The Voices : Notre rencontre avec Marjane Satrapi
Dans le cadre de la promotion de The Voices qui sort en salle le 11 mars 2015, Marjane Satrapi s’est prêtée à une table ronde passionnante qui a eu lieu au bien nommé Café des chats et dont voici la retranscription.
Attention ! Certaines questions contiennent des spoilers sur The Voices.
Le chat roux est-il méchant ?
Non, le chat n’est pas méchant. Il est plus subversif et malpoli que méchant.
Votre film a coûté 9 millions d’euros. Au vu de sa qualité, comment avez-vous fait pour respecter le budget ?
Mon film a coûté 9,3 millions de dollars. Il y a eu 33 jours de tournage. Pour réussir à tenir le budget, ça nécessite beaucoup de travail.
Les animaux parlent pendant 18 minutes. Mais il n’y a que 4,5 minutes où on les voit vraiment parler à l’écran car comme il s’agit d’effets spéciaux, chaque seconde coûte cher. En même temps passer trop de temps à les montrer parler n’est pas non plus une bonne idée car il y aurait une habitude qui s’installerait.
Il faut donc donner l’impression qu’ils parlent beaucoup, et cela nous a demandé 6 mois de travail.
Au début du film, on m’a dit que j’avais 18 millions de dollars, puis chaque semaine qui passait on m’en enlevait 1. Du coup on devait être intelligent quant à l’utilisation de l’argent. Dans le film si on voit un coin, on ne construit que ce coin, pas le reste de la pièce. Cela nécessite pas mal de calculs.
J’ai commencé à travailler sur le film avant le contrat signé.
J’ai mis deux ans à faire The Voices et je me suis toujours posé la question : « est-ce que quand je reverrais le film dans 10 ans j’en aurais honte ? ». Comme je ne voulais pas faire un film tout pourri, j’ai beaucoup travaillé dessus.
Est-ce que votre film aurait été différent si vous aviez eu plus de budget ?
J’aurais eu plus de facilité à le réaliser. Le projet était sur la black list. Tout le monde trouvait qu’il s’agissait d’un super projet, mais personne ne savait à qui le vendre et comment le vendre. Or à Hollywood on fait des films pour le fric.
Si on réalise un film avec suffisamment d’argent, ça ne veut pas forcément dire qu’il sera meilleur. Ça veut même peut-être dire qu’il y a des choses qui ne sont pas très bonnes dedans, comme un problème avec le scénario, et qu’on veut les masquer. Et moi je préfère avoir un film avec un bon scénario.
Le projet du film était sur black-list à Hollywood. Comment avez-vous réussi à réunir un tel casting ?
C’est quelque chose de très anglo-saxon. Les acteurs anglo-saxons font parfois des films pour la tune et parfois des films pour faire une performance d’acteur. J’ai déjà entendu dire que le fait de maigrir pour un rôle ne suffit pas pour avoir un Oscar, mais quand vous interprétez un homme qui meurt d’une maladie grave, vous ne pouvez pas être trop gros…
J’ai visiblement une façon de travailler avec les acteurs qui m’a donné une certaine réputation. Quand j’ai dit aux acteurs du film que je voulais travailler avec eux, ils ont tous dit oui.
Est-ce que Ryan Reynolds a trouvé difficile d’interpréter un sérial killer ?
C’est Ryan Reynolds lui-même qui est venu me trouver pour jouer le rôle. Après en avoir discuté avec lui, je me suis rendue compte qu’il avait la même perception du personnage que moi. En fait, il souffre du même problème que les belles femmes. Tout le monde pense que comme il est beau, il est con. Ce n’est pas vrai : on peut être laid et bête, beau et stupide, laid et intelligent… Toutes les catégories sont possibles.
Alors que Ryan Reynolds est vraiment un homme parfait. Il est drôle, c’est un vrai gentleman, il ne fait pas chier. Il rajoute même de bonnes choses au scénario.
Quand je l’ai vu, je me suis rendu compte que c’était évident que le rôle était pour lui !
Est-ce qu’un scénario aussi fou aurait pu être écrit par Marjane Satrapi ?
Non, ce n’est pas possible que j’écrive quelque chose comme cela. Je dois écrire des choses qui proviennent de mon monde et avec lesquelles je me sens à l’aise. Je n’aurais jamais pu écrire ce scénario.
Mais par contre je me le suis complètement approprié. J’ai réécrit le film avec des images.
Michael Perry ressemble à un prof de math. Il est très gentil. Il n’a vraiment pas la tête de l’emploi d’une personne qui a écrit un scénario pareil.
Pourquoi le monde intérieur de Jerry est plus beau que la réalité ?
Dans sa folie, il voit un monde très beau alors que la réalité est sordide. Chez lui, c’est laid, ça sent mauvais. Il y a des excréments d’animaux par terre. Je voulais créer une empathie du spectateur pour lui. Quand il prend ses médicaments et qu’on découvre la réalité, je voulais que le spectateur se dise « non, ne prends pas tes médicaments ! » et soit d’accord avec lui quand il décide d’arrêter de prendre ses pilules.
Est-ce que vous avez retravaillé le scénario ?
Le travail s’est fait à deux. A l’origine le scénario était plus gore. C’est moi qui aie voulu le tirer vers la comédie.
Aux États-Unis les scénarios sont très calibrés : 1 page correspond à 1 minute de tournage. Dans le script original, il y avait de quoi faire un film de 1 h 10, si bien évidemment rien n’était coupé au montage. Moi je voulais faire un film d’1 h 30 / 1 h 45.
A force d’y penser, j’avais le sentiment du rythme du film. Je savais où il fallait condenser, les problèmes rencontrés. Il a fallu trouver un équilibre entre nos deux versions de l’histoire.
Pourquoi avoir fait cette fin ? Pourquoi cette chanson finale ?
La fin originale devait être une fête dans le bowling. Je voulais que ce soit plus beau. J’ai fait un story board de la scène, mais quand je l’ai montré on m’a dit que c’était la scène du bowling de The Big Lebowski. J’adore ce film, je l’ai vu plein de fois et je ne m’étais pas rendue compte que j’avais fait la même chose. Je devais donc tout changer. 172 de QI pour faire du plagiat. Super !
Le film devait se finir bien. A un moment dans le film, Jerry dit que si Dieu existe alors il doit être OK pour qu’il tue des femmes sinon il l’en empêcherait. Du coup à la fin tout le monde se retrouve au paradis et ça j’aime bien.
Monsieur Moustache, le chat, interprète la mauvaise conscience de Jerry alors que Bosco, le chien, est celui de sa bonne conscience. Vous n’avez pas voulu inverser ces rôles ?
Vous ne trouverez jamais de chat policier ! Le chien est une création de l’homme à partir du loup. Regardez les caniches, ce sont des chiens tarés. On est très loin du loup. Le chat est votre pote au mieux, sinon il vous ignore. Si vous les regardez chasser, vous voyez leur côté sadique : je t’attrape, je te relâche, je te rattrape… L’homme a créé le chien à son image.
Pourquoi cette esthétique dans le film avec des couleurs partout ?
Je viens de la peinture où il y a plein de couleurs, à l’opposé de la bande dessinée en noir et blanc.
Mais le milieu de la peinture est très élitiste. Je ne voulais pas me retrouver un jour dans une galerie avec un verre de champagne à la main. Je voulais faire quelque chose de plus populaire comme de la bande dessinée, et des films parce que le peuple n’est pas con et est capable de tout apprécier.
Je n’aime pas le mauve, le beige et le vert.
J’ai établi dans le film une charte de couleur.
Quand vous regardez autour de vous, vous voyez des choses qui ne sont pas devant vous. Je voulais que ce soit la même chose dans le film et qu’on soit aussi conscient de ce qui se passe hors écran.
J’ai acheté un livre sur l’intérieur des maisons des cowboys modernes. Les éléments, comme les lits, étaient intégrés à l’intérieur des murs. C’est ce que j’ai voulu pour Jerry.
Son lit intégré dans le mur trouvait une résonnance avec le fait que Jerry soit bloqué dans son cerveau.
L’environnement fait sensation dans l’esprit du spectateur. Il a par exemple un lit une place car je ne voulais pas présenter Jerry comme un prédateur sexuel même si il tue des femmes. Je ne voulais pas que les gens se disent « Tiens il a un lit deux places parce qu’il veut ramener une fille chez lui ». Ce n’est pas le personnage qu’est Jerry.
Un lit une place fait 80 cm, mais là j’en ai fait mettre un de 70 cm. Il fallait convaincre tout le monde qu’il n’avait pas l’idée d’être en couple un jour. Cela permet plus de croire en son personnage.
Pourquoi ne pas avoir montré la véritable apparence de l’usine et du restaurant, mais uniquement comment Jerry voit ces lieux ?
Si j’avais fait cela, ça aurait fait avoir une épilepsie visuelle au spectateur.
On ne sait pas comment est le monde extérieur, mais il est peut-être vraiment ce qu’on voit.
Par exemple Jerry travaille dans une usine qui fabrique des baignoires. Les employés portent des salopettes roses, mais cela peut se justifier par l’activité de l’usine.
Le blanc est utilisé dans le corps médical, le vert, c’est la propreté de Paris, l’orange a été utilisé dans Car Wash et puis que voulez-vous, je suis une fille et j’adore le rose !
La chambre de Jerry ne peut pas être sale, sinon les gens auraient du recul vis-à-vis de lui quand il sort et travaille.
Quand je créé un personnage, je me pose des questions sur qui il est, qui fait partie de son entourage, qui est sa tante par exemple, quel était son jouet préféré quand il était enfant ?
Cela permet de mieux connaitre le personnage et de lui donner une plus grande cohérence.
Il y a différentes sensibilités entre le public français et celui américain. La fin n’a pas posé problème ?
La fin a beaucoup fait rire aux États-Unis. Le producteur du film m’a dit que ce n’était pas une fin américaine. Je lui ai répondu « dites à haute voix mon nom. Ce n’est pas John Smith. Donc vous saviez quand vous m’avez proposé le film que je n’étais pas américaine ! »
Ryan Reynolds voulait tourner avec un réalisateur européen. Les acteurs apprécient cela car ça permet de porter un nouveau regard sur le film.
Pouvez-vous nous parler du travail sur la voix des animaux de Ryan Reynolds ?
Il m’a envoyé les voix qu’il avait faites pour les animaux sur son iPhone. Elles m’ont fait rire donc j’ai décidé que c’est lui qui ferait ces voix. Après tout, ce sont les voix intérieures du personnage qu’il incarne, c’est donc normal que ce soit sa voix qu’on entende.
Il a enregistré tout ce que les animaux disaient après chaque scène. Il a même fait de l’improvisation sur ce qu’ils disaient. Par exemple quand Monsieur Moustache lui demande son autographe de serial-killer, c’est lui qui en a eu l’idée.
Le réalisateur pense au personnage, l’acteur est vraiment le personnage.
Si Monsieur Moustache a une voix écossaise, c’est parce que les voix que l’on a dans la tête peuvent avoir les accents que l’on veut. Ryan Reynolds s’est inspiré pour cette voix de son agent qui est roux.
La mauvaise conscience de Jerry le pousse à faire ce qu’il n’aime pas : tuer. Qu’est-ce que vous dit votre conscience ?
Je sais que je vais mourir un jour et que mon temps est compté. Quand on n’a plus d’argent, on peut en refaire, mais quand 5 minutes sont passées, ce sont 5 minutes de notre vie qui sont passées pour toujours. J’ai envie de faire plein de choses, mais je réfléchis toujours au temps qui passe.
Je ne m’engueule jamais plus de 15 minutes avec une personne. Je me dis toujours « Bon sang et si elle meure après notre engueulade et que la dernière chose que je lui aie dit c’est des choses désagréables ! » J’ai une grande conscience de la mort.
Marjane Satrapi est vraiment une femme extrêmement simple et très drôle. Sa table ronde, organisée par le distributeur Le Pacte que je remercie pour l’invitation, a été très agréable. Vous pourrez retrouver sur notre site la session de questions-réponses qui a eu lieu après la projection de The Voices. Cette dernière, beaucoup plus longue, apporte une foule d’anecdotes sur un film qui sort complètement de l’ordinaire.
Vous pourrez retrouver sur notre site la critique de The Voices qui est une comédie noire très réussie et colorée. Un film brillant et insolite qui fait passer un bien agréable moment.
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