Les sorcières de l’Orient : La rencontre avec le réalisateur Julien Faraut
À l’issue de la projection du film Les sorcières de l’Orient, le réalisateur Julien Faraut est venu répondre aux questions du public lors d’un question-réponse particulièrement passionnant.
Voici la retranscription des échanges qui ont eu lieu. Vous pouvez aussi visualiser la vidéo de présentation du film, et celle de la rencontre en fin d’article.
Comment est-ce que vous avez eu l’idée du film et commencé vos recherches ?
Julien Faraut : Dans mon cas, c’est souvent les archives qui donnent lieu à l’idée un film. Je suis en charge d’une petite collection de films. Je dois les exploiter et les mettre en forme.
J’ignorais complètement l’existence des sorcières de l’orient et je ne connaissais pas non plus le lien qu’elles avaient avec les dessins animés de volley.
On m’a parlé de l’équipe et mon premier choc est venu de l’intensité de leurs entraînements qui étaient supérieurs à ce que les femmes, et même les hommes, de l’époque faisaient. Ça m’a tout de suite fait penser au dessin animé Jeanne et Serge.
À l’époque, on a fait le dépôt d’un film sur cet entraînement et en même temps, il y a eu une copie du dessin animé Attack No.1 qui nous a été fourni. Il s’agit du premier manga qui a été fait sur le volley en 1968 par Chikako Urano et qui a été adapté en série animée en 1969.
À l’époque, c’était très rare de trouver dans les mangas pour filles, les shojos, du sport. C’est juste avant les Jeux Olympiques de Mexico en 1968 qu’un fournisseur de ballon de volley a encouragé la pratique de ce sport. Il a financé le manga de Chikako Urano. Il a ainsi profité de la notoriété des sorcières qui avaient le goût de l’effort et de la réussite. C’est pour cela qu’au Japon le volley est plutôt considéré comme un sport féminin.
Jeanne et Serge est sorti en 1984 et a été diffusé en France en 1987. Mais il y a eu une dizaine de série parlant du volley entre 1968 et celle qu’on connaît le plus.
Il y a une véritable influence des mangas et des séries animés sur la pratique du volley. On voit un pic d’inscription lors de chacune de leur diffusion. Les séries ont d’abord transitée par l’Italie puis par la chaîne 5. En Italie, il y a une grande culture du volley. Il y a des joueurs qui ont commencé à pratiquer ce sport grâce au dessin animé. À l’opposé, en Angleterre, il n’y a pas eu de diffusion des dessins animés. Et la pratique n’est pas très répandue.
C’est le surnom qui était donné à cette équipe de volley japonaise qui a aiguisé ma curiosité. J’y trouvais aussi une dimension particulière avec la confusion entre la réalité et la fiction qu’un tel nom de sorcière leur apportait.
Est-ce que vous aviez dès le début du projet envie de mixer les archives et la série animée ?
Julien Faraut : Oui. J’avais dans l’idée ce mélange de genres. Le créateur du dessin animé a été très inspiré par les archives. Il y a 105 épisodes dans Attack No.1. Ceux 104 et 105 sont consacrés à une finale contre la Russie. Il me manquait beaucoup de matière dans les archives que j’avais réussi à trouver de cet affrontement. J’ai ainsi utilisé le dessin animé comme une rustine.
Pouvez-vous nous parler des séquences avec les balles qui fusent ?
Julien Faraut : C’était un premier test et je voulais faire un jeu avec le dessin animé. J’adore monter et je voulais savoir ce qu’allait fournir un mashup avec les dessins animés.
Le jour du montage, j’ai pensé à Portishead et à leur troisième album avec Machine Gun. Les images m’évoquaient des bombes et j’ai trouvé rigolo d’essayer avec cette piste.
Beth Gibbons est une chanceuse très introvertie. Et puis elle se met à chanter. Je trouvais très intéressant le contraste entre la fragilité de sa voix et son expression. C’était un peu comme le contraste entre les joueuses et leur terrain. C’était très efficace.
Il y a aussi beaucoup d’utilisation de synthé analogique, comme au Japon dans les années 60. Cela rajoute un côté rétro futuriste.
À la fin, il y a beaucoup d’enjeux. Il était très important d’avoir une musique originale. Je montre aussi l’image d’un entraîneur très abattu qui cache ses pleurs. C’est très beau, car il a compris que c’était la fin, et que des joueuses allaient quitter l’équipe. C’est un mélange de fierté, de joie et de tristesse. Il y a une véritable dimension nostalgique et mélancolique. J’ai pensé au groupe Grandaddy et à Jason Lytle son leader. Il a été ému par la fin et il a fait la musique. Il y a ainsi une chanson originale pour le film.
Comment s’est passé votre rencontre avec les sorcières ?
Julien Faraut : Je les ai tout d’abord rencontrées et le tournage n’a lieu que quelques mois plus tard.
Quand j’ai découvert les archives, j’ai vu qu’il y avait un gros défi. Il y avait un véritable problème de compréhension de leur histoire et une vision occidentale qui était biaisée par rapport à la connaissance du sport de haut niveau et celle du Japon. Cela m’a demandé un investissement important. Ce n’était pas une population de sportives qui correspondait à la norme.
J’ai lu un article américain qui avait genré la pratique sportive et qui considérait que l’entraîneur était horrible. Il n’était pas possible pour moi d’avoir une voix off. Je voulais que ce soit les sorcières qui elles-mêmes racontent leur histoire.
Mais j’avais deux gros problèmes. Je ne parlais pas le japonais et il s’agissait de femmes d’une autre génération que la mienne. Nous avons été trois à essayer de solutionner cela, et ça nous a pris environ un an.
J’ai pris contact avec l’équipe de France de volley qui a contacté celle du Japon. J’ai été faire des rencontres à l’ambassade. Mais la solution miracle est arrivée avec Catherine. Elle connaissait déjà le projet. Elle avait longtemps habité au Japon et était allée à Tokyo en 1964 et y avait d’ailleurs servi d’interprète pour les Jeux olympiques. Nous avons alors été ensemble chasser les sorcières et nous en avons trouvé quelques-unes qui étaient encore en vie et voulaient nous rencontrer, la plus jeune ayant 73 ans et la plus âgée 81.
Catherine Cadou : Nous avons raconté le projet de Julien à Katsumi Chiba (Matsumura), celui de faire revivre les sorcières. C’était un projet humain et elle a été conquise. Comme j’étais interprète aux Jeux Olympiques en 1964, j’ai vécu les jeux comme elle. On est devenu amies. Et elle a contacté les autres. Elles attendent avec impatience de voir le film.
Julien Faraut : Elle ne l’ont toujours pas vu. Je n’ai pas voulu leur envoyer un lien. Je veux qu’on le voit sur grand écran tous ensemble. J’espère bien pouvoir le faire à l’automne.
Est-ce que la conversation qu’elles ont à table était spontanée ?
Julien Faraut : On les a invitées à déjeuner toutes ensemble. Elles étaient très à l’aise. Il n’y avait pas de consignes. J’avais imaginé une scène plus scriptée, mais elle se retrouvera dans les bonus. Je pensais à une sorte de portraits à la Bernard pivot assez longs. Mais j’ai obtenu un matériau trop dense et il avait déjà beaucoup trop de choses à raconter. Je voulais que mon documentaire soit chronologique.
Catherine Cadou : Nous avons commencé nos relations avec les joueuses en juin 2019. Nous avons décidé d’abord de recueillir un témoignage oral sans caméra. On a fait la traduction en France. Il s’agissait de quatre entretiens d’une demi-journée. Nous ne sommes partis qu’avec un ingénieur du son pour bien leur montrer qu’il ne s’agissait pas d’une interview comme elles avaient l’habitude, avec des personnes qui débarquent chez elles, qui les filment et qui repartent comme elles sont venues.
Julien Faraut : Nous en avons conservé des brides. Il s’agit d’un récit choral, car c’est une histoire collective. À cette occasion, nous avons demandé aux joueuses quel lieu de tournage elles voulaient choisir.
Pour Chiba, c’était le Club Renaissance, ce qui nous a permis de parler du renforcement musculaire. Pour Yoko Tamura (Shinozaki), c’était pendant qu’elle entraînait un club de mama san au volley, ce qui a aidé à faire un lien avec les entraînements des joueuses. Kinuko Idogawa (Tanida) voulait être filmée chez sa fille et ses petites filles. Nous avons apporté le Memory Game avec lequel elles jouent. Cette dernière nous a dit qu’elle ne laissait pas gagner les autres. Il fallait le mériter. Enfin Yuriko Nakajima (Handa) a été filmé dans notre voiture, ce qui nous a servi à évoquer le voyage de l’équipe en Europe dans les années 60.
Par exemple, quand Handa coupe une pomme, il s’agit d’un souvenir qui remonte. En Roumanie, elle avait envie de fruits. Elle se souvenait qu’une femme lui avait ouvert son jardin et qu’elle avait mangé des pommes délicieuses. Au Japon, les pommes peuvent s’offrir individuellement et elles coûtent cher. C’est un beau présent.
Est-ce que les archives ont été faciles à avoir ?
Julien Faraut : C’est le plus facile pour moi de faire mon travail. Mais les demandes de droit peuvent nécessiter des semaines voire des mois entre les échanges. J’ai obtenu sans problème la remise du prix de la victoire en couleur dans l’usine. Mais j’ai eu un gros souci avec le CIO. En effet, le comité olympique travaille avec des grands sponsors qui réservent l’exclusivité de l’apparition des anneaux à l’écran. Il me demandait un prix prohibitif de l’ordre de 150 000 € par minute.
Il y avait un film officiel Tokyo olympiades de 5 minutes. Et on m’a aussi proposé un accès à des films techniques non utilisés qui duraient environ 20 minutes. Mais je n’avais pas le droit d’utiliser le film officiel. J’ai donc fait un très grand travail de remontage sur les éléments techniques. Et j’avais un autre problème. En effet, le son et les images n’étaient pas synchrones. Par chance, j’ai découvert que la NHK, une grande radio japonaise, avait gardé la retransmission radio de l’époque dans son intégralité. Je l’ai utilisé pour refaire un montage en essayant de voir dans quel ordre se mettaient les images.
Pouvez-vous nous parler du travail en usine des joueuses ?
Julien Faraut : Toutes les joueuses de l’équipe travaillaient à l’usine. L’entraîneur aussi. Il n’y avait pas de régime de faveur parce qu’elles jouaient au volley. Mais ils avaient des postes qui leur permettaient de s’absenter. Elles travaillaient par exemple à la réception des commandes et des colis.
Le matin, elles étaient employées à l’usine. Puis elles faisaient une préparation physique et ensuite un entraînement avec une durée indéfinie. Il n’y avait pas d’horaire fixe pour la fin de celui-ci. Il fallait réussir un exercice et si elles étaient rapides et efficaces, elles pouvaient finir tôt, sinon elles pouvaient s’arrêter à l’aube. Il fallait qu’elle le réussisse toutes. Aucune d’entre elles n’avait le droit de partir avant les autres.
Comment se passait l’entraînement en URSS ?
Julien Faraut : Il y avait une espèce de rivalité entre les deux équipes. Là-bas aussi, c’était mal vu d’être un joueur professionnel. Mais les Russes s’entraînaient moins et jouaient beaucoup plus au volley. Les Japonaises couraient beaucoup pour ramasser des balles. Les deux équipes avaient une culture d’entraînement très différente. C’est caractéristique du Japon. Par exemple, au judo, les ceintures de couleurs sont une invention française pour marquer le changement de grade, car au Japon, il n’y a que la blanche et la noire. Au pays du soleil levant, on répète sans cesse et c’est par son corps que l’on apprend le geste. Il y a un goût de l’effort et on aime travailler.
Est-ce qu’elles vous ont montré leurs médailles ?
Julien Faraut : Oui, on les a vues. C’était très beau. Mais c’est vrai qu’on ne les montre pas dans le film.
Est-ce qu’elles ont une forme de remerciement à la fin de leur carrière pour leurs victoires ?
Julien Faraut : C’est propre à une période. À l’époque, les sportifs se battaient pour la gloire, pas pour devenir riches ou célèbres. Ils représentaient leur nation. Ils avaient une vie normale. Après leur victoire, plusieurs joueuses ont quitté l’équipe et sont parties de l’usine ensuite.
Est-ce que leur épopée fait partie de l’imaginaire japonais ?
Catherine Cadou : Tout le monde les connaît.
Julien Faraut : Au Japon, c’est comme l’équivalent de France 98 au football. Le NHK a eu 92 % d’audience. Ce qui reste de loin une des meilleures audiences de tous les temps. Les joueuses sont régulièrement convoquées pour des rétrospectives. Par contre le public ne fait plus forcément de lien entre les mangas et les animés et leur équipe.
À la fin de notre tournage, on s’est retrouvé au karaoké et il y avait un grand choix dans le catalogue et j’ai trouvé le générique de Attack No.1. Ce qui montre que ce dessin animé fait encore partie de la culture populaire.
Est-ce qu’après leur première défaite, le mouvement s’est un peu arrêté ? C’est quand même étrange qu’une équipe privée représente la nation.
Julien Faraut : Il y avait un lien très fort entre l’entreprise et le sport de haut niveau. Cela permettait le soutien de l’image de l’entreprise. Après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu un report de la concurrence industrielle sur le plan sportif.
Leur défaite ne les a pas empêchées de gagner par la suite. Le Japon a été champion du monde en 1967 avec Katsumi Chiba comme capitaine. En 1972 et 1976, elles ont été vice-championnes olympiques.
Quand elle a arrêté, la capitaine avait environ 30 ans. Puis elle a été très sollicitée pour des interviews et a reconstitué une équipe pour faire des shows. À la quarantaine, elle a participé au développement des mama san et il y a eu la création de championnats pour les femmes mûres et les mamans.
C’était inédit, car les femmes étaient mariées et vivaient souvent chez les beaux-parents et s’occupaient des enfants. Elles ne travaillaient pas et arrêtaient le sport. Grâce aux matchs de gala des sorcières, les femmes au foyer se sont autorisées à jouer en club. C’est une avancée sociétale majeure qui a permis aux femmes d’âge mûr de pratiquer le volley.
Les sorcières de l’Orient est un excellent documentaire permettant de mettre en valeur des joueuses de volley d’exception. Vous pouvez en retrouver la critique ICI.
VIDÉOS
Présentation du film par son réalisateur Julien Faraut :
Rencontre avec Julien Faraut :
Bande annonce :
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