For All Mankind : Review 1.08 Rupture
Le cliffhanger tragique par lequel s’acheva For All Mankind 01x07 Hi Bob définit tout le cadre narratif de l’épisode de la semaine, débutant le 14 décembre 1974, et se déroulant sur un laps de temps très court.
Désobéissant sous l’emprise de la colère à une interdiction de sortie – et de match de basket – infligée par trop violemment par sa mère, Shane, le turbulent fils d’Edward et de Karen Baldwin, a été frappé de plein fouet à bicyclette par un accident de circulation (le conducteur de voiture ayant pris la fuite). En dépit de l’intervention chirurgicale (hélas trop tardive) du Dr Josephson et du maintien de ses fonctions cardiovasculaires autonomes, la fracture crânienne et l’hémorragie corollaire ne permettront pas au jeune garçon d’échapper à la mort cérébrale, un état (bien distinct du coma) alors peu connu de la médecine.
L’essentiel du champ d’expression de For All Mankind 01x08 Rupture portera sur l’impact moral et psychologique de cette tragédie personnelle, et sur la façon corporatiste – pour ne pas dire familiale – avec laquelle le personnel de la NASA s’efforcera de gérer la crise. Notamment pour préserver l’efficience professionnelle du père de la victime, Ed Baldwin, désormais seul Américain sur la Lune et directement exposé aux menées opaques des Soviétiques de l’impénétrable base Zvezda.
Et cette "histoire A" relèguera finalement les autres enjeux au rang d’accessoires, déployés en grappes autour d’elle. En particulier le probable fil rouge de la série, à savoir "l’énigme russe", aussi bien dans sa composante uchronique, que strictement (contre-)factuelle.
Après la détection dans l’épisode précédent de traces de pneu d’un rover soviétique au voisinage de Jamestown, puis la suspicion d’un forage sous la base Zvezda, Ed découvrira cette fois (à l’occasion du prélèvement d’une carotte de glace) un mystérieux engin de surveillance tubulaire (probablement une caméra assortie d’un émetteur) implanté à l’intérieur du gisement de glace dans le cratère Shackleton ! Mais malgré ce viol flagrant de territoire et cette éloquente preuve d’espionnage, l’autorité civile émanant directement du président Ted Kennedy donnera l’ordre de ne rien faire, afin de ne pas risquer un incident lunaire avec les Soviétiques… au grand dam du général Arthur Weber et de Baldwin lui-même, vétéran de la Guerre de Corée.
Le centre de commandement (contre l’avis de Deke Slayton) et Karen elle-même ayant décidé de cacher à Ed la situation de Shane, tandis que sur Terre le drame fuitait déjà dans la presse, c’est finalement par un canal fort inattendu que la vérité parviendra au Robinson lunaire, à savoir un message de sympathie transmis via téléscripteur depuis la base russe ! Le personnel de Houston continuant à nier l’évidence et s’enfoncer dans le mensonge, Edward interprétera ce "telex" comme un acte de guerre psychologique de ses voisins russes. Ivre de rage, il ira alors se venger en fracassant le système de surveillance soviétique dissimulé dans le cratère, au mépris des ordres reçus et nonobstant les éventuelles conséquences diplomatiques.
In fine, devant le second avis médical très pessimiste exprimé par le Dr Weddle, meilleur neurologue de la NASA, Karen révélera la vérité à son mari. De dépit et de dégoût, celui coupera alors le contact avec la Terre et se plongera dans l’abîme éthylique… Rideau.
De prime abord, cette construction diégétique fleure bon les vieilles leçons de patronage, où comment de pieux mensonges, consentis pourtant avec les meilleures intentions et les plus grands scrupules, peuvent imperceptiblement et inéluctablement engendrer des catastrophes, au minimum provoquer l’effet inverse de celui initialement recherché.
Il n’existe pourtant aucune martingale simple et unique lorsque la psyché est impliquée dans des situations de survie précaire où chaque geste peut décider de la vie ou de la mort. Un ancien soldat de Corée devenu astronaute et pionnier de l’immersion lunaire devrait le savoir mieux que quiconque.
Mais ce qui étonne probablement le plus, c’est le manque d’anticipation par les cerveaux de NASA des conséquences de leur choix psycho-tactique. Et pourtant ce n’est pas faute d’avoir soupesé en long et en large la moins mauvaise des options (épargner une impuissance contreproductive) pour optimiser la probabilité de survie d’Edward d’ici l’arrivée de la relève d’Apollo 24 (normalement sous dix jours), ni d’avoir imposé des consignes strictes d’omerta à tout le personnel dans le cadre des interactions vidéophoniques avec Jamestown.
Et pourtant, nul n’a songé à la possibilité technique d’un contact direct avec les Russes de Zvezda !?
Le hic justement, c’est qu’à aucun moment jusque-là, For All Mankind n’avait suggéré la possibilité d’un tel contact direct, ni la présence à bord de la station américaine d’un système de communication susceptible de recevoir des métadonnées en cyrillique (on screen). Bien au contraire, la série n’avait cessé de souligner explicitement ou de suggérer en creux (selon les épisodes) que Zvezda était un Sphynx impénétrable ; et nombre de décisions stratégiques américaines (et partant, de ressorts) avaient résulté du refus et de l’impossibilité de tout contact direct entre astronautes étatsuniens et russes.
Mais voilà soudain que les showrunners sortent de leur chapeau de prestidigitateurs (donc rétrospectivement) cette voie de communication directe entre les deux bases ! Une initiative contredisant largement ce qui avait été établi auparavant et faisant passer l’équipe de Houston pour des Pieds Nickelés, a fortiori dans le contexte général de tension avec les Russes (postulant des communications cryptées).
Autant dire, que voilà un bel artifice scénaristique destiné à fabriquer du drame (mais heureusement pas du mélodrame). Potentiellement aggravé par le manque de retenue et de self control du commandant d’Apollo 12, visiblement moins maître de ses pulsions et de ses émotions que son épouse (n’ayant pourtant pas été, quant à elle, soumise à une rigoureuse formation et à une stricte sélection astronautique).
Et puis, faut-il croire qu’Edward Baldwin a embarqué dans sa besace lunaire du whisky (et pas seulement un alcool médical non buvable) tel le capitaine Archibald Haddock dans On a marché sur la Lune ?!
Il n’en demeure pas moins que For All Mankind 01x08 Rupture multiplie les morceaux de bravoure, d’une pertinence sociologique et psychologique sans faille, mais trop souvent dans l’ombre du drame principal :
En se mutilant le bras pour sauver la carrière de Gordo à la fin de l’épisode précédent, Danielle ne s’était alors pas rendu compte qu’elle prenait le risque d’hypothéquer la récente accélération du progressisme féministe dans la société US, l’exposant à un rétropédalage soudain. Une conséquence imprévue que met fort bien en exergue la séance d’interview télévisée du futur équipage d’Apollo 24 (chargé de relever en urgence Edward Baldwin sur Jamestown). Avec l’impertinence caractéristique de sa profession, le journaliste Barry Newsome ne manque pas de s’étonner que le commandement de la mission soit attribué à une femme, en l’occurrence Ellen Waverly (ayant pourtant déjà à son actif l’expérience lunaire durant Apollo 19), convoquant le bras cassé de Danielle Poole pour contester à la fois la compétence et la résistance féminine dans ce qui est encore considéré par une bonne partie de l’opinion publique comme un métier d’homme. Sans se laisser intimider, Ellen lui répliquera du tac au tac… avec le soutien (pour le moins modéré) de ses coéquipiers masculins. Une piqûre de rappel réaliste qui témoigne de toute la lucidité des showrunners envers leur propre world building, lorsque l’accélération de l’Histoire se traduit fatalement par une fragilité accrue des acquis sociaux.
Plus généralement, l’interview conduite par Barry Newsome est un grand moment de rock’n’roll, porté par une ironie jouissive. Donnant la parole à Deke Slayton, authentique ancêtre du programme spatial depuis l’ère de Mercury et artisan des coulisses depuis l’origine, celui-ci voit enfin son rêve d’espace exaucé grâce à l’assouplissement des exigences médicales (exactement comme il en aura été dans le monde réel). Mais en dépit de son ancienneté (il est probablement l’astronaute le plus expérimenté de tous) et de sa paternité dans le programme spatial féminin (qui aurait été politiquement abandonné sans son obstination pionnière et ses ruses), Deke cèdera de presque bonne grâce le commandement de cette mission à Ellen ! Entre paradoxes et actes manqués, les non-dits sont ici légion... Ladite interview met également à l’honneur Harrison Liu, astronaute étatsunien d’origine chinoise. Après l’afro-américaine Danielle Poole (quoique sa participation au programme lunaire semble s’être faite dans l’indifférence communautaire générale, du moins on screen), voilà donc un autre terrain tokeniste que For All Mankind occupe désormais, préfigurant symboliquement les taïkonautes contemporains.
Cette mise en vedette de femmes et d’hommes non-caucasien(ne)s dans le programme spatial suscite l’aigreur des astronautes remplaçants, qui soupçonnent alors une discrimination positive anti-masculine et anti-WASP. Iceux emblématisent avec irrévérence les astronautes titulaires de la même époque mais dans notre timeline, tout en assénant un pied de nez intradiégétique aux spectateurs que la conscientisation militante de la série dérangerait... Les showrunners de Stargate appelaient ça une lantern (cf. SG-1 10x06 200)...
Gordo qui, sans le sacrifice (et le subterfuge) de Danielle, aurait connu la déshonneur et la déchéance, est célébré par les médias comme le parangon du héros américain. Faut-il y voir un subtext subversif ?
De même, Ellen est chaudement félicitée par les médias pour son mariage alors que, comme l’ont bien souligné les épisodes précédents, celui-ci n’est qu’un montage au bénéfice du conformisme cisgenre.
En raison des adultères à répétition de Gordo, la relation avec son épouse est progressivement devenue autistique, Tracy ne croyant littéralement plus rien de ce qu’il lui raconte. Il lui faudra alors arborer une preuve pour que son épouse admette qu’il consulte un psy en loucedé (dans le dos de la NASA). Il est piquant de devoir en arriver à une aussi démonstrative évidence pour que cette femme, pourtant intuitive et intelligente, commence à soupçonner un vague problème durant le séjour prolongé de son mari sur la Lune…
Le soutien infatigable que Tracy Stevens apporte à Karen Baldwin durant l’hospitalisation puis durant la mort cérébrale de son fils force le respect, et c’est un hommage aux liens de feu qui se sont développées entre femmes d’astronautes – un métier à part entière (From The Earth To The Moon 01x11 The Original Wives Club – et plus généralement entre celles et ceux qui demeurent loin du front (Gardens Of Stone de Francis Ford Coppola).
Suite à l’opération de contre-feu (ou de chantage) soufflée par Wernher von Braun dans For All Mankind 01x06 Home Again, Margo Madison a gagné une considérable autorité au sein de la NASA, prenant même l’ascendant sur l’administrateur Harold Weisner. Elle imposera notamment que le final cut envers Edward Baldwin revienne à son épouse.
Poursuivant son sacerdoce de muse et de mentor envers la jeune latino Aleida Rosales, Margo lui a obtenu une place dans le prestigieux programme Kennedy pour les sciences (en mathématique et physique), lui ouvrant un ticket pour les meilleures universités du pays. L’ancienne protégée de von Braun, un peu traumatisée par son propre parcours, attestera de toute la surérogation qu’un système encore très sexiste exigera d’une femme pour devenir ingénieure (i.e. travailler dix fois plus qu’un homme). Mais toute fraiche immigrée qu’elle soit, Aleida Rosales semble avoir déjà été gagnée par l’autosatisfaction narcissique de la jeunesse étatsunienne. Et devant la perspective d’un cursus élitiste pourtant inespéré, elle préférera la trivialité des émois amoureux avec son nouveau jules. Plutôt agaçant, mais frappé au coin du réel.
Les plongeons en tyrolienne dans la mine du cratère sont absolument saisissants de vérité, à la faveur de plans larges, de plongées et de contreplongées, et d’une reconstitution en CGI hyper-structurée. Jamais exploration lunaire n’a été aussi porteuse de saisissement et d’immersion. C’est du live !
Depuis l’épisode précédent, donc en seulement quelques jours, le cryptage des communications Terre-Lune aura été upgradé, puisqu’il porte désormais aussi sur le son, et non plus seulement sur l’image.
Les frasques sexuelles du président Ted Kennedy érigées en scandale d’état (et faisant des gorges chaudes dans la presse) participent aussi de l’accélérateur de particules uchronique, car c’est un copié-collé – avec un quart de siècle d’avance – de Bill Clinton et Monica Lewinsky.
Élargissant un répertoire musical toujours plus somptueux, 01x08 Rupture donnera cette fois dans le honky tonk voire dans le hillbilly avec Howlin’ At The Moon (1951) de Hank Williams. La dérision sera double : à la façon d’un contremploi kubrickien, le rythme enjoué dénoncera la routine désespérante de la "prison lunaire" d’Edward, tout en le faisant hurler comme un loup solitaire à la Lune… sur laquelle il est. Joli.
L’épouse d’Ed Baldwin s’impose comme l’héroïne antique de For All Mankind 01x08 Rupture, à la fois coupable et victime. La subjectivation à l’écran de son ressenti – des angoisses aux (dés)espérances – suspendue minute après minute aux verdicts des médecins successifs (Josephson, Weddle...), perdant auditivement le contact avec le réel lorsque les couperets tombent et s’enchaînent, mais se redressant toujours vaillamment pour restaurer son impeccable masque "d’épouse parfaite" (façon Bree Van De Kamp dans Desperate Housewives), allant jusqu’à improviser de douloureuses fables à l’endroit de son fils dans l’intérêt de son mari encalminé sur la Lune… voilà autant de touches et de facettes qui renforcent l’authenticité d’un personnage foncièrement humain pas son imperfection – si dure en apparence, si fragile en réalité.
En étant quelque peu sarcastique, il serait possible de réduire l’enjeu de 01x08 Rupture à : « Faut-il avertir Ed Baldwin, durant son stationnement lunaire prolongé et précaire, que son fils est mort ? »
Car mine de rien, au sortir du visionnage, c’est subjectivement à cet horizon sémantique que se borne l’épisode... étant donné la place prépondérante et lancinante occupée par les débats moraux et les confrontations de points de vue sur l’opportunité ou non de cacher la vérité à Ed pour ne pas compromettre sa mission (voire sa vie) tant qu’il est seul sur l’astre sélène. Tant de tâtonnements, de rebondissements et d’effets imprévus relatifs à cette dissimulation coupable… dont la gravité semblerait presque confiner au "crime d’état" (à en croire l’épisode).
Même si dire ou ne pas dire est une question existentielle qui mérite assurément toute sa place dans les protocoles astronautiques, il n’est pas pour autant certain qu’elle rassasie pleinement l’esprit à l’échelle d’une heure complète de visionnage.
Entendons-nous bien, 01x08 Rupture témoigne de tout le savoir-faire de For All Mankind en terme de justesse psychologique, de force subjectiviste, de reconstitution historique, et de pace à contrecourant.
Mais aussi triste que soit le sort de Shane, à sa manière une victime indirecte – innocente et anonyme – de la conquête spatiale, la main story relatée ici demeure en soi tellement "banale" (en gros un gosse fauché par un véhicule) qu’elle aurait pu tout aussi bien prendre place dans n’importe quelle autre (bonne) série étatsunienne. C’est presque un hors-sujet, davantage tire-larme que véritablement en prise avec la problématique unique de la série.
La pudeur émotionnelle intériorisée est certes à son sommet, mais le focus nombriliste se fait parfois trop insistant, cultivant le style de Rescue Me (2004-2011) avec Denis Leary.
Toute la palette de réactions au trépas cérébral de Shane sonne juste (de l’impavidité forcée en public aux sanglots en privé, de la détresse muette aux dérivatifs alcooliques...), mais malgré tout, l’épisode en fait un peu trop, probablement avec l’intention d’émouvoir (à défaut de faire pleurer) Margot (et non Margo).
Les Russes sont plus indéchiffrables et inquiétants que jamais, mais leur exploitation narrative par la série flirte avec le MacGuffin ou le deus ex machina afin de faire rebondir à peu de frais l’intrigue.
For All Mankind se démarque de la concurrence par son sens acéré du détail, attribut traditionnel des chefs d’œuvre, mais ici le goût pour la précision est à la frontière du superfétatoire (tout s’appuyant sur une possible contradiction factuelle).
Et si l’épisode accorde une attention très art & essai à chaque personnage pour en explorer tous les états d’âme, il exhale parfois une impression de délayage, entre la recherche de l’éternité dans un instant… ou la quête de plein dans le vide.
Cependant, cet aparté strictement character driven, cet à-côté désarmant par sa modestie (un accident de vélo qui pourrait bien entacher le programme spatial), cette petite histoire supposée raconter la grande n’en demeure pas moins parfaitement intégré(e) au contexte sociohistorique, et iel contribuera efficacement à "névroser" les protagonistes de For All Mankind.
Soit la manière privilégiée par RDM pour conférer de la profondeur à ses personnages depuis Battlestar Galactica 2003 et même depuis Star Trek DS9 (qui a perdu aujourd’hui un de ses meilleurs interprètes, feu René Auberjonois).
Selon le postulat (discutable) que seules les tragédies intimes confèrent de l’épaisseur aux héros.
For All Mankind 01x08 Rupture est sans doute un Gestalt des productions de Ronald D Moore, où la SF se révèle le plus souvent un prétexte, un alibi, voire un habillage pour relater des histoires strictement interpersonnelles auxquelles le spectateur contemporain pourra aisément s’identifier. Une approche qui pourra apparaître frustrante par sa trivialité… ou à l’inverse poignante par son universalité… selon la sensibilité et/ou les attentes du spectateur.
Il faut maintenant craindre (ou espérer) que ce huitième épisode – visiblement de transition – conduise dans le neuvième à un autre combat SJW, à un autre refrain progressiste, mais sans rapport aucun avec l’espace : le droit à l’euthanasie pour tous.
ÉPISODE
Episode : 1.08
Titre : Rupture (Rupture)
Date de première diffusion : 6 décembre 2019 (Apple TV+)
Réalisateur : Meera Menon
Scénariste : Nichole Beattie
BANDE ANNONCE
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