The Gold - Le casse du siècle : La critique

Date : 27 / 09 / 2023 à 11h00
Sources :

Unification


THE GOLD

- Date de diffusion : 12/02/2023
- Plateformes de diffusion : BBC, ViacomCBS, Paramount+
- Série : The Gold
- Épisodes : 1.01 To Be A King + 1.02 There’s Something Going On In Kent + 1.03 The Consequences Are Mine + 1.04 Vengeance Is Easy, Justice Is Hard + 1.05 The Boy You Were + 1.06 I’ll Be Remembered
- Réalisateurs : Lawrence Gough, Aneil Karia
- Scénariste : Neil Forsyth
- Interprètes : Hugh Bonneville, Jack Lowden, Emun Elliott, Charlotte Spencer, Tom Cullen, Stefanie Martini, Dominic Cooper, Sean Harris, Amanda Drew, Sean Gilder, Daniel Ings, Nichola Burley, Silas Carson

LA CRITIQUE

Série produite par la BBC, écrite par Neil Forsyth, et récemment diffusé sur Paramount+, The Gold nous conte l’histoire du casse de la Brink’s Mat en 1983, où pas moins de trois tonnes d’or furent dérobées. Nous sommes donc ici en face d’une série de reconstitution historique, et même si elle prendra évidement quelques libertés avec l’histoire pour fluidifier le récit (chose reconnue par les auteurs dans un message classique au début du pilote), le contexte politique, culturel, économique ou les décors ainsi que les costumes seront au rendez-vous.
D’images d’époques finement insérées dans les épisodes (notamment une allocution Margaret Thatcher, entre autres exemples) aux voitures qui rappelleront de lointains souvenirs aux plus âgés d’entre nous, l’ambiance sera criante des années 80. Aucune erreur au niveau des costumes, les Ray-Bans de nouveaux riches et les pull-over que personne n’oserait porter aujourd’hui se chargeront d’être un rappel permanent de la période. Le vocabulaire ne sera pas en reste, les protagonistes se donnant du "bloke" et du "gal" à tour de bras. La musique, nous donnant parfois à écouter, entre autres, du Jimmy Sommervile à la radio, contribuera également à nous maintenir dans cette atmosphère dont le soucis du détail a manifestement fait partie des priorités de la réalisation. Il est donc difficile de reprocher quoique ce soit à la série sur ce département, qui pose excellemment son cadre, sans erreur ni anachronisme.

Coté casting, la fine fleur britannique est ici réunie. Hugh Bonnevile, consacré par son rôle-titre dans Downton Abbey, nous livre ici une performance moins solaire, plus contenue, mais tout aussi excellente. Son ancien comparse dans la même série, Tom Cullen, se réinvente dans ce rôle de receleur analphabète, tour à tour touchant et méprisable. Jack Lowden, révélé dans Slow Horses, est impérial dans son rôle de génie du crime, à la fois séducteur et inquiétant, réussissant même l’exploit d’être acquitté d’un crime méritant une lourde peine. Sean Harris, aussi magnétique que dans son Solomon Kane des opus 5 et 6 de Mission Impossible, aura une alchimie remarquable avec Dominic Cooper, dont la présence naturelle à l’écran est connue depuis Captain America : The First Avenger. Emun Elliot, mémorable pour son charmeur et élégant personnage dans The Paradise, interprète ici, presque à contre-emploi, un policier désabusé et fatigué, avec pourtant une crédibilité équivalente.
Le cast féminin est tout aussi excellent, avec en tête l’impressionnante Charlotte Spencer, que les amateurs de Sanditon auront ici du mal à reconnaître, tant elle est méconnaissable (par son look autant que son jeu) dans cette inspectrice aussi coriace que brillante. Stefanie Martini, l’inoubliable Eadith de The Last Kingdom, est ici parfaite en épouse loyale, mais progressivement dépitée par les multiples révélations sur son mari, contrairement à son homologue jouée par Nichola Burley, qui sera telle Pénélope ne perdant jamais la foi en son bien trouble Ulysse.
C’est donc un casting parfait, où chacun et chacune seront marquants et justes dans leurs rôles respectifs. Ainsi, forte d’une distribution sans faille et d’un rendu d’époque tout aussi impeccable, il ne restait plus qu’à raconter une histoire qui méritait de l’être. Voyons donc cela de plus prêt.

En 1983, ce que l’on pourrait aisément qualifier de casse du siècle prend place à Londres. Lors du braquage de la Brink’s-Mat, trois tonnes d’or pur, représentant un butin de 26 millions de livres sterling (équivalent aujourd’hui à plus de 100 millions d’euros), sont dérobées par un groupe de malfrats. L’affaire dépasse rapidement le seul cadre du vol, la disparition soudaine d’une telle quantité d’or impactant presque immédiatement l’économie britannique (notamment le cours boursier qui prend 20% de hausse, octroyant un effet d’aubaine supplémentaire aux malfaiteurs). Une unité spéciale d’enquêteurs est formée en urgence, sous le commandement du DCI Brian Boyce (Hugh Bonnevile), pour retrouver les auteurs et surtout la piste de l’or avant que ce dernier ne soit écoulé. Il débute alors un contre-la-montre entre la police et les receleurs, qui se terminera par de multiples arrestations, mais hélas un recouvrement très partiel du magot.
Choisissant un format court de six épisodes, la série ne perd jamais de temps ni ne cherche à tirer en longueur. Elle sait toutefois accommoder son rythme pour nous exposer posément les mécaniques de recel, mais également les répercussions économiques, les articulations de l’enquête, et les différents groupes d’influences (notamment les francs-maçons qui tiendront ici un rôle des plus négatif). En somme, un rythme très maîtrisé, qui jamais ne délaye ou dilue son récit, sans pour autant aller trop vite ni omettre certains détails. Aucun élément du puzzle ne sera survolé, et certaines trouvailles de réalisation illustreront à la perfection le propos de la scène. On se souviendra par exemple du montage détaillant la vitesse croissante d’écoulement de l’or, s’accélérant au même rythme que ce qu’il expose, et faisant ainsi ressentir, simultanément, une mécanique à la vitesse exponentielle et l’urgence des enquêteurs à le retrouver avant qu’il ne soit définitivement impossible à tracer. Brillant.
Le regard systémique sera tout aussi incisif. Livrant des thèmes comme la corruption institutionnelle ou la fracture sociale de cet infameux "Londres sud", dépeint comme un territoire où être la petite amie d’un caïd est une protection bien plus efficace que celle de la police, le portrait dressé de cette Angleterre rongée par les inégalités (et créant donc des criminels ambitieux voulant percer le plafond de verre) est dénué de toute complaisance. Cela nous poussera, très loin d’un quelconque manichéisme, à fréquemment éprouver de l’empathie (et parfois même de la sympathie) pour ces criminels qui pourtant volent, et même parfois tuent. Ce sentiment ne sera que renforcé par l’image de cette police souvent désabusée, cherchant tant bien que mal à restaurer l’ordre et la justice dans une société qui semble bien plus concernée par le premier objectif que le second. On sera ainsi aisément choqué par le premier procès d’un des malfaiteurs, qui tournera à la mascarade avec la bénédiction du juge. C’est dans ces moments que, inversement, notre dégoût pour les criminels sera ravivé, et notre solidarité avec les policiers totale. Autant dire que nous sommes ici à des années lumières d’un clivage gentils contre méchants, il n’y a dans cette série que des êtres humains qui s’affrontent dans une société montrée comme foncièrement injuste, ayant créé elle-même les causes de la criminalité qui la ronge.

Mais ce portrait ne s’arrête pas à l’Angleterre de "Miss Maggie". Paradis fiscaux, pays refusant l’extradition, c’est tout ce système occidental montrant les prospérités du vice et les infortunes de la vertu qui est capturé au fil des épisodes. Certes, les malfaiteurs ont de la ressource et jouent très bien leur partition, mais on a souvent l’impression que le système en place leur facilite bien plus la vie qu’aux enquêteurs, dont seule la ténacité et l’ingéniosité parviendront à faire une différence. Tant mieux pour nous, car cela nous vaudra de changer régulièrement de décors, notamment au travers de la cavale (qui durera des années) de John Palmer (Tom Cullen), passant par l’Espagne et le Brésil au nez et à la barbe des policiers Britanniques.
Il est à noter que rares seront les libertés prises avec l’histoire visibles à l’écran. Le travail de documentation a été réalisé avec beaucoup de sérieux et de rigueur, et si des critiques se sont élevées contre le traitement de la famille Noyce (jugée comme rendue trop sympathique selon certains), c’est au final en parfaite adéquation avec les faits historiques, et justifiant une décision autrement incompréhensible du jury au procès de Kenneth Noyce. D’une façon générale, il n’y a rien de gratuit ou d’arbitraire dans les choix de mise en scène et de narration, seulement une volonté constante de rester nuancé et crédible. Un choix des plus courageux dans une époque de productions souvent plus calibrées qu’honnêtes. Comme les six épisodes ont été écrit par un seul scénariste (Neil Forsyth qui est aussi le créateur de la série), et qu’ils ont été mis en scène par seulement deux réalisateurs (Aniel Karia et Lawrence Gough) avec un parfait équilibre (trois épisodes chacun), il en résulte une continuité et une unité de la mise en scène qui ne font que renforcer ce sentiment de visionner un tout homogène et pensé dans sa globalité.
Et alors que tout nous préparait à une mini-série concluant son propos en une unique saison, la révélation finale (qui n’en sera toutefois pas une pour qui était au fait de cette affaire), autant pour Boyce que pour le spectateur, nous en fera miroiter une seconde. Il y aura donc une deuxième partie à cette chasse à l’or, une nouvelle réjouissante s’il en est. Aucune annonce de production à l’heure actuelle, mais l’accueil critique de la série et son succès domestique sont autant de signes encourageants.

En conclusion, The Gold remplit pleinement son contrat avec le spectateur. Forte d’un contexte et d’un rendu historique léchés, avec un casting dont on sera bien en peine d’y trouver un maillon faible, elle gère habilement son rythme et ne sombrera jamais dans la facilité ou la simplification à outrance. Si vous recherchez un spectacle où tout est noir ou blanc, fuyez, il n’y a ici que des nuances de gris. Sans pour autant tomber dans le piège de l’excès de relativisme (il y a bien des coupables et des victimes dans cette histoire), chaque personnage reste avant tout un être humain. La série n’est pas là pour nous servir des réponses toutes faites, mais seulement pour nous dresser un portrait aussi honnête et documenté que possible des événements. Ce sera à nous, spectateurs, de nous forger une opinion sur les personnages et cette société d’alors, et de nous interroger si, oui ou non, tout ceci a fini par déboucher sur un peu de justice...

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