The Nightingale [DVD / Blu-Ray] : La critique
The Nightingale est un magnifique film qui raconte le passé sanglant de la colonisation de la Tasmanie à travers la vengeance une femme et d’un aborigène lui servant de guide.
Le scénario de la réalisatrice Jennifer Kent suit de près une jeune femme ayant purgé sa peine de prison qui décide de traverser une partie de l’Australie pour retrouver les soldats coupables d’horreur à son encontre et à celle de sa famille. Elle va voyager de concert avec un jeune traqueur aborigène lui servant de guide et ces deux âmes brisées vont progressivement se découvrir des points communs.
L’histoire est très délicatement écrite. À travers ses cinq personnages principaux, elle dresse le constat inexorable d’une violence communément admise s’exerçant à la fois contre les femmes et contre ceux qui sont différents. En se focalisant sur l’histoire, pas forcément connue, de la colonisation extrêmement violente de la Tasmanie et sur l’éradication de quasiment tous les aborigènes qui la peuplait, c’est un pan du passé très violent de l’Australie que Jennifer Kent nous fait découvrir.
Elle s’est d’ailleurs adjointe les services d’un spécialiste de la culture aborigène, et de sa langue, pour rester au plus près de la réalité de l’époque. Elle s’est aussi beaucoup renseignée sur cette période afin d’être des plus véridiques. Cela explique pourquoi certains passages du long métrage sont parlés en Pawala Kani, une langue composée de celles issues des 11 tribus peuplant la Tasmanie et qui est devenue par la suite le langage officiel des aborigènes locaux survivants.
La grande force de Jennifer Kent et de mettre en valeur toutes les brimades, les souffrances et les violences subies principalement par les femmes et les noirs. En ne faisant jamais de compromis, elle montre parfaitement les schémas, quelquefois intégrés socialement, permettant des traitements parfois intolérables.
Sa démonstration est extrêmement puissante, d’autant qu’elle trouve un écho troublant avec ce qu’il se passe encore aujourd’hui et qui n’est pas plus acceptable. Le film écrit avant l’affaire #MeToo est très révélateur de ce que subissent certaines femmes, surtout en position de subalternes, et de la manière dont la considération de certaines minorités continue à mener à des drames.
À travers le miroir réfléchissant de cette quête de vengeance, dont la réalité s’immisce dans la psyché des personnages et la perturbe, l’œuvre propose aussi une belle réflexion sur les effets de la violence et son impact sur ceux qui la perpétue.
En effet, la réalisatrice utilise magnifiquement la forêt et la nuit pour mettre en valeur les regrets et les remords du personnage principal. Avec son premier long métrage, le vraiment intéressant Mister Babadook, Jennifer Kent avait déjà marqué le milieu du genre.
Avec son second film, elle réussit un coup de maître et sait mettre une horreur insidieuse au service de l’histoire qu’elle nous conte. Il n’est donc pas étonnant que The Nightingale ait remporté le Prix spécial du jury à la Mostra de Venise 2018.
Elle magnifie l’extériorisation des angoisses internes du personnage principal à travers des rêves travaillés à l’onirisme parfois sanglant et entêtant. Des passages particulièrement prenants dont l’horreur sourde reste longtemps en mémoire.
C’est aussi un choix de la réalisatrice que d’avoir utilisé un format 4/3 pour le tournage. Il permet de recentrer les personnages au cœur de l’écran et renforce l’impression d’enfermement de ces derniers au milieu de cette forêt vivace et parfois dense. Un enfer foisonnant semblant de temps en temps aspirer ceux qui le traversent au cœur de ses entrailles verdoyantes. La réalisation est tellement puissante, que l’on a parfois l’impression viscérale de sentir les effluves de la forêt et le malaise qu’elle peut créer avec ses espaces étouffants pouvant vous faire disparaître en son cœur à jamais.
La splendide photographie de Radoslaw Ladczuk apporte une grande présence aux magnifiques paysages parcourus par les protagonistes. La forêt, notamment, est un personnage participant pleinement au récit. La nature sait ainsi se faire tantôt dangereuse, tantôt protectrice, alors que le vol du grand corbeau, oiseau protecteur du jeune aborigène, étend son ombre sur le chemin parcouru par les deux protagonistes principaux.
La mise en scène est extrêmement soignée. Le moindre plan est parfaitement maîtrisé et ce qui n’est pas montré est souvent plus horrifique que ce que l’on voit pleinement. Malgré la violence intrinsèque de l’œuvre, une grande subtilité est utilisée dans les plans. Quelques secondes suffisent parfois à couper le souffle, au détour d’une action semblant anodine. Le poids des mots est aussi très grand et ceux-ci font de temps en temps plus saigner que les armes elles-mêmes.
Les silences, les positions des corps et les regards sont tout aussi puissants. Il faut d’ailleurs saluer la prestation splendide d’un casting cinq étoiles qui est particulièrement impressionnant.
Aisling Franciosi crève l’écran dans le rôle-titre. Cette dernière incarne avec brio une femme humaine aux sentiments exacerbés par la colère et la douleur. Baykali Ganambarr, un danseur issu d’une troupe professionnelle, est remarquable dans son premier rôle. Il se glisse avec aisance dans la peau d’un homme déraciné en proie à la haine et au mépris de ceux qui ont détruit toute sa vie.
Les deux comédiens ont une alchimie qui fonctionne parfaitement. Ces deux individus aux existences différentes vont se rapprocher lors de leur périple et créer un étonnant duo. La finesse de leurs personnages et l’osmose qui se tisse entre eux réchauffe le cœur et donne foi dans les qualités humaines. Cette relation naissante, maladroite et empreinte d’une certaine tendresse permet de percevoir de la lumière au fond d’un cloaque de haine, de mépris et de violence maintenue par une société dans laquelle la loi du plus fort prévaut.
Sam Claflin est impressionnant en lieutenant ambitieux et sans cœur. Le comédien campe parfaitement un homme ne se remettant jamais en question et n’ayant nul conscience du mal qu’il fait. Il réussit le tour de force de rendre ce dernier fascinant, et à faire prendre conscience de l’impact délétère d’un tel homme sur son entourage. Damon Herriman est impeccable en sergent admiratif de son supérieur ne remettant jamais en question la violence qu’il déploie vis-à-vis des autres. Harry Greenwood est très intéressant en enseigne obéissant aux ordres et ayant des problèmes de conscience. Il faut aussi signaler le rôle de Charlie Shotwell, très naturel en gamin bagnard faisant tout pour essayer de survivre.
En effet, l’Australie a été peuplée, entre autre, par des condamnés à des peines plus ou moins longues qui n’avaient plus les moyens de rentrer au pays. Des enfants y étaient envoyés pour des petits larcins où parce qu’ils étaient orphelins et devaient composer avec une nouvelle patrie qui les considérait comme de la main-d’œuvre corvéable et sans beaucoup de droits.
Le travail sur les décors, par Alex Holmes, sur les costumes par Margot Wilson, sur les accessoires et sur les maquillages est remarquable. Les cabanes et maisons en bois ont été reconstituées de toutes pièces avec des techniques de l’époque. Certaines tenues ont été tissés spécialement pour l’occasion et des teintures utilisant des procédés du XIXe siècle y ont été appliqués. Ce soin impressionnant apporté aux détails donne parfois l’impression de se trouver devant un documentaire soigneux décrivant avec acuité la vie d’une période révolue.
Le montage de Simon Njoo, tout comme le formidable travail sur le son, renforce l’impression de se retrouver projeté en plein cœur d’une époque impitoyable ne faisant aucun cadeau à ceux qui n’étaient pas des hommes blancs ayant un certain pouvoir, et bien sûr d’origine anglaise.
The Nightingale est un film non seulement nécessaire, mais essentiel pour identifier et comprendre les germes de la violence, notamment faite aux femmes. Avec une histoire brillamment ciselée et extrêmement documentée, une réalisation remarquable, un casting impeccable et des paysages enchanteurs créant un puissant contraste avec le contenu du récit conté, l’œuvre reste longtemps en mémoire et marque le cinéma de son existence.
Impressionnant et fondamental.
SYNOPSIS
1825, dans l’Australie sous domination anglaise. Après avoir purgé sa peine, Clare, une jeune bagnarde irlandaise, va bientôt pouvoir vivre librement auprès de son mari et de son bébé. Mais son officier de tutelle n’en a pas fini avec elle : violée et laissée pour morte, Clare assiste impuissante au massacre de sa famille par des soldats britanniques. À son réveil, au bord de la folie, elle se lance à leur poursuite à travers les terres vierges de Tasmanie avec pour guide un jeune aborigène.
Dans cette région sauvage et isolée, où les lois des hommes ne s’appliquent plus, elle ne reculera devant rien pour se faire justice.
BONUS
Ce sont de très formidables suppléments, pour une durée de 50 minutes, que l’on peut découvrir dans la version proposée par Condor Entertainment. Ils sont le parfait moyen d’en apprendre plus sur le film et d’en comprendre l’acuité et la véracité. Ils sont vraiment d’une très grande qualité et valent franchement la peine d’investir dans l’édition physique pour en prendre connaissance.
Le premier excellent bonus présente les différents personnages du film et les acteurs qui les incarnent. Il donne aussi la parole à la réalisatrice Jennifer Kent, aux producteurs et aux personnes qui ont permis aux protagonistes d’avoir une telle vérité. Notamment un spécialiste de la langue et de la culture aborigène.
Les comédiens racontent la manière dont ils ont été choisis, et la façon dont ils ont appréhendé un scénario riche décrivant des individus humains parfois compliqués à interpréter. En effet, tous ont leurs zones d’ombres et leurs failles et il fallait réussir à les rendre intéressants pour faire prendre conscience de l’horreur de certaines situations.
Le second bonus est tout autant intéressant. Il se focalise sur l’histoire et les décors. En plus des protagonistes intervenant dans le premier supplément, ce sont aussi des membres clés de l’équipe technique qui sont interviewés. Le regard qu’ils portent sur leur profession et la manière dont ils ont mis leurs capacités au service du film est particulièrement captivante à découvrir.
En effet, en 1820 en Tasmanie, les tenues et les habitats étaient différents de ce que l’on a aujourd’hui. Il a donc fallu recréer des techniques de cette époque pour rendre les costumes et les bâtisses en bois vraisemblables.
Le travail fait sur le repérage et la manière dans l’œuvre a été tournée en très grande partie dans la forêt tasmanienne est aussi fort bien mise en avant.
- L’histoire et les personnages (28 minutes)
- Les coulisses du tournage (18 minutes)
BANDE ANNONCE
FICHE TECHNIQUE VIDEO
Disponibilité : DVD / Blu-Ray
Date de sortie : 15/04/2021
Audio : Français, Anglais
Sous-titres : Français
Durée du film : 2 h 10
FICHE TECHNIQUE FILM
Titre original : The Nightingale
Réalisateur : Jennifer Kent
Scénariste : Jennifer Kent
Interprètes : Aisling Franciosi, Sam Claflin, Baykali Ganambarr, Damon Herriman, Ewen Leslie, Harry Greenwood, Magnolia Maymuru, Charlie Shotwell
Photographie : Radoslaw Ladczuk
Montage : Simon Njoo
Musique : Jed Kurzel
Costumes : Margot Wilson
Décors : Alex Holmes
Producteur : Kristina Ceyton, Steve Hutensky, Bruna Papandrea pour Causeway Films, FilmNation Entertainment, Made Up Stories, IFC Films
Distributeur : Condor Entertainment
LIENS
PORTFOLIO
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