Sybéria 3 : Rencontre avec Benoît Sokal
Au début des années 2000, apparaissait un jeu vidéo un peu particulier, Sybéria narrant les aventures de la jeune avocate Kate Walker. Il fut suivi assez rapidement d’un deuxième opus. Après une longue attente, les fans vont pouvoir découvrir Sybéria 3, né d’une collaboration entre le studio Microids et Benoit Sokal.
A cette occasion, Unification a eu la chance de rencontrer le très sympathique Benoît Sokal pour en savoir un peu plus sur la conception du jeu.
Benoît Sokal est dessinateur, scénariste et créateur de jeu vidéo. Il a publié de nombreuses bandes dessinées dont les séries Les Enquêtes de l’inspecteur Canardo et Kraa . Il a aussi développé son univers dans des jeux vidéo dont les Sybéria.
À la fin de Syberia 2, pensiez-vous faire un troisième opus ?
Non, pour moi l’histoire était terminée, ça c’était clair. J’avais toutefois toujours envie de raconter une histoire avec une femme. À la fin de Syberia 2, ça été un peu compliqué, j’ai raconté d’autres histoires avec de pseudo Kate Walker du moment où c’était mon univers, mon histoire. J’étais aussi content de passer à autre chose. J’ai fait d’autres jeux mais aussi des bandes dessinées. Je ne suis pas employé d’une société, c’est un peu ma liberté avec ses avantages et ses inconvénients. Un des avantages, c’est de pouvoir faire ce que l’on veut au moment où l’on veut.
Comment est venue l’idée d’un troisième opus ?
En 2011-2012 j’ai commencé à y penser mais ça ne vient pas si simplement que ça. J’ai toujours des idées en route. Par exemple, Syberia 3 survole Tchernobyl ça c’est quelque chose auquel je pensais depuis au moins 10 ans mais pour lequel je n’avais pas d’idée aboutie : ce sont des idées qui restent dans un coin de la tête et qui en sortent moment voulu. Il y a comme ça des sortes de carnet secret d’idées qui ne sont pas forcément écrits mais qui servent à nourrir les choses. Ça peut être un événement dans ma vie, des choses que je lis, des choses que je vois à la télévision ou au cinéma. J’ai plein de sources. Avec Kate, c’est comme si c’était moi qui visitait les endroits imaginaires. C’est un avatar quelque part.
Sur Sybéria 3, vous êtes impliqué à de nombreux niveaux : scénario, dessin... Quand commence et quand s’arrête votre travail ?
Quand je commence à penser, à réfléchir, à imaginer une histoire et ça ne s’arrête jamais. Je trimbale mes jeux depuis plus de dix ans d’éditeur en éditeur. Syberia a voyagé à Paris, à Montréal : pour être fabriqué tout simplement. Syberia c’est l’œuvre de tout un studio avec des gens qui s’investissent parfois très, très fort. Je transporte simplement un univers, une idée, un concept ce n’est pas un boulot solitaire.
Est-ce que le studio impose des contraintes ?
Je demande plein de choses. C’est mon boulot de faire ça : d’être toujours quémandeurs. En face, j’ai des studios, des éditeurs qui parfois me disent : ce n’est pas possible, ça coûte trop cher, on est trop en retard. En fait c’est leur jeu. Il faut travailler avec des gens qui sont honnêtes intellectuellement. Je comprends les contraintes mais je pense qu’il faut une confrontation. Il faut que chacun reste dans son rôle et, le mien, c’est de toujours en vouloir plus pour le bien du jeu, pour qu’il soit le plus beau possible.
Quand vous élaborer le design, partez-vous de choses réelles ou imaginaires ?
Tout peut exister ,ça dépend. Si l’on reprend l’exemple de Tchernobyl, j’ai vu beaucoup de reportages, de livres de photos. C’est un des endroits les plus effrayants mais aussi un des plus formidables d’Europe. C’est une réserve naturelle fantastique. J’ai vu des reportages à la télé où il y avait des meutes de loup qui hantent des fêtes foraines. La végétation qui envahit tout je trouve ça formidable et cette espèce de radioactivité qui se balade partout mais qui ne fait pas apparemment beaucoup de tort aux animaux. C’est un désert, mais en fait, ça a duré très peu de temps pourtant le danger existe toujours. Il y a des tas de choses comme ça qui m’interpellent et qui m’intéressent.
Mais ça peut être aussi pour des tas d’autres choses. Aux infographistes, par exemple, pour les petits objets, je leur donne un fac-similé du catalogue des armes et cycles de Saint-Étienne. C’est un catalogue qui est l’équivalent au siècle dernier du catalogue de la Redoute. On pouvait tout acheter dans ce catalogue aussi bien des poêles que des vêtements, des chaussures, des attrapes-souris, des vélos ou des nécessaires de maquillage. Tout est dessiné, gravé, c’est formidable. Souvent, quand il faut modéliser quelque chose je regarde là-dedans.
Je suis né à Bruxelles donc pour l’art décodans Syberia je m’en suis inspiré puisque j’ai été baigné dedans quand j’étais petit. Pour l’art déco, nous sommes aussi allés voir des immeubles à Montreal. Tout est possible pour la documentation
Au point de vue graphique , travaillez-vous avec des outils traditionnels ou informatiques ?
C’est moitié-moitié. Il y a beaucoup de dessins. Parfois, ça va plus vite, c’est plus simple. Parfois j’ai envie, il faut toujours qu’il y ait une notion de plaisir. Mais ça peut parfois être des dessins informatiques pour certaines choses parce que je n’ai pas le temps, ça va plus vite. Mais c’est vrai que j’aime bien faire des petits dessins parce que les dessins valent souvent mieux qu’un long discours. Je viens parfois ici avec des dessins ou j’en fais sur place. C’est un langage assez facile à transmettre
Quelles sont les différences au niveau du travail entre le jeu vidéo et la bande dessinée ?
C’est une différence de narration. J’ai toujours eu l’impression que je continuais le même métier mais avec d’autres outils. Mais il y a quand même une différence, c’est que l’on a un autre système narration. La bande dessinée est un système de narration très proche du cinéma qui est lui-même très proche de celui du roman : un lecteur un peu captif, un spectateur. Cela nous permet de distiller les rires et les larmes, un peu que l’on fasse bien son travail, comme on veut : on impose aux spectateurs une dramaturgie
Ce n’est pas pareil avec le jeu vidéo parce que l’on a affaire à un joueur, quelqu’un d’assez fantasque. Et surtout un promeneur : quelqu’un qui va aller voir à droite à gauche et qui ne va pas forcément aller voir les éléments proposés dans l’ordre que vous le désirez et au moment où vous le souhaitez. Ça pourrait être un lecteur distrait, c’est un distrait dans le bon sens du mot : il farfouille un peu dans tous les coins du décor. C’est donc difficile d’insérer dans son cerveau les émotions aux moments où l’on voudrait. Il faut employer d’autres manières de raconter une histoire. C’est une chose qui est à inventer, c’est ça qui est passionnant. C’est aussi frustrant mais je pense que c’est la première fois dans les modes d’expression narratif qu’il y a ce changement : on n’est plus le deus ex machina de son récit
Il y a eu de gros progrès technologique entre Syberia et Syberia 3, est-ce que cela a eu une influence sur votre travail ?
Oui ça a beaucoup joué parce que pour Syberia 1 et 2 j’ai dominé à peu près tout en terme pictural. C’était de la 3D recalculée donc je pouvais retoucher toutes les images à ma manière : rajouter un arbre par exemple ou changer la lumière. Donc, l’image finale sortait de chez moi. Aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas parce que je ne peux plus faire ça, la technologie ne me le permet pas.
L’image est beaucoup plus contraignante en terme de poids et de problèmes techniques. Le résultat de tout ça, c’est que je dois beaucoup plus déléguer à toute l’équipe. C’est toujours un peu frustrant. Mais il faut faire avec et essayer de contourner les problèmes, d’être plus malin
Le jeu Sybéria 3 sort le 20 avril. Il sera disponible sur PlayStation 4, Xbox One, Mac, PC et Nintendo Switch.
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