an révèle que la procédure régulière de Starfleet pour accéder à un objet trouvé sur un site de crash (en l’occurrence des puces de données) afin de procéder à leur analyse (notamment à des fins de traduction) demande des semaines d’attente !!! Autant dire que dans un contexte militaire opérationnel à l’intérieur d’un même vaisseau (où chaque seconde peut compter), c’est de la bureaucratie kafkaïenne confinant au théâtre de l’absurde ! Un détail bien sûr dans l’épisode, mais qui montre bien que jamais la production ne manque une occasion d’enfoncer les institutions trekkiennes, notamment si cela peut servir les VIPs (en la circonstance pour conduire Miss Noonien-Singh à transgresser le règlement afin d’accentuer son côté "bad ass").
- Il est certain que les paysages verticaux de Majalis valent le détour. Mais le recyclage visuel d’Avatar de James Cameron (2009) est vraiment une obsession au royaume de Kurtzland, entre Discovery 01x08 Si Vis Pacem, Para Bellum et Discovery 04x01 Kobayashi Maru. Tel un marronnier, voici donc le retour des rochers suspendus dans les airs, mais cette fois dans une version "iles volantes & belles demeures"… tellement nombreuses qu’elles emplissent le ciel et saturent l’horizon. Ok, c’est bluffant, c’est exotique, c’est alien. Mais c’est également tape-à-l’œil (l’épisode exhibe bien son fric de super-production vu le nombre de figurants sur Majalis durant la cérémonie...) au point même de flirter avec un visuel irréel de fantasy. Du coup, cela discrédite largement la relation à ST TOS 03x19 The Cloud Minders, pourtant ultérieur de dix ans. Parce que la cité volante de Stratos sur Ardana y était présentée comme un exploit unique... Les surenchères rétroactives sont toujours inconséquentes et irrespectueuses de la part d’un prequel, tant la logique internaliste se voit prise en otage par celle de la production. Dès lors, aucun réel worldbuilding n’est possible. Mais cela s’inscrit bien dans une politique générale de l’incompatibilité… ou dans une volonté de crétiniser ST TOS pour égaliser les scores. Ainsi, Scotty, Spock et Kirk s’imaginent avoir découvert par sérendipité le voyage temporel dans ST TOS 01x06 The Naked Time alors que dix avant dans les deux premières saisons de Discovery, c’était monnaie courante ; Kirk et Spock n’en reviennent pas de l’existence de boucliers occulteurs dans ST TOS 01x08 Balance Of Terror alors que dix ans avant dans la seconde saison de Discovery, cette même technologie avait failli anéantir la Fédération ; de même Kirk et Spock sont impressionnés par l’unicité de Stratos dans ST TOS 03x19 The Cloud Minders, mais dix ans avant dans Discovery et SNW, il n’y avait rien de plus banal que les objets ou les constructions suspendues dans le cieux... Bref, la démolition de l’unité trekkienne continue de plus belle... sous un tonnerre d’applaudissements bien entendu.

Conclusion

Alors récapitulons :
- l’épisode un vademecum de la manipulation à tous les niveaux et de toutes les façons possibles ;
- l’habituel pathos diabétique de Discovery a cédé ici la place un pathos structurel et mental pour mieux noyauter toute forme de logos et même d’éthos ;
- le drame résulte d’une succession de facticités, notamment parce que toutes les "consciences" et les "boussoles morales" (Gamal, les officiers de Starfleet) se comportent comme de parfaits idiocrates au plus total mépris de leurs prétendus objectifs, de la Prime Directive, de la logique en général... et avec un perpétuel retard sur le public ;
- le sens de l’épisode est architecturé autour d’une succession de sophismes trompeurs, à commencer par l’équation binaire scientifiquement imposée consistant à "sacrifier un enfant ou bien laisser mourir une civilisation entière" qui interdit de facto tout débat réel et tout dilemme ;
- la conclusion réputée "ouverte" et méditative s’habille des plus beaux atours trekkiens pour délivrer en réalité le plus anti-trekkien et fermé des "messages" : la Fédération — principale héroïne roddenberrienne — est défoncée, profanée et trivialisée comme jamais encore (à travers la caution implicite de Pike), matchant désormais éthiquement une société alien pratiquant des sacrifices humains scientifiquement justifiés (ladite société ayant finalement le "mérite" et le courage de la franchise au contraire l’UFP qui se voilerait la face et serait fort hypocrite) ;
- les incohérences, les nawaks, et les WTF sont toujours aussi nombreux que d’habitude (pas trois ou quatre comme dans The Orville 03x02 Shadow Realms mais des dizaines) ;
- tous les biais, facilités, tics, et enfumages inhérents à l’aréopage kurtzmanien sont fidèles au rendez-vous (péripéties vaines ou idiotes, VIPisme people, micro-univers, égocentrisme moitrinaire du MOI-JE, relativisme invertébré, inepties en tous genres, apories évolutionnistes...) ;
- le ressort de base est en fait un plagiat éhonté (mais à la baisse) d’une nouvelle majeure de la SF littéraire dont l’autrice n’est pas même créditée, à quoi s’ajoute également un pompage de Babylon 5 (et contrairement à ce dont use et abuse The Orville, il ne s’agit pas ici de références et d’hommages transparents) ;
- une nouvelle fois, l’exotisme envoûtant du Strange New Worlds (merci Avatar !) vampirise et donc évente un épisode culte de ST TOS au mépris de toute continuité diachronique (y compris à l’échelle de timelines distinctes), comme seul peut le faire un anti-prequel opportuniste ;
- les scénaristes avaient un sujet en diamant et un boulevard tout tracé pour composer un authentique Star Trek avec de vrais dialogues et des débats de fond ; mais ils ont préféré employer toutes leurs ressources intellectuelles pour s’y dérober proactivement !
Il en résulte un épisode qui réussit le tour de force de pervertir à la fois Gene Roddenberry, Rick Berman... et Ursula K Le Guin... pour avilir le label ST jusqu’au cœur. Félicitations.

La coupe est donc pleine, et même si SNW 01x06 Lift Us Where Suffering Cannot Reach n’est pas en lui-même déplaisant à suivre (visuellement superbe et balayant superficiellement quelques têtes de chapitre intéressantes), sa note Star Trek mérite un zéro pointé.
Si progrès il y a dans cet épisode signé Robin Wasserman et Bill Wolkoff, c’est dans les ordres taxonomiques de la manipulation, de la contrefaçon, de la supercherie, et de la fumisterie. Mais aussi du charme voire de l’hypnose pour que le divertissement masque toujours mieux les opérations de diversions. "Secret Hideux" s’améliore, oui, mais dans le registre prestidigitateur du "con art".
Dès lors, aucun doute, un tel épisode offre une redoutable illusion, peut-être la plus irrésistible depuis 2009. Et il est vrai que, comme l’ont montré ST TOS 01x15+01x16 The Menagerie et Daniel F Galouye dans son Simulacron 3 (1964), l’illusion peut suffire. Surtout quand le réel est aussi désespérant.

Libre à chaque trekker de choisir la pilule bleue ou la pilule rouge.

NOTE ÉPISODE

NOTE STAR TREK

BANDE ANNONCE





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