[EXCLUSIF UNIF] Lillian : La rencontre avec Andreas Horvath
Unification a eu la chance de rencontrer, grâce à Nour Films, le réalisateur du film Lillian, Andreas Horvath. Voici la retranscription des échanges passionnants qui ont eu lieu.
Comment avez-vous entendu parler de cette femme et pourquoi avoir voulu raconter son histoire ?
J’ai entendu parler de cette véritable histoire en 2004 au festival de Montréal où j’avais un film. Un moment, je suis allé en dehors et j’ai visité Toronto. J’ai retrouvé des amis et on a été dîné ensemble. Ils m’ont demandé s’ils pouvaient venir accompagné d’un de leurs amis qui revenait d’Alaska. C’est là où j’ai entendu parler pour la première fois de cette histoire et de cette Lillian. En 2004, il n’y avait rien dessus sur Internet. En Alaska, il y avait un petit Muséum dans lequel il y avait la photocopie d’un article parlant de la jeune femme.
Il m’a fallu beaucoup de temps pour trouver un financement. J’ai écrit l’histoire la nuit où j’ai entendu parler de cette femme. Je savais dès le début que je voulais que ce soit un film de fiction. Je voulais aussi utiliser cette histoire pour présenter les États-Unis.
Il a été vraiment difficile de communiquer dessus et de financer le projet. Ce n’est vraiment pas possible de supporter un film sans script, qui a une durée de tournage de 10 mois et qui se base sur un unique personnage qui ne parle pas.
Mais j’ai réussi à avoir de l’argent après plusieurs années, notamment autrichien. En 2015, j’ai réussi à trouver l’actrice. Nous sommes ensuite partis filmer au détroit de Béring où nous sommes restés deux mois. Nous avons fait la fin avant le début du tournage principal. Puis nous avons filmé de New York à l’Alaska pratiquement chronologiquement.
Il y avait 17 points de tournage avec les équipes, car il y avait plusieurs équipes sur le film. Le reste du temps, nous étions souvent seulement nous deux, avec l’actrice Patrycja Planik, car cela nous évitait de perdre du temps et permettait de filmer tout le trajet.
Le choix de ne pas la faire parler était-il évident dès le début ou est-il venu plus tard ?
En fait, on ne connaît pas son histoire personnelle et on n’en parle pas. C’était un grand challenge, mais aussi une manière de voir autre chose et de ne pas se reposer sur le dialogue. Je trouve que les films reposent maintenant trop sur les dialogues. Quand il n’y en a pas, on regarde autre chose et on se concentre sur des choses que l’on n’a pas l’habitude de voir. On se rend compte de la transformation physique de l’actrice, de la manière dont elle commence à marcher différemment. C’est comme si on avait un canevas vide, et que l’on doit y trouver des explications à ce qu’il se passe.
J’ai une explication à ce qui a pu arriver à la véritable Lillian. Je pense que quelque chose a cliqué dans son cerveau un jour et elle a décidé de tout quitter et a commencé à marcher. La première personne à qui c’est arrivé, et sur qui c’est documenté, est un Français. Il était sorti chercher quelque chose et il a commencé à marcher et a continué jusqu’en Russie.
Je pense que le personnage n’est pas vraiment présent. Elle regarde devant elle, mais on ne sait pas forcément si c’est vrai, si elle comprend ce qu’elle veut, ou si elle ne sait pas vraiment. On ne sait jamais vraiment ce qu’elle ressent quand on la regarde de l’extérieur.
Comment avez-vous choisi l’actrice ?
J’ai fait une très grande période de casting qui a duré un an. Il y a eu 700 femmes qui se sont présentées, car on avait mis de la publicité dans les journaux. On a eu des actrices, des non-comédienne, des personnes qui avait de l’expérience, d’autres qui voulait avoir le rôle et encore certaines personnes qui rêvait de le faire.
Quand on a vu Patrycja Planik, qui était une comédienne professionnelle, j’ai eu un très bon feeling. Pendant le casting, elle ne parlait pas beaucoup. Elle avait un visage ambigu qu’elle utilisait de façon importante. Elle semblait différente des autres. Elle pouvait transmettre beaucoup d’émotions avec son visage. Elle se sentait très proche de Lillian et disait que cela aurait pu lui arriver à elle aussi. Elle se sentait très concernée est vivait vraiment le rôle.
Elle était très curieuse et s’est beaucoup investie sur les scènes. Elle a apporté beaucoup d’accessoires et de costumes qu’elle a choisi elle-même et y a rajouté ses idées.
Comment avez-vous retracé le parcours de cette femme ?
On ne sait pas grand-chose de la vraie personne. On sait qu’elle a traversé la frontière du Canada plus rapidement que ce que je monte dans mon film. On connaît seulement le lieu et la date. Mais je trouvais que c’était plus intéressant de traverser les Etats-Unis, car c’est plus facile de s’y référer. Et les paysages canadiens sont beaucoup plus monotones. Les personnes ont plus l’habitude de voir des films américains que canadiens. En plus, il y avait plein d’éléments intéressants à montrer. On a croisé le Mississippi, il y avait des déserts et ces immenses champs de maïs. Il était important de donner au continent nord-américain une personnification.
Quels ont été vos critères pour choisir de montrer tel ou tel lieu ? Y a-t-il eu des impacts logistiques qui sont entrés en jeu ?
Il y a beaucoup de choses qui m’ont attiré dans cette histoire. J’étais un étudiant étranger en Iowa et je suis revenu travailler sur un projet de film par la suite. J’ai beaucoup voyagé dans les États-Unis et j’avais une idée de ce que l’on trouve entre New York et l’Alaska. Je voulais créer une unité entre ces deux lieux et montrer la diversité de la nature et de la civilisation.
Votre tournage s’est étendu sur plusieurs mois, ce qui permet de vivre les changements climatiques. Est-ce qu’il n’a pas été difficile de s’organiser pour faire un tournage sur une aussi grande durée et sur tant de lieux différents ?
Cela fait partie du travail. On a aussi marché avec elle. On a choisi différentes localisations et on la suit. Dans les champs de blé, c’était plus difficile de tourner. Lorsque l’on a tourné en Alaska en novembre, il y avait de la pluie. On a déplacé cette séquence hors contexte pour l’intégrer un moment plus précoce du film. Par ailleurs, ce n’était pas facile de filmer. On avançait avec le coffre ouvert et on la filmait de la sorte. À un moment, il y a eu de la pluie et du verglas sur un pont et elle a glissé et failli tomber. On a arrêté de tourner et on l’a vite emmené dans un endroit où elle a pu prendre un bain chaud. On prenait soin d’elle.
Est-ce que vous vouliez ajouter une dimension sociale à votre film ?
Je suis ouvert à cela, mais il n’y avait pas de planification sur le film. Il n’y avait pas de script et je ne savais rien des gens que je l’ai croisé. Je ne savais pas non plus qu’il y avait un ferry qui traversait le Mississippi. On peut peut-être avoir une perception de pauvreté dans le long-métrage, mais les personnes rencontrées mènent des vies simples et ils sont heureux de cela. Il n’y a pas trop de pauvreté en fait. On peut croiser une ancienne usine rouillée près Détroit. Mais les deux femmes que l’on voit et qui sont dans un lieu qui vend des habits se débrouillent elles-mêmes et s’ajustent aux circonstances. Mais Détroit est vraiment maintenant une ville fantôme.
Je ne sais pas si vous avez fait attention dans le film, mais à un moment, Lillian croise une personne en voiture qui vient d’une petite ville et qui appelle le shérif de la région. Aux États-Unis, on met le nom de la ville, et le nombre d’habitants en dessous. En fait, cet homme est le seul habitant de la ville qu’il vient de quitter.
Après le Mississippi, il y a eu du changement. Il y a beaucoup de zones du pays qui ne sont pas cultivables. Le trajet suivi par Liliane raconte l’histoire et le présent des États-Unis. Et c’est comme le passage qui montre les Indiens. Ces derniers luttent contre la création d’un pipeline qui traverserait leur territoire. C’est difficile de voir comment ils sont traités.
Est-ce qu’au cours du tournage vous n’avez pas rencontré de problèmes ?
Non, car on ne se prenait pas trop au sérieux. Ça a été un peu délicat dans les parcs, car des personnes venaient voir ce que l’on faisait. À New York aussi, il a été plus difficile de tourner. Je n’ai pas demandé de permission, car c’est trop long à obtenir. On s’est parfois retrouvé face à des policiers en colère qui n’appréciaient pas que l’on fasse un tournage sauvage.
En dehors de New York, cela a été beaucoup plus facile de tourner. Les gens étaient très gentils et ils étaient fascinés par l’histoire que l’on racontait. On a filmé ceux que l’on a trouvés et que l’on a croisés sur les chemins, comme au moment du festival.
Est-ce que le film va sortir aux États-Unis ?
C’est très difficile de le montrer en dehors des festivals. C’est un sujet très nord-américain. Et les Américains n’aiment pas que les étrangers et les Européens parlent de leur pays. C’est difficile quand on est un étranger soi-même.
Lillian hante le spectateur bien après le visionnage du film, quelle était votre volonté en le réalisant ?
Oui bien sûr. Il y a souvent des réactions bizarres, car c’est un film particulier. Il a été très difficile à faire et on a mis longtemps à croire dans cette expérience. Lors de l’avant-première, qui s’est passée à Cannes, je n’étais pas certain des réactions des spectateurs. Je l’avais déjà montré aux acteurs précédemment et aux Français qui ont fait la sélection du festival de Cannes, mais cela représentait finalement pour beaucoup de personnes. C’était vraiment une première à Cannes. Le film a été très apprécié même s’il était un peu expérimental.
Lillian est vraiment un très beau film particulièrement immersif. Vous pouvez en retrouver la critique ICI.
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