R.I.P. Manny Coto : Vie et mort d’un grand de la SF
Manny Coto s’en est allé !
Son nom ne dira peut-être rien à certains, mais il parlera beaucoup aux autres...
Immigré cubain devenu états-unien, diplômé de l’American Film Institute, Manuel Hector dit "Manny" Coto a débuté sa carrière scénaristique dans les séries anthologiques cultes Alfred Hitchcock Presents 1985, Tales From The Crypt (Les contes de la crypte), The Outer Limits 1995 (Au-delà du réel) tout en signant (parfois comme réalisateur) des œuvres plus confidentielles ou indie tels Jack In The Box (1989), Playroom (1990), The Ticking Man (1990), Cover-Up (1991), Dr Giggles (1992), Hostile Intent (1997), Star Kid (1997)…
Passionné de SF, mais aussi de fantastique et d’horreur, il s’affirmera progressivement comme l’un des auteurs, producteurs exécutifs et showrunners les plus rigoureux et créatifs d’Hollywood, lauréat entre autres d’un Emmy Award (catégorie meilleure série dramatique) et aussi du prix spécial du jury au Festival international du film fantastique d’Avoriaz. La postérité retiendra évidemment ses contributions majeures aux séries contemporaines de référence 24 (24 heures chrono), Dexter, American Horror Story, et American Horror Stories.
Mais derrière cette prestigieuse carte de visite, Manny Coto avait un jardin secret (enfin plus si secret…) : depuis son enfance (à Orlando), c’était un amoureux de Star Trek, un vrai !
Sa capacité à articuler de façon crédible de vastes ensembles complexes dans la série Odyssey 5 (nous y reviendrons...) impressionna tellement Brannon Braga que celui-ci l’embaucha aussi sec sur la série Star Trek Enterprise. Sa troisième saison devait être pour lui un galop d’essai, mais son premier script pour la franchise (ST ENT 03x10 Similitude) fut d’emblée un chef d’œuvre ! Si bien qu’il hérita du showrunning dès la quatrième saison de ST ENT.
Dès lors, tout en respectant scrupuleusement le synopsis originel des créateurs et toujours producteurs exécutifs Rick Berman et Brannon Braga pour la suite de la série prequelle (évolution des Vulcains, prémices de la Guerre romulienne, fondation de la Fédération en 2161…), Manny Coto prit l’initiative de s’entourer de plusieurs romanciers de l’univers étendu (Judith et Garfield Reeves-Stevens…) pour se connecter plus ouvertement à l’esprit et à l’ambiance de ST TOS, tout en "rentabilisant" le storytelling (i.e. partager les décors sur des arcs de deux à trois épisodes afin d’économiser les coûts, d’accentuer le dépaysement SF et d’approfondir les problématiques). En ajoutant à cela le sentiment croissant que la série serait dans tous les cas annulée par des studios hostiles (en d’autres termes qu’il n’y avait plus rien à perdre)… Manny Coto paya d’audace ! Et c’est ainsi que la quatrième saison de ST Enterprise devint une apothéose et un moment de grâce unique dans l’histoire de la franchise tout en étant (paradoxalement) son chant du cygne : la liberté de développer un Star Trek sans concession, entièrement fidèle ("true") à sa philosophie et à son univers, et consolidant son internalisme comme jamais (la plupart des mystères et des incohérences qui subsistaient depuis quarante ans furent brillamment résolus à l’exemple de la métamorphose des Klingons).
C’est bien simple : en une seule saison, l’apport de Manny Coto à l’univers de Star Trek fut tellement impactant, structurant et unificateur que l’on peut légitimement considérer qu’il est devenu une pierre majeure de l’édifice trekkien.
En contrepartie, quelles n’auront pas été la frustration et la tristesse (encore inconsolables aujourd’hui…) de n’avoir jamais vu se concrétiser tous ses projets (inspirés voire visionnaires) pour les saisons suivantes (5+) de la série prequelle…
Comme le révéla par la suite Manny Coto, son travail sur ST Enterprise fut le point culminant, non seulement de sa carrière, mais également de sa vie ! Une précision de circonstance pour cette nécrologie.
Il confessa même qu’il aurait été aux anges s’il avait pu consacrer son existence à ne travailler que pour Star Trek ! Un aveu qui laisse songeur (et mélancolique) à la lumière de ce que justement Star Trek est devenu depuis l’annulation d’Enterprise en 2005 et l’éviction de Rick Berman en 2006…
Par une ironie du destin, Manny Coto aura eu l’insigne "honneur" (quoique bien malgré lui) d’être l’ultime showrunner du True Star Trek — le Star Trek qui méritait encore son nom — jusqu’à conclure et parachever bellement la geste trekkienne. Ce qui amène à se demander si c’est Star Trek qui eut la chance d’avoir un tel auteur, ou si c’est un tel auteur qui eut la chance d’avoir Star Trek. Certainement les deux à la fois... pour l’éternité.
Mais ce panégyrique ne serait guère équitable sans rendre justice à l’œuvre probablement la plus personnelle de Manny Coto, à savoir la série Odyssey 5 (diffusée à partir de 2002 sur Showtime, avec notamment Peter Weller dans le rôle principal). Scandaleusement annulée durant son envol (après vingt épisodes seulement), honteusement tombée dans l’oubli aujourd’hui, elle fut pourtant une authentique œuvre d’auteur, pionnière et prophétique, un joyau sous-estimé très en avance sur son temps. Combinant dans un ensemble d’une exceptionnelle cohérence tous les thèmes les plus ambitieux de la SF (cosmos, extraterrestres, voyage dans le temps, effet papillon, (post-)apocalypse, seuils évolutionnistes, émergence, philosophie, ontologie…), elle constitue rétrospectivement peut-être l’œuvre la plus originale et la plus crédible à ce jour sur l’éveil de la sentience artificielle et la naissance de singularités...
Quelques dix-huit ans plus tard, à l’ère de ChatGPT, Manny Coto tentera à nouveau l’expérience sur ce même thème des IA (bien plus d’actualité qu’en 2002) avec l’audacieuse série NeXt (2020), mais celle-ci connaîtra hélas une semblable infortune (le COVID-19 paraît-il…).
Cruel destin, toujours.
Fan lui-même avant même d’être un grand auteur, trekker expert et passionné, débordant d’idées et d’intelligence, toujours à l’écoute du public mais sans y sacrifier la sincérité de sa vision d’auteur, refusant la facilité du suivisme envers les effets de mode, foncièrement attaché à la cohérence interne et au worldbuilding — et aussi passionnant que profondément humain pour ceux qui ont eu la chance de le connaître personnellement — Manny Coto incarnait une certaine idée (désormais rare voire révolue) de la création audiovisuelle. Il avait l’honnêteté intellectuelle et l’humilité des vrais auteurs de SF (et de ST). Et il était — comme son partenaire d’écriture et ami Brannon Braga — en tout point l’antithèse d’Alex Kurtzman & cie.
En retrait des affaires depuis 2022, Manny Coto luttait contre un cancer du pancréas. Il s’est malheureusement éteint à 62 ans le 9 juillet 2023.
Même s’il n’était pas très célèbre auprès du grand public, il comptait — et ne cessera jamais de compter — au nombre des plus brillants — et touchants — scénaristes américains.
Il avait encore tant à dire et à créer... Il restera dans nos mémoires pour tout ce qu’il a accompli... mais aussi pour ce qu’il aurait pu accomplir (dans une autre réalité).
So long, Manny. Et merci.
YR
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