[Exclusif] Wonderland le royaume sans pluie : La rencontre avec Keiichi Hara
Dans le cadre du Festival d’Annecy 2019 où le film Wonderland le royaume sans pluie est en compétition, Keiichi Hara a donné une interview exclusive à Unification.
Je tiens à remercier vivement le grand maître de l’animation qui a apporté des réponses passionnantes à mes questions.
Je remercie aussi l’équipe de Games of Com qui a rendu cette interview possible et la très bonne traductrice qui a permet cet échange avec le réalisateur japonais.
Vous faites partie de cette vague de réalisateurs japonais qui ces 15 dernières années enchantent l’animation japonaise et mondiale tels que Mamoru Hosoda, Makoto Shinkai, Masaaki Yuasa ou encore Naoko Yamada pour n’en citer que quelques-uns. Comment expliquez-vous cette multiplicité de projets créatifs qui donnent des films ne s’adressant pas en grande partie à des enfants, et traitant de sujets universels ?
Je pense que l’animation japonaise a évolué de manière incomparable à d’autres pays étrangers. Les États-Unis ont toujours fait des dessins animés destinés aux enfants et ils continuent encore aujourd’hui. Alors qu’au Japon, les films d’animation ne sont pas réservés qu’aux enfants, mais ils peuvent être très bien vus par des adultes. Et si c’est le cas, c’est parce que c’est lié à la tradition de la narration. Si l’animation japonaise arrive avoir une telle place dans le monde, c’est bien grâce à la force de sa narration.
Ce n’est pas des animateurs d’animes d’aujourd’hui qui ont fait ça. Ce sont des réalisateurs, des animateurs, des personnes qui ont fait des films que j’ai regardé quand j’étais petit. Ce sont eux qui ont fait évoluer l’animation japonaise, car ils ont fait de grands efforts pour que les films puissent s’adresser à des adultes. Donc c’est vraiment la succession des réalisateurs du passé qui fait qu’on a cette tradition de faire des animes s’adressant aussi aux adultes.
Vous avez été connu en France grâce à votre film magnifique Colorful, qui a suivi le superbe Un été avec Coo. Ce long métrage a été projeté au festival d’Annecy en 2011. Vous avez aussi participé à ce même festival en 2015 avec le formidable Miss Hokusai et vous y avez d’ailleurs eu plusieurs prix pour vos œuvres. Quel effet cela fait de revenir une troisième fois en France pour participer encore à ce festival ?
Je suis évidemment très heureux de pouvoir revenir en France, et notamment au festival d’Annecy.
Le public français apprécie beaucoup les mangas et l’animation japonaise. Est-ce que vous avez senti une différence entre ce public et celui japonais ?
Je pense que dans le public d’Annecy, il y a vraiment des gens très intelligents. Et je sens qu’ils comprennent mieux que les Japonais mes films. En fait, les spectateurs japonais, quand ils regardent des films, ils sont tellement silencieux que je ne sais pas s’ils ont aimé ou non le long métrage.
Votre dernière œuvre, Wonderland le royaume sans pluie, est absolument superbe. Il s’agit de l’adaptation d’un auteur japonais malheureusement inconnu en France, Sachiko Kashiwaba, même si l’un de ses romans a inspiré Le voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez souhaité adapter ce livre plus particulièrement ?
Ce n’était pas ma volonté d’adapter ce roman en animation. On m’a demandé de l’adapter. Et quand j’ai lu pour la première fois le livre original, je l’ai trouvé extrêmement ennuyeux. Donc j’ai demandé à ce que je puisse tout changer. Et c’est ce que j’ai fait.
Wonderland le royaume sans pluie est un conte initiatique qui est un véritable appel à la rêverie, d’autant que votre travail extraordinaire sur les couleurs le rend particulièrement chatoyant. Il y a aussi une véritable réflexion sur la technologie et sur le respect de la nature qui trouve un écho très actuel. Vous avez d’ailleurs montré cela très bien dans le choix de vos couleurs, notamment concernant la cité très industrialisée qui est montrée. Est-ce que vous avez amplifié ce contraste volontairement ?
J’ai évidemment pensé à l’opposition des deux mondes, mais en même temps je ne voulais pas que ce soit un message à faire passer dans le long métrage. Je voulais avant tout réaliser un film de divertissement. Et dans ce type d’œuvre, si le message est trop fort, cela en fait perdre l’intérêt. Donc j’ai atténué ce message.
Comment vous avez eu l’idée d’utiliser les couleurs d’une telle façon ? On a vraiment l’impression d’être dans un tableau qui vous entoure et qui prend vie.
C’est un film qui parle d’un monde fictionnel, et c’est aussi un road movie. Je voulais que le public voyage avec les personnages principaux et qu’il découvre des différents mondes, des différents univers au cours de ce voyage. Au fur et à mesure que les personnages avancent, les paysages changent et les couleurs changent. Et je voulais que le public prenne aussi plaisir à voyager.
Dans vos œuvres, on trouve de très beaux personnages humains. Les thématiques de la jeunesse, de la vie, de l’amitié et du courage sont toujours très bien traitées. Qu’est-ce qui vous attire dans ces protagonistes que vous confrontez toujours à du fantastique, même si c’est moins marqué dans Miss Hokusai ?
Si je parle de mon dernier film, j’ai décidé que le personnage principal serait une citadine venant de Tokyo, qui est une très grande ville japonaise. Elle a une vie très confortable. Dans sa vie quotidienne, elle a tout ce qu’il faut et c’est une fille très timide. Je voulais qu’en allant dans Wonderland, elle ressente le décalage avec sa propre vie réelle. Dans Wonderland, il n’y a ni téléphone portable, ni électricité, ni télévision, et la vie n’est pas du tout confortable. Elle ne peut pas faire comme à la maison où elle a tout ce qu’elle veut. Et donc, elle est obligée de faire un effort pour acquérir des choses, ou avoir un certain confort. Et donc j’ai voulu amplifier la différence entre ces deux mondes pour montrer un personnage qui évolue.
Votre travail est très cinématographique. C’est aussi pour cela que vos personnages ont une telle épaisseur et que l’on est complètement happé par votre histoire. Vous avez déjà réalisé un film qui n’était pas d’animation. Pouvez-vous nous parler des différences entre un film traditionnel et un anime ?
En réalisant pour la première fois un film en prise de vue réelle, j’ai bien compris qu’il n’y avait pas de différence entre l’animation et le cinéma live. Et dans les deux formats, on peut tout à fait faire des films de divertissement, et on peut tout à fait transmettre de l’émotion.
Pour moi, il n’y a pas de différence, mais dans le concret il y a des différences. Dans le cinéma, c’est le budget qui détermine tout. C’est-à-dire que s’il n’y a pas assez d’argent, il y a forcément des séquences qui ne sont pas réalisées. S’il n’y a pas de budget, il faut tourner le film très vite. Alors que dans l’animation, même s’il y a des séquences extraordinaires, si on sait dessiner, on peut tout réaliser. Et en termes de temps, on peut prendre beaucoup plus de temps que dans le cinéma en prise de vues réelles. Donc c’est plutôt la façon de faire et dans la méthode concrète qu’il y a une différence. Mais sinon en termes de résultats, pour moi, il n’y a pas de différence.
Je peux aussi parler d’autres différences entre les deux formats. Dans le cinéma en prises de vues réelles, évidemment, on est très dépendant du climat et de la météo. Alors qu’en animation, si on dessine des images d’une saison différente, c’est tout à fait possible. En prises de vues réelles, il faut tourner le soir ou le matin certaines séquences. Et quand j’ai réalisé mon film en prises de vues réelles, j’étais très stressé par la météo.
Est-ce que pour votre prochain projet vous avez envie de refaire un film avec de véritables acteurs ?
Actuellement, j’ai quelques idées de nouveaux films. Et la question que je me pose au début, quand j’ai une nouvelle idée de film, c’est : « Est-ce que je vais le réaliser en animation ou en prises de vues réelles ? »
Au cours de votre carrière, vous avez occupé de nombreux postes dans l’animation. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le fait d’être un réalisateur ?
C’est un peu contradictoire, parce que ce que j’aime le plus, et c’est aussi ce qui est le plus pénible pour moi, c’est l’écriture du story-board. Je crois vraiment que c’est le story-board qui est l’élément le plus important dans la création. Pourquoi est-ce que c’est si important ? Parce qu’avant l’écriture du story-board, on ne travaille que sur les dessins, alors que dans le story-board, pour la première fois, on a une notion de temps. En effet, pour chaque plan, je dois écrire la durée en seconde. Et c’est avec la notion de temps, que ces images deviennent un projet de film. Et c’est le story-board qui détermine le rythme du film.
Pour vous expliquer concrètement comment je travaille dans l’écriture du story-board, je travaille toujours sur du papier. Je dessine avec des crayons, et pour chaque plan, je réfléchis à l’angle de la caméra, à l’expression des visages des personnages est aux dialogues. Et une fois que tout cela est déterminé, je prononce moi-même les dialogues, et je calcule le temps nécessaire à ces derniers avec un chronomètre. C’est comme cela que je construis mes story-boards.
C’est-à-dire qu’écrire le story-board d’un film entier, c’est avoir dans ma tête l’idée complète du film en entier.
Il y a plus en plus d’anime qui sont faits de par le monde. Est-ce qu’il est facile de réaliser un projet aussi ambitieux que votre dernier film qui traite d’une histoire différente de ce que l’on peut voir actuellement sur les écrans ?
C’est sûr qu’il y a aujourd’hui tellement de films produits que le budget de chaque film est de moins en moins important. Et donc cette fois aussi, je n’avais pas le budget que je voulais et je n’avais pas assez de temps pour réaliser le film. Et en plus, tous ces différents projets sont produits en même temps, et donc il manque toujours des animateurs, et surtout des bons animateurs qui peuvent maintenir la qualité du film. Dans ce contexte, on trouve de plus en plus d’étrangers qui travaillent dans l’industrie de l’animation japonaise. Du coup, les jeunes Japonais ne sont plus formés comme avant. Et cela aussi, c’est un souci que tous les réalisateurs ont.
Et donc, je pense que ce serait bien que les jeunes animateurs français qui s’intéressent à l’animation japonaise viennent travailler au Japon. Je pense qu’il y a une sorte d’équité dans l’industrie de l’animation Japon. Il n’y a pas de discrimination. Il n’y a pas de différence entre hommes et femmes, pas de différences de nationalité et tous les âges sont acceptés. S’ils font un bon travail, ils sont acceptés, même s’ils ne parlent pas le japonais. J’espère qu’il y a des gens étrangers qui pourront venir travailler au Japon.
Vous parliez de la narration, vous parliez du scénario, est-ce que vous avez déjà travaillé avec votre femme, Miho Maruo, qui est scénariste, en dehors de Wonderland le royaume sans pluie ?
En fait ce n’est pas du tout la première fois que je travaille avec elle. Elle est aussi la scénariste de Colorful et de Miss Hokusai. Et elle a travaillé sur de nombreux autres films.
Pouvez-vous nous parler de votre prochain projet ?
J’ai plusieurs idées dans la tête, mais il y a un projet concret qui est déjà assez avancé et dont malheureusement, je ne peux pas parler.
J’espère revenir en France avec mon nouveau film rapidement.
Wonderland le royaume sans pluie est un très beau dessin animé plein de poésie et de merveilles visuelles parlant d’un voyage épique et de beaux sentiments. La critique complète sera disponible pour la sortie du film en salle le 24 juillet 2019.
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