Severance : Retour sur la Première Saison
SEVERANCE
Date de diffusion : 18 février au 9 avril 2022
Plateforme de diffusion : Apple TV+
Réalisateur : Ben Stiller ; Aoife McArdle
Showrunner : Dan Erickson
Interprètes : Adam Scott ; Zach Cherry ; Britt Lower ; Tramell Tillman ; Jen Tullock ; Dichen Lachman ; Michael Chernus ; John Turturro ; Christopher Walken ; Patricia Arquette
LA CRITIQUE
Un pitch accrocheur, un casting avec des seconds rôles cinq étoiles, un fond de dystopie fantastique/science-fiction, une esthétique particulière... Dès le départ, Severance avait tout pour intriguer. Mais trop de concept similaire - tel que Maniac sur Netflix - n’ont pas trouvé leur public pour être totalement emballé d’emblée. Et pourtant, la création de Dan Erickson, va marquer de son empreinte l’année 2022 et bien plus encore, tant la forme, et surtout le fond, ont été soignés.
Extrapolation de l’aliénation
Le travail est très rarement exploité comme thématique principale dans les productions sur grand et petits écrans, ou du moins du côté mainstream de la scène occidentale. Il est vrai que certains métiers sont mis en avant, mais peu la réalité banale et quotidienne que la majorité des spectateurs connaissent.
Severance part d’une idée simple : Imaginez une opération chirurgicale permettant de dissocier votre personnalité privée de votre personnalité professionnelle. Parfois, certaines créations pensent qu’une bonne idée se suffit à elle-même, sans creuser les différentes pistes qu’elle offre. Ici, de manière très fine, la série va pousser la réflexion et nous interroger quant à notre rapport au travail.
Comment gérer un travail déshumanisant et insensé lorsque notre vie se perd ? Sommes-nous vraiment la même personne entre notre cercle privé et professionnel, est-ce possible d’ailleurs de se « dissocier » ? A quel point devons ou pouvons-nous nous soumettre à une entreprise afin de pouvoir (sur)vivre ? Est-ce bien sain de se dévouer corps et âme à une giga-corporation ? Ici, on explore tous ces sujets et même plus, quitte à pousser le délire le plus loin possible. D’autant que tout ne se déroule pas uniquement au sein des locaux de Lumon Industries et la société autour interroge le choix de ceux qui se décident à aller travailler dans ce bunker géant.
Dans une époque où le rapport au travail est questionné, dans laquelle les risques socio-professionnels sont de plus en plus présents, l’aliénation n’est plus la norme dans les esprits modernes, Severance apporte, avec un habillage de série mystérieuse, une multitude de questionnements bien pensés et surtout les approfondit.
Labyrinthe filmique
L’autre point fort est donc d’emballer le fond dans une forme de thriller psychologique autour du personnage de Mark Scout (Adam Scott). Il a décidé volontairement, après le décès de sa femme, de travailler pour Lumon. Son constat est plutôt simple, il passera mécaniquement moins de temps à penser à son malheur si huit heures par jour il n’est plus lui-même.
C’est bien là l’enjeu scénaristique de cette première saison, les dissociés ont leur vie propre. Ils ne se souviennent plus de leurs identités, leurs « Outie », travaillent sans savoir à quoi cela sert et doivent se soumettre à toute une mythologie, voire une religion, autour de la famille créatrice de l’entreprise, les Eagan. La malice, afin de nous présenter tout le fonctionnement dans ces sous-sols, réside dans l’arrivée dans l’équipe de Mark, au service du traitement des données, d’une nouvelle collègue, Helley Riggs (Britt Lower). Nous avons donc le droit à une visite des locaux, au travers de couloirs blancs labyrinthiques qu’aucun concepteur sain d’esprit n’aurait conçu, la genèse de la compagnie, l’activité au quotidien et le management délirant.
Tout est fait pour que le spectateur se perde dans cet enfer salarié et se demande comment il se serait comporté dans pareil environnement. Plusieurs sous-intrigues, liées d’une manière ou d’une autre, toujours écrites finement, donnant une impression de cohérence dans un désordre constant.
La mise en scène joue parfaitement dans ce labyrinthe et ces grands espaces clos. Les protagonistes baignent dans une absurdie et la caméra met en exergue l’irrationalité de ces locaux professionnels et de cette ville qui ne semble pas réellement avoir de cohérence géographique. Mettre ces quatre tables d’open-space collées dans une immense pièce vide permet, au-delà de l’effet comique, des prises de vue nouvelles constantes. On prend un certain plaisir à voir à chaque épisode une autre manière de poser sa caméra pour capter les interactions entre les membres et sur leurs espaces personnels. La réalisation a globalement la bonne idée d’installer des plans fixes, rarement à hauteur humaine, accompagné d’un montage limitant les cuts, permettant une immersion dans cette bulle où rien n’est vraiment normal.
Pour ceux qui l’ignorent, Ben Stiller est un bon réalisateur – La Vie Rêvée de Walter Mitty par exemple est truffée de plan somptueux et de bonnes idées – et on sent toute sa patte technique. Severance est peut-être sa plus belle création derrière une caméra pour le moment.
Juste Mélopée
Severance est aussi une ode au silence. Dans les années 2020, le sound design est devenu l’une des matières du cinéma et des séries dans laquelle il est aisé, pour peu qu’on s’en donne les moyens, d’avoir un travail sonore de qualité. Ici, l’ambiance tend vers le calme. Une quiétude qui, une fois brisé, marque systématiquement.
Bien évidemment, impossible de passer outre le thème musical de Theodore Shapiro. Au-delà du générique, cette mélodie au piano correspond parfaitement à l’univers de cette série. Il est rare qu’un air sied parfaitement à une création tel que celui-ci. Un emballage auditif qui tombe toujours au bon moment et ne vient pas casser l’ambiance lancinante si agréable.
Jeu parfait
Severance est aussi soutenu par un casting de haute volée et des performances toutes plus justes les unes que les autres. A commencer par Adam Scott – connu notamment pour son rôle dans Parks & Recreations, regardez cette série trop méconnue de notre côté de l’Atlantique – dans le rôle principal de cet homme qui tente de continuer une vie qui n’a plus vraiment d’intérêt en dehors de la grossesse de sa sœur. Son double est un employé honnête, globalement sympathique, essayant d’être un chef de service du jour au lendemain. Scott arrive, alors qu’il joue deux personnages différents techniquement, à créer un lien dans son jeu rassemblant ces deux personnalités.
Au rayon des seconds rôles, qui en réalité n’en sont pas vraiment dans cette création presque chorale, commençons par les stars : John Turturro, Christopher Walken et Patricia Arquette. Chacun.e dans des rôles très différents de leurs standards habituels apportant toutes leurs expériences et leurs charismes à ces personnages.
Le reste des comédiens est au diapason malgré des carrières plus modestes. A commencer par Britt Lower qui réussit à nous donner envie d’être empathique avec elle durant toute la saison, avant de connaitre sa réelle identité. Zach Cherry (Dylan) est hallucinant de bonhommie et de gêne, Tramelle Tillman (Seth) toujours sur un fil entre la crainte qu’il peut faire ressentir et l’employé modèle, Jen Tullock (Devon) en sœur qui fait tout pour tenir son frère à bout de bras et prête à devenir une mère moderne. Une performance globale marquante qui porte cette œuvre dans les séries les plus impressionnantes de ces dernières années.
Severance est une création hypnotique, profonde, questionnant notre quotidien, avec une imagerie et un habillage maitrisés et signifiants, accompagné d’une intrigue mystérieuse cohérente. Une indispensable qui connait une deuxième saison amplement méritée en 2025.
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