[Spectacle] Je ne suis pas une arme de guerre : La critique
Je ne suis pas une arme de guerre est une excellente prestation théâtrale, qui prend aux tripes, laisse sans voix et remue profondément.
Attention, car le sujet de la pièce étant les exactions liées à la guerre, notamment le viol, le spectacle ne s’adresse pas à tous. De plus, une scène stroboscopique de plusieurs minutes la déconseille aux épileptiques. Enfin, la présence d’un agneau mort écorché peut heurter les sensibilités, bien que ce choix soit parfaitement cohérent et maîtrisé dans la mise en scène précise de Zenel Laci.
Une fois ces avertissements donnés, il faut bien le dire, la pièce est clairement à vivre, tant sa puissance, son interprétation et les mots qui la compose prennent le spectateur de plein fouet et laisse derrière eux un champ de réflexion fort vaste.
Étonnamment, le spectacle est musical et l’équilibre entre la guitare, et parfois l’harmonica, et les paroles de l’actrice, est vraiment bien trouvé. Les choix musicaux, souvent pleins d’énergie se marient parfaitement avec la mise en scène et l’interprétation imposante d’une comédienne habitée par le sujet brûlant qu’elle porte.
Cette dernière, Anila Dervishi, est tout simplement incroyable et coupe régulièrement le souffle alors que des paroles sortent de sa bouche pour nous conter des horreurs glaçantes. Mais le ton n’est jamais misérabiliste et ce n’est clairement pas une victime que l’on a devant nos yeux, mais une battante essayant de se reconstruire et se rappelant avec émotions les personnes qu’elle connaissait, foudroyées par la mort.
Cette galerie de défunts dont elle est la mémoire prend des accents doux-amers, alors que la lumière et l’espoir refont progressivement surface chez une femme ne laissant pas ses bourreaux passés la priver d’avenir.
La mise en scène, très sobre et précise, fige souvent la comédienne derrière un micro, sans qu’envoûté, on ne puisse la quitter des yeux, avant de la mettre en action. Cette dernière vaque à diverses occupations, s’arrêtant le temps d’une projection sur l’écran en fond de scène, ou lors de la déclaration enregistrée d’un autre participant.
Zenel Laci n’oublie pas la provocation lors de la scène de l’agneau et si le dégoût n’est jamais loin, la prestation d’Anila Dervishi est tellement imposante que ce choix rude s’impose tel quel.
C’est le musicien Afram Jahja qui est l’accompagnant sur scène de ce terrible récit d’atrocités et de dires de survivants adaptés du livre Journal d’une femme du Kosovo de Sevdije Ahmeti (éditions Karthala, 2001). Il passe d’un instrument à l’autre et peut soit meubler le silence de mort de certaines des actions d’Anila Dervishi, soit l’accompagner lors de la déclaration de quelques répliques poignantes.
C’est aussi sur une chanson traditionnelle Albanaise pleine de joie que le duo nous quitte, ouvrant les portes d’un avenir plus heureux dans lequel on espère que les femmes ne soient plus des armes de guerre.
Je ne suis pas une arme de guerre est une pièce osée qui tranche avec ce que l’on a l’habitude de voir dans le théâtre vivant. Le sujet d’une brûlante actualité, l’interprétation captivante, la mise en scène éclairée et le subtil mélange entre mots incandescents et musique entraînante en font clairement une expérience à ne pas rater.
Puissant et important.
INFORMATION
Le spectacle se joue tous les lundis à 20h au Théâtre du Gymnase (38 Boulevard de Bonne Nouvelle) jusqu’au 26 février 2018.
SYNOPSIS
Le spectacle est un projet collectif inspiré de la chronique tenue par Sevdije Ahmeti, militante albanaise des droits de l’homme, durant la guerre au Kosovo.
Il traite des crimes contre l’humanité parmi lesquels le viol, utilisé comme arme de guerre, atteint le sommet de l’indignité dans la hiérarchie des barbaries modernes. La pièce dénonce avec une dignité exemplaire les exactions commises contre les femmes et les enfants, dans ces périodes de feu et de sang, et adresse aux spectateurs un message universel de résistance au mal et de commune humanité avec d’autres peuples humiliés et opprimés. Le viol de guerre vise à détruire, au travers de la femme, la famille et l’ensemble d’une communauté. Il empêche toute réconciliation future. Parce que la honte est trop forte pour que la femme puisse exprimer publiquement la moindre revendication. Cette création théâtrale témoigne pour ces femmes, où qu’elles soient dans le monde, afin que leur corps ne soit plus un champ de bataille, qu’elles puissent sortir de leur isolement et réintégrer la société.
DISTRIBUTION
- Mise en scène : Zenel Laci
- Avec : Anila Dervishi (comédienne) et Afram Jahja (musicien)
- Texte original : Journal d’une femme du Kosovo de Sevdije Ahmeti
- Adaptation : Safet Kryemadhi
- Création vidéo : Lionel Ravira & Loïc Carrera
- Régie son et lumière : Etienne Delronche & Zenel Laci
- Costume : Françoise van Thienen
- Photo : Julian hills
- Durée : 1h20
- Public : Adolescents et adultes
TARIFS
- Plein tarif : 24 euros
- Tarif réduit : 18 euros
- Tarif jeune : 10 euros
COMMUNIQUḖ DE PRESSE
« J’étais là, avec les autres.
Ils nous ont rassemblés dans la cour de notre école.
Un des militaires, le chef, a donné l’ordre de séparer les femmes des hommes.
Soudain, il a pointé son doigt dans ma direction. Ma mère a aussitôt fait un pas en avant.
Il s’est approché d’elle.
Il l’a regardée, l’a insultée, l’a frappée…, lui a ordonné de se déshabiller. Elle n’a pas réagi.
Le chef a sorti son arme et l’a posée sur mon front.
Ma mère s’est hâtée de se déshabiller.
J’ai vu, devant tous les villageois, pour la première fois le corps nu de ma mère.
Le chef a poussé un cri en direction des hommes de notre village.
Dans sa langue, il a exigé que « le frère de cette putain sorte du rang ». Je sentais toujours son arme pointée sur mon front.
Mon oncle a hésité.
Puis, Il est venu se placer face à ma mère… »
Fragment du 1er monologue
Un hymne à la femme et a la liberté
Dans un espace vide, un musicien et une femme sacrificielle nous plongent dans l’horreur du nettoyage ethnique. Cette « madone » universelle, témoigne du sort des femmes utilisées comme arme de guerre.
Ni cri, ni plainte. Cette voix nue raconte l’horreur vécue au nom de la pureté ethnique qui, quels que soient les époques et les lieux, partage le monde en bourreaux et victimes.
Son témoignage est un plaidoyer pour l’humanité, contre les folies nationalistes et les crimes qui en résultent. Il n’en est pas moins un hymne à l’amour et à la liberté.
S’y mêlent sons de guitare rock, prises de paroles, proclamations universelles, projections oniriques, chant d’amour qui embrasent la salle et font communier acteur et spectateur.
Deux grands interprètes, Anila Dervishi (Théâtre National de Tirana) et Afrim Jahja (guitariste rock - The Witness) déploient leur talent dans un spectacle qui marie densité émotive et puissance magique.
GALERIE PHOTOS
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