Star Trek Picard : Review 1.04 Absolute Candor
ATTENTION : Deux critiques comme pour chaque review d’un Star Trek : une première par Frank qui ne comportera que des spoilers légers ; une seconde par Yves avec une analyse très fine des événements de l’épisode.
Alors que nous pensions entrer, avec ce quatrième opus, dans le vif du sujet après trois premiers épisodes d’exposition, Picard décide de faire un détour par la planète Vashti.
Avant d’embrasser sa destinée, Jean Luc a besoin de solder ses arriérés envers le peuple Romulien et plus particulièrement avec ses amies du Bene Gesserit... euh pardon, du Qowat Milat, un ordre féminin de guerrières romuliennes.
Les paroles de Raffi continuent à faire leur chemin dans l’esprit de Picard, et celui ci se rend bien compte que d’avoir totalement jeté l’éponge, il y a 14 ans après sa démission de Starflleet, n’est pas sans conséquences personnelles ou géo-politiques.
La réussite de l’épisode tient d’abord dans les superbes dialogues de Michael Chabon. Celui-ci utilise à bon escient l’ensemble du casting pour faire progresser la réflexion de Picard, de la position extérieure du Docteur Jurati à celle plus proche de Raffi. Mais ce ne serait rien sans la capacité de Stewart à nous faire ressentir les regrets et les tourments de son personnage.
L’épisode est aussi le moyen de terminer de faire monter à bord les protagonistes de cette première saison. Aux premières images, j’étais assez dubitatif quant au personnage d’Elnor. Si son coté elfique continue de trancher quant à l’image que les fans de Star Trek peuvent avoir des Romuliens, je suis rassuré par le background que Chabon offre au personnage. D’autant plus qu’Evan Evagora montre à l’écran un charisme certain. Ce sera en tout cas, un personnage qui apportera certainement dans le futur de bien belles scènes d’action.
Quant à l’arrivée en cliffhanger d’un dernier personnage, je n’ai qu’un mot à dire : YOUPI !
Reste ce qui est, pour moi, la partie de l’histoire encore en demi-teinte. Si là aussi, Michael Chabon, bien aidé à la réalisation par Jonathan Frakes, arrive à donner plus de consistance à la relation entre Soji et Narek, on reste tout de même assez dubitatif sur l’ensemble de cette histoire. Et ce n’est pas la pseudo scène SM avec Narissa dans la chambre de Narek qui va relever le propos. C’est juste simplement ridicule.
Si j’ai beaucoup apprécié cet épisode, il va falloir que cela se décante grave lors de Stardust City Rag. On sera, après tout, au milieu de cette première saison. Les choses sérieuses doivent commencer...
FM
Le pilote en trois parties désormais achevé, et Jean-Luc ayant constitué son équipage mercenaire de fortune (mettant ainsi un terme à son auto-réclusion égoïste durant quatorze ans), il renoue dans Picard 01x04 Absolute Candor avec le voyage spatial. Mais sur la route de Freecloud (un probable casino géant échappant à la juridiction de la ténébreuse UFP) dans le cadre de la recherche du MagGuffin Bruce Maddox (le résumé des épisodes précédents ayant même réussi à marteler le nom de ce dernier par trois fois), le héros-en-titre de la série décide de faire un détour par une planète où des Romuliens furent relogés avant que l’UFP ne décide de renoncer à leur sauvetage… Ainsi, le voyage initiatique de Picard débutera par un… redemption episode de pure facture hollywoodienne.
Mais tout d’abord, association thématique lostienne oblige, un petit flashback...
Sur le modèle de la série Watchmen (2019) de Damon Lindelof, les teasers de ST Picard forment désormais une mini-série dans la série. À chaque opus, ils revisitent sous un angle nouveau la "tragédie fondatrice" de l’attaque du 9/11 de Mars en 2385, et son impact sur le sort des Romuliens (ou sur celui des Synthétiques). Cette fois, moyennant un retour en arrière par rapport au teaser précédent, Picard 01x04 Absolute Candor fait découvrir au spectateur ce que faisait Jean-Luc au moment précis où les Synthétiques ont détruit les chantiers d’Utopie Planitia... Celui-ci était alors en visite dans le centre le relocation des Romuliens sur la planète Vashti (quadrant bêta, secteur Qiris), développant des relations très personnelles avec le Qowat Milat, ces "nonnes guerrières" romuliennes (dont l’intense promotion de CBS ne cesse de parler depuis plus d’une semaine), et plus particulièrement avec Zani (leader de la House of truth dans la station du Nord) et Elnor, un orphelin recueillie et élevé en guerrier par les sœurs (mais sans toutefois avoir la possibilité de rejoindre leur ordre réservé aux femmes).
La scène s’ouvre sur la peinture idyllique d’une petite communauté romulienne…
[Elnor, enfant élevé par les nonnes vole un fruit sur un étal, il se fait interpeller par le marchand] Va-t’en, fils de nonne !
Même pas peur ! [Et c’est émerveillé, comme un fils attendant son père, qu’il assiste à la matérialisation de l’amiral Picard]
[Picard s’adressant alors à la foule romulienne qui accourt vers lui] Bonjour, bonjour. Quel plaisir de vous revoir tous. Oui, oui. Je sais que vous êtes inquiets, mais la Fédération et Starfleet vont vous aider à vous intégrer. Vous avez ma parole.
[Elnor annonçant aux nonnes toutes vêtus de noir] Il arrive !
[Picard s’adressant aux nonnes] Jolan tru. ["Jolan tru" signifiant "Bonjour" en langue romulienne]
[Zani à Elnor] Montre-toi ! [Elnor accomplit alors le rituel gestuel d’accueil, Picard le lui rend affectueusement] Tu n’arrêtes pas de parler de l’amiral Picard depuis son départ. Tu n’as rien à lui dire ?
Que m’avez-vous ramené ?
Ce que je t’ai ramené ? Voyons... Les Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas. [Elnor enlace Picard] Régale-toi.
Tu mets l’amiral mal à l’aise, Elnor. Il n’aime ni les manifestations d’émotion ni les enfants.
Pas du tout. Un jour, je m’habituerai à la Voie de la candeur absolue.
[Elnor] Pourquoi vous n’aimez pas les enfants ?
[Zani] Car ils sont exigeants, empêchent de se concentrer et interfèrent avec le devoir et le plaisir. [Picard fait un geste humoristique d’approbation]
[Elnor] Je me sens blessé. Je pensais que vous m’aimiez.
C’est exact. Je t’aime beaucoup. [Grand sourire]
[Zani] Les sœurs de la station du sud-est disent que tout s’est bien passé.
Dix mille nouveaux réfugiés. L’aide des sœurs a été inestimable. La Fédération a une dette envers le Qowat Milat.
[Elnor] Combien de temps resterez-vous ?
Comme toujours, nos cœurs et notre maison vous sont grands ouverts.
[Elnor] On peut lire le livre ?
Oui, bien sûr.
Mais dans trois jours, je serai au Poste central pour voir le prochain convoi.
Car la dernière fois, vous m’avez promis que...
[Zani reprenant Elnor] Une promesse est une prison, Elnor. Ne te fais pas le prisonnier d’autrui.
Ça me rappelle, Zani, que la dernière fois, je vous ai promis que j’essaierais de trouver du hanifak sucré. [Le visage de Zani s’éclaire] Mais j’avais oublié que les promesses sont des prisons, alors... [Tandis que Picard fait mine de conserver le cadeau, Zani le réclame]
[Picard attablé avec les sœurs] Ce n’est pas facile d’être le seul garçon dans une maison de femmes. On doit se sentir seul, parfois.
Oui. Il est aimé, mais sa place n’est pas parmi nous.
Je comprends. C’est si généreux de l’avoir recueilli comme vous l’avez fait. Je lui trouverai un lieu plus adéquat bientôt.
[Tel un père avec son fils, rayonnant de joie, Picard donne des cœurs d’escrime à Elnor à l’aide de bâtons, tout en lui lisant en parallèle Les Trois Mousquetaires] D’Artagnan, qui, à défaut de la pratique, avait une profonde théorie, redoubla d’agilité. Jussac, voulant en finir, porta un coup terrible à son adversaire, mais celui-ci para prime, et...
Ça veut dire quoi "para prime" ?
Je te montrerai demain. Et tandis que Jussac se relevait, D’Artagnan, se glissant comme un serpent sous son fer, lui passa son épée dans le corps.
Jussac tomba comme une masse. D’Artagnan jeta un coup d’œil inquiet et rapide sur le champ de bataille.
[En pleine leçon d’escrime, Picard reçoit un appel sur son combadge] Je suis occupé, Raffi. Comment ça, "les synthétiques ont attaqué Mars" ? [La stupéfaction à peine encaissée, Picard rejoint Zani et les autres nonnes]
[Zani] Qu’est-ce que ça signifie pour notre mission ? Elle continuera ?
[Picard, essayant de se convaincre lui-même] Bien sûr. Elle le doit. Dites à Elnor que je suis désolé qu’on n’ait pas fini la leçon d’escrime... Je reviendrai bientôt. [Picard et les nonnes s’échangent le salut rituel]
Picard. Prêt pour le transport. [Les nonnes fatalistes, et Elnor, inconscient, regardent Picard se téléporter]
Générique.
Bien entendu, le spectateur devine à la lumière des trois épisodes précédents que Picard n’est jamais revenu. L’UFP a abandonné les Romuliens, Jean-Luc a démissionné et s’est isolé durant quatorze ans en ermite dans son château.
Cette scène, préparatoire à la rédemption qui va suivre, est en soi assez touchante. Mais elle est aussi particulièrement classique, pour ne pas dire clichée, dans la construction de son levier émotionnel.
D’emblée, la communauté romulienne respire l’Americana, et sa représentation s’accompagne – comme toujours en pareil cas – de flûte traversière…
Le parcours du petit Elnor pourrait évoquer Huang Feihong dans Il était une fois en Chine (1991)...
Les relations entre les réfugiés et le "sauveur" de Starfleet empruntent à toute l’imagerie coloniale des bons indigènes reconnaissants, redevables au colon messianique pourvoyeur de civilisation. Tout de blanc vêtu (tenue et chapeau), l’amiral Picard convoque (entre autres) le souvenir de René Emile Belloq, perfide archéologue français vendu aux nazis et ennemi d’Indiana Jones dans Raiders Of The Lost Ark (1981)... ou, à une échelle franco-française, la célèbre pub "El Gringo" de Jacques Vabre (souvent parodiée par Les Nuls sur Canal +).
Le manquement de la Fédération à sa parole n’invalidera pas cette image stéréotypée, au contraire, l’articulation de subordination n’en sera que renforcée. Pour une série aussi conscientisée et allongée devant la doxa, ça craint tout de même un peu... sauf si bien sûr l’objectif réel est de salir encore un peu plus l’utopie trekkienne et/ou enfoncer Jean-Luc Picard, transposant désormais le colonialisme européen à l’échelle de la galaxie, avec une Fédération paternaliste et condescendante envers les autres. De mieux en mieux !
La création de Gene, la Prime Directive, des siècles ininterrompus de révolutions coperniciennes, de technologies disruptives, de progrès métasociaux et de constructivisme sans équivalent historique, l’exemplarité et la maturité de TNG... et tout ça pour quoi au juste ? Pour revenir simplement aux années 1920 dans l’espace ?!
Et bien entendu, pour personnaliser la tragédie (et si possible faire sortir les mouchoirs), l’anti-héros aura développé des relations affectives voire sentimentales avec les indigènes, la belle Zani bien sûr (interprétée par Amirah Vann), mais surtout Elnor, ce fils qu’il n’a jamais eu (mais qu’il avait déjà failli avoir dans TNG 07x22 Bloodlines).
Si l’émotion est tout de même au rendez-vous, pareille trivialisation des Romuliens – tant par la voie de l’anthropomorphisme que de la dépendance béate envers l’UFP – sonne terriblement faux. Même en supposant que le pouvoir despotique impérial romulien ait relâché momentanément son emprise sur la population civile durant les débuts de l’évacuation, elle ne se serait pas instantanément transformée en parfaits ressortissants étatsuniens de la Bible Belt.
Enfin, la suite de l’épisode révélera que Vashti accueillait une vaste colonie de 250 000 réfugiés. Pourtant, l’important budget de la série n’aura pas permis de la représenter sur une scale plus large que les micro-communautés ayant émaillé les épisodes de TNG et ST Insurrection… mais qui réussissaient pourtant bien souvent à paraître nettement plus extraterrestres (à l’exemple de TNG 03x04 Who Watches The Watchers).
Bien des questions se posent également :
L’aphorisme de Zani (« une promesse est une prison (...) ne te fais pas le prisonnier d’autrui ») est une des meilleures répliques de l’épisode. Pour autant, ses implications sont incertaines. En inversant le sens commun (ce n’est pas celui qui promet qui s’emprisonne, mais celui qui à qui on promet), on incite à ne pas accorder crédit aux promesses, donc à dévaloriser la parole et rendre le respect des engagements facultatif. Ce curieux principe exonérerait-il Picard de n’être pas revenu sur Vashti, ne fût-ce que pour Elnor (au regard de son engagement à lui trouver une autre famille) ?
Dans le monde de ST Picard, les voyages spatiaux semblent être l’exclusivité de Starfleet... et des mercenaires payants. Ce qui pour le coup respecte, du moins en partie, le contenu des séries historiques : les voyages intergalactiques n’ont jamais été tenus pour acquis ou routiniers, les colonies sont souvent isolées, et les vaisseaux de Starfleet ne se contentent pas de patrouiller d’improbables circuits de transports publics. Qu’il s’agisse de Lenore Karidian dans TOS 01x12 The Conscience Of The King, de Joseph Sisko dans DS9, ou de Quark dans DS9 04x08 Little Green Men, il n’était pas simple pour ces civils de parcourir des centaines voire des milliers d’années-lumière. Et même les capitaines de vaisseaux de Starfleet ne sont pas entièrement libres de leur trajectoires. Pour autant, les plus motivés réussissaient toujours à trouver des options pour voyager, sans en passer par des infractions ou des financements extra-UFP.
Pourquoi Jean-Luc Picard n’arbore-t-il pas son rutilant uniforme d’amiral (pourtant la norme lors des missions au sol) ? Une mission civile pour apporter des cadeaux aux "indigènes" ? Une opération undercover (alors que tous le reconnaissent et lui font la fête) ? Le comics Picard Countdown prétend fournir un commencement de réponse : à savoir pour ne pas narguer, irriter, et exacerber la défiance romulienne envers Starfleet. Soit exactement la même ineptie que dans le comics de 2009, Star Trek Countdown qui, quoique relatant une histoire bien différente (dans une autre timeline), suggérait déjà que l’explosion de la supernova Hobus était contestée par la plupart des Romuliens, ce qui était supposé expliquer à la fois leur impréparation et un complotisme de leur part envers la Fédération (soupçonnée d’avoir inventé cette menace imaginaire pour nuire à l’Empire). Mais cette transposition bancale du climatoscepticisme contemporain et cette confusion entre Romulus et Krypton ignore l’incontestabilité scientifique de la genèse d’une supernova (déjà de nos jours et donc a fortiori dans le futur trekkien), mais également la prophylaxie paranoïaque romulienne (où le worst case scenario est toujours l’hypothèse de travail).
Si l’explosion de la supernova est une menace de première urgence galactique, exerçant une constante pression sur Starfleet, il peut sembler fort incongru que Picard – pourtant le superviseur de toute l’armada d’évacuation – s’accorde autant de temps pour nouer des relations individuelles et même familiales avec certain(e)s réfugié(e)s. Car il ne s’agit pas seulement ici d’une pause farniente, mais bien d’une relation très personnelle, paternelle/filiale entre Picard et Elnor, donc développée sur la durée, dans le style Petite Maison dans la prairie. Mais là encore, l’intention des showrunners ne serait-elle pas de faire passer dès 2385 Jean-Luc Picard pour un illuminé, sa masturbant sur un nuage d’autosatisfaction, totalement inconscient de la dystopie qu’était devenue l’UFP, des sourds complots qui se fomentaient dans l’ombre, et de l’excès d’optimisme du projet d’évacuation de Romulus ?
N’est-il pas curieux qu’il soit de notoriété publique au sein du Qowat Milat que Jean-Luc n’aimerait pas les enfants ? Faut-il rappeler que ces considérations remontent aux premières saisons de TNG... dont l’ultime mention fut d’ailleurs curative (et finalement résolutive) dans TNG 05x05 Disaster (en 2368) ! Depuis, presque vingt ans se sont écoulées. Or voilà que ST Picard sacralise une typo figée et l’exporte au-delà de l’intimité de la passerelle de l’Enterprise D, depuis longtemps remplacée par l’Enterprise E (qui n’accueillait aucune famille), puis par l’USS Verity. Il s’agit davantage ici de placement (pour tenter de donner des gages aux fans) que d’un quelconque scrupule de cohérence internaliste.
La séance de lecture et d’initiation à l’escrime de "papy Picard" est bien entendu poétique, tout en invitant le souvenir des duels du capitaine avec Riker ou Guinan en holodeck dans TNG. Mais par-delà le cliché typiquement étatsunien de l’ouvrage Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas que l’on offre rituellement aux enfants, cette volonté d’imposer la culture humaine à des ressortissants romuliens en plein exil n’est-elle pas une façon hypocrite et sournoise de profiter de leur faiblesse pour violer la Prime Directive ? Une directive centrale, participant directement de l’utopie de la Fédération, mais étrangement absente depuis le début de ST Picard. Ironiquement, cette tentative d’exportation de la culture épéiste terrienne par Jean-Luc paraît bien risible depuis que Picard 01x04 Absolute Candor a décidé de transformer l’ensemble des civils romuliens (y compris hors du Qowat Milat) en sabreurs médiévaux (cf. plus bas).
Retour en 2399. La scène qui suit le générique d’ouverture reprend exactement au timecode où s’était achevé ST Picard 01x03 The End Is The Beginning, avec le passage en distorsion de La Sirena.
Le voyage spatial se pose d’emblée en longue croisière monotone (un peu comme au début de ST Beyond dans l’esprit de Kirk-Pine), chaque membre d’équipage tuant le temps et vaquant à ses occupations, y compris le capitaine Rios, ostensiblement plongé dans l’unique bouquin papier du vaisseau et dont la série semble faire la promotion non-stop (i.e. Le sens tragique de la vie de Miguel de Unamuno).
L’échange entre Jurati et Rios ne mérite pas d’être scripté ici, tant il s’agit d’un small talk d’une platitude absolue. Prototype de scène mal écrite, qui tente de construire une relation au moyen de dialogues sans rapport aucun avec la narration, et de forcer une alchimie désespérément absente. Les truismes s’enchaînent aussi vite que les années-lumière. Rios est du plus en plus caricatural dans le rôle du brun ténébreux et profond, existentialiste blessé par la vie, et s’interrogeant sur "la douleur existentielle de la conscience de mortalité" (tout en masquant le sens déiste du traité de Unanumo), tandis que Jurati enchaine les erreurs astronomiques (non, la Voie lactée ne contient pas 2 milliards d’étoiles mais cent fois plus...).
Les traqueurs d’indices relèveront toutefois que les holoprogrammes résidents de La Sirena se limitent à de l’opéra klingon au plus grand étonnement d’Agnes, à quoi Chris répond que « c’est une longue histoire ». Dans un univers de poche où tous les VIP se connaissent entre eux, est-ce une façon de suggérer un lien avec Worf (étant donné son amour pour l’opéra klingon), voire son retour, c’est-à-dire un cameo de Michael Dorn ?
De son côté, en s’appuyant sur les holoscanners fournis par Zhaban, le premier réflexe de Jean-Luc est de créer dans le holodeck du vaisseau un holoprogramme reconstituant dans les moindres détails son château et sa propriété viticole… lui qui n’avait pourtant de cesse d’en partir depuis presque quinze ans qu’il s’était retiré du monde. Bah, il suffit d’imputer ça aux contradictions et aux poids des habitudes d’un vieil homme, même si la véritable raison relève de la production : il fallait rentabiliser le coût du luxueux décors de Château Picard.
Mais c’est surtout l’occasion pour l’épisode d’introduire un nouvel hologramme à l’effigie de Rios, l’EHH (pour Emergency Hospitality Hologram). Il y avait déjà dans le précédent épisode l’EMH (médical) et l’ENH (navigation). Voici maintenant le très maniéré EHH ou hologramme d’accueil, au demeurant assez inutile, puisqu’il se contente de personnifier l’interface de programmation du holodeck.
En tant que commanditaire et payeur, Picard a ordonné à Rios de faire un détour par la planète Vashti. Ce qui met bien entendu en pétard Raffi Musiker (le courroux représente-t-il l’unique état émotionnel à son catalogue ?), tandis qu’une cinglante réplique altière entérine ses années de service sous les ordres de JL : « Le gars peut même pas faire un trip de culpabilité sans vaisseau » ! Elle lui rend alors visite en trombe dans son château holographique, furax bien entendu, accompagné de Rios :
[Picard] Entrez !
[Musiker] Vous voulez aller à Vashti ? Vous avez perdu l’esprit ?
[Rios] Je déteste ce putain d’hologramme de bienvenue.
[Musiker] Le fait que vous le suggériez me fait douter de votre santé mentale. Aller là-bas n’est pas juste une mauvaise idée. C’est bizarre.
Écoutez, la sœur de Dahj est en grave danger. Elle est peut-être morte. Je suis aussi pressé d’arriver à Freecloud que vous.
Vous ai-je dit que j’étais pressée d’arriver à Freeclou... [Musiker s’adresse alors à Rios] Vous trouvez que j’ai l’air pressée ?
[Rios] Je dirais plutôt appréhensive.
[Musiker] Je vais être franche avec vous.
Ce sera un changement rafraîchissant. [Jurati sonne au holodeck à son tour] Entrez !
[Jurati] C’est un rendez-vous secret ? Ou... Je fais partie de l’équipage maintenant ?
Je vous en prie, Dr Jurati, venez. Raffi mettait en doute ma santé mentale.
[Musiker] Vous savez quoi ? Allons à Vashti. On ira voir votre grande statue. Ils ont dû en mettre au moins une.
[Rios] S’ils l’ont fait, quelqu’un l’a sûrement déjà volée. Le Secteur Qiris est louche de nos jours. Il y a un sérieux vide du pouvoir. Les petits chefs de guerre comme Kar Kantar mènent la danse. Kantar a mis la main sur un ancien Oiseau de proie et il fait la loi de Vashti à Daimanta.
[Musiker, s’adressant indignée à Rios] Vous ne lui avez pas déjà dit ça ? [Imitant alors Picard] Il a dit : "Préparez un itinéraire pour Vashti, Rios." Et vous avez obéi comme un bon officier de Starfleet ?
[Rios] J’ai assumé qu’il était au courant.
[Picard] Mais le Secteur Qiris est dans le territoire des Fenris Rangers.
Il l’était. Les Rangers n’ont plus les ressources pour faire face au chaos.
[Musiker] Et Vashti est un vivier pour le mouvement de Renaissance romulienne. Vous allez débarquer à l’improviste et choisir une sœur ?
[Jurati] Quelqu’un doit m’expliquer de quoi on parle.
JL veut engager un assassin.
[Picard] Ce ne sont pas des assassins et on ne peut pas les engager. Le Qowat Milat doit vous choisir.
[Rios] Des sœurs guerrières romuliennes.
[Jurita, excitée] Ça existe vraiment ? Comme c’est bizarre.
Je connais... connaissais des Qowat Milat. Sur Vashti, elles nous ont aidés, Raffi et moi à relocaliser plus de deux cent cinquante mille réfugiés. Et ce sont les lutteuses au combat singulier les plus compétentes que j’aie jamais vues. Et les ennemies les plus redoutées du Tal Shiar.
[Rios] On dirait que vous leur êtes déjà plus redevable qu’elles. Qu’est-ce qui vous fait croire qu’elles vous aideront ?
Elles ont leurs propres critères pour donner ou refuser leur assistance à une cause.
[Jurati] Et quels sont-ils ?
Je suis sûr qu’elles trouveront la nôtre digne d’être défendue. Et si ce n’est pas le cas, la Voie de la candeur absolue signifie qu’elles n’hésiteront pas à nous le dire.
[Jurati] C’est quoi, "la Voie de la candeur absolue" ?
C’est leur enseignement principal. Une communication de l’émotion sans aucun filtre entre la pensée et la parole. Et c’est contraire à tout ce que les Romuliens chérissent. [Picard s’adresse alors au holodeck] Reprenez.
[Musiker, pour la toute première calme et réceptive] JL, perdre Dahj vous fait penser à Vashti et au petit ?
Elnor.
D’accord. Mais vous vous souvenez de ce qu’on disait à l’époque ?
Une chose impossible à la fois.
On doit s’en tenir au plan. Freecloud.
Je ne passerai peut-être plus jamais par là. [Long silence] Je serai dans mes quartiers.
[Jurati] Quelqu’un d’autre pense que la Voie de la candeur absolue semble pénible ?
Cette séance de confrontation et de brainstorming improvisé s’illustre par une distribution chorale assez équilibrée, et son principal intérêt est de fournir aux spectateurs un rapide relevé de situation. En terme de construction psychologique, seul Picard et Jurati gagnent ici un peu de substance (le premier par sa culpabilité indicible, la seconde par son décalage charmant). Agnes Jurati a pour fonction évidente de draguer un public ado (par opposition au senior Picard), mais elle est une version réussie de l’insupportable Sylvia Tilly de Discovery : candide au lieu d’être puérile, humble au lieu d’être narcissique, professionnelle au lieu d’être irresponsable, séduisante au lieu d’être tête-à-claque, et incomparablement mieux interprétée.
Rios reste fonctionnel mais son profil de cynique intériorisé demeure un lieu commun. Musiker est toujours aussi caricaturale dans son rôle de "fausse ennemie" colérique.
Cet échange n’est pas dépourvu d’humour, mais autant celui qu’engendre la spontanéité de Jurati est de bon aloi, autant les railleries sur le dos de Jean-Luc Picard sont déployées au détriment du réalisme et du personnage.
À la base, il est peu vraisemblable que le héros-en-titre ne se soit pas de lui-même informé de la situation de Vashti (il n’est ni gâteux ni sénile, et la culpabilité est un moteur puissant...).
Mais surtout, la série continue à vouloir absolument faire de Jean-Luc un monstre d’orgueil, tant par son propre comportement que par celui de son entourage envers lui. Entre la prétention que la simple annonce de son arrivée (après quatorze ans de silence) ouvrirait toutes les portes de Vashti, aux prétendues statues à son effigie (qui auraient été depuis déboulonnées), sous couvert de vieillesse et de trauma personnel, et au risque de faire de lui le principal comic relief (involontaire) du show, la série Picard brosse là un portrait antithétique de feu le héros de TNG – pour mémoire un humain en grande partie vulcanisé (et donc largement dépourvu de vanité dixit Spock lui-même), et qui était un pur produit de l’UFP (et non son fanboy aveuglé par un idéalisme déphasé). Les auteurs tentent ainsi de faire passer le viol objectif du personnage principal de Star Trek (l’UFP) pour une désillusion subjective des projections naïves de son meilleur parangon. Comme si l’abandon des Romuliens par Starfleet avait été le Kobayashi Maru (bien tardif) de Jean-Luc Picard (quitte à confondre une simulation virtuelle avec un reniement systémique). C’est un peu le sophisme du Dîner de con (1997) de Francis Veber qui, derrière la qualité d’écriture de ses dialogues, avance une corrélation entre les passions minoritaires et l’imbécilité sociale.
Autant dire que l’humour n’émule pas ici le naturalisme du quotidien mais les artifices des (médiocres) sitcoms.
Et malheureusement, les informations fournies ont de quoi laisser perplexe, et elles s’accordent fort mal avec plus de deux siècles de chronologie trekkienne fort documentée.
Même si l’UFP a interrompue l’opération de sauvetage avoir avoir relocalisé 250 000 Romuliens, l’Empire rival de l’UFP ne se limitait pas à Romulus et à ses planètes voisines. Par son expansion et ses ressources astronavales propres, il est impensable que le pouvoir impérial n’ait pas survécu d’une façon ou d’une autre (quitte à changer de nom et de modèle), et qu’il n’ait pas continué à administrer et défendre les intérêts de ses ressortissants sur Vashti et ailleurs. Prétendre le contraire, c’est faire insulte à une société qui fut un match perpétuel pour la Fédération depuis la guerre du 22ème siècle et son statu quo résultant. Mais visiblement, Picard 01x04 Absolute Candor préfère appliquer aux rescapés romuliens la classique décadence mafieuse qui résulte des absences d’ordre et d’autorégulation, où la possession d’un vieil oiseau de proie romulien (millésime 22ème ou 23ème siècle) suffit à racketter tout un secteur. Un anthropomorphisme de plus, se payant la tête de l’une plus puissantes forces de l’univers connu.
Mais le plus contestable est encore le postulat même de la secte des "nonnes guerrières" du Qowat Milat, présentées comme les meilleures combattantes jamais rencontrées par Picard, et prétendument ennemies historiques du Tal Shiar.
Déjà, voilà un sacrifice de plus aux truismes de l’imaginaire, fantasmes sexuels masculins à l’origine, mais récupérés désormais par la bien-pensance féministe. Des improbables Amazones de la mythologie grecque aux découvertes archéologiques de Jeannine Davis-Kimball jusqu’à la réappropriation par William Moulton Marston et DC, on songera également dans la réalité au corps des Amazones du Dahomey créé par la reine Tasi Hangbè, dans la fiction entre autres aux Spearwives (Piqueuses) de A Song Of Ice And Fire de GRR Martin, aux Gerudos de Zelda... et surtout au Bene Gesserit, aux Révérendes Mères, aux Truitesses, et aux Honorées Matriarches dans le Cycle de Dune de Frank Herbert. Les bures noires des moniales de Qowat Milat évoquent d’ailleurs curieusement le look de "l’Abomination" Alia Atreides dans le mythique Dune (1984) de David Lynch. Et si l’on file cette transposition, Elnor serait-il le Kwisatz Haderach ?
En outre, un tel superlatif universel dans la bouche de Jean-Luc est assez inconséquent au regard de la place centrale et experte des arts martiaux et des sports de combats dans certaines cultures extraterrestres (les Klingons et les Hirogens notamment).
Mais surtout, la possibilité que des moniales romuliennes, pratiquant leur art au grand jour et connues de toute la population, aient depuis toujours constitué les ennemies du plus puissant service d’espionnage impérial, impliquer un paradigme politique radicalement différent de celui de l’Empire romulien historique… que les auteurs semblent confondre ici avec celui des Klingons. L’Empire romulien formalisé dans la franchise n’a jamais été une féodalité décentralisée avec divers ordres rivaux ou maisons concurrentes. C’était à l’inverse un impérium très jacobin (bien plus que ne l’a été l’Empire romain de notre Histoire) dont les expressions du pouvoir ne laissaient la place à aucune forme d’opposition locale ou sectorielle, encore moins institutionnalisée, traditionnelle et ritualisée. L’argument officiel d’une volonté de diversification de la société romulienne (initiative louable en soi) se heurte ici à une aporie conceptuelle. Impliquant soit une organisation politique incompatible avec ce que les séries historiques nous ont montré (auquel cas ce sont ces dernières qui n’appartiendraient pas à la même timeline que ST Picard), soit une révolution totale de la société romulienne entre 2379 et 2385 (donc avant l’émergence du "péril supernova")…. mais auquel cas le minimum aurait été de l’expliquer ou du moins de l’assumer dans l’intradiégèse de la série. Encore que cette seconde hypothèse ne pourrait en aucun cas crédibiliser un ordre historiquement ennemi de l’une des expressions les plus efficiente et unifiée du pouvoir impérial.
Mais de son côté, le Tal Shiar est désormais présenté, non plus comme un outil politique redoutablement efficace développé par le pouvoir impérial et la défense de l’état, mais comme un ordre indépendant et préexistant, qui agirait pour et par lui-même, et ayant survécu à la destruction de la planète mère de l’empire romulien au contraire du pouvoir politique dont il est pourtant supposé émaner.
Est-il d’ailleurs seulement envisageable que l’éventuel Empereur, le Praetor, le Sénat et les autres dirigeants n’aient pas conduit eux-mêmes un gouvernement en exil sur l’une des nombreuses planètes de classe M de l’immense Empire ?
La grande cohérence romulienne de TNG/DS9... est ainsi rebootée, foulée aux pieds, et brisée par les nawaks "rambaldiens" d’Alias.
Il est en soi louable de chercher à enrichir le lore des espèces extraterrestres du Trekverse notamment grâce à un focus sur les populations civiles par-delà les seuls politiques et militaires, de chercher à apporter de la complexité et de la variance à la peinture des sociétés aliens parfois réputées trop homogènes (même look, mêmes vêtements, mêmes idiosyncrasies). Mais faut-il encore pour cela respecter les implications systémiques et culturelles desdites sociétés avant d’y plaquer des facteurs de diversité exogènes, soit totalement fantaisistes comme Star Wars, soit strictement humano-centrés comme dans le ST kurtzmanien.
Par ailleurs, quelques remarques sont assez curieuses… Autant, les Romuliens de Vashti pourraient être tentés de tenir rigueur à Picard de n’être jamais revenu (les remarques ironiques sur les statues de Picard égratignent une nouvelle fois ses prétentions et sa vanité) ; autant, à la lumière de la tragédie qui a finalement frappé Romulus, le Qowat Milat n’a aucune raison de considérer que Picard leur est redevable pour avoir tout de même réussi à sauver 250 000 de leurs propres compatriotes (à défaut de davantage).
On notera le f-word de Rios : « I hate that fucking hospitality hologram ». Ce personnage est certes supposé marginal et anticonformiste. Néanmoins cette tendance langagière se retrouve en fait partout dans la série, y compris chez la CNC de Starfleet dans Picard 01x02 Maps And Legends (à l’image de l’amiral Marcus dans ST Into Darkness).
Michael Chabon s’en est justifié par la prétendue censure que le diffuseur (UPN) imposait à la production des séries précédentes. Sauf que c’est perdre de vue que deux d’entre elles furent produites en syndication (TNG et DS9), un business model qui jouissait d’une considérable liberté créative (y compris pour adopter au besoin les vulgarités contemporaines). En réalité, contrairement à ce que pense (ou tente de faire croire) Michael Chabon, la langue soignée et contenue jusqu’en 2005 correspondait à une volonté et à un parti pris de Gene Roddenberry et donc de Rick Berman. À tel point que cette réalité fut pleinement assumée en internaliste lorsque Kirk et son équipage s’étaient étonnés du langage coloré contemporain (i.e. celui des années 80) durant leur voyage temporel dans ST IV The Voyage Home. Or le 24ème siècle de TNG et donc de ST Picard sont supposés être encore plus éloignés de notre époque que le 23ème siècle de TOS...
Mais il est désormais plus simple d’être dans le vent comme les feuilles mortes.
Arrivée en orbite de Vashti...
[Rios] C’était chez vous ?
[Picard] En quelque sorte. Pendant quelque temps. Sécurité !
[Musiker] Système de défense planétaire romulienne. Acheté d’occasion. Les Fenris Rangers les ont aidés à les installer. C’est primitif mais efficace. Un bouclier impénétrable de drones tueurs-d’orbite. Toutes les 30 minutes, une zone transitoire se dégage dans le réseau. Si le système vous y autorise, vous avez une minute pour traverser. Tentez de passer sans autorisation et vous serez exposé à un tir fatal.
On a l’autorisation ?
Je travaille sur différents angles, mais pour le moment, non.
Appelez le Poste central. Dites-leur que c’est moi.
C’est la première chose qu’on a faite. Franchement, ils n’étaient pas impressionnés.
Très bien. Des suggestions ?
Un don en liquide est toujours une bonne idée.
Picard se téléporte au sol, la petite utopie Americana d’il y a quatorze ans a cédé la place à un Far West suspicieux, avec des panneaux ségrégationnistes "Romulans only" (quoique curieusement rédigés en langue anglaise). Son "bonjour" en langue romulienne reste sans réponse. Un Romulien transmet un signal qui n’annonce rien de bon… De son côté, Jean-Luc se rend pedibus cum jambis au sein du Qowat Milat, et retrouve Zani, qui le salue respectueusement…
[Zani] Vous avez vieilli, amiral Picard.
Pas vous.
Je vous rappelle que ceci est une maison de la vérité. [Zani visiblement très émue] Je croyais qu’on ne vous reverrait jamais.
Je n’en ai pas le droit. Mais j’ai besoin de votre aide une dernière fois.
[Elnor apparait, c’est désormais un jeune adulte, interprété par Evan Evagora] Pardon.
[En orbite sur La Sirena, tandis que Raffi Musiker balaye son interface holo] Mince.
[Rios] Quoi ?
Quelqu’un l’a identifié. Il fait beaucoup parler de lui sur le trafic de com personnelle.
[Jurati] Parler en bien ou en mal ?
[Musiker] En mal. Une catastrophe.
[Rios] On doit le sortir de là.
[Picard, au sol, via communicateur] Non, pas maintenant, Raffi. J’ai besoin de plus de temps.
[Musiker sur La Sirena] Ce ne sont pas des lettres d’amour. Il y a beaucoup de colère.
Je suis en sécurité, ici.
[Rios] Je capte un vaisseau. Juste à la limite de la plage de balayage. Il se déplace lentement. On dirait ce vieil Oiseau de proie.
[Musiker] Heureuse que vous soyez sain et sauf. On va recevoir une visite de Kar Kantar.
[Picard] Faites ce que vous devez faire. Il me faut plus de temps. Terminé. [Silence contrarié à bord du vaisseau]
[Zani] On fait ce qu’on peut pour maintenir la paix. La moitié des sœurs servent en qalankhkai, patrouillant routes et navigation. Aidant les voyageurs, défendant les Romuliens comme les Terriens.
Le Qowat Milat rassemble toujours ses forces pour une cause à part ?
Si la cause est jugée honorable.
[Picard à Elnor qui lui apporte poliment un plateau] Non. Merci, Elnor. [Elnor laisse tomber le plateau, vexé] Elnor ?
[Zani] Vous avez honte de voir Elnor.
J’ai toujours pensé que vous aviez trouvé un lieu correct pour lui.
On a imaginé tant de choses qui ne se sont pas réalisées.
Ça ne concerne pas seulement Elnor. C’est tout ici. La pauvreté, la dégradation, le conflit ethnique. Quand je suis parti, ça n’existait pas.
Vous ne pouviez sauver tout le monde, vous avez choisi de ne sauver personne.
Oui.
J’ai permis au parfait de devenir l’ennemi du bien.
Vous n’avez pas encore parlé de votre objectif.
Je présume que vous désirez les services d’un qalankhkai. Pourquoi ?
Je vais affronter seul le Tal Shiar.
Alors, votre cause est désespérée.
Elle l’est pour moi.
Un autre secours ?
Si je n’arrive pas trop tard.
Il n’est pas trop tard pour sauver Elnor. Sa place n’est pas ici. Quand l’évacuation a pris fin, on ne lui a jamais trouvé de meilleur foyer.
Son entraînement a pris fin ?
Au printemps dernier.
Alors il est vraiment un Qowat Milat ?
Non. Et en tant qu’homme, il ne pourra jamais l’être. Mais il a une ouverture d’esprit. Et à part cette démonstration de réticence que vous semblez toujours lui inspirer, il est franc. Et son aptitude au combat est vraiment remarquable.
Et vous l’éloigneriez ? Il pourrait se retrouver en grave danger. Il pourrait mourir.
Il mourra. Mais avant ça, cela réjouirait mon cœur de le voir vivre. [Silence puis fondu au noir]
[Picard seul avec Elnor] Quand vous vous engagez à lutter pour une cause, il y a un rituel ? Je dois me mettre à genoux, ou... J’espère que non. Entre nous, mes genoux ne sont plus ce qu’ils étaient.
Vous racontez, j’écoute. C’est simple.
J’avais un ami nommé Data.
En général, c’est une histoire triste.
Il est mort. Il a donné sa vie pour sauver la mienne. Et il n’a jamais cessé de me manquer.
Vous ai-je parfois manqué ?
Bien sûr. Continuez.
Récemment, j’ai appris que Data... C’est compliqué. Que Data avait deux enfants. Et l’une d’elles, nommée Dahj, a été assassinée devant moi. Je crois que l’autre court un grave danger. Et je dois la trouver avant le Tal Shiar.
Le Tal Shiar ?
Oui.
Cette autre sœur est une androïde ? Vous m’aviez raconté des histoires sur Data. Il avait un chat orange, Spot.
C’est exact.
Je n’ai encore jamais vu un chat.
Si tu viens avec moi, tu en croiseras peut-être un ou deux.
Pourquoi avez-vous besoin de moi ?
Car je n’ai pas réussi à protéger sa sœur.
Vous ne savez pas où elle est ni si elle est en vie.
Non.
Et celui qui l’a construite ?
C’est une possibilité.
On vous poursuit ?
Sans doute. Je m’y attends, en fait.
À cause de tout cela, il vous faut quelqu’un. Pourquoi moi ?
Car je suis un vieil homme et tu es un jeune homme fort. Zani dit que tu es l’un des meilleurs combattants qu’elle n’ait jamais vus. Il me semble que ma quête a le critère adéquat. Veux-tu venir avec moi ? T’engager à lutter pour ma quête ?
Maintenant que vous me jugez utile ? Que j’ai de la valeur pour vous ? Vous m’avez abandonné, vieil homme.
Je n’ai pas voulu...
Pourquoi n’en ferais-je pas autant ?
Elnor, c’est...
Elnor part furieux. Picard reste seul, dépité. Une musique de violons à la Poldark 2015 accentue le tragique de cet échec…
[Peu après, Picard contacte La Sirena] Rios, c’est Picard. Je suis prêt pour le transport.
Bien reçu. La prochaine ouverture se produira dans sept minutes.
Picard retourne à pied au "village" qui l’avait battu froid. Puis, avant d’entrer dans le bar, il retire d’autorité la pancarte ségrégationniste et la jette ostensiblement au sol avant de la piétiner, devant les regards romuliens stupéfaits ou consternés…
[Picard en langue romulienne] Bonjour. [Aucune réponse. Picard s’assied à une table, et tenter de passer commande, mais le serveur l’ignore] S’il vous plait. Garçon !
[Le Romulien qui avait transmis un message peu après l’arrivée de Jean-Luc se lève et vient l’interpeler, prenant à témoin la foule] Vous pouvez m’appeler gTenqem Adrev. On s’est déjà croisés. Une fois.
Vraiment ? Pardonnez-moi, je...
Oh, c’était dans une autre vie, et j’étais un autre homme. Un sénateur romulien, si vous pouvez le croire. [Picard se lève] J’ai eu l’honneur d’assister à votre discours au Hall de l’État. L’incarnation par essence de Starfleet. Vous avez fait d’éloquentes promesses au nom de la Fédération magnanime. Le grand Saint Picard.
Sénateur...
J’ai trouvé ça très émouvant. J’étais très touché. Nous l’étions tous. J’avais les larmes aux yeux.
Merci.
Et vous êtes parti. Puis, vous êtes revenu, avec les vaisseaux. Ces énormes transports de classe Wallenberg. On a tous embarqué à bord du Nightingale. Cinq générations de parents et de grands-parents. Des frères et sœurs, des épouses et des enfants. Et le Nightingale nous a amenés ici, à Vashti.
On avait si peu de temps. Vous étiez si nombreux à sauver.
Et il y avait si peu à attendre de Starfleet.
J’ai fait tout ce que j’ai pu.
Et puis vous avez renoncé. [Adrev appelle des hommes de main, Picard semble bien faible et chétif en comparaison] Skantal. Bidran.
Mes amis, je pleure...
On ne demande pas votre pitié, Picard. Comme on n’a pas demandé votre aide. Vous et Starfleet ne compreniez pas l’ingéniosité romulienne, la détermination, l’autonomie. Vous avez profité de nous dès que nous avons douté de nous-mêmes. Vous nous avez attirés avec vos promesses creuses. Et vous avez tout fait pour nous disperser, nous déconcerter, nous diviser.
[Picard, répondant avec une grande vigueur] Ce n’est pas vrai ! Je vous promets ! Vous...
[Adrev, indigné !] Vous promettez ?! [Adrev s’adresse à l’un de ses compagnons venus en renfort] Donne-lui ton épée. [Celui-ci tend son épée à Picard]
Non. [Adrev jette alors l’épée dans les bras de Picard, et ses hommes se saisissent de lui et l’entrainent dans la rue, en prévision d’une parodie d’exécution]
Venez. [Adrev affronte alors en duel Picard, ce dernier esquive quelques coups, puis jette l’épée au sol]
Non.
[Elnor apparaît alors et s’adresse calmement à Adrev] S’il te plaît, mon ami. Choisis de vivre.
Après un fulgurant double salto, Elnor tranche la tête d’Adrev à la stupeur générale.
[Elnor] Je regrette ton choix. [Puis s’adressant à tous en langue romulienne] Je me suis lié à Picard en tant que qalankhkai. Quiconque le menace... aura choisi de mourir.
[Picard] Ça suffit, Elnor. [Puis haranguant la foule] La Fédération vous a tous déçus. Je vous ai déçus. J’ai manqué à ma parole envers vous... et le résultat a été terrible. La douleur et la perte pour vous tous. Et je suis désolé.
[Rios] Picard, prêt pour le transport.
[Un des amis de feu Adrev, s’apprêtant à affronter Elnor] Un tan galang ne fait pas le poids contre un perturbateur, graine de sœurs.
[Musiker] JL.
[Picard] Oui, maintenant ! [Picard et Elnor sont téléportés in extremis sur La Sirena]
[À peine matérialisé à bord, Picard morigène Elnor avec autorité] Cet homme ne méritait pas de mourir.
Il l’a choisi. Si on combat un Qowat Milat, l’issue est certaine.
Écoute-moi bien, à présent ! Je bénéficierai de ta compétence et de ton courage, mais si tu t’engages à lutter pour ma cause, je te dirai quand te battre et quand te maîtriser. C’est compris ?
Oui.
Jure-le.
Je le jure. [Picard et Elnor échangent le salut rituel romulien
[Picard] Dr Jurati, Raffi... Voici Elnor.
[Musiker avec ironie] Un garçon avec un bâton.
[Picard] Pourquoi as-tu décidé de t’engager à lutter pour ma cause ?
Elle satisfaisait le critère d’honorabilité. Et vous sembliez avoir besoin de moi, en fin de compte.
[Jurati] Quel est le critère d’honorabilité ?
[Picard] Un qalankhkai ne s’engage que pour une cause perdue. [Fondu au noir]
Voilà une réplique finale qui en jette : « Un qalankhkai ne s’engage que pour une cause perdue » !
Cette longue séquence est saisissante dans l’acception de Furyo (1983), la décapitation inattendue en représente assurément le point d’orgue. La caboche de gTenqem Adrev est coupée si finement qu’on ne le remarque pas d’emblée, du moins pas avant que le sang vert ne suinte doucement du cou, puis que la tête glisse du tronc avec beaucoup de lenteur.
De plus, un sens de la formule frappé au coin des codes d’honneur courtois (de la chevalerie européenne) ou du bushido (des samouraïs nippons) – à la base du médiéval-fantastique et de l’heroic fantasy) – marqueront fatalement les esprits. Ainsi, après les promesses qui seraient des prisons (pour ceux qui les écouteraient) selon le Qowat Milat, le critère d’honorabilité du qalankhkai limiterait les engagements aux seules causes perdues. Une disposition stérile en stratégie, mais noble en romantisme. Et une façon astucieuse de faire davantage monter les enchères et les enjeux du principal fil rouge à la fin du quatrième épisode...
Malgré tout, il convient de relativiser l’innovation du critère d’honorabilité des qalankhkai… car c’est en réalité un plagiat des Anla’shocks minbaris de Babylon 5 (il y a déjà 25 ans) ! Mais nul n’a évidemment songé à créditer au générique Joseph Michael Straczynski pour la meilleure réplique de l’épisode…
Seulement après l’effet, vient la réflexion… qui tient malheureusement du refrain.
La "geste" de Jean-Luc souffre d’une multitude de carences, et finalement d’incohérences (ou de malveillances).
Comme dans le cas de Raffi, Jean-Luc ne vient pas de lui-même visiter ceux qui tiennent à lui ou envers qui il s’est engagé. Il ne réapparaît que lorsqu’il a besoin d’eux, soit le profil même du profiteur intéressé voire du cassos.
Ainsi, sa sollicitation sans vergogne d’Elnor, reprenant "comme une fleur" une conversation à l’endroit où elle fut interrompue quatorze ans avant, peut sembler particulièrement culotté et éhonté. Certes, d’aucuns pourraient considérer que c’est une déformation professionnelle, les militaires en exercice ayant pour habitude de disposer de leurs subordonnés. Mais ce serait oublier que les militaires commandent autant qu’ils obéissent (ils ne sont qu’un maillon d’une longue chaîne, même à un grade élevé) ; et dans les nations civilisées, l’expérience IRL montre qu’ils sont plutôt davantage respectueux et attachés à la réciprocité que les civils. En outre, davantage encore qu’un officier supérieur de Starfleet, Picard était surtout un fin diplomate (qui plus est spécialisé en premiers contacts), ce qui excluait des comportements aussi désobligeants et contreproductifs. De plus, comme en témoigne une réplique édifiante, Jean-Luc a non seulement conscience de l’inélégance de ses manières actuelles, mais elles s’inscrivent dans des manipulations émotionnelles décomplexées. Il n’est donc pas question de déformation mais d’intention. C’est à se demander si Jean-Luc Picard n’agit pas inconsciemment (à son échelle) comme la Fédération elle-même (que pourtant il dénonce) ! Soit la marque d’un tropisme général caractérisant ST Picard et ses auteurs.
Picard vient requérir l’assistance du Qowat Milat dans son combat contre le Tal Shiar. Zani en profite pour lui confier Elnor, au nom d’une vieille promesse non tenue. Celui-ci vient d’achever sa formation de qalankhkai (quel timing !), mais ne pourra pas intégrer l’ordre du Qowat Milat réservé aux femmes (l’unique sexisme considéré comme acceptable de nos jours). Picard expose alors sa cause à Elnor, et le premier réflexe de celui-ci est une rebuffade par ressentiment personnel (le cliché – encore un – du fiston rejetant son père pour l’avoir négligé). Tout leur échange vole aussi bas qu’un vulgaire Karate Kid (1984).
Un minimum de psychologie aurait alors impliqué pour Picard de deviner (au moins de supposer) que cette réponse était un mouvement d’humeur, un refus rhétorique, impliquant pour le demandeur de revenir à la charge, d’approfondir les retrouvailles avec celui qui s’était jadis pensé comme son fils. Mais rien de tel, puisque Jean-Luc décide juste de "se casser" direct. Pas même une tentative de "recruter" une qalankhkai officielle alors que le combat l’oppose aux ennemis immémoriaux de l’ordre. Et aucune recherche sur le Zhat Vash, alors que le Qowat Milat était bien le mieux placé pour fournir des informations de première main sur le noyau le plus secret du Tal Shiar...
Puis tandis que Rios lui annonce un délai de sept minutes avant la fenêtre de téléportation, plutôt que de rester en sécurité avec les "nonnes guerrières" (alors qu’il avait été prévenu peu avant d’un vent d’hostilité qui se levait contre lui sur la planète), il décide de s’aventurer seul au saloon de Tombstone où les frères Earp l’attendent. Et non content de n’être plus, à 95 ans, physiquement de taille à affronter le lynchage d’une foule ayant pas mal de raison d’en faire un bouc émissaire, il vient faire de la provocation militante en vandalisant les lieux, comme s’il était en terrain conquis ! Était-ce une pulsion suicidaire pour n’avoir pas d’emblée obtenu ce qu’il venait chercher au Qowat Milat (seulement, même s’il se sait atteint d’une maladie incurable, la recherche de Bruce Maddox et de Soji n’était pas subordonnée à cette réussite comme il l’avait admis lui-même sur le vaisseau) ? Était-ce la velléité de se prendre soudain pour la Rosa Parks de Vashti, une planète qui n’est pourtant pas la sienne (une colonie romulienne à la dérive) et sur laquelle il n’a aucun droit, ne fût-ce qu’en vertu de la Directive Première (auquel cas, il serait sujet à un idéalisme incontinent ou à un militantisme à contremploi tout en posture, et donc parfaitement stérile voire contreproductif dans ce contexte) ? Ou était-ce une manipulation (dans le genre coup de billard à trois bandes) pour pousser Elnor à le suivre et à s’impliquer afin de lui sauver la vie lorsqu’il serait exposé à l’inévitable vindicte populaire (directement provoquée par lui). L’hypothèse du suicide n’étant guère plus convaincante que celle de la manipulation préméditée, le plus probable est l’incontinence idéaliste, l’égo surdimensionné, voire l’incohérence ou l’inconséquence comportementale. Sauf que l’idéalisme rime ici avec impérialisme (ce qu’un ex-champion de la Prime Directive ne peut ignorer), et un je-m’en-foutisme de désespoir contredirait la préséance de la prétendue "dette" de Picard envers feu Data.
Mais que cette peinture de la décadence du troisième âge soit réaliste ou forcée, il n’en demeure pas moins que Jean-Luc porte la responsabilité de la mort de l’ex-sénateur gTenqem Adrev, ce qui compromet l’équilibre de sa quête, sachant que son objectif n’est de sauver in fine qu’une seule personne (Soji) et non une civilisation entière (ça c’est beaucoup trop tard).
Et on aura beau se voiler le face au moyen de tout un vocabulaire honorable et courtois, un qalankhkai n’en reste pas moins un tueur... quant à son modus operandi, indépendamment de la légitimité de la cause. Et c’est bien l’homme des lumières de TNG qui l’engage ici, délibérément.
Mais "l’immunité diplomatique" ou le passe-droit dont profite voracement la série ST Picard se résume à l’âge de son capitaine, ou plus exactement de son amiral à la retraite. Chaque fois qu’un truc clochera dans le comportement de son héros en titre, le chœur antique répondra : « mais c’est normal, il est vieux, c’est donc voulu, c’est courageux, c’est une ode aux seniors, c’est même toute l’audace inédite de la série, etc. ».
Et il y a même un plan B : la maladie incurable du capitaine, qui "couvrira" tous les écarts de conduite et autres instabilité émotionnelles ou illogismes.
Si c’est pas un bon plan marketing, ça ? Ouais, on a donc compris l’astuce de ces jokers, non pas gérontophiles, mais géronto-opportunistes ou géronto-immunes.
Et ce sont aussi ces 95 ans d’âge qui servent de prétexte (facile) pour embaucher un reître elfique. Officiellement au bénéfice d’une relation maître/disciple voire employeur/employé (façon Ironside). En réalité, pour fournir à la série son lot de combats spectaculaires chorégraphiées, de cape et d’épée entre swashbuckler et chambara, totalement HS dans le Trekverse.
Cependant, dans le même temps, participant de l’hagiographie factice que la série cherche à vendre au spectateur, c’est systématiquement Jean-Luc Picard – et lui seul – qui est tenu coupable par absolument tout le monde des crimes inexpiables de la Fédération et de Starfleet. Alors que c’est pourtant le seul à s’y être opposé et s’en être soucié, le seul à avoir tout de même tenté – quand bien même très maladroitement et insuffisamment – à faire quelque chose (lorsque tout le reste de la société s’en est manifestement contrefoutue).
Mais à force d’en remettre une couche à chaque épisode dans la complainte martyrologique, la série atteint désormais l’overdose. Ce fut d’abord la journaliste de FNN, puis la CNC de Starfleet (l’Amirale Kirsten Clancy), puis la chef de la sécurité (la Commodore Oh), puis le commando du Tal Shiar, puis Raffi Musiker (victime de Starfleet pourtant), puis les railleries continuelles à bord de La Sirena, relayé(e)s désormais par la Romulienne Zani du Qowat Milat (avec sa leçon de patronage facile et faussement pertinente : « Vous ne pouviez sauver tout le monde, vous avez choisi de ne sauver personne. »), puis indirectement Elner, et finalement l’ex-sénateur romulien gTenqem Adrev et ses acolytes... tous prêts à tourner en ridicule, à placardiser, voire à bruler Picard en Place de Grève !
Mais cette volonté de transformer Picard en bouc émissaire "universel de synthèse", en nouveau Jésus portant seul tous les péchés de la société, ce n’est pas cette fois une vanité du personnage, mais c’est une vanité de l’acteur Patrick Stewart ! Avait-il vraiment le fantasme d’interpréter un martyr ?
Le hic, c’est que l’arbre finit par cacher la forêt, et les protagonistes (comme les spectateurs) par se tromper de cible...
Halte au "Jean-Luc Picard bashing". C’est-à-dire, pour éviter tout double sens, halte au bashing (largement infondé) du héros par les autres personnages de la série, qui contribue au bashing (plutôt fondé) de la série par les spectateurs indignés.
Si le reste de l’environnement créé par les showrunners de ST Picard est si peu en phase avec le véritable personnage de Picard, c’est parce que la série n’est pas en phase avec l’univers Star Trek. QED.
La voie de la candeur absolue pourrait donc relever d’un substitut de mind meld vulcain, mais à l’usage de ceux qui seraient naturellement dépourvus de capacité télépathique... C’est aussi une façon de proscrire toute forme de mensonge.
Du coup, lorsque Elnor rejoindra l’équipage de La Sirena, si l’on fait abstraction de sa formation de tueur, ce sera en quelque sorte une autre façon d’avoir un Vulcain à bord (selon la vieille tradition trekkienne).
Mais dans la mesure où cette voie de la candeur absolue remonte à des temps immémoriaux et qu’elle est bien établie dans une partie de la société romulienne (au point d’être resté intouchable du puissant Tal Shiar), sa grande proximité conceptuelle avec la transparence vulcaine (les Vulcains étant en théorie incapables de mentir) invalide rétroactivement l’utilité voire la légitimité du travail de Spock entrepris auprès des Romuliens depuis TNG 05x08 Unification II.
Avec ses cheveux long, son sabre et son bâton, Elnor est littéralement un samouraï romulien, équipé de son katana et de son bokken. Par sa propension à la décapitation, il est un digne émule du shōnen manga Hokuto no Ken (Ken le Survivant) (1983-1988) adapté à plusieurs reprises en japanimes. Son « Choisis de vivre » suivi d’un trépas immédiat sonne telle une variante de la phrase rituelle de Ken (en VF) « Tu ne le sais pas encore mais tu es déjà mort » qui ponctue un coup fatal du Hokuto Shinken.
Mais les corrélations anthropomorphiques ne s’arrêtent malheureusement pas là !
Avec l’introduction des Romuliens cimmériens, Star Trek change soudain de paradigme. Elnor est ni plus ni moins un Elfe avec un patronyme d’Elfe. Paronyme d’Elrond, Semi-Elfe puis Elfe emblématique du monde d’Arda de JRR Tolkien, ayant autorité sur la vallée de Rivendell (Fondcombe en VF)... qui évoque justement beaucoup la communauté des Qowat Milat.
Mais hors de tout contexte néo-évhémériste, comment expliquer en internaliste cette intrication avec la culture elfique de l’imaginaire terrien ? Sauf à avoir soudain fait basculer le Trekverse dans une fantasy dont chaque civilisation et dont chaque personnage seraient indexés à une cosmogonie globale, avec leur corollaires déterministes, téléologiques, et axiologiques...
L’organisation des Fenris Rangers – occupant apparemment le vide laissé par la dystopique Fédération – possède une dénomination qui s’inspire elle-même de la mythologie nordique (Fenris étant un loup gigantesque fils du dieu Loki et de la géante Angrboda, messagère du malheur), renvoyant ainsi une fois de plus à une fantasy anthropocentriste.
Sous couvert d’hommage grossiers, on dépossède un authentique univers de SF de sa neutralité épistémologique et métaphysique, c’est-à-dire tout bonnement de sa "nature SF".
Les gigantesques vaisseaux chargés d’évacuer les Romuliens sont de classe Wallenberg, ce qui fait bien sûr référence à Raoul Wallenberg (1912-1952), diplomate suédois qui a sauvé 20 000 Juifs de Hongrie au péril de sa vie durant la seconde guerre mondiale, et qui en fut "récompensé" en étant arrêté et exécuté par les Soviétiques.
La planète Vashti a de toute évidence été nommée d’après l’épouse du roi de Perse Assuérus (i.e. Xerxès Ier) 500 ans avant J-C, selon le livre biblique d‘Esther. Elle est depuis quelques années considérée par les féministes comme une pionnière des luttes intersectionnelles pour avoir refusé d’obéir à son mari (ce qui lui valut une répudiation).
Et le vaisseau Nightingale est ainsi appelé, non par amour des rossignols, mais en mémoire de Florence Nightingale (1820-1910), fondatrice britannique des soins infirmiers et de la statistique médicale, en activité durant la guerre de Crimée, activiste sociale, et elle aussi désormais icône du féminisme.
Visiblement, ST Picard se spécialise dans le name dropping pour donner un maximum de gages à la bienpensance du Democratic Party étatsunien et du mouvement #MeToo. Quitte à affaiblir, une fois de plus, la proposition trekkienne par des parallèles douteux et un anthropocentrisme injurieux, non seulement à l’échelle de la Fédération qui s’apparente de plus en plus à un empire terrien hypocrite, mais également au-delà, en conférant par exemple une identité démonstrativement humaine à la nouvelle planète romulienne…
La dénaturation romulienne se poursuit de plus belle...
Les Romuliens de ST Picard n’ont que le mot "honneur" à la bouche (comme les Klingons), ils portent tous des épées, l’ex-Sénateur gTenqem Adrev provoque Picard un duel singulier, et alors que son but vengeur est de lui faire la peau... il se refuse à le tuer sans arme portée !
Tandis que Picard emploie en VO tout naturellement en présence des Romuliens les formules sacrées provenant du Moyen-Âge chrétien depuis les Mérovingiens ("bind your sword") ! Et ne parlons même pas des Qalankhkai et du Qowat Milat...
Euh... sérieusement ?!
La confusion entre Klingons (fortement structurés par Ronald D Moore) et Romuliens est désormais totale... à ceci près que ces Romuliens 2.0 empruntent bien davantage à la mythification féodale humaine... tout en sacralisant davantage le ritualisme épéiste que les Klingons. Car dans le cas de ces derniers, ce ne sont pas des épées humaines mais des bat’leths et des mek’leths, et leur usage est socialement encadré (sport, rites de passage...), en aucun cas substitutif des véritables armes destructives (à particules) ! Or que pèsent ces soudaines épées métalliques romuliennes (pas même laser comme chez les Jedis de Star Wars) face à des phasers ou des disrupteurs ? C’est littéralement le pot de terre contre le pot de fer.
Doit-on rappeler que la culture romulienne n’a jamais accordé la moindre valeur au rite (un attribut du fidéisme ou du vertuisme) ?! Au contraire, pour elle, seule l’efficacité et le résultat importait (conséquentialisme absolu). Ces notions ne sont pas collectivement interchangeables au gré des lubies d’auteurs, pas plus que la logique vs. les émotions ne le sont dans la société vulcaine.
Pourquoi Zani fait-elle référence aux Terriens que son ordre s’emploierait à activement protéger ? Comment se fait-il qu’il y ait même des Terriens sur cet enfer qu’est devenu Vashti ? Et pourquoi eux en particulier parmi tous les visiteurs extraterrestres possibles ? Et pourquoi dans une colonie romulienne, les panneaux d’affichage discriminatoires sont-ils rédigés en langue anglaise ?
La Fédération s’est pourtant désintéressée des Romuliens, mais une nouvelle fois, les Terriens semblent être au centre de tout, du monopole des ressources d’évacuation en 2385 au monument vivant dédié à leur abandon quatorze ans après...
Toute la dramaturgie semble perdre de vue que les Romuliens étaient à la tête d’un empire comparable en gigantisme et en puissance à l’UFP. Mais désormais en toute occasion, dans ST Picard, on les fait passer pour des guenilleux intégralement dépendant de la générosité (et des trahisons) de l’UFP. Comme si leur société se limitait à une seule planète alors que depuis le 22ème siècle, l’expansion a toujours été leur mantra.
Dès lors, plutôt que de revenir dans les teasers de chaque épisode de ST Picard à l’attaque de Mars et à son impact sur l’évacuation des Romuliens ou sur la psyché de Picard, il serait nettement plus pertinent d’explorer les six ans qui séparent la fin de ST Nemesis et Short Treks Children Of Mars afin de tenter d’expliquer pourquoi la civilisation romulienne qui fut si remarquablement homogène et cohérente envers elle-même durant 227 ans à l’écran – entre sa première apparition dans ENT 02x03 Minefield (en 2152) et sa dernière dans ST Nemesis (2379) – s’est transformée en à peine plus de cinq ans en tout autre chose...
Selon l’ex-sénateur romulien gTenqem Adrev, le beau discours du "grand Saint Picard" devant le Hall of State engageant Starfleet envers Romulus aurait à lui seul réussi à brider l’ingéniosité et la capacité romuliennes à survivre ! Et Picard ne conteste même pas cette part de son argumentaire ! Voilà bien la pire négation possible de l’essence romulienne... pourtant constamment entérinée durant quarante années de production ST. Le plus formidable concurrent ou ennemi de la Fédération, qui se caractérisait toujours par sa planification et son autonomie envers quiconque, et surtout envers l’UFP, à la fois par fierté (aux confins de l’arrogance) et par un manque (paranoïaque) de confiance envers les autres en général et les sirènes de l’UFP en particulier… aurait soudain décidé de croire à ce qui – du point de vue romulien – aurait dû apparaître au mieux comme une incertitude risquée, au pire comme une promesse de politicien ?!
Et alors, non seulement, le pouvoir autoritaire romulien aurait religieusement cru aux promesses de l’UFP, mais il s’y serait même abandonné devant la pire menace existentielle de son Histoire ?! C’est-à-dire qu’au lieu de multiplier les options, les backups, les redondances, et les ressources parallèles pour réduire les risques et les incertitudes, au lieu de s’appuyer sur les moyens de son propre empire galactique et d’une flotte historiquement aussi importante que celle de Starfleet, Romulus aurait décidé d’attendre dévotement une aide messianique extérieure et placer tous ses œufs dans un panier qu’elle ne contrôlait pas ?
Tout au plus, la Fédération aurait dû offrir un complément à une évacuation déjà largement gérée par les Romuliens eux-mêmes ! Mais présenter Starfleet (et tant qu’à faire les chantiers de Mars et eux seuls) comme l’unique planche de salut de l’Empire pour prétendre que cette société – caractérisée par l’opportunisme maximal et le calcul actuaire permanent – se serait contenté d’attendre passivement le sauvetage ou la mort du seul fait des promesses de la Fédération (dont l’effet aurait été de brider tout instinct de survie collectif)... cela cumule la double insulte (et la double incohérence) de ridiculiser l’identité romulienne, tout en alourdissant davantage encore la criminalité de la Fédération (en suggérant que sans promesse d’aide engageantes, les Romuliens s’en seraient bien mieux sorti par eux-mêmes). Déjà que la tragédie de Romulus telle que présentée dans ST 2009 était un non-sens de pulp, mais à la "lumière" de ce que tente de nous vendre Picard, cela devient le record mondial du what the fuck.
C’est aussi irrespectueux et aussi grotesque envers les Romuliens, leur culture et leur histoire, que si la série ST Picard avait pris le parti de présenter soudain les Borgs comme les apôtres de l’humanisme et les Vulcains comme des guerriers sanguinaires. Ben oui, why not ?
Mais en creux, le message devient limpide : lorsque Starfleet vire Picard, plus aucun engagement légal ou moral n’est contraignant. En d’autres termes, l’utopie du 24ème siècle ne tenait qu’à un homme, à la fois guide, caution, et litmus ! ST Picard compose le Picard-centrisme comme Kelvin le Kirk-centrisme.
Les fans les plus hardcores pourront toujous tenter d’extrapoler des justifications capillotractées pour fournir un SAV en aval des auteurs. Mais cela n’empêche pas les Romuliens de ST Picard d’être aussi étrangers à ceux du Star Trek historique que la Fédération et Picard eux-mêmes.
Les évolutions comme les paradoxes sont en soi les bienvenus, mais à condition d’être sérieusement corroborés en in-universe, autrement que par des retcons gratuits et des provocations tape-à-l’œil.
Et le retcon des Romuliens est ici aussi absolu et profond que celui des Klingons dans la première saison de Discovery. Mais avec un dose d’hypocrisie supplémentaire, car lorsque Discovery avait redéfini sans explication aucune la morphologie des Klingons (à moins de dix ans de leur première apparition dans TOS et au mépris des remarquables résolutions internalistes de la quatrième saison d’ENT), ST Picard respecte ostentatoirement le physique romulien (en assumant même simultanément pour la première fois à l’écran les deux formes historiques), mais pour mieux en violer l’essence et la culture sous couvert de créativité et d’écart-type.
En somme, malgré une écriture supposée meilleure grâce à l’auteur multi-primé Michael Chabon, ST Picard commet les mêmes erreurs de débutant (ou d’ignorant) que Discovery, alors que le format sequel était pourtant en soi bien moins contraignant et bien moins casse-gueule sur le terrain internaliste que le format prequel ! Sauf que rien à faire, une fois de plus, aucune initiative in-universe n’a été suffisamment pensée pour réussir à être pleinement compatible avec le matériau trekkien existant, que ce dernier se situe dans l’avenir (cas de Discovery) ou dans le passé (cas de Picard).
Est-ce du cynisme marchand, du je-m’en-foutiste, un manque de connaissance et/ou de compréhension du Trekverse, ou une façon à peine voilée de se payer la tête des trekkers ?
C’est ni plus ni moins le même procédé que pour le monastère de Boreth, qui dans TNG 06x23 Rightful Heir était un monastère non déiste entretenant la mémoire et l’enseignement de Kahless… mais qui est devenu (rétroactivement et sans explication) dans DIS 02x12 Through The Valley Of Shadows une antichambre ésotérique et cabalistique, "gardienne du Temps" (protégeant une substance magique temporelle agissant hors toute considération scientifique). Laissant cette désagréable impression qu’en 2020 comme en 2017, l’exhibition de formes et de dénominations familières a surtout pour fonction de faire accepter un retcon perpétuel, une autre réalité, un autre paradigme sans grand rapport avec le label revendiqué.
Après que Picard et Elnor ont été téléportés à bord, La Sirena est prise pour cible par le vieil Oiseau de proie romulien de Kantar. Se déploie alors un vrai ballet lumineux à deux, et bientôt à trois, au voisinage du gigantesque bouclier (aka champ de force ou filet de sécurité) vert qui enveloppe Vashti.
[Rios] C’est Kantar. Évité de justesse. Accrochez-vous.
[Ordinateur Mise en place des protocoles d’auto-évasion. [Rios pilote à l’aide d’une espèce de "gant virtuel" via l’interface 3D pour échapper aux tirs du vaisseau romulien]
[Rios] Le système de ciblage de ce tas de ferraille est primitif, mais le réseau de sécurité planétaire m’inquiète.
[Musiker, au poste de navigation] Sortez-nous donc d’ici.
[Ordinateur] Force des boucliers à 89 %.
[Jurati] On peut dépasser cet Oiseau de proie ?
[Rios] Peut-être pas en vitesse, mais certainement en manœuvrabilité. On devrait... [Rios d’adresse alors à l’ordinateur, mais en espagnol] Emmet, j’ai besoin d’aide ! [Apparaît alors un nouvel hologramme, de pilotage cette fois, toujours à l’effigie de Rios, et particulièrement mal embouché et négligé, ne s’exprimant qu’en espagnol.]
[Emmet en espagnol] Tu pilotes, je tire.
[Ordinateur] Armes en ligne.
[Emmett] Ils nous poussent dans le filet de sécurité.
[Rios] J’y crois pas !
[Emmett] Tu seras à portée des drones dans 9,4 secondes.
[Rios en espagnol aussi à Emmett] Tu devais pas leur tirer dessus ? [Rios en anglais au reste de l’équipage] Accrochez-vous.
[Ordinateur] Puissance supplémentaire aux propulseurs. (…) Puissance supplémentaire aux amortisseurs inertiels. [Le vaisseau est secoué de toute part, et l’équipage bascule à chaque virage du vaisseau. Picard semble beaucoup souffrir des forces d’inertie.]
[Emmett] Trop près du filet. [Et voilà que soudain, un troisième vaisseau, plus petit encore que La Sirena entre dans la danse, et lui vient en aide en attaquant le Bird Of Prey]
[Rios] D’où ça vient ?
[Musiker] J’essaie d’identifier. (…) Pas d’identification. Pas de transpondeur. Mais super timing.
[Emmett méprisant envers le nouveau venu providentiel] Affreux vaisseau !
[Rios, admiratif quant à lui] Mais magnifique pilote. [Les tirs de phasers combinés des deux petits vaisseaux permet de scier littéralement une nacelle de distorsion du vaisseau romulien. Puis finalement, l’Oiseau de proie finit par gravement endommager le vaisseau de l’inconnu]
[Rios] Salopard.
[Musiker] Ce pilote nous appelle, JL.
[Picard donne immédiatement un ordre, oubliant au passage qu’il n’est pas la capitaine du vaisseau] Ouvrez un canal. [Néanmoins, il se réprime aussitôt, en invitant par un geste éloquent Rios à donner lui-même l’ordre]
[Rios] Ouvrez le canal. Mettez-le en ligne.
[Musiker] Il demande la permission de téléporter. Son vaisseau se démantèle.
[Emmett, totalement indifférent, mais pour la première fois en anglais] Non. Trop risqué.
[Musiker, insistante] Ses boucliers sont en panne.
[Picard, donnant de nouveau un ordre en lieu et place du capitaine] Raffi, téléportez-le. Directement ici.
[Rios valide] Faites-le.
[Picard ordonne d’un regard à Elnor de se tenir prêt à maîtriser l’inconnu au besoin] Elnor. [Le petit vaisseau inconnu percute le bouclier planétaire et se désagrège]
[Musiker, faisant référence à l’empreinte de téléportation] Je l’ai. [Puis à la surprise générale, Seven Of Nine se matérialise à bord, toujours magnifique, ayant à peine vieilli en 21 ans, et exhibant les mêmes implants borgs]
[Picard, sous le choc] Seven of Nine ?
[Seven Of Nine] Vous me devez un vaisseau, Picard.
Seven s’évanouit. Fondu au noir. Rideau.
Seven Of Nine a donc sauvé La Sirena et son équipage de l’antique Bird Of Prey de Kar Kantar, sacrifiant son vaisseau… à la vague allure de Delta Flyer (cf. VOY).
Un faux twist, dans la mesure où l’apparition bien badass de Seven Of Nine a été spoilée sur les réseaux sociaux avant diffusion, ainsi que – curieusement – dans le générique d’ouverture de l’épisode (où l’actrice Jeri Ryan est créditée).
ST Picard ayant en partage avec ST Discovery sa sérialisation et ses showrunners, les twists sont fatalement appelés à y tenir une place centrale. Si ce n’est qu’ici, la plupart de ces derniers porteront sur l’entrée en scène des personnages et des acteurs vétérans du Star Trek bermanien. C’est d’ailleurs certainement là le principal moteur de buzz, et les paris sont désormais ouverts sur le "quinté" de l’ordre d’arrivée.
Syndrome des univers de poche abramso-kurtzmanien, il ne faut pas s’étonner que ce soit comme par hasard le personnage vedette d’une série culte qui sauve la vie du personnage vedette d’une autre série culte, et qu’ils se connaissent mutuellement (sans s’être jamais rencontré on screen).
Un quatrième hologramme apparaîtra dans cette scène. Après l’EMH, l’ENH, et l’EHH, voici l’ETH ou Emmet (pour Emergency Tactical Hologram), c’est-à-dire l’hologramme tactique (et pilote hors-pair), quant à lui tatoué, très mal embouché, aux cheveux longs détachés, indifférent à tout, et s’exprimant seulement en espagnol.
Au passage, les UT (Universal Translators) auraient normalement dû homogénéiser les échanges en langue anglaise (mais ils ne l’ont pas davantage fait que pour la langue romulienne sur Vashti, ni pour la langue klingonne durant la première saison de DIS).
Il est évident que la multiplication des hologrammes – tous incarnés par Santiago Cabrera – devient un running gag de la série, dont la diversité d’interprétation caricaturale tient désormais de la joke. Visiblement, dans cette Fédération qui a criminalisé la vie artificielle tout en prétendant que la sentience n’était pas à la portée des Synthétiques avant mille ans (dixit Agnes Jurati), les hologrammes sentients, eux, prospèrent et se multiplient... au point de former des équipages entiers. Car avant l’arrivée de Jean-Luc Picard et de son équipage en work in progress, Cristóbal Rios était visiblement le capitaine d’un vaisseau composé exclusivement d’un équipage d’hologrammes sentients à sa seule image. Cela ressemble à un gag psychanalytique sorti de la série parodique anglaise Red Dwarf.
Le concept n’est d’ailleurs pas dépourvu d’humour, et il avait déjà été exploré, mais à l’échelle d’une fantaisie en holodeck dans TNG 06x08 A Fistful of Datas (tous les personnages d’un holowestern étaient devenus les sosies de Data)… ou d’un fantasme mental du Dr Beverly Crusher dans TNG 04x05 Remember Me (où Picard trouve naturel qu’il n’y ait que deux membres d’équipage sur l’USS Enterprise). Mais dans le cadre opérationnel d’un vaisseau spatial, et avec la volonté artificielle de conférer à chaque hologramme une personnalité bouffonne, le parti pris peut laisser perplexe tel un catalogue de sketchs autoparodiques.
Étant donné que les hologrammes se matérialisent librement dans tout le vaisseau, celui-ci n’est peut-être en réalité qu’un grand holodeck, comme le suggère l’aménagement intérieur en une seule "pièce" (ou presque).
À ce propos, il est permis de questionner le design fonctionnel de La Sirena. La passerelle semble être l’extrémité aménagée d’un vaste hangar, avec énormément d’espace perdu. On retrouve donc bien ici les démesures typiquement (abramsiennes (Kelvin) et kurtzmaniennes (Discovery), à l’instar de l’intérieur quasi-borguien des USS Discovery et USS Enterprise, dévoilant des cathédrales de vide totalement inutiles mais destinées à l’épate, à la fois au mépris de l’univers préexistant et de la vraisemblance scientifique.
De même, un petit vaisseau, quasi-unipersonnel (avec un équipage constitué uniquement d’hologrammes qui plus est facultatifs) devrait être confiné, avec toutes les commandes à portée de main, et non disposer d’une passerelle étendue plus grande encore que celle des vaisseaux amiraux de Starfleet.
Il faut souligner qu’une fois n’est pas coutume dans le Star Trek kurtzmanien, l’antique Oiseau de proie romulien de Kantar respecte à la lettre les designs (et même les peintures ventrales) des Birds Of Prey Mark I de TOS (et d’ENT). Mais il est symptomatique que ce qui aurait dû relever du minimum syndical devienne aujourd’hui une source de réjouissance. Avec des budgets bien moindres, ENT respectait à la lettre les designs de TOS, car c’était là le corollaire d’une timeline commune. Mais après les "tournantes" infligées à la continuité par Discovery, il était permis de s’attendre à trouver dans Picard des vaisseaux romuliens en forme de toupies ou de bidet.
Cet antique vaisseau romulien a quelque chose d’émouvant, une séquence nostalgie que le trekker ne boudera pas… même si elle s’accompagne d’un relent d’hypocrisie au sortir de Kelvin et de Discovery.
Pour la première fois depuis le début de la série, Jean-Luc retrouve ici ses réflexes de capitaine, en empiétant s’il le faut sur l’autorité de Chris. Le fan y sera évidemment sensible, mais le thème n’est guère original à l’échelle de la franchise. C’était notamment l’un des principaux sujets de la première partie du film ST Generations.
Tout comme ST Discovery, ST Picard emprunte pesamment ses partis pris graphiques à la série de jeux vidéo Mass Effect.
L’esthétique 3D holographique avec pilotage au "gant" ou "joystick" virtuel est davantage clinquante que belle, et surtout elle est à la remorque des modes. Mais le plus gros problème est qu’elle est profondément dysfonctionnelle au regard des nombreux tests menés dans les environnements de pilotage d’essai du monde réel… a fortiori dans le cadre d’interfaces non homothétiques (les interfaces homothétiques étant inenvisageable étant donné les échelles de vitesses – aussi bien à distorsion qu’impulsion – dans les voyages spatiaux du Trekverse).
Enfin, il est tout à fait absurde que durant cette spectaculaire scène de combat spatial, les personnages penchent systématiquement dans la direction des mouvements du vaisseau, même hors de tout impact.
Pour mémoire, depuis l’origine des voyages spatiaux à distorsion (et à impulsion) dans Star Trek, afin de ne pas être écrasé sur les parois par des milliers de g d’accélération (l’homme ne pouvant en encaisser qu’une dizaine au maximum), les vaisseaux trekkiens emploient des amortisseurs inertiels (inertial dampers en VO), couplés à la gravitation artificielle (qui va de pair avec toute possibilité de FTL). Dès lors, l’équipage n’est pas supposé ressentir l’effet de l’inertie lors des changements de vitesse ou de trajectoire, les soubresauts éventuels se limitant à la part non anticipée des chocs imprévisibles ou des tirs adverses.
Or ce qui constituait un préalable à tout voyage spatial à grande vitesse à l’ère d’ENT et de TOS devrait a fortiori l’être à l’ère de la série Picard. Même l’hypothèse d’une réaffectation temporaire des ressources (qui limiterait l’annulation d’inertie) n’est pas recevable, car d’une part elle intervient après la manifestation du phénomène "d’inclinaison" des personnages à l’écran, et d’autre part, les forces d’inertie en présence ne permettraient à aucun être vivant d’y survivre sans assistance (une réduction non létale de l’annulation d’inertie serait énergétiquement négligeable).
Par conséquent, il y a vraiment de quoi rire en voyant les acteurs se pencher pour accompagner les simples mouvements réguliers du vaisseau. ST Picard confond les vaisseaux spatiaux avec des roller coasters de foires !
Les conseillers techniques de cette nouvelle série n’ont visiblement rien pigé aux sciences trekkiennes, et ils ont auraient mieux fait d’y consacrer d’avantage d’attention qu’aux nouvelles interfaces holographiques, aussi branchouilles qu’ineptes.
Mais il est évident que l’objectif scénique est de souligner une fois de plus à quel point la condition physique de Jean-Luc est devenue fragile tant il semble désormais à deux doigts de perdre connaissance durant les batailles spatiales. Une fois de plus, la crédibilité de l’univers est sacrifiée à la valorisation (quand bien même négative) du héros-en-titre.
Faut-il cette fois s’attarder sur l’antienne du "Pendant ce temps-là sur le cube borg" ?
La problématique originale romulano-borg qui faisait tout le sel des deux premiers épisodes de ST Picard semble désormais s’enliser dans un soap bicéphale :
D’un côté, la bluette pour mi(di)nettes entre Soji Asha et Narek, tendance "je t’aime moi non plus", entre la romance et les doutes sur le rôle réel de ce dernier. La scène de "glissade à deux" dans les couloirs du cube borg convoque les pires poncifs de Dawson, tout en étant un mauvais wannabe des scènes de "romance magique" entre Padmé Amidala et Anakin Skywalker dans Star Wars Episode II Attack Of The Clones ou de Rose Dewitt Bukater et Jack Dawson dans Titanic (1997).
De l’autre côté, l’inceste SM entre la vamp hypersexualisée Narissa Rizzo et Narek (tendance "je t’aime donc je te torture", entre l’attraction vénéneuse et les sempiternelles menaces de morts). La teneur de leur échange balance entre le porn-soap de Dynasty, les pires Z produits par The Asylum, et les double-jeux circulaires d’Alias.
Tout un programme de "soap cubique". De quoi exacerber la "vulnérabilité" de Narek pris entre deux "feux".
En parallèle, les recherches sur la cryptique Ramadha se poursuivent à tout petits pas (son vaisseau le Shaenor a été assimilé par le Cube mais ses passagers ont ensuite perdu l’esprit). Et bien entendu, les prophéties apocalyptiques autour du Ganmdan, du "Jour de l’Anéantissement", et de Seb-Cheneb, de "Celle qui Détruit" fusent. Le spectateur a bien compris que "le Destroyer" (en VO) serait Soji, tandis que Narissa (du Zhat Vash) n’a qu’une idée en tête : massacrer tous les Synthétiques à commencer par Asha. On sait.
En somme rien de bien nouveau sur le sujet depuis le troisième épisode. Le sentiment de redite est d’ailleurs tel que cela frise la boucle temporelle (involontaire). À forcer de teaser dans le vide, la bulle spéculative finit par être prise pour ce qu’elle est vraiment... et éclater.
80% de l’épisode convoquait peu ou prou Xena, et les 20% restant Alias. En somme, un catalogue 100% kurtzmanien.
Conclusion
Picard 01x04 Absolute Candor est un épisode relativement plaisant à suivre, dès lors que le spectateur se place dans n’importe quel autre "mode" que celui de Star Trek. La plupart des codes du médiéval courtois, du picaresque (mais non picardien), voire de la fantasy sont réunis ici (et peut-être pas seulement le temps d’un épisode comme à l’ère des loners/stand alone pré-2009). Si Absolute Candor avait appartenu aux séries Xena (dans laquelle Alex Kurtzman a débuté sa carrière), Firefly, The Legend Of The Rangers (le spin-off avorté de Babylon 5), Dune 2000 (la version de John Harrison), The Witcher, The Mandalorian (de l’univers Star Wars), il aurait fait un épisode plutôt standard voire quelconque. C’est-à-dire assez prévisible, sans grande originalité, avec des dialogues-de-genre convenus ou classiques (selon le point de vue), mais offrant néanmoins au spectateur ce qu’il est venu chercher. À savoir de l’aventure dans un monde interlope, des promesses de quêtes (pseudo-)initiatiques, quelque combats d’escrime et de sabre (dans une version télévisée de Wo hu cang long), un univers gravitant exclusivement autour du ou des héros providentiels qui doivent se (re)trouver eux-mêmes avant de sauver le monde (toujours Joseph Campbell), une touche de western-spaghetti (post-post-Sergio Leone), quelques pincées de souffle épique, et une panoplie symbolique interchangeable et prédigérée formant le PGCD de l’imaginaire : une sororité de matriarches tel le Bene Gesserit (de Frank Herbert), un pieux Galaad arthurien (Elnor) au patronyme à la consonance elfique tolkiennienne (cf. Feänor, Valinor, Melkor, Noldor…), des rituels paladins d’affrontement et d’allégeance, une relation édificatrice maître-disciple (en substitut des relations père-fils), des quêtes de repentance (Picard), des causes perdues (Elnor), et en marge, un comic relief d’une irrévérence désabusée (Rios, son langage coloré, et ses hologrammes clownesques valant bien un R2-D2 ou C-3PO). Les cases de la check list ont presque toutes été cochées. Tout au plus, déplorera-t-on les séquences "cubiques" qui s’embourbent et répètent involontairement celles des épisodes précédents.
Pour qui n’est pas las de ces formules narratives surexploitées depuis plus d’un demi-siècle, pour qui ne bute pas sur des dialogues clichés destinés à profiler les personnages assez stéréotypés du main cast (à l’exception d’Agnes Jurati qui sort pour le moment un peu du lot), Picard 01x04 Absolute Candor sera le parangon d’une industrie de l’entertainment aussi normalisée qu’efficace.
Sous l’angle trekkien par contre, Picard 01x04 Absolute Candor quitte cette fois l’uncanny valley encore préservée dans les deux opus précédents… pour franchir ouvertement et sans complexe le Rubicon. Ce qui est lourd de signification lorsque l’on sait qu’il s’agit-là du premier épisode de la série officiellement écrit par le talentueux et multi-primé Michael Chabon (adoubé qui plus est côté réalisation par le vétéran Jonathan Frakes).
En apparence, l’audace narrative est permanente et la démystification science-fictionnelle au rendez-vous. En réalité, le conformisme narratif est total, et le genre lui-même (tant SF que ST) est brisé.
Dans les épisodes précédents, la Fédération (véritable héroïne de Star Trek) est tombée de son piédestal utopique roddenberrien pour osciller entre une parodie des USA contemporains avec davantage de techno et une dystopie flirtant à la marge avec le Troisième Reich (l’utopie n’est plus vendable, oui, on sait). Tandis que le plus emblématique des héros de la plus lumineuse des séries ST est déchu en vieux cacochyme aigri, bourrelé de remords et de regrets, combinant une hubris démesurée et toute les erreurs tactiques/psychologiques possibles (la vieillesse est un naufrage, oui, c’est profond).
Picard 01x04 Absolute Candor prétend maintenant apporter des nuances à la représentation réputée trop homogène et trop essentialisée des sociétés extraterrestres récurrentes de la franchise. Une réputation au demeurant infondée, puisque chaque fois que le Star Trek historique s’accordait le temps d’un focus, il en ressortait une grande diversité interne mais pour autant non homothétique du contemporain et/ou de l’anthropique, à l’instar des tenseurs de complexité apportée par DS9 sur les Cardassiens et par ENT sur les Vulcains…
Ainsi, après que ST Picard a décliné les Romuliens en Californiens, en réfugiés latinos, en domestiques irlandais ou écossais, en skinheads métalos, les voici devenus cowboys, anars, lyncheurs, médiévaux, moniales, chevaliers ou rōnins, bretteurs ou sabreurs. C’est fou que derrière les militaires et les politiques romuliens d’ENT/TOS/TNG/DS9/VOY, se dévoile ainsi une population romulienne aussi anthropomorphe, littéralement ISO de l’humanité terrienne d’hier et d’aujourd’hui… ou plus précisément des clichés audiovisuels les plus en vogue à Hollywood. Et tant pis si la rétroactivité féodale du (Qowat Milat) est politiquement incompatible avec l’imperium jacobin de la société romulienne (attesté pourtant dans les cinq séries précédentes), tant pis si le vertuisme de la voie de l’absolue candeur et le déontologisme du ritualisme duelliste sont tous deux paradigmatiquement incompatibles avec l’extrême conséquentialisme romulien, et tant pis si la soudaine dépendance intégrale des Romuliens envers les promesses de la Fédération constituent une naïveté et une faiblesse (géo)stratégiquement incompatibles avec les accomplissements et les expansions impériales de Romulus.
Oui, qu’importe… tant que cela offre l’occasion au Jean-Luc Picard 2.0 de poursuivre en grande pompe son chemin de croix, de prendre sur ses seules épaules désormais fragile tous les péchés de la Fédération, et de ne demander qu’à être crucifié pour avoir jamais cru (et avoir tant fait croire aux spectateurs de TNG) en cette imposture trekkienne si peu conforme au sens, non de l’Histoire, mais de l’actu. Sauf que le vaniteux Jésus cachait un Barabbas, et la voie de l’absolue candeur sacrificielle n’était finalement pas incompatible avec une petite manipulation émotionnelle pour arracher l’allégeance filiale d’un sicaire de chanbara et la sceller dans le sang par une décapitation.
Manifestement, ce ne sont plus vraiment ici les aventures de Jean-Luc Picard, mais celles de Patrick Stewart, l’acteur qui avait interprété Gurney Halleck et Charles Xavier, le tragédien shakespearien qui préfère la féodalité médiévale aux expériences de pensée science-fictionnelles, et surtout le militant politique qui veut plier un univers imaginaire futuriste à son agenda contemporain woke et présentiste.
Il est en outre symptomatique que pour composer sa narration, sa tonalité, et son fond, Picard 01x04 Absolute Candor emprunte systématiquement ses templates et ses patterns à tout… sauf à l’univers Star Trek : les incohérences et/ou les retcons de Discovery, la dialectique de Xena, les complots d’Alias, le soap ado de Dawson, le soap SM de Dynasty, le médiéval-fantastique de Beowulf, les Elfes (blancs et noirs) de Tolkien, le Galaad de Thomas Malory, le sabre d’Ang Lee, le code d’honneur du Bushido, l’initiation-en-kit de Karate Kid, les méthodes de Ken le survivant, la matriarchie de Herbert, la fausse utopie de Zamiatine, le monomythe de Campbell, les aventures picaresques de Star Wars (ou de Firefly), la réflexion sur la mortalité (en réalité le déisme) de Unamuno, la martyrologie de J-C (devenu ici JL), les interfaces holographiques de Mass Effect... Si en apparence, toutes ces appropriations peuvent se faire passer pour des plus-values culturelles et des facteurs de diversité (à la façon de name droppings), elles témoignent en réalité d’une sérieuse crise d’identité, c’est-à-dire d’un mépris en creux pour l’inhérence trekkienne (has been ?) et d’un suivisme dépersonnalisant au profit de toutes les concurrences les plus bankables.
Derrière l’exposition des noms, des visages, des décors, des musiques qui renvoient continuellement à Star Trek, derrière cette avalanche d’Easters Eggs a valeur d’alibis concédés démonstrativement à la continuité interne (oui le Picard de TNG avait joué Robin des Bois dans un holoprogramme, oui il pratiquait l’escrime, oui il était féru d’Histoire, oui il n’aimait guère les enfants, oui il était frustré de ne pas avoir de fils…), il ne reste finalement dans cette expérience de visionnage, dans ces personnages, dans cet univers quasiment rien de Star Trek. Du moins en termes de philosophie, d’ontologie, d’épistémologie, et plus généralement d’approfondissement. Sommes-nous arrivé à un point, à une époque, où même entre les mains d’un véritable auteur comme Michael Chabon, il ne soit plus possible de faire du ST sans redéfinir (ou renier) sa définition, sa vocation, son identité ?
En revanche, l’illusion – affective surtout – est plus grande que jamais ; et soyons lucides, elle pourrait suffire...
L’irruption providentielle de Seven Of Nine (interprétée par une Jeri Ryan toujours magnifique) en fin d’épisode est un puissant fan-catcher, presque orgasmique.
Certes. Mais post coitum animal triste. Car l’angoisse est en embuscade. Après la Fédération et Starfleet, après Jean-Luc, après Hugh, après les Synthétiques, après les Romuliens… à quelle profanation branchouille la série Picard va-t-elle soumettre ce personnage culte de VOY ?
Plutôt que de se plonger vraiment dans l’exploration de l’inconnu au cœur de la proposition trekkienne, afin de proposer quelque chose de radicalement nouveau tout en respectant les spécificités des sociétés et des espèces déjà connues du Trekverse, cet épisode s’apparente à une vitrine surchargée de la pop culture – mais dans sa forme la plus démotique (juste les têtes d’affiche et les clichés) – pour offrir aux spectateurs le ludisme d’un Trivial Pursuit (à qui repérera et inventoriera le plus grand nombre d’Easter Eggs, de clins d’œil, et d’hommages ?).
Ce parti pris pourra sembler cool et tendance, peut-être même smart et malicieux. Mais à l’aune trekkienne, la faillite créative et la trahison sont quasi-totales, tandis que Picard 01x04 Absolute Candor marche dans les pas de la créature de Frankenstein.
Désormais, avec Rios ("je suis cynique mais profond") et ses hologrammes de vaudeville, Raffi Musiker (la "nerd vénère"), Agnes Jurati (la "candide sexy"), Elnor ("l’Elfe ninja"), et Seven ("l’ex-cyborg badass"), Jean-Luc Picard (le Yul Brynner senior) a quasiment achevé de constituer ses Sept Mercenaires du pauvre.
"Fascinant" (dirait Spock) ? Ou risible ?
Alex Kurtzman et Michael Chabon pourraient bien réussir à faire passer tout le Star Trek produit jusqu’en 2005... à la casserole de The Usual Suspects (1995), comme si le postulat roddenberrien était depuis l’origine, au pire un mensonge, au mieux une niaiserie. Une façon méprisante de dire aux trekkers : vous être comme Picard envers la Fédération, vous n’aviez rien compris. Et c’est en ce sens que la série Picard est en passe de représenter une nuisance pour le ST historique, à l’instar de tous les révisionnismes dont raffolent les complotistes...
YR
ÉPISODE
Episode : 1.04
Titre : Absolute Candor
Date de première diffusion : 13 février 2020 (CBS All Access) - 14 février 2020 (Prime Video)
Réalisateur : Jonathan Frakes
Scénariste : Michael Chabon
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