Star Trek Discovery : Review 3.03 People of Earth
Les retrouvailles entre Michael Burnham et le Discovery avaient un goût de trop peu la semaine dernière. C’était pour mieux les montrer cette semaine.
Je râle assez souvent sur le trop-plein de démonstration de scènes émotionnelles dans cette série pour reconnaître que, dans ce cas précis, c’est totalement justifié.
J’ai particulièrement apprécié la façon dont l’épisode montre, par petites touches, comment la psychologie des personnages a évolué avec les traumas qu’ils ont traversé. L’année passée par Burham en dehors de Starfleet ne l’a pas fondamentalement changé, pour autant, cela suffit pour la déphaser avec ses collègues qui ont à peine eu le temps de penser aux conséquences de ce bond dans un futur lointain.
Si je ne suis pas toujours fan de ce qui est fait avec le personnage de Georgiou, cela m’a bien fait sourire de la voir en observatrice malicieuse des comportements des uns et des autres. En tout cas, on peut compter sur elle pour asséner certaines vérités qui peuvent faire mal.
Je n’ai pas été trop étonné de la situation dans laquelle s’est retrouvé la Terre. Ce repli sur elle-même et ce rejet des relations extérieures sont, bien entendu, à mettre en parallèle avec un certain pays qui doit voter pour élire son président le 3 novembre...
L’épisode est aussi l’occasion d’introduire un nouveau personnage attendu. Adira Tal est joué-e par Blu Del Barrio, interprète non-binaire. C’est donc assez intelligent d’en avoir fait l’hôte d’un symbiote Trill, mais dans le corps d’un humain, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes psychologiques. Son introduction dans la série est très réussie, même si on sent qu’il va y avoir de la concurrence avec Tilly dans le coté petit génie énervant.
Et c’est alors que je me suis retrouvé dans la même situation que l’épisode précédent. Comme la semaine dernière, je me préparais à mettre une très bonne note à cet épisode quand les scénaristes, à mon avis, se sont pris les pieds dans le tapis et se sont fracassés le nez contre la cloison du vaisseau.
Est ce quelqu’un peut m’expliquer comment la Terre, même sans Dilithium, n’a pas pu voir l’explosion sur Titan, ne pas avoir répondu à un message de demande d’aide de sa colonie qui je le rappelle, ne se trouve pas de l’autre coté de la galaxie, mais autour de la plus grande lune de Saturne. Bref, dans Star Trek, c’est comme si votre voisine de palier faisait cramer son rôti et que l’odeur de brûlé n’atteignait pas votre appartement. L’ensemble de la résolution de cet épisode est donc une vaste connerie, mais vaste comme le Stade de France.
C’est donc rageant d’en aimer 95 % et de voir les 5 % restant d’un épisode vous gâcher le plaisir.
FM
Dans une large mesure, les deux épisodes précédents pourraient être considérés comme des préludes (mise en place contextuelle d’un cadre vierge pour une ère nouvelle), tandis que DIS 03x03 Poeple Of Earth serait plutôt le véritable pilote d’une série distincte et "retconée" : la saison 3 de Discovery.
Débutant par un journal de bord de Michael couvrant subjectivement son année picaresque aux côté de Book (et illustrant en image les différentes étapes de son changement de coiffure, les nitpickers pouvant d’ailleurs s’étonner de la vitesse à laquelle ses cheveux ont poussé), ce starlog établit la jonction par la captation d’un signal qui la conduira à arracher l’équipage de l’USS Discovery aux griffes de la glace parasite.
S’ensuivront des retrouvailles expansives et sensuelles entre l’équipage servant et l’Elue du destin. Point de ladrerie, allez, il y a vraiment des larmes et des câlins pour tout le monde, à volonté. Et un bain de foule pour l’enfant prodigue devenue vedette intergalactique…
Rapidement, Mary-Sue met au parfum le personnel sur la configuration décliniste du 32ème siècle et sur son épopée survivaliste au côté du bachelor le plus cool de la galaxie. La mission qu’elle assigne à son équipage, c’est de comprendre la raison du Burn et restaurer la Fédération dans toute sa gloire. Première étape : aller à la rencontre de l’amiral Senna Tal qui, voilà douze ans, avait envoyé depuis la Terre sur une fréquence obsolète de Starfleet un message de ralliement à l’attention de tous les "vrais croyants" en la "religion Fédération". Et depuis les tréfonds quadrant bêta, seul le spore drive de l’USS Discovery permet de regagner le berceau de l’UFP, car les moteurs à distorsion sont devenus bien impuissants avec la carence générale de dilithium.
Book sera du voyage, son vaisseau du 32ème siècle ayant comme par hasard les mensurations idéales pour se parquer à l’intérieur du vaste hangar à navette… et un bouclier occulteur capable de masquer (et ainsi soustraire à la prédation générale des pirates) la vaste réserve de dilithium dont dispose le vaisseau du 23ème siècle. Enfin, à grade pourtant égal (commander en VO ou capitaine de frégate en VF), Burnham délaisse spontanément et "augustement" à Saru la capitainerie, croisant quant à elle dans des sphères plus hautes...
Grâce à Stamets et sa propulsion mycélienne magique, l’USS Discovery se matérialise instantanément à proximité de Saturne (clin d’œil à ST 2009), supposément hors de la portée des scanners de la Terre. La stratégie de Burnham étant de faire croire aux autorités terriennes du 32ème siècle que l’USS Discovery (caractérisé par un design du 23ème siècle) aura mis plusieurs siècles pour revenir au bercail à vitesse subliminique. La Terre est désormais protégée par un bouclier planétaire, et face à l’interpellation peu accueillante de la capitaine Ndoye de l’United Earth Defence Force, Saru se présentera comme le capitaine d’un vaisseau générationnel revenant d’une mission scientifique classifiée de longue durée (on songera par exemple à TNG 02x20 The Emissary). En ces temps sombres dominés par le règne des pillages de dilithium raiders, il n’est pas simple de convaincre l’autorité terrienne de la bonne foi de l’USS Discovery, et le vaisseau sera alors soumis à une inspection musclée… ce qui conduira – pour mieux se fondre dans le décors et prévenir les suspicions de piratage – le mercenaire "true believer" Cleveland Booker à revêtir l’uniforme d’un lieutenant de Starfleet et Mirror-Georgiou carrément celui d’une amirale.
Grand choc pour tout le monde (les trekkers compris) : la capitaine Ndoye révèle que suite au Burn ayant quasiment détruit toute la flotte de Starfleet, le gouvernement de l’UFP et l’amirauté de Starfleet se considéraient très exposés et ils ont quitté la Terre pour une destination inconnue. Depuis un siècle, quoique sous le siège permanent d’attaques de pirates, la Terre a appris à devenir autosuffisante (en ressources et en défense) et elle n’est de facto plus membre de l’UFP. Quant à l’amiral Senna Tal, il est décédé il y a deux ans en quittant la Terre pour une destination inconnue…
En parallèle dans la salle des machines, une jeune inspectrice terrienne de seize ans, Adira, particulièrement éveillée et curieuse, manifestera une grande curiosité pour tout l’équipement en relation avec le spore drive, jusqu’à manifester des signes de compréhension qui auront le don d’agacer au plus haut point l’ingénieur Stamets et Tilly. Par la suite, ces deux derniers découvriront que la géniale Adira aura réussi à saboter discrètement, au su et au vu de tous, le système de téléportation autonome des inspecteurs terriens conduits pas Ndoye, visiblement pour empêcher leur retour sur Terre et rester ainsi plus longtemps à bord de l’USS Discovery. Au lieu de la dénoncer, Stamets établira un dialogue privé avec elle entre deux tubes de Jefferies. Par un échange d’informations confidentielles, Adira apprendra en quoi consiste la "propulsion mycologique" magique, tandis que Stamets découvrira que, toute humaine qu’elle soit, elle porte en elle un symbiote trill… dont l’hôte précédent n’était autre que l’amiral Senna Tal, officiellement tenu pour mort ! Et si elle empêché les inspecteurs de quitter le vaisseau, c’était pour se donner davantage de temps pour évaluer la fiabilité de l’équipage de l’USS Discovery qu’elle souhaite rejoindre. Le monde est petit, et décidément tout s’organise très vite et très bien dans le Burnham-verse. Néanmoins, histoire de faire durer un peu le serial (il reste quand même dix épisodes à remplir), Adira n’a pas accès aux souvenirs de Tal (pour le moment…).
Soudain, une flotte de raiders conduite par le redoutable pirate extraterrestre Wen (appartenant à une espèce inconnue des spectateurs, visuellement inquiétante, et harcelant sans cesse la Terre) exige que l’USS Discovery lui remette son dilithium, car son inexplicable apparition dans le système solaire impliquerait qu’il en possède. Dans le dos de Saru, Burnham et Book échafaudent alors un plan, forts de leur grande expérience commune de la piraterie. Le vaisseau de Book sort alors du hangar à navette sans autorisation, désactivant ses boucliers occulteurs pour faire apparaître au grand jour les réserves de dilithium afin d’appâter le pirate. Tablant sur une réaction solidaire de Saru (qui fera effectivement bouclier de l’USS Discovery pour protéger Burnham et Book des tirs terriens), Burnham réussit à convaincre Wen qu’elle a volé le dilithium de l’USS Discovery pour le lui offrir, et celui-ci abaisse ses boucliers avec une naïveté confondante, ce qui permet alors aux deux larrons de capturer le redoutable pirate… pour l’offrir en trophée à la capitaine Ndoye et aux forces de défense de la Terre unie. L’épisode se garde bien de fournir des détails sur l’exacte stratégie suivie, se contentant d’aligner des référents aventuriers connus seulement de Mary-Sue et de son sidekick sexy, et préférant l’effet de surprise et l’humour du "special delivery" sur la passerelle.
Mais durant toute cette opération de haute manipulation, seule Mirror-Georgiou aura l’intelligence de comprendre par elle-même les intentions réelles de Burnham tandis que Saru restera à la ramasse, furieux que Burnham l’ait ainsi "trahi". Ah, la perpétuelle supériorité des impératrices génocidaires sur les pauvres boyscouts de Starfleet... Malgré tout, évitant de réitérer les erreurs de DIS 01x01 The Vulcan Hello, conservant sa foi envers Mary-Sue en dépit de sa colère, il n’hésitera pas à mettre en danger de mort son équipage (le premier tir terrien ayant détruit les boucliers de l’USS Discovery, le second s’apprêtant à détruire le vaisseau lui-même).
Et après que Wen fut livré à Ndoye, Mirror-Philippa comprendra aussi sec qu’il n’est pas celui qu’il prétend et lui retirera de force son masque d’Halloween (à la façon d’une décapitation). Surprise, loin d’être un alien, le terrible Wen est en réalité un pauvre terrien déshérité des Belters, oups, de la colonie de Titan, abandonnée par la Terre et tentant de survivre par voie de piraterie.
Burnham et Saru font alors comme il se doit la leçon à Ndoye et à Wen, et ils énoncent doctement les bénéfices du dialogue mutuelle. Quelques secondes après, un accord et conclu entre les deux parties. Et la capitaine terrienne, reconnaissante et admirative, autorise Adira à rejoindre l’USS Discovery, et finalement l’équipage de l’USS Discovery à franchir le bouclier orbital pour renouer avec le berceau planétaire.
Burnham présente en privé ses excuses à Saru pour l’avoir exclu de la boucle, mettant ça – avec une belle dose d’amnésie sélective (cf. la première saison de DIS notamment) – sur le compte de son année de "liberté sans entraves" (pour reprendre le langage de l’impératrice terran). Suite à quoi, elle accède officiellement à la fonction de Number One de l’USS Discovery.
Quant à Tilly et cinq autres officiers de passerelle, ils feront un pèlerinage sylvestre sur les vestiges de ce qui était Starfleet Academy dans les temps jadis... Mais ce shore leave sera de bien courte durée, car le destin et la providence n’attendent pas : les "aventuriers de la Fédération perdue" doivent repartir pour lancer la grande Reconquista galactique.
Désormais, la messe est dite ! Que ce soit Burnham à travers son log résumant un an d’immersion au 32ème siècle ou la capitaine Ndoye de l’United Earth Defence Force, la Fédération n’a pas été capable en 800 ans (i.e. avant même le Burn) de développer des technologies de distorsion sans dilithium (alors que même les signes d’alertes d’un tarissement du dilithium étaient supposés se multiplier dès le 29ème siècle d’après Burnham). La Fédération a encore moins été fichue de développer d’autres technologie de FTL puisque le script ne les évoque même plus. Soit une stagnation épistémologique et évolutionniste aussi invraisemblable (au regard de la dynamique civilisationnelle post-loi de Moore qui précède ici la déchéance ou l’involution) qu’insultante (pour le méta-genre SF dont la vocation même est de construire et de conjecturer).
Pire, tout cela contredit frontalement ce qu’avait montré le Star Trek bermanien :
dilithium non conditionnel à la distorsion et n’ayant qu’une fonction énergétique dans les réacteurs matière-antimatière ;
multiplication des technologies alternatives de FTL dès le 24ème siècle :"soliton wave", conduits de "transwarp", wormholes artificiels, "quantum slipstream drive", "spatial trajector", "displacement wave", "Tash’s catapult", portails iconiens… et même (via Kelvin) le "transwarp beam" de Scotty ;
dépassement complet et obsolescence de la distorsion au 29ème siècle et a fortiori au 31ème siècle via les portails spatio-temporels crypto-iconians de Starfleet...
Mais maintenant, c’est officiel selon Discovery : le dilithium est l’Épice de Dune ! Aucun voyage en FTL n’est possible sans l’Épice !!! On se demande alors bien comment Zefram Cochrane avait pu faire avec son vol inaugural en 2063 sans dilithium. Et quid de toutes les civilisations qui n’ont pas de dilithium dans leurs systèmes stellaires (soit la plupart d’entre elles puisque le dilithium est très rare) ?
Par un effet de dominos, ce sont donc les fondements paradigmatiques mêmes de la Prime Directive que la saison 3 de Discovery fait désormais et rétroactivement voler en éclats...
Toutes classifiées que devinrent ces informations par l’absurde volonté de Spock et de Pike à la fin de DIS 02x14 Such Sweet Sorrow Part 2, l’Histoire a systématiquement prouvé que "nécessité fait droit". Qu’il s’agisse du voyage temporel partiellement "magique" développé par la Section 31 ou du spore drive non moins "magique" inventé par Starfleet, pour peu que surviennent des événements tragiques mettant en péril la survie collective – et il ne pourrait exister de raison plus impérieuse que le Burn – de tels recours scientifiques ne pouvaient qu’être inéluctablement exhumés des archives et déclassifiés. Idem bien entendu pour toutes les technologies dont disposait le Starfleet de Daniels au 31ème siècle, en dépit de la prétendue interdiction/destruction des technologies temporelles invoquée par Book dans DIS 03x01 That Home Is You.
Et en supposant même que dans la timeline de Discovery (de facto distincte de celle des séries historiques où les officiers de la Section 31 ne s’exhibaient pas au grand jour comme des rock stars), Starfleet ait été suffisamment Bisounours pour détruire matériellement toutes les recherches relatives à la propulsion mycologique, sa non-redécouverte par la postérité n’en est pas moins invraisemblable ! Car il existe une inéluctabilité heuristique à partir d’un certain niveau de connaissance et d’interaction. Les conditions qui avaient conduit Stamets et ses collègues à découvrir le mycelial network dans un 23ème siècle qui n’en avait guère le besoin se seront fatalement réitérées à foison dans les siècles suivants à l’échelle d’une Fédération multi-civilisationnelle, a fortiori durant une ère post-Burn où la recherche de FTL alternatifs deviendrait vitale. Rien qu’une saga pourtant fort "blockbusterienne" comme Terminator réussissait à être incomparablement plus réaliste en montrant, opus après opus, que la destruction des travaux de Miles Dyson et sa propre mort (dans le second opus) n’empêchait pas en soi l’émergence de Skynet (ou de variantes nommées différemment), mais simplement la retardait. Il aurait dû en être de même pour le spore drive dans une chronologie temporelle de SF tant soit peu réaliste.
Quant à l’explosion simultanée de tout le dilithium de l’univers, c’est un phénomène qui peut difficilement s’expliquer par la science (dans le sens de la réfutabilité de Karl Popper et de la non-localité à la fois relativiste et quantique), mais par une influence "surnaturelle" (par exemple l’action pan-télékinétique d’une déité pour synchroniser toutes les périodes atomiques – radioactives ou autres – à travers l’univers), ce qui s’enracinerait dans un paradigme de fantasy. Il serait alors tentant de songer à Q... sauf que justement le Continuum n’a jamais tenté de modifier (probablement par impossibilité) la nature de la réalité ni les constantes universelles.
Bref, les deux premières saisons de DIS étaient totalement incompatibles avec le ST roddenberrien ; la troisième s’avère totalement incompatible avec le ST bermanien. Beau progrès en effet !
Mais Kurtzman et son aréopage de Secret Hideout n’ont même pas dû réfléchir à ces mécanismes de causalité profondément intriqués dans la systémique du STU/Trekverse... et par extension de n’importe quel univers de SF. Il n’est pourtant pas possible de développer une science-fiction digne de ce nom sans une respect profond de la trame temporelle et sans une articulation maîtrisée des champs de causalité. C’est là un préalable à tout worldbuilding sur le temps long.
Hélas, le seul "contenu" qui importe dorénavant dans ce ST déchu, c’est le pathos sérialisé... Les showrunners s’imaginent probablement que c’est la "formule magique" pour empêcher les spectateurs de penser... et les dissuader d’ouvrir les mystery boxes nonsensique (TGCM) servies en lieu et place de scripts.
Quant aux mécontents qui avaient le malheur de placer la barre (d’exigence) un peu trop haut (une "mauvaise habitude" acquise durant quarante ans de ST)... bon débarras ! Une "sélection naturelle" comme une autre quoi...
La scène du promotion de Saru mérite une enluminure médiévale.
Avec une humilité qui participe de sa perfection sans égale, Burnham offre le fauteuil icônique du capitaine à Saru. Avec des yeux de Chimène, Michael déclame alors une hagiographie christique à Saru, supposé avoir guidé ce Vaisseau à travers le temps et porté cet équipage sur ses épaules. Quelle grandiloquence lorsqu’on sait que depuis la fin de la saison 2, Saru n’a rien fait de particulier : il a juste suivi Burnham dans le wormhole, a crashé son vaisseau, puis a laissé Mirror-Georgiou et Tilly "sauver le jour" (éliminer Control, massacrer le gang de Zareh, et réparer le vaisseau). Fin de la geste.
Mais la praticité des discours pompeux ultra-chorégraphiés, c’est qu’ils finissent par faire oublier leur objet...
En réalité, en adoubant ainsi Saru, Mary-Sue se place sémiotiquement hors de la hiérarchie de Starfleet. Et la symbolique suit : avant de s’asseoir solennellement sur le trône, Saru prend la main de Burnham... de la façon dont le vassal fait allégeance à sa reine dans les cycles arthuriens. Il ne la voit plus comme une subordonnée, ni comme une égale en grade, mais comme une souveraine. En retour, Michael ne regarde pas Saru comme un collègue ni comme un supérieur, mais comme un vassal ou un sujet, avec cette superbe altière qui sied à une aristocrate. Ce n’est plus une officière de Starfleet qui promeut Saru et l’affecte à un poste de capitaine, c’est la reine qui l’adoube chevalier puis l’anoblit. Et toute la passerelle est transportée d’émotion, comme durant la cérémonie religieuse d’un sacre à Reims.
Nous sommes bien dans Star Trek, aucun doute n’est permis.
Saru déclare alors, avec la componction religieuse qui sied à une croisade vers Saint-Jean-d’Acre ou vers Jérusalem : « ce vaisseau porte le nom de Discovery ; un nom très approprié et prémonitoire ; il nous a amené vers l’avenir, et ce sera notre privilège d’en faire un avenir… lumineux. »
Lorsque l’humilité mise en exergue rime avec l’arrogance suprême, que de prétention de la part de Burnham, vestige du passé, mais qui ambitionne à elle toute seule de sculpter le futur à l’image du monde d’où elle vient. Que reste-t-il de la Prime Directive (temporelle ou spatiale), dont les fondements philosophiques primaient sur les intérêts et l’existence même de la Fédération, a fortiori d’un seul individu ou d’un équipage perdu dans les méandres du temps ?
C’est à grand renfort promotionnel que CBS avait triomphalement annoncé il y a quelques mois, l’intégration au cast de la saison 3 de Discovery d’un personnage non-binaire interprété par un acteur non-binaire. Si c’est bien une première à l’échelle des productions Star Trek, c’est loin de l’être à l’échelle d’Hollywood, confirmant que désormais la franchise ne précède plus (en encore moins n’influence) les tendances, mais se contente de les suivre pieusement. Il appartiendra dès lors à chaque spectateur de décider si cette initiative s’inscrit en esprit dans la perpétuation de l’audace historique trekkienne, allant de ST TOS (qui accueillit en pleines sixties dans son casting l’afro-américaine Nichelle Nichols dans un rôle "non-menial") à ST ENT 02x22 Cogenitor (qui fut la première œuvre audiovisuelle transcender le modèle biologique binaire hétéronormé)… ou si c’est à l’inverse le syndrome d’un pinkwashing d’Alex Kurtzman et Michelle Paradise sous la pression de l’inclusion rider d’Hollywood et du progressisme identitaire étatsunien.
Toujours est-il que l’internalisme trekkien – supposé post-tokeniste et post-revendicatif – n’en aura point pâti, du moins à ce stade, puisque la non-binarité du personnage Adira n’aura pas fait davantage l’objet d’étonnement ou même simplement d’attention en in-universe que l’homosexualité du jeune Sulu de la Kelvin timeline dans ST Beyond.
Pour autant, les épisodes suivants ne sont pas à l’abri de lourdeurs identitaires, donc anti-trekkiennes. La non-binarité est une identité de genre (qui désigne la façon dont la personne se ressent) qui ne doit donc pas être confondue avec l’expression de genre (i.e. la façon dont les autres la perçoivent), pas plus qu’avec l’orientation sexuelle, ni avec l’anatomie génitale (formant les quatre pôles distincts du genderbread). Or toute verbalisation de la question dans les scripts futurs est susceptible de transposer au sein de ce 32ème siècle prétendument trekkien des idiosyncrasies contemporaines (par exemple si Adira s’indigne d’être mégenrée par l’équipage de l’USS Discovery). D’autant plus que le personnage d’Adira convoque en filigrane par son humilité, sa discrétion, sa coiffure, et peut-être même son physique l’inoubliable Ezri Dax de la saison 7 de ST DS9. Stamets et Tilly utilisent d’ailleurs exclusivement à son propos le pronom personnel "she" en VO et "elle" en VF (loin de tout langage inclusif de type "iel"), et la plupart des spectateurs qui n’auront pas pris la peine de s’intéresser à l’interprète non-binaire Blu del Barrio verront avec Adira l’arrivée dans le main cast d’un nouveau personnage féminin de choc ou de pointe (dans une série qui en compte déjà beaucoup).
En outre, s’il peut sembler astucieux (dans une perspective de fluidité de genres) d’associer la non-binarité au nouvel hôte d’apparence féminine d’un symbiote Trill dont l’hôte précédent était un homme (l’amiral Senna Tal), cela pourrait aussi constituer une forme de facilité comme "l’homosexualité" dans le seul contexte Trill de ST DS9 04x06 Rejoined.
En parallèle, diverses questions de cohérence internaliste se posent…
Comment un hôte humain (Adira) peut-il accueillir durablement un symbiote Trill alors que ST TNG 04x23 The Host avait bien montré que l’organisme humain rejetait ce type de symbiose (qui n’était possible que temporairement et au prix d’immunosuppresseurs). Serait-ce la fruit de plusieurs siècles de progrès médical ?
Mais alors dans le même temps, comment se fait-il que l’hôte humain (Adira) ne puisse accéder à aucun des souvenirs du symbiote Trill (impliquant donc une absence de symbiose réelle) alors qu’à l’inverse, la personnalité de symbiote Trill (Odan) prenait le pas sur celle de l’hôte humain (Riker) dans ST TNG 04x23 The Host ?
N’est-ce pas une démagogie de "placement" fan-service, mais statistiquement improbable en in-universe, que ce nouvel hôte d’un symbiote Trill s’apparente autant au dernier hôte en date mis en scène dans la franchise (à savoir Ezri Dax interprétée par Nicole de Boer) ?
En outre, sachant que Discovery compte déjà quatre personnages féminins qui écrasent par leur supériorité multifactorielle le cast masculin, est-il paritaire d’introduire un nouveau personnage, pourvu certes d’une identité de genre non-binaire mais toutefois d’une expression de genre plutôt féminine, dont la fonction officielle est d’être la nouvelle petite-génie de l’équipage ? Et précisons-le bien : par elle-même, en tant qu’humaine de seize ans, sans le concours de l’expérience centenaire cumulée et de la personnalité du symbiote Trill qu’elle porte en elle (puisqu’elle n’a pas accès à ses souvenirs pour le moment).
Après Burnham-Mary-Sue-qui-sait-tout-et-qui-a-toujours-raison, après Sylvia Tilly-qui-se-contemple-le-nombril, après Me Hani Ika Hali Ka Po future reine-enfant de Xahea ayant inventé un incubateur de dilithium avant sa puberté, après Mirror-Georgiou-plus-forte-que-tout-le-monde-parce-ce-qu’ex-impératrice-génocidaire, voici désormais Adira-la-petite-génie-non-binaire-de-seize-ans chargée de battre Wesley Crusher sur son propre terrain. Au moins, il n’y en avait qu’un seul dans les premières saisons de ST TNG, tandis que DIS a depuis longtemps dépassé la masse critique en la matière…
Et si en apparence, DIS 03x03 Poeple Of Earth fait mine de respecter la chronologie de l’ère TOS d’où vient l’équipage de l’USS Discovery (ni Burnham ni Saru ne savent au départ que les Trills ont pour coutume d’accueillir des symbiotes), l’indifférence banalisante avec laquelle Mary-Sue accueille cette information (supposée nouvelle pour elle) jure néanmoins pas mal en terme de diachronie sociologique. La base de données de la Sphère rouge sentient est d’ailleurs en passe de devenir une rustine pour masquer les anachronismes heuristiques (si les personnages savent quelque chose qu’ils ne sont pas supposés savoir à leur époque, pas de problème, on le doit à la Sphere-qui-a-réponse-à-tout comme Deep Thought dans The Hitchhiker’s Guide To The Galaxy).
Il est probable que pas mal de trekkers, après des années de disette trekkienne et de frustration, percevront la résolution du conflit entre la Terre et Titan par une pirouette (plutôt que par un combat spatial bourré de SFX) comme un grand pas en direction des "idéaux roddenberriens" authentiques, voire même comme un renouement avec les principes fondamentaux de Star Trek et tant de mémorables épisodes diplomatiques de ST TOS ou de ST TNG.
En apparence, peut-être.
L’énorme hic, c’est la facilité avec laquelle Burnham, Mirror-Georgiou et Saru parviennent à désamorcer un conflit décadaire. Ce parti pris relève proprement du gag. Ce ne sont plus les héros de la série qui ont délivré une pieuse leçon de morale roddenberrienne, ce sont les natifs du 32ème siècle qui se retrouvent dans le rôle peu enviable d’arriérés, à peine mieux lotis que des Eloïs, incapables de faire ce que même les nations de l’antiquité réussissaient parfaitement à faire par elles-mêmes. C’est-à-dire utiliser les technologies disponibles au bénéfice de la stratégie et recourir à la réflexion pour résoudre des conflits lorsque ceux-ci étaient préjudiciables pour tout le monde.
Ainsi, comment expliquer que les colons de Titan aient décidé de cacher leur appartenance à l’espèce humaine (pour jouer ensuite aux épouvantails) suite à l’échec d’une seule tentative de contact... alors qu’ils sont dans le même système solaire et qu’ils disposent de suffisamment de vaisseaux pour assiéger quotidiennement la Terre ?!
De même, comment se fait-il que les services de défense et de sécurité terriens n’aient jamais réussi à identifier des vaisseaux (design, technologie, langue...) émanant d’une simple colonie terrienne intérieure au système solaire, pas plus que l’identité humaine de ses occupants ?! En plusieurs décennies, faut-il vraiment croire qu’absolument personne sur Terre n’ait cherché à savoir qui était réellement Wen ?! Et en amont, le spectateur doit-il avaler sans broncher que nul n’ait jamais songé à se préoccuper des colonies terriennes les plus proches tels New Berlin, Utopia Planitia, et Titan (ne nécessitant même pas de dilithium pour les atteindre, communiquer avec elles, ou simplement les surveiller) ?
Mais de qui se moque-t-on à vouloir faire accroire des WTF intersidéraux pareils ? Ce n’est même plus de la géopolitique de comptoir mais de la géopolitique de Pieds Nickelés.
Bienvenue donc dans le futur d’Idiocracy : un univers de crétins (y compris la Terre cofondatrice de l’UFP) pour que des super-héros du lointain passé, équipés d’une technologie et d’un savoir obsolètes, puisse faire la différence et "sauver le jour" en revêtant la tunique messianique de redresseurs de torts providentiels.
Sacrifier la société, l’univers, et toute crédibilité à la glorification des héros, cela fait onze ans que ça dure, et il y en a un peu marre.
Mais lorsque Kurtzman se pique en sus de faire de l’idéalisme trekkien, c’est encore pire, car toute l’hypocrisie des intentions (ou la méconnaissance du sujet) transparaît et il ne subsiste qu’une parodie involontaire et discréditante des accomplissements réels des capitaines Kirk et Picard (pour ne citer qu’eux).
La résolution en quelques minutes les doigts dans le nez, l’autosatisfaction pontifiante des personnages, les regards entendus de Burnham et de Saru, la surcouche infatuée de la BO (des sanglots longs de violons) feraient presque penser au film satyrique OSS 117 : Le Caire nid d’espion (2006), lorsque Hubert Bonisseur de La Bath (interprété par Jean Dujardin) fait la leçon au ministre égyptien : « Moi je vous dis ça en toute amitié. On est en 1955, les gars, faut se réveiller. Les ânes partout, les djellabas, l’écriture illisible… Pouah… Il s’agirait de grandir. Il s’agirait de grandir… »
Ici, c’est un peu le même message. Sauf que le film de Michel Hazanavicius était une parodie intentionnelle et une charge contre les préjugés et des prétentions colonialistes françaises d’hier. Tandis que DIS 03x03 People From Earth ose le refaire péremptoirement au premier degré ! En 2020, cela a quelque chose de très embarrassant, a plus forte raison venant d’auteurs qui se s’autoproclament à la pointe des luttes intersectionnelles, a fortiori sous l’étiquette Star Trek... lorsqu’on sait quel degré de finesse et d’excellence cette franchise avait su atteindre.
Dans cette perspective, le titre VO de l’épisode réussit même à renforcer subjectivement ce mépris colonialiste et messianique de l’être supérieur qui – par innéisme – a vocation à éduquer et à remettre dans le droit de chemin de la "religion Fédération" la brebis égarée... ou l’être né inférieur.
L’épisode People From Earth serait-il l’épître de Saint-Michel (Burnham) aux Terriens ?
Dans la continuité de la réécriture anthropocentrée et "contemporano-centrée" de la Fédération par Alex Kurtzman, on appréciera certainement aussi le discours des protagonistes de l’USS Discovery (Saru en tête) ne cessant de marteler – avec un zeste de fierté revendicative – à la capitaine Ndoye de l’United Earth Defence Force que la Terre est la planète-mère de la Fédération ! Est-ce vraiment ainsi que Star Trek a été redigéré par Secret Hideout ?
Faut-il rappeler que même en 2161, à la fin de la série Enterprise, les peuples fondateurs de l’UFP étaient les Vulcains, les Andorians, les Tellarites et… les Terriens ? Alors a fortiori du temps de ST First Contact où la Fédération réunissait plus de 150 espèces, et même des milliers parait-il dans la série Picard…
Mais non, dans la Discovery millésimée 32ème siècle, la Fédération devient soudain une proposition aussi géocentrique, humanocentriste et impérialiste que le Terran Empire de l’univers miroir.
Au chapitre de l’USA-morphisme (involontaire ?), il faut également souligner ce slang english très typé 21ème siècle que semble parler la Voie Lactée entière du 32ème siècle ! Au moins dans les 23ème et 24ème siècles du ST historique, le parfait anglais était supposé être celui des UT (traducteurs universels)... Mais dans DIS mark 3, comment expliquer cette stagnation/régression du champ lexical argotique sur plus de mille ans, quoique paradoxalement assortie d’une expansion/contagion galactique... autrement que par un colonialisme de l’UFP terrienne digne de l’Empire de SW ?
Par-delà la bêtise apparemment endogène de tous les personnages natifs du 32ème siècle rencontrés jusqu’à maintenant (hormis bien sûr Adira), tout le volet tactique, stratégique, et opérationnel de l’épisode tient de la vaste blague… qui éjectera littéralement le spectateur de son siège.
Réitérant sans complexe la première saison de DIS à travers les incontinences de Mary-Sue-qui-a-toujours-raison envers ses collèges et supérieures, Burnham organise sa petite opération commando avec Book sans en toucher mot au capitaine Saru (qu’elle venait pourtant d’adouber). À la faveur d’une paresseuse ellipse, on ne cesse de nous asséner que le comportement Burnham a changé durant son année d’errance au 32ème siècle. Mais si effectivement son aspect physique a comme involué (la miss semble être devenue une ado capiteuse), elle reste par son comportement plus que jamais fidèle à elle-même, multipliant les déloyautés et prenant les risques les plus inconsidérés, toujours convaincue que l’univers est de son côté (sans blague ?) et que sa prodigalité lacrymale réussira à racheter toutes ses fautes et à fissurer les plus solides armures... masculines. Serait-ce d’ailleurs la survivance implicite d’un cliché patriarcal qui jurerait quelque peu dans une série aussi démonstrativement progressiste ?
C’est surtout en terme de responsabilité que la bât blesse, car la stratégie déployée n’était déjà pas en soit exempte de risques (par exemple au nom de quel Code de chevalerie impropre Burnham pouvait-elle deviner que les troupes de Wen ne tireraient pas sur lui après sa capture ?). Mais en se gardant bien de coordonner son opération avec l’USS Discovery (ne fût-ce que par des consignes laissées en différé), Burnham y a ajouté un considérable facteur d’incertitude rendant toute l’opération inconséquente (comment anticiper ce que fera Saru et à quelle cadence, les options possibles étant très nombreuses, même hors de toute considération émotionnelle ?). Ce type de coup de billard à trois bandes aurait tout au mieux sa place (et encore !) dans un jeu de rôle où nul participant n’aurait à véritablement risquer son avenir ni la vie de qui que ce soit, mais en aucun cas dans un environnement opérationnel réaliste, a fortiori forgé dans l’orichalque élitiste de Starfleet.
Mais comme pour illustrer à quel point les auteurs se moquent bien en réalité de la vraisemblance de leurs histoires (tant que l’emphatisation de l’émotion-business est au rendez-vous), l’épisode se garde bien de révéler comment Burnham et Book ont concrètement réussi leur coup. La satisfaction du twist (de la capture de Wen) constituant probablement sa propre justification, derrière le rideau de fumée d’une complicité sans limite des deux B s’exprimant par un langue auto-référent crypté dont les spectateurs sont systématiques exclus (c’est à la limite des Tamariens de ST TNG 05x02 Darmok mais sans la dimension philosophique). Tout au plus le spectateur devinera que ce Raider qui terrorise toutes les défenses terriennes est tellement idiot qu’il ne détecte pas le plus grossier des pièges… lorsque Burnham est prête à lui offrir une quantité phénoménale de dilithium hors de prix et que le vaisseau qu’elle a prétendument dépouillé est prêt à le laisser détruire pour elle.
Une épisode parodique de Futurama ou de Rick & Morty n’aurait pas osé poussé l’absurde aussi loin.
De même, Saru avait-il vraiment l’intelligence que postule sa fonction en ne devinant pas de lui-même – pas même un peu – ce que mijotait Mary-Sue ? Face à Mirror-Georgiou (qui est visiblement autant à l’aise dans ce 32ème siècle dystopique qu’elle l’était dans son univers miroir par davantage dystopique), il passe même pour l’idiot du village global.
Et Saru était-il à la hauteur de ses responsabilités de capitaine en exposant l’USS Discovery à la complète destruction et son équipage à la mort alors que ses boucliers étaient inactifs (après le premier tirs des forces terriennes), tandis que le vaisseau super-high tech de Book (produit quant à lui par les technologies du 32ème siècle) était tout de même davantage à même de résister à des technologies de sa propre époque ?
Quant aux pirates conduits par Wen, il apparaît que leurs vaisseaux sont incapables de résister à plus d’un ou deux tirs de la Terre. Comment se fait-il alors, dans une situation de déséquilibre pareil des forces, que la nuisance des Raiders n’ait pas été endiguée depuis longtemps, d’une façon ou d’une autre ?
Finalement, il apparaît que, limité pas sa technologie du 23ème siècle kurtzmanien, l’USS Discovery ne peut tout au plus survivre qu’à un seul tir des forces terriennes (ce qui est déjà une incroyable performance pour 930 ans d’écart, l’ISS Enterprise d’ENT 04x18+04x19 In A Mirror, Darkly ne résistait pas aussi bien à l’USS Defiant sur seulement un siècle d’écart temporel). Dans ces conditions, comment se fait-il qu’à la fin de l’épisode, l’USS Discovery parte à l’assaut du 32ème siècle avec la mission anachronique (pour lui) de restaurer l’UFP sans le moindre refit (ni même la négociation auprès de la Terre d’un update de son armement en contrepartie de quelques kg de dilithium). Ne pas se donner les moyens de sa politique est particulièrement irresponsable.
Ceteris paribus sic stantibus, la situation tactique de l’USS Discovery au 32éme siècle est comparable à celle du NX-01 lorsqu’il avait quitté la Terre la première fois au 22ème siècle. Mais il faut voir alors à quel point les ressources opérationnelles, les moyens de défense, et l’équilibre des forces était au cœur des préoccupations de Jonathan Archer, en dépit de son idéalisme encore naïf. L’écart, que dis-je, l’abysse d’écriture entre les deux séries n’en est que plus flagrant.
Accessoirement, comment Burnham a-t-elle pu recevoir un message de l’USS Discovery via son communicateur du 23ème siècle alors que leur portée éventuellement subspatiale (pas sur tous les modèles) ne dépassait guère le range d’un système solaire ? A moins d’être comme par hasard dans le même système solaire que The Colony, cette occurrence est très improbable et invalide la prétendue recherche proactive de Burnham à l’échelle du quadrant bêta durant un an.
Avant même d’arriver dans le système solaire, comment Michael connaissait-elle la portée des systèmes de surveillance terriens alors même que personne dans l’équipage ne savait ce qu’est devenue la Terre ni quelle avance technologique elle possède avec ses 930 ans d’avance ?
Comment se fait-il que les pirates exsangues de Titan aient d’emblée si bien identifié l’USS Discovery et son arrivée "inexplicable" (par spore drive) dans le système solaire, tandis que les puissantes forces de sécurité terriennes n’y ont vu que du feu... et n’ont pas même réussi comprendre que l’USS Discovery était un vaisseau de Starfleet (ce que pourtant le mafieux Zareh n’eut aucun mal à faire dans DIS 03x02 Far From Home).
(...)
Attardons-nous pour une fois sur la BO de l’épisode.
Dans une œuvre audiovisuelle qui utilise pleinement l’ensemble des véhicules d’expression à sa disposition, la musique extradiégétique est supposée être un langage à part entière, un vecteur de sens en lui-même. Au risque d’être tautologique ou contreproductif, la BO n’a pas pour fonction d’emphatiser ce qui est déjà contenu dans les dialogues, les situations, ou les scènes d’action. Elle doit au contraire véhiculer son propre contenu, ou alors mieux vaut encore le silence (comme dans bien des œuvres d’auteur) ou bien la transparence (comme les musiques d’ascenseur interchangeables mais très discrètes de certains épisodes de l’ère bermanienne).
Malheureusement, la BO de DIS 03x03 People Of Earth est à la fois très présente (impossible de l’ignorer), strictement emphatisante (elle se contente de tenter d’accentuer dans le champ émotionnel ce qui est déjà à l’écran), et elle ne manque jamais une occasion de pousser dans la manipulation grossière (en empruntant aux légendaires morceaux de Jerry Goldsmith pour souligner les moments prétendument "trekkiens").
Franchement, est-il possible d’être sincèrement ému, d’être transporté sans arrière-pensée par une BO de ce style ?
La fin de l’épisode est bien entendu un hommage au "study tree" à l’ombre duquel Jean-Luc Picard et Simon Tarses se plaisaient à étudier durant leurs jeunes années à Starfleet Academy (cf. ST TNG 04x21 The Drumhead où il fut juste évoqué et non montré). Cet arbre monumental était un orme ("elm") noueux, à la silhouette imposante, et taillé pour franchir les siècles.
Cependant, au risque le ruiner ce qui constitue peut-être la première initiative poétique de Discovery, les ormes ne vivent pas plus de 500 ans (le plus vieux recensé atteint péniblement 620 ans), et Tilly, Owosekun, Bryce, Nillson ne peuvent donc pas se tenir devant le même arbre que 930 ans avant.
Certes, des jokers sortis du chapeau (tel un orne OGM) pourraient éventuellement être brandis… Mais de toute façon qu’importe, puisque c’est Discovery, il n’y a donc que l’émotion qui compte, et un message estampillé éco-vert sur le ressourcement communiel avec mère Gaïa arrachera bien quelques larmes (de plus).
Une telle accumulation d’imbécilités tactiques in-universe, de facilités narratives, de contresens philosophiques, de pinkwashing bienpensant, et de clichés PGCD... composent un vulgaire tract de propagande politique bas du front et au ras des pâquerettes... Difficile du coup de ne pas soupçonner DIS 03x03 People Of Earth de se livrer à une basse récupération politicienne et électoraliste à quelques jours des élections présidentielles US qui opposent Joe Biden à Donald Trump. La distribution des rôles est d’autant plus évidente que cela fait onze ans qu’Alex Kurtzman nous vend sa transposition UFP = USA, aussi insultante qu’impropre.
Eh bien, il suffit juste de prolonger cette dynamique pour décrypter le code et faire tomber les masques :
l’UFP déchue que Mary-Sue veut restaurer, ce sont les USA du Parti démocrate ;
la Terre isolationniste et autosuffisante du 32ème siècle, ce sont les USA du Parti républicain ;
le bouclier orbital terrien, c’est le Mur que Trump n’a pas construit ;
la colonie ravagée et abandonnée de Titan, c’est le Mexique (et tant pis si cela implique au passage un entérinement crypto-colonialiste) ;
les Raiders, ce sont les migrants que Trump refoule ou ignore par xénophobie ;
Michael Burnham, c’est Kamala Harris ;
et Saru, c’est bien entendu Joe Biden.
Il manque juste encore à l’appel le transposé de Donald Trump... qui sera probablement l’inévitable bad guy à l’origine du Burn... dont la seule finalité était de ruiner à jamais le rêve galactique impérialiste, libéraliste et inclusif de l’UFP-Democratic Party.
Et voilà ce que Star Trek est désormais devenu : un support primaire de conditionnement dans le cadre d’un agenda électoral. Objectif : expliquer au spectateur étatsunien comment "bien" voter mardi 3 novembre 2020 !
Pouvait-il exister pire injure, pire trahison, pire profanation de la franchise ?
A l’instar des fake news... ce n’est rien de plus qu’un faketrek !
Récapitulons…
Le rhème et le pitch de la saison 3 de Discovery repose sur une négation technologique et conceptuelle de ce que VOY et ENT avait révélé du futur trekkien : dilithium-Epice, confusion entre régulateur énergétique et facteur causal, mono-technologie FTL de la distorsion, stagnation scientifique et épistémologique en 900 ans, krypto-révisionnisme de l’USS Relativity et de Daniels…).
Entre le retcon sauvage et la timeline foncièrement distincte...
Les postulats scientifiques oscillent entre le bullshit intégral et les weird sciences-pour-rire, tandis que les choix opérationnels mis en scène sont une collection exceptionnelle de nawaks et d’inconséquences crasses, brisant toute suspension d’incrédulité, et révélant surtout les réelles priorités des showrunners : pathos ad nauseam, enfumage émotionnel décomplexé, moraline bienpensante, et agenda électoral pro-Biden.
Bien que désormais officiellement Number One de l’USS Discovery, Mary-Sue-Burnham est en réalité une souveraine qui adoube Saru capitaine-servant, et surtout la messie que la "religion Fédération" attend pour être restaurée dans son corps glorieux au travers d’une sainte Reconquista.
L’égalitarisme méritocratique et le relativisme démystificateur du Star Trek roddenberro-bermanien ont maintenant cédé la place à un innéisme aristocratique et à une téléologie mystificatrice.
Tous les lead rôles omniscients, géniaux, brillants, ou positivement bad ass reviennent à des femmes, de préférence des jeunes filles (c’est plus vendeur), y compris le personnage à l’identité de genre non binaire qui demeure tout de même d’expression de genre féminine (comme en témoigne les réactions de l’équipage).
Discovery est visiblement une série qui confond le féminisme et les mouvements LGBTQIA+ avec un sexisme inversé, revanchard et totalitaire qui, non seulement est hautement anachronique dans le futur trekkien, mais participe en outre d’une doxa malsaine et d’une toxicité relationnelle dans le présent...
La résolution du conflit entre la Terre et Titan n’est qu’une illusion trompeuse de retour à la diplomatie réputée "peaceloving" de l’old Trek, masquant en réalité une incompréhension grave voire une mépris inconscient du syntagme trekkien (à la fois utopique et pragmatique).
Les humanoïdes natifs du 32ème siècle semblent tous sortir du film Idiocracy de Mike Judge, c’est-à-dire qu’ils sont totalement imbéciles ou incompétents (la Terre unie n’a jamais été fichue de monitorer par elle-même le sort tragique de la colonie Titan pourtant sise dans le même système solaire, ni de comprendre toute seule que les raiders étaient des humains du même système solaire ; Wen réussissait à terroriser depuis des années la Terre unie surarmée alors qu’il suffisait de deux tirs pour détruire ses vaisseaux ; le redoutable pirate s’est fait posséder comme un nouveau-né par Burnham ; jamais aucune forme de communication bilatérale n’a été envisagée par personne…). Cette "configuration Bisounours" permet évidemment aux protagonistes de l’USS Discovery de briller tels des cadors, de s’attribuer des rôles salvateurs et providentiels à peu de frais, de dispenser en toute occasion une pesante moraline... mais au prix d’une caricature aussi involontaire que tragique de ce que fut historiquement Star Trek, au prix d’un "colonialisme" involontaire flirtant avec OSS 117 : Le Caire nid d’espion mais dans une version qui se prendrait au sérieux, au prix d’un univers dont la crédibilité des ressortissants et des sociétés a été sacrifiée à la glorification des héros.
Les pierres d’achoppement contradictoires sont lissées voire escamotés au travers un perpétuel retcon : on cherche à faire sans cesse oublier qui est Mirror-Georgiou, on tweake la symbiose Trill selon les besoins narratifs, on redéfinit librement certaines espérances de vie, on surexploite l’ellipse (l’année picaresque de Mary-Sue au 32ème siècle) à la manière d’un joker à géométrie variable...
Le soap du soir des deux précédentes saisons de Discovery verse progressivement dans le teen soap humide et larmoyant de The CW Television Network, à l’appui des discussions "girly" (entre Mary-Sue et Tilly), des connivences sibyllines entre amants (ou entre BFF), des regards énamourés dans presque chaque scène, des sourires en coin entre Burnham plus ado que jamais et son bachelor glamour. Un concentré d’Amour, gloire et beauté et du pire de la téléréalité.
"Justifié" ou non par le contexte, le pathos reste du pathos, et Burnham demeure une fontaine inépuisable de larmes. Or quarante ans de Star Trek (1964-2005) avaient pourtant démontré qu’il était possible de mettre en scène des séparations durables assorties de retrouvailles (et même des tragédies irréversibles) tout en conservant une pudeur et une distanciation renforçant l’impact émotionnel chez les spectateurs. Car c’est bien là que l’émotion doit naître, et non dans les exhibitions incontinentes – limite pornographiques – des acteurs.
Enfin l’arc narratif de la saison 3 est conçu exactement selon le même modèle que celui la saison 1 de Picard : une énigme cosmique et un mystérieux personnage deviennent les MacGuffins d’une quête galactique visant à restaurer la Fédération perdue. Simplement, cette fois-ci, la Fédération n’est plus seulement trahie, elle est désormais en exil ; la rébellion mystérieuse des Synthétiques a laissé la place au Burn non moins mystérieux du dilithium ; et la recherche de Bruce Maddox s’est commuée en recherche de Senna Tal…
Littéralement un décalque pour un désagréable sentiment de redite. Tel un cauchemar qui recommence... où une boucle temporelle dont le trekker n’est toujours pas sorti...
C’est ainsi que débute inéluctablement une nouvelle Pyramide de Ponzi kurtzmanienne, qui comblera surtout ceux qui se nourrissent bien moins de contenu réel que de spéculations (le Burn serait-il un test de Q ? "Refaire la Fédération" est-il en fait un projet de Joe Biden ?...).
Et comme toujours dans cette forme de manipulation enracinée dans l’économie de crédit qui capitalise tout sur la fuite en avant et sur le mouvement, gare à l’atterrissage... lorsque les promesses-qui-n’engagent-que-ceux-qui-les-écoutent débouchent sur des truismes, des artifices, des sophismes, ou des arnaques... à l’image des conclusions des premières saisons de Discovery et de Picard.
Au nom de quel optimisme candide (ou idéologique) faudrait-il croire que les mêmes causes dans les mêmes conditions ne produiront soudain plus les mêmes effets ?
Le plus ironique peut-être dans tout ça, c’est que l’idée d’une Terre ayant sciemment quitté l’UFP est en soi un thème aussi riche qu’original, d’une perspective aussi bien SF que méta-sociologique. On se surprend alors à rêver d’un écho lointain de ENT 04x21 Terra Prime, d’une extension thématique de la série bermanienne avortée ST Final Frontier, voire du traitement ambitieux qu’aurait pu en faire la série ST Federation proposée par Bryan Singer...
Immense est alors la frustration qu’une problématique si potentielle se réduise à un pauvre gimmick dans le cadre d’un saut de puce au sein d’une énième "chasse au trésor" intergalactique, tout en étant indignement instrumentalisée pour une bien vaine croisade anti-trumpiste dont la date de péremption strictement "contemporo-centrée" échoit au mieux dans moins d’une semaine, au pire dans quatre ans.
Si Star Trek est devenu un socle de la pop culture et de l’imaginaire en traversant intact autant de décennies, c’est parce que son univers de SF tutoyait l’intemporel et l’universel. Mais aujourd’hui, le renversement paradigmatique est complet : les nouvelles ambitions créatives trekkiennes ont pour seul horizon la plateforme idéologique et le support électoral.
Cette récup politique éhontée, cette imagination lilliputienne, cette impuissance de worldbuilding, ce fond involontairement parodié, vandalisé ou vicié laisse également un indicible sentiment de gâchis lorsqu’il est rapporté à la forme (BO exceptée). Car pour ce qui est du rythme, DIS 03x03 People Of Earth a le mérite de s’accorder davantage de temps, avec une place accrue octroyée aux dialogues et au non-dits. Et pour ce qui est de la mise en scène, la touche de Jonathan Frakes demeure assez palpable.
Malheureusement, dans une œuvre à contenu, la forme ne rédimera jamais le fond. Et lorsque le décalage entre les deux devient trop grand, il ne subsiste que le malaise d’une prestidigitation...
L’épisode mériterait probablement un 1/5 voire un 1,5/5, mais à la seule condition de commuter en "mode serial" des années 40 avec certes de bien meilleurs SFX (pour trouver éventuellement "l’envie SM" de voir la suite)... ou bien en "mode soap pour midinettes" façon CW (pour chialer un peu histoire de faire l’économie d’un collyre).
En "mode Star Trek" par contre... c’est la note plancher (0/5). Mais bah ! cela n’a plus vraiment d’importance...
Cependant, il y a tout de même le majestueux chat Grudge (Rancune), tout en grâce, si délicieusement félin à chaque apparition... Et pour un•e ailurophile, cela vaudra tous les 5/5 du monde.
ou
YR
EPISODE
Episode : 3.03
Titres : People of Earth
Date de première diffusion : 29/10/2020 (CBS All Access) - 30/10/2020 (Netflix)
Réalisateur : Jonathan Frakes
Scénariste : Bo Yeon Kim & Erika Lippoldt
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