Grâce à Dieu : La rencontre avec François Ozon
À l’issue de la projection du film Grâce à Dieu, François Ozon et Alexandre Dussot-Hezez, co-fondateur de l’association « La Parole Libérée » sont venus répondre aux questions du public.
Voici la retranscription des échanges qui ont eu lieu. Vous pouvez aussi en visualiser la vidéo en fin d’article.
Pourquoi avoir fait un film plutôt qu’un documentaire ?
Alexandre Guérin : Ce n’est pas entièrement la réalité, ce que l’on voit dans le film. Un long-métrage, par rapport à une émission, ancre plus. On passe d’un fait divers à quelque chose de plus marquant.
Quel est l’intérêt de votre histoire ?
François Ozon : Je voulais faire un film sur un homme fragile, exprimant des émotions. Précédemment, j’ai fait beaucoup de films sur les femmes. J’ai donc cherché un sujet, et je suis tombé sur le site de l’association. La lecture du témoignage d’Alexandre m’a beaucoup touché. Surtout son travail comme fervent catholique et les échanges qu’il a eus avec le diocèse. Quand on s’est rencontré, il est venu avec son dossier, et tous les messages qu’ils s’étaient envoyés.
Au début, je voulais faire un film qui suit son personnage, puis d’autres plaignants sont arrivés. J’ai mené une vraie enquête journalistique. Mon scénario devenu comme un polar avec le passage d’un personnage à l’autre.
Qu’est-ce qui était le plus difficile pour vous ?
François Ozon : J’avais presque trop de documents. Le passage de relais, je ne l’ai pas inventé. Il y a eu un vrai passage de l’un à l’autre des personnages. Mon producteur préférait que les personnages soient vus en parallèle, avec des flashbacks. J’ai préféré l’effet domino, en suivant le combat d’un seul, puis en passant à un autre.
Est-ce que vous aviez dès le départ l’idée d’utiliser les véritables noms des protagonistes ?
François Ozon : J’ai utilisé les prénoms des victimes, pas leur nom de famille. En ce qui concerne le cardinal Barbarin, les faits étaient déjà publiés. Il n’y avait pas de surprise.
Dans mon film, j’ai resserré les événements. Et j’ai diminué les éléments personnels. Le plaignant qui a la bite tordue m’a dit en voyant le film : « Ça c’est moi à 95 % ! Même si je n’ai jamais tapé ma copine. » Je ne voulais pas que ce soit une trahison des véritables hommes.
Est-ce que vous vous démarquez par rapport à vos films précédents ?
François Ozon : Non, j’ai fait comme d’habitude. Je me bats pour la réalité, et je garde de la fidélité pour mes personnages.
Avez-vous rencontré Melvil, l’acteur qui vous incarne, avant le tournage ?
Alexandre Guérin : Non, je ne l’ai jamais vu avant le film. Je n’ai pas vu les acteurs qui nous incarnaient.
François Ozon : Les acteurs non plus, n’ont pas voulu rencontrer les vrais plaignants. Ils n’avaient pas envie de se sentir prisonnier de leur image. On a tourné dans la vraie maison de François. Mais à part ça, ils n’avaient pas envie de se confronter les uns aux autres.
Vous n’en avez pas eu besoin ?
Alexandre Guérin : Le film ne nous appartenait plus.
François Ozon : Il n’a pas lu le scénario.
Alexandre Guérin : J’avais besoin de me battre contre l’institution. La prière avec le père m’a beaucoup marquée.
Ce n’est pas un film contre l’église ?
François Ozon : Je ne voulais pas attendre que l’église s’empare de l’histoire. Il y a beaucoup de catholiques qui se sentent victimes de ces événements. Ils attendent une action des autorités religieuses. Dans l’éducation religieuse, il y a le respect de la foi. Il y a beaucoup de thématiques, dont celle du pardon. Mais c’est à double tranchant : c’est libérateur, mais ça peut être aussi une manière de créer le silence.
Alexandre Guérin : Dans le pardon, il y a des questions théologiques et spirituelles. Le pardon peut enfermer, car il n’y a plus de combat possible. C’est un processus de silence.
François Ozon : Ils ont arrêté de faire ce que l’on voit dans le film (le diocèse, nda).
Alexandre Guérin : En France, on espère qu’on ne fait plus ce genre de scène qu’en 2014. Celle avec la rencontre sur le pardon.
Est-ce que vous pensez que votre affaire aurait plus d’impact avec la presse et la télévision ?
Alexandre Guérin : Nous avons pensé que notre histoire était importante à raconter. Il y a eu beaucoup de procès qui ont été générés grâce à l’action de notre association. La pédocriminalité, c’est encore un fléau dans notre société. Nous voulons médiatiser ce qui nous était arrivé. Nous voulons arrêter cette omerta. Cela permet de parler, et de diminuer le fléau. Les gens n’ont plus peur de dire les choses.
Est-ce que vous avez réuni les trois acteurs ?
François Ozon : Non. Nous avons travaillé séparément. Il y a une scène de groupe qu’on a tourné au début. Ils ont fait cela avec beaucoup d’engagement, pas pour l’argent. D’autant qu’on n’avait pas beaucoup de budget. Ils avaient envie de faire partie de cette aventure.
Comment avez-vous fait le choix des comédiens ?
François Ozon : Melvil Poupaud avait déjà travaillé avec moi. On regarde la tête des acteurs, et on essaie de voir une personne réelle. Il y a de la dignité et de l’élégance.
Denis Ménochet, il a de l’énergie, un côté bulldozer. Le vrai François s’est senti vexé par son physique, car ils n’ont aucune ressemblance.
Swann Arlaud, je l’avais vu dans Petit Paysan. J’ai aimé sa fragilité.
Josiane Balasko, c’est une actrice qui a toujours des rôles comiques et je voulais lui donner quelque chose de plus sérieux à jouer. Elle n’avait que 2-3 jours de tournage. Elle a dit oui tout de suite. Elle avait une belle osmose avec l’acteur qui jouait son fils.
Quand elle prend le téléphone, tout le monde sur le plateau a pensé au film Le Père Noël est une ordure.
François Marthouret, il a embelli le cardinal Barbarin. Il a une voix onctueuse, qui enrobe. Le vrai Barbarin a une voit cassante. Il est un peu sourd, donc il parle fort.
Est-ce que le cardinal Barbarin est vraiment fan de Tintin au Congo ?
François Ozon : Sa chambre est plus chargée. On l’a vue en photo dans des magazines. C’est un vrai Tintinophile.
Dans votre combat, est-ce que vous avez eu des moments de doute ?
Alexandre Guérin : Une fois, j’ai eu une grosse engueulade. J’ai arrêté une seule fois, en février 2016. J’ai vu Spotlight et je suis sorti en me disant que l’affaire s’était passée en 2001 et que rien n’avait changé. Je me suis alors arrêté. Je n’avais plus d’énergie à dépenser. On a passé une soirée ensemble avec les autres membres de l’association et ils m’ont demandé de continuer.
Nous avions un grand nombre d’appels tous les jours. Et on y passait 8 à 9 heures. Pour les appels, c’est comme ce que l’on voit dans le film. On a d’abord eu 80 victimes, puis il y a eu d’autres personnes. Cela n’a jamais plus arrêté. C’était vraiment très épuisant d’être confronté à tous ces témoignages.
Est-ce que la mère de Pierre Emmanuel s’est bien occupée du téléphone ?
Alexandre Guérin : Oui. Elle découpait les articles dans les journaux. C’était elle qui a fait le choix d’écouter. Elle était à la retraite. C’était très anxiogène d’écouter toutes les histoires qu’on nous disait.
Est-ce que l’histoire avec l’avion est vraie ?
Alexandre Guérin : On ne voulait pas faire attention à quoi que ce soit. On voulait y aller à fond. Nous n’avions pas peur de la diffamation.
On a eu un contact avec un type qui avait un avion pour faire un événement sur le Vatican. Puis sur la Fourvière à Lyon. On a fait un appel pour l’avion. Un appel à notre avocate. Et on a tout arrêter.
On a aussi utilisé les réseaux sociaux pour retrouver les anciennes victimes.
François Ozon : On a voulu montrer cette réalité, l’aide des réseaux sociaux pour retrouver des personnes victimes.
Avec la complexité de toutes les questions soulevées, quel était votre rapport aux médias ?
François Ozon : C’est une vraie question à se poser. C’est pour ça qu’il y a des flashbacks afin de montrer les événements du passé, et de mettre en avant les circonstances de ces événements qui se sont produit lorsque les personnages étaient des enfants. Quand on est très jeune, on est dans un état de sidération lorsqu’on se retrouve face à des adultes et on est sous leur emprise.
Est-ce qu’il a été difficile d’accepter le rôle du prêtre ?
François Ozon : Non. Les acteurs aiment jouer les méchants. Le prêtre a commis des actes monstrueux, mais il a aussi une part humaine. Il n’a toujours pas compris le mal qu’il a fait. Cela lui apporte une certaine fragilité.
Est-ce que cela était facile pour vous de tourner dans les églises ?
François Ozon : Nous n’avons pas tourné à Lyon, car le diocèse est dirigé par Barbarin.
Nous avons filmé en Belgique et au Luxembourg. Par contre nous avons bien tourné dans les rues de Lyon. Le film était présenté sous son nom de code : Alexandre. Personne ne savait que cela parlait de la pédophilie dans les églises. Il n’y a pas eu de censure. Mais nous n’avons pas demandé l’autorisation de filmer.
Vous n’avez pas peur des réactions des associations extrémistes et les polémiques qui pourrait être entraînées par des réactions négatives ?
François Ozon : Au niveau des projections, on a plutôt des retours positifs. Le personnage d’Alexandre aide beaucoup. Personne n’aime la pédophilie. C’est l’institution qui est attaquée, pas la foi. Il ne faut surtout pas dire de ne pas aller voir le film avant de l’avoir vu.
Alexandre Guérin : dès le début, on a dit que c’était un complot, que c’était une anti-marche pour tous, qu’il y avait le lobby LGBT derrière, ou alors les francs-maçons. Notre association a même été comparée à Daesh après l’assassinat du père Hamel.
On a bloqué les personnes sur notre réseau. C’est très anxiogène. La pédophilie explose partout. L’église est concernée dans tous les pays, le Chili, l’Amérique du Sud… Cela fait 30-40 ans qu’on commence à en parler. Il n’y a pas de complot. Lors du temps de Jean-Paul II, en Pologne, les communistes accusaient les prêtres d’être pédophiles, car ils s’en prenaient à la religion. Mais ce n’est plus le cas maintenant. Il y a beaucoup de témoignages. Mais en Afrique, on ne peut pas en parler, car on risque sa vie. C’est endémique dans certains pays.
Est-ce que comme pour l’affaire Spotlight, vous redoutez qu’il ne se soit rien passé 10 ans après la sortie du film ?
Alexandre Guérin : Nous avons dépensé beaucoup d’énergie. S’il faut, il y aura l’arrêt de l’association. Je ne veux pas tourner en boucle.
Le film Spotlight a eu un retentissement très important en 2015. Il y avait des vraies actions en justice qui ont causé la ruine de certains diocèses. Ce n’est pas le cas en France. Ce que nous espérons, c’est une prise de relais, et que la pédocriminalité ne soit plus tabou. Chez les politiques, il y a une prise de conscience. Il y a des changements dans la loi, et on va rehausser la prescription. C’est très dur de parler de ce genre de choses, et les gens mettent souvent plus de 20 ans pour pouvoir aborder le sujet.
On a un nouveau ministère. Il a bien pris en compte la question de l’enfance. Ce qui se passe dans les familles, c’est comme pour les institutions. C’est le même mode opératoire qui se base sur le silence et le pardon. Il n’y a pas de dénonciation des gens normaux qui savent et ne disent rien. 8 viols sur 10 se passent dans le cadre de la famille. Il y a des conséquences terribles pour les victimes qui peuvent se retrouver complètement en marge de la famille.
Est-ce que vous avez mis beaucoup de réalisme dans vos personnages féminins ?
François Ozon : Il y a une partie de fiction. Par compte, il y a beaucoup de couples dont les deux conjoints sont des personnes abusées qui se retrouvent entre elles. Les femmes sont très importantes dans le film. Ce sont les soutiens des hommes, leurs femmes, leur mère.
Alexandre Guérin : Les femmes sont très fortes. Elles nous ont aidés, soutenus, supportés. Et en faisant notre association, il y avait une vraie mise en danger, tant du point de vue professionnel, qu’au niveau de l’image qui pouvait affecter aussi bien les enfants que les femmes.
Les enfants avaient beaucoup de pression, notamment à l’école. Les épouses ont fait le combat avec nous.
Vous pouvez nous en dire plus au niveau de la pression des enfants ?
Alexandre Guérin : Par exemple, il y a un prêtre qui lisait un passage de la Bible dans lequel un père mourrait dans un lac. Cela mettait de la pression. Ce n’est pas facile entre 12 et 17 ans d’entendre parler de son père. On parle du sujet. On parle du procès.
Il y a eu un sondage au niveau de l’Europe. Un enfant sur cinq a subi des agressions sexuelles. Et cela, quelles que soient les générations. Maintenant, les 14-15 ans n’ont plus peur d’en parler.
Y a-t-il encore beaucoup de solitude ?
Alexandre Guérin : L’association est là pour les autres victimes. Si on est seul, on ne parle pas. S’il y a beaucoup de victimes, cela devient insupportable, et cela pousse les gens à parler. Les personnes abusées sont souvent autocentrées. Toutes les associations d’aide aux victimes ont des pensées pour les victimes, Notamment de pédocriminels.
Est-ce qu’il peut y avoir parfois un refus de témoigner ?
François Ozon : C’est un choix personnel dans le combat. Il peut y avoir des soucis dans la famille. Et des gens qui ne parlent jamais. Entre 20 ans et 30 ans après les faits, les gens ne parlent parfois pas encore. Le père Preynat avait 50 ans dans les années 2000. C’est difficile de penser qu’il a arrêté ses actes.
D’où vient le titre ?
François Ozon : Il vient d’une phrase malheureuse qu’a prononcé le cardinal Barbarin. Cela été un coup de couteau pour les victimes et un révélateur de l’affaire.
Est-ce que vous croyez toujours en Dieu ?
Alexandre Guérin : Je ne me sens plus vraiment catholique. Cela atteint ma capacité d’indignation. J’ai eu une vraie remise en cause. Je ne soutiens plus vraiment le catholicisme. Mais cela ne remet pas en cause ma foi, qui est quelque chose de personnel.
Grâce à Dieu est un très bon film parlant avec délicatesse et sans colère d’une affaire tragique. Vous pouvez en retrouver la critique ICI.
VIDÉOS
Rencontre avec François Ozon et Alexandre Dussot-Hezez :
Bande annonce :
Les films sont Copyright © leurs ayants droits Tous droits réservés. Les films, leurs personnages et photos de production sont la propriété de leurs ayants droits.