Comic Con Paris 2013 : Star Trek Into Débat, et débat il y a eu !
A nouveau quel plaisir d’assister à un débat sur Star Trek au Comic Con de Paris, d’autant plus que nous avions des invités de marque et un public de fans et de spécialistes sur la franchise...
Alain Carrazé et Romain Nigita, organisateurs et co-animateurs de la plupart des conférences du Comic Con, ont donc invité trois journalistes spécialisés pour débattre de différents sujets autour de la franchise de Star Trek, notamment sur l’ultimate de J.J. Abrams, Star Trek Into Darkness, sorti en juin dernier...
Star Trek Into Débat... animé par Romain Nigita et Alain Carrazé (8 Art City), Vivien Lejeune (L’Ecran Fantastique), notre collaborateur Yves Raducka (journaliste scientifique), et Romain Brami (responsable éditorial Yahoo Actualités)... devant une salle comble et visiblement passionnée !
Autant vous dire que l’on ne s’est pas ennuyés...
La conférence s’ouvre sur "Life is dream" (musique commune des Star Trek 1 et 5), régulièrement utilisée dans les documentaires Trek de la Paramount.
Le premier sujet porte sur Into Darkness, le second film de la nouvelle chronologie hors-continuité de Star Trek. Alain Carrazé et Romain Nigita lancent le débat tant attendu...
Selon Yves Raducka, le film est bien réalisé mais usurpe le label "Star Trek". Khan est le méchant le plus tarte-à-la-crème de la franchise, le seul que même les non-trekkers connaissent, le niveau zéro de l’inventivité. Pire, le remarquable Benedict Cumberbatch est totalement sous-employé dans le film, son personnage de bad guy archétypal n’étant finalement pas mieux écrit que le précédent (Nero), ses motivations sont aussi prétextes et incohérentes... alors que l’univers alternatif aurait dû favoriser la créativité, et d’audacieuses variations. Au lieu de ça, le nouvel univers se contente de graviter paresseusement autour des sept personnages principaux de la série originale. Ce n’est plus Star Trek, mais le micro-univers de baby-Kirk et baby-Spock ! J. J. Abrams a joué sur un schéma de prédestination, où des mondes peuvent être bouleversés, des milliards d’anonymes peuvent être massacrés, ça n’empêchera pas sept Elus de devenir potes et d’accomplir leur Destin super-héroique, c’est à dire exactement comme dans les œuvres de fantasy. Alors que dans le Star Trek historique, dont la philosophie était foncièrement SF, l’acquis l’emportait toujours sur l’inné, et les destins n’étaient jamais scellés à l’avance, à l’exemple du très sous-estimé film "Nemesis" (où Picard était confronté à un double aussi différent que son vécu). Mais dans le reboot d’Abrams, c’est l’acte de naissance qui compte et non plus le mérite, c’est la destinée et non plus le libre arbitre.
Chiffres à l’appui, Yves Raducka s’emploie alors à montrer que le matraquage publicitaire dont a bénéficié le reboot est un rideau de fumée, car le Star Trek de J.J. Abrams est un succès commercial plus illusoire qu’il n’y parait. Ainsi le tout premier film, Star Trek The Motion Picture de Robert Wise (1979), avait rapporté un bénéfice supérieur en dollars constants (déflatés) par rapport aux productions Bad Robot. Et par exemple La colère de Khan avait multiplié la mise par 8,6 lorsqu’Into Darkness ne l’a multiplié que par 2,3 (hors budget promo). Et Yves de continuer... Le paradoxe est qu’en dépit de leurs chiffres d’affaires élevés, les productions de J.J. Abrams ont une rentabilité inférieure à la plupart des dix films Star Trek historiques ! Moyennant le décompte le plus sévère possible (budget promo, équivalence 2D...), Star Trek Into Darkness possède en fait une rentabilité mondiale (124 %) à peine supérieure à celle de Star Trek Nemesis (112 %), pourtant réputé "honteux" et quasi-déficitaire (certains disaient de lui qu’il avait tué la franchise) !
Romain Brami affirme que Khan est le meilleur méchant de toute la saga de Star Trek, J.J. Abrams a réveillé la franchise qui était endormie, notamment en terme de chiffre d’affaire qui à été multiplié par 10 environ, le film fait mieux à l’international qu’aux États-Unis.
Vivien Lejeune affirme que celui-ci est très très bien réalisé, rythmé, selon lui un vrai film pour les fans, il soutient les propos de Romain Brami concernant le personnage de Khan, c’est une vraie suite pas un reboot... Les voyages dans le temps sont souvent utilisés dans la franchise et en représentent les meilleurs moments. Pour lui c’est donc un prolongement de la continuité, ce ne sont pas des super-héros mais des héros, voire même des anti-héros. Into Darkness un bon blockbuster malgré ses incohérences (comme l’aspect des Klingons), l’esprit de l’univers est conservé...
Alain Carrazé clôture alors ce premier sujet du débat (privant donc Yves de la réponse qu’il voulait faire à Romain et à Vivien !), et il passe aux autres sujets : la réédition en Blu-ray des différentes séries Trek...
Romain Nigita pose alors la question suivante : « Approuvez-vous ou non les améliorations, corrections et remastérisations apportées aux visuels des différentes séries Trek, Star Trek Classique et The Next Generation ? Faut-il acheter les Blu-ray lorsqu’on possède les DVD ? »"
Vivien Lejeune déclare qu’il possédait déjà les anciennes éditions VHS et DVD, il témoigne de son scepticisme d’entrée de jeu... mais il fut convaincu du résultat général obtenu sur les deux premières séries, pour lui cela valait le coup de renouveler sa collection... Pour Vivien, le travail de restauration a été formidable, cela donne une cohérence visuelle sur les deux séries, c’est un cadeau pour les fans et ceux qui veulent découvrir la franchise.
Romain Brami enchaîne : c’est un travail d’artiste et d’archiviste qui a été effectué, le processus est long et fastidieux, son avis fut mitigé sur la restauration de Star Wars, ce qui n’est pas son point de vue sur Star Trek, le travail effectué ayant été fait par des archivistes et des artistes. Malheureusement, lui-même ne peut pas réinvestir dans les Blu-Ray à cause de leur prix... Pour lui ce sont les versions ultimes et définitives de ces séries.
Vivien ajoute qu’il aurait tout de même été approprié de laisser le choix entre les anciens effets spéciaux et les nouveaux sur les Blu-Ray de la série The Next Generation, comme ce fut le cas pour Star Trek Classic...
Alain Carrazé prolonge le débat : « Les trekkers sont-ils des vaches à lait ? »
Yves Raducka prend alors la parole : « c’est même un euphémisme » ! Yves précise en fait que le remastering HD est bien entendu une entreprise commerciale reposant sur la "collectionnite aiguë" des trekkers, et visant également le marché des rediffusions sur les réseaux câblés et satellitaire désormais aux normes Haute Définition. Néanmoins, cela n’en est pas moins un travail d’orfèvre (bien que le nettoyage soit moins poussé que sur des grands classiques du 7ème Art tel que Ben-Hur), grâce aux scrupules des "gardiens du temple" que sont (depuis le départ de Rick Berman) le couple Denise et Michael Okuda par leur respect (presque trop fétichiste) des originaux (au contraire de Georges Lucas sur la première trilogie de Star Wars). Mais excès de fétichisme ou pas, tout est fait pour donner une unité visuelle aux effets spéciaux des 40 années de production de la franchise. En résumé, Yves estime que le remastering est bel bien une entreprise commerciale et peut-être un modèle économique prometteur, mais pas pour autant une escroquerie, car les acheteurs des coffrets Blu-Ray en ont vraiment pour leur argent. La transfiguration visuelle est bien au rendez-vous, et celle-ci prolonge considérablement la durée de validité (visuelle) des séries Star Trek...
Romain Nigita relance le débat sur les bonus, ceux-ci étaient trop "retenus" sur les éditions en DVD, mais les protagonistes se sont lâchés dix ans après sur le même sujet. La table ronde des scénaristes dans la saison 3 de Star Trek The Next Generation (Brannon Braga, Ronald D Moore, René Echevarria, Naren Shankar) témoigne d’un recul évident sur la série.
Vivien Lejeune approuve les propos de Romain Nigita. Le débat entre les scénaristes est strictement amical, il n’a aucun relent commercial. Sur les différentes séries, ces documentaires sont enrichis d’images d’archives de diverses époques.
Romain Brami continue en appuyant sur la remise en perspective des différentes distributions et équipes de production, il affirme que Star Trek c’est l’alchimie des différents équipages... Tous les acteurs sont nostalgiques de cette belle époque, cela transparait à travers eux, notamment sur Patrick Stewart, pour eux Star Trek les dépasse, c’est un mythe...
Alain Carrazé renforce les propos précédents en disant que les acteurs ont créé un lien familial au terme des trois premières saisons de Star Trek The Next Generation.
Au tour d’Yves Raducka. Il insiste sur le fait que ce lien familial existe à la fois entre les personnages et les acteurs... et davantage dans le cas de la série The Next Generation que sur les autres (ce n’est probablement pas un hasard si c’est la seule des cinq séries Star Trek à faire l’unanimité). Et Yves souligne que la qualité des bonus (depuis les éditions Blu-Ray de The Next Generation et d’Enterprise) est surtout imputable à Robert Meyer Burnett et à Roger Lay Jr, qui ont tourné des documentaires sans aucune langue de bois et qui ont rendu possibles des tables-rondes sincères entre vétérans. Ainsi, les bonus de la première saison Blu-Ray de The Next Generation ose démystifier le père de Star Trek, Gene Roddenberry (alias le "Grand oiseau de la galaxie" tant adulé par les fans), en révélant son "côté obscur" et la façon dont il s’est mis à dos tous ses anciens collaborateurs jusqu’à provoquer le départ (entre autres) des scénaristes David Gerrold et Dorothy Fontana. Bref, pour la toute première fois, une édition commerciale de DVD ou Blu-Ray propose des bonus non auto-promotionnels, et rien que pour ça, ces coffrets méritent d’être achetés selon Yves.
Le débat se poursuit sur la sortie de la série Enterprise en Blu-ray. Les échanges portent sur la fameuse discussion entre les créateurs de la série prequelle (Rick Berman et Branon Braga), et sur l’utilité de l’achat de ces coffrets.
Romain Brami raille Enterprise. C’est selon lui la série de trop dans la franchise, ne méritant que du mépris.
Mais Yves Raducka rétorque... en opposant à la simple entreprise commerciale de Bad Robot... la pérennité d’un univers de SF cohérent envers lui-même. Il rappelle alors que les préquelles audiovisuelles ont toujours été des exercices périlleux, voire impossibles, et dans tous les cas polémiques auprès des fans... à l’exemple de la prélogie Star Wars (incluant la série animée The Clone Wars), Caprica et Blood and Chrome (Battlestar Galactica), Prometheus (Alien)... Yves souligne qu’Enterprise a élargi et consolidé les bases de l’univers Star Trek, Rick Berman et Brannon Braga ayant eu une vraie démarche d’auteurs prenant de gros risques... à l’inverse de J.J. Abrams qui n’en a pris strictement aucun avec le principe passe-partout du reboot (une solution de facilité à la mode avec succès garanti à la clef).
Hélas, explique Yves, les studios n’avaient cessé de s’opposer au radicalisme des audacieux projets initiaux de Berman et Braga pour le prequel, comme par exemple l’absence totale de téléporteurs et autres gimmicks trekkiens, une première saison se déroulant entièrement sur Terre, etc... Pourtant, malgré les contraintes et l’incompréhension des studios, malgré sa diffusion sur une télé-poubelle (UPN), malgré le bashing d’un noyau durs de trekkers fétichistes, Enterprise ne peut pas être considérée comme un échec : quatre saisons et presque cent épisodes de pure SF, c’est énorme dans les années 2000 ! Le hit Battlestar Galactica 2003 n’a pas fait mieux, elle totalise même vingt épisodes de moins !
Yves considère aussi que Star Trek The Original Series était "story driven", Deep Space Nine "character driven", et Enterprise "universe driven", soit dans ce dernier cas quelque chose de très très original. La série prequelle rend ainsi les autres séries Star Trek plus crédibles à posteriori...
Vivien approuve finalement Yves sur les qualités de la série Enterprise ! Mais il estime toutefois que les coffrets Blu-Ray ne sont pas très utiles car les coffrets DVD sont déjà visuellement de très bonne qualité (contrairement à ceux de The Next Generation). Pour lui, ce sera donc un gain de place dans sa bibliothèque...
Avec l’annulation d’Enterprise prendra fin l’âge d’argent de Star Trek, "l’ère Rick Berman" (producteur exécutif de la série ayant succédé à Roddenberry). Et Yves Raducka affirme qu’Enterprise est la série Star Trek qui initie le plus efficacement les newbies à l’univers Star Trek, c’est même l’une de ses vocations et de ses forces. Et celui qui l’aura suivie en entier pourra alors entrer et aimer sans peine tout le reste de la franchise ! Donc tout au contraire du reboot de 2009 qui ne prêche que pour lui-même et non pour l’ensemble de l’univers Star Trek.
Dernier acte de la conférence : c’est le vieux débat entre Babylon 5 et Star Trek Deep Space Nine à l’occasion de l’anniversaire de leur vingt ans.
Vivien Lejeune affirme que Deep Space Nine à un aspect plus politique et intellectuel que ses consœurs (qui sont des séries d’exploration)... Et le monde intellectuel à reconnu la profondeur d’écriture de DS9. Mais trop d’amour et de guerre, le personnage de Sisko n’est pas le plus emblématique des capitaines selon lui, ce n’est pas sa série favorite.
Romain Brami estime que Deep Space 9 est la série la plus feuilletonnante de la franchise, la plus inégale aussi, l’arc sur la guerre du Dominion est par exemple fabuleux, mais d’autres périodes sont ennuyeuses. Le série entretien une forte dimension mystique et politique.
Yves Raducka rappelle que Babylon 5 a peut-être inspiré Deep Space 9 car cette première fut pitchée par J. Michael Straczynski auprès la direction de la Paramount au début des années 90 (sans que Rick Berman ou Michael Piller ne soient au courant). Néanmoins, si influence il y a eu, c’est juste au niveau du concept, de l’idée de départ (une station spatiale), mais en aucun cas au niveau des développements, des formes d’écriture, du contenu, et des finalités politiques et philosophiques. Les deux séries sont donc aussi légitimes et intéressantes l’une que l’autre...
Yves établit ensuite un parallèle entre Deep Space 9 et Enterprise, car elles sortent l’une et l’autre du schéma exploratoire comme but en soi. Leur véritable finalité est de structurer et crédibiliser l’univers lui-même. Et Deep Space 9 aura réussi à révéler les coulisses de la Fédération, nettement moins utopiques et moins poétiques que ne l’imaginaient les trekkers auparavant. Ainsi, elle aura réussi à montrer le prix réel de la survie et de la prospérité dans un univers à la base aussi cruel que le nôtre.
Néanmoins, Yves estime que Deep Space 9 a vu son spectre thématique se réduire dans les dernières saisons (de l’exploration immobile des débuts, la série s’est enfermé dans une dynamique d’affrontement et de "guerre totale"). Mais ce qui est vraiment critiquable selon lui, c’est la septième et dernière saison de la série, qui est tombée (du fait de Ronald D. Moore et d’Ira Steven Behr) dans une forme de crypto-fantasy manichéenne, appauvrissant les personnages et les civilisations. La pire illustration en est "l’ordalie magique" finale entre "l’angélique" Sisko et le "démoniaque" Dukat, pour un épisode de conclusion qui ressemble davantage à du Charmed qu’à du Star Trek !
Romain Nigita clôt alors provisoirement les échanges, car il y aura toujours énormément à dire sur le sujet...
Remerciements et applaudissements.
Le débat n’est pas prêt de prendre fin !
PORTFOLIO
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