EXCLUSIF UNIF - The Duke of Burgundy : Rencontre avec Peter Strickland
A l’occasion de la sortie en salle de The Duke of Burgundy, Unification a eu la chance de rencontrer son réalisateur Peter Strickland et de lui poser des questions exclusives.
Attention ! Certaines des réponses de Peter Strickland contiennent quelques spoilers, modérés, sur le film.
Ma première question concerne le titre de votre film. Avez-vous choisi le nom du Duke of Burgundy (nom d’un papillon anglais : Duke of Burgundy Fritillary (Hamearis lucina) qui correspond à la Lucine) en référence au statut de deuxième papillon le plus en danger de l’Angleterre ? Ou à cause des différences existantes entre les mâles et les femelles ? (la caractéristique de la sous-famille est que la femelle à 6 pattes fonctionnelles au contraire du mâle qui n’en a que 4). Ou alors y a-t-il une autre explication ?
C’est plutôt un point de vue masculin. Je voulais donner un ton masculin qui induirait en erreur, notamment sur la période du film.
Le mot de code d’Evelyn est “pinastri”. Est-ce une référence au Sphinx pinastri ?
Oui en effet.
Il me semble qu’il s’agit du papillon que nous voyons quelques fois dans le film, principalement dans votre très belle séquence onirique. Pouvez-vous nous confirmer qu’il s’agit bien de cet animal ?
Oui c’est bien un papillon de cette espèce. Mais il a été fait en images de synthèse. Nous l’avons créé à partir de rien Nous avons modélisé l’insecte, ajouté tous les petits détails et intégré la séquence en postproduction.
Pourquoi avez-vous choisit de faire de vos deux personnages principaux des spécialistes de Lépidoptères (papillon) et des Gryllidae (grillons) ?
Cynthia adore ces insectes. Evelyn préfère les papillons qu’elle trouve plus exotiques. Ce n’est pas une métaphore. C’est plus sensuel. On est en automne, les insectes sont en train de mourir. L’histoire est automnale, c’est la fin de quelque chose. La vraie nature du film est une histoire d’amour. Il y a aussi de l’ironie quand Evelyn dit que ses papillons préférés sont les papillons de nuit.
Cynthia est le nom de la scientifique dans le tableau The Painted Lady, alors que le docteur Viridiana semble être nommée d’après la Tordeuse verte du chêne (Tortix viridana). Quel est votre inspiration pour le nom d’Evelyn et confirmez-vous la provenance du nom du docteur Viridiana ?
Le nom d’Evelyn vient d’un film italien que j’aime beaucoup The Night Evelyn Came Out of the Grave (La notte che Evelyn uscì dalla tomba). Celui de Viridiana vient aussi d’un de mes films favori Viridiana.
Vous avez une très bonne documentation entomologique dans votre film. Quelle a été votre approche scientifique ?
J’ai lu, je suis allé sur wikipédia, j’ai été dans des bibliothèques. Mais je ne voulais pas trop mettre de science dans le film car je voulais qu’il s’agisse d’une sorte de conte de fées. Comme je n’avais pas un grand budget, j’ai préféré payer les services d’une entomologiste et pas d’une dominatrice. Par exemple j’ai utilisé le chant du grillon pour différencier deux espèces qui semblent identique physiquement. Je ne lui ai évidemment pas vraiment dit de quoi parlait le film.
Vous avez dit que vous vous êtes inspiré de Jess Franco et des films érotiques des années 70 pour réaliser The Duke of Burgundy. N’est-ce pas un grand challenge de réaliser ce genre de films au 21ème siècle ?
Jess Franco était un point de départ. Je ne voulais pas faire un pastiche, ni un film stéréotypé. Mais j’ai aussi été inspiré par Tinto Brass et d’autres réalisateurs. Le film devait garder un certain niveau de fantasme. La dominatrice est toujours dans le personnage qui est pré-orgasmique, mais on la voit aussi dans un pyjama informe et elle ronfle en dormant. Cela casse son image et la rend parfois drôle. La dominatrice et la soumise sont des rôles, mais le véritable caractère des personnages est plus complexe. Du coup ça rend plus fluctuant leurs personnages. C’est aussi un paradoxe que la plus soumise soit une vraie dominante. Cela permet d’explorer tous les aspects de la punition car Evelyn adore cela.
Par exemple dans la scène du massage, quand Cynthia force Evelyn à lui masser le dos, cela excite cette dernière. Mais quand Cynthia a vraiment mal au dos et demande à Evelyn de la masser, elle n’en fait rien car cela ne lui apporte aucune excitation. Cette situation n’est pas habituelle et ne rentre pas dans sa performance quotidienne.
Avez-vous eu des difficultés pour financer votre film ?
Mon premier film a été impossible à financer. J’ai dû l’autofinancer. Pour mon deuxième, cela a été très dur pour trouver des fonds. Le troisième a été le plus facile à monter. Cela a été très facile de réunir les fonds.
Votre description de la relation sadomasochiste entre vos deux actrices est très délicatement décrite et n’est jamais ni grossière, ni vulgaire. Comment avez-vous réussi à convaincre Sidse Babett Knudsen et Chiara D’Anna de jouer dans votre film ?
Je connais Chiara D’Anna depuis mon premier film. Sidse Babett Knudsen a été plus difficile à convaincre à cause de ce que Cynthia fait.
Le script était assez explicite. La plupart des actrices auraient refusé. Elles ont lu le script donc elles savaient à quoi s’attendre. Elles ont fait confiance au réalisateur et se sont senties confortables.
Votre direction d’actrice est merveilleuse. Est-ce que Sidse Babett Knudsen et Chiara D’Anna ont improvisé dans certaines scènes ou est-ce que leur texte, leur déplacements et leurs comportement ont été entièrement scriptés ?
Il y a des choses qui ont changé dans mon script. Mais il n’y a pas eu beaucoup de changements dans les lignes de texte. Il y avait beaucoup de langage corporel sur lesquels elles ont travaillés. Les expressions du visage comptaient aussi beaucoup. Les deux actrices ont réussi à faire passer beaucoup de chose physiquement comme quand l’une effleure l’épaule de l’autre… Tout est mouvement.
Avez-vous beaucoup fait évoluer votre script depuis votre première version ?
Originellement, il y avait deux femmes et on pouvait croiser des hommes de temps en temps dans l’histoire. Mais j’ai préféré supprimer tous les hommes ce qui donne un côté plus artificiel.
L’entomologie est plus un hobby qu’un véritable travail. Il n’y a pas d’idée de gagner de l’argent avec.
Combien de versions de votre scénario avez-vous écrit avant votre version finale ?
J’ai fait 3-4 drafts. J’ai commencé à écrire en mai 2012 le premier draft puis en septembre 2014 ça a été la présentation du film. Cela a été étrangement rapide. J’ai été chanceux.
Comment avez-vous réussi à capturer à la fois la sensualité et la féminité de vos deux principaux personnages ?
C’est un mélange du travail de tout le monde. Tout le monde travaille dur. Le réalisateur, la costumière, les actrices, le chef opérateur, les caméramens…
J’ai essayé de ne pas être trop masculin dans ma mise en scène. Je ne peux pas prétendre être une femme, mais j’ai essayé de ne pas être trop mécanique, de ne pas être trop directif avec les caméramens, de me centrer plus sur l’atmosphère. Ce n’était pas facile à faire.
Avez-vous introduit le personnage du charpentier pour perturber la relation entre Cynthia et Evelyn ? Et/ou était-ce pour ajouter une pointe d’humour dans votre film ?
Ce n’était pas mon intention. J’ai écrit le personnage du charpentier pour induire l’idée de ce que désirait Evelyn. Parce qu’elle veut être dominée, ce qui peut paraître curieux pour plein de personnes. Elle veut vraiment le lit bondage et cela permet de poser la question de pourquoi elle veut vraiment ce lit et pas comment elle va l’avoir. Du coup on se pose aussi la question de comment cette relation fonctionne entre deux personnes qui ont des moyens d’expression aussi différents sexuellement, que pense le voisinage à leur sujet. C’est comme l’introduction du docteur Schuller et du cirage de ses bottes. C’est cet évènement dans lequel Evelyn va trop loin qui a de l’impact sur la relation entre Evelyn et Cynthia. Cynthia essaye toujours de plaire à Evelyn, mais par exemple les toilettes humaines vont trop loin pour elle. (le réalisateur a d’ailleurs pris un consultant à ce sujet pour être crédible dans le film).
Cette question est pure curiosité de ma part. Pourquoi les mannequins dans la salle de conférence ?
C’est une référence à Jean Renoir, Fassbinder et à des sculptures. Dans les années 70 Franco utiliser des sculptures les images. C’était fantastique. Dans les années 70, les images étaient plus chargées. Ce n’était pas pour moins dépenser d’argent. En fait les mannequins nous ont coûté plus chers que les figurantes. Ces dernières s’amusaient à s’habiller et à venir écouter des choses dans une langue qu’elles ne comprenaient pas. Par contre pour la scène dans laquelle on entend des chants de grillons, nous avons passé une autre musique que nous avons remplacée en postproduction car nous avions peur que les figurantes ne réagissent pas de la bonne façon.
L’atmosphère du village est étrange et enchanteur. J’ai eu l’impression qu’Evelyn était la propriétaire du village et qu’une grande partie de ses habitants étaient ses employés. Est-ce que c’est seulement dans mon imagination ou quelque chose que vous aviez à l’esprit quand vous avez finalisé votre script ?
Non, ce n’était pas voulu. Evelyn a beaucoup d’argent. En fait je voulais donner l’impression d’un monde faux qui pouvait rappeler celui des contes de fée, car c’est un peu l’histoire que je raconte, celle d’un amour étrange dans un lieu isolé.
Pouvez-vous nous parler de votre prochain projet ?
Je ne sais pas vraiment ce que je vais faire. J’ai une idée mais elle n’arrête pas de changer. Je n’ai pas vraiment eu le temps d’y penser ces derniers temps car j’étais très pris par la sortie de mon film. J’ai besoin de me retrouver seul pendant un mois.
Peter Strickland est un réalisateur très sympathique qui a fait un film incroyable. Une œuvre qui se ressent autant qu’elle se voit. Entre deux actrices en état de grâce qui illuminent le film de leur présence et une atmosphère formidable qui donne au spectateur l’impression d’être dans un autre monde, The Duke of Burgundy est un film original et captivant à ne pas manquer.
Vous pouvez en retrouver la critique ICI.
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