For All Mankind : Review 2.07 Don’t Be Cruel
Au risque d’éprouver parfois la frustration d’une partie des spectateurs, la seconde saison de For All Mankind n’aura guère fait avancer la grande Histoire dans ses six premiers épisodes, dédiant l’essentiel de son "run" à la subjectivité, au vécu, et à l’interrelationnel des personnages. À tel point qu’il était permis de questionner la finalité de la série : une Histoire contrefactuelle ou un soap opera uchronique ?
Mais si For All Mankind 02x06 Best-Laid Plans avait représenté l’une des lignes de fracture de cette interrogation, For All Mankind 02x07 Don’t Be Cruel (Dernière danse) en prend ouvertement le contrepied en accélérant sensiblement le rythme et en élargissant le spectre diégétique. Et pour cela, comme bien souvent dans le monde réel, il fallait une tragédie… replaçant l’actualité au centre de toutes les attentions, poussant à des décisions impactantes, et subordonnant les destins individuels à une téléologie collective. La perception du drame n’en est ici que plus traumatique par contraste envers les épisodes précédents… comme si ceux-ci avaient aussi pour fonction narrative de conférer toute sa mesure à la gravité qui allait suivre.
Et par son exposition dès le teaser, ladite tragédie saisit littéralement à la gorge lorsqu’un vol long-courrier de routine entre les USA et la Corée est nuitamment pris en chasse par un intercepteur militaire soviétique tel un ange de la mort, avant d’être pulvérisé par un missile sans un seul coup de semonce. A bord, l’administrateur de la NASA, Thomas Paine, véritable colonne vertébrale du progressisme de la série, discutant tranquillement du programme Soyouz-Apollo avec Margo… Et soudain, un éclat... puis le silence assourdissant. C’est fini, la série n’entendra plus sa voix ni le son de ses rêves…
Si en apparence, à l’instar de la plupart des films occidentaux de la Guerre froide, For All Mankind 02x07 Don’t Be Cruel semble vouloir donner le mauvais rôle à l’URSS – responsable de l’assassinat de 269 civils innocents (dont l’élu US Larry McDonald) –, elle ne fait pourtant que mettre ici en image et reconstituer en live un événement historique tragique, peut-être gommé de la mémoire collective, mais qui s’est pourtant bel et bien produit dans notre réalité : le Boeing 747 de la Korean Air Lines 007 reliant New York à Séoul via Anchorage fut abattu le 1er septembre 1983 par un avion de chasse Soukhoï Su-15 de la défense aérienne soviétique à l’ouest de l’île de Sakhaline en URSS.
En somme, For All Mankind a quitté – le temps d’un épisode le champ de l’uchronie – pour revenir à l’Histoire... autour d’un point d’invariance entre nos deux réalités... pour finalement y glisser avec brio son intrigue, témoignant à cette occasion de son sens acéré de l’historicisme. Un événement commun sur les deux rives du collapse du psi, mais avec des conséquences probablement fort différentes...
Loin de vouloir calomnier et gratuitement entacher l’image immaculée de l’URSS, l’épisode propose au contraire un pesant retour au réel. Et la toile qui en résulte est aussi complexe que nuancée. Comme n’hésite pas à le pointer Margo répétitivement durant l’épisode, au risque de flirter quelque peu avec le complotisme, il n’est pas exclu que l’armée et/ou les services d’espionnages aient instrumentalisé le vol 007 de Korean Airlines à des fins d’espionnage en le détournant à plus de 600 km de son plan de vol (énorme) pour le conduire à survoler malgré lui l’une des zones les plus sécurisées de l’URSS, faisant dès lors criminellement courir à tous ses passagers civils un risque fou.
En tout état de cause, cet événement tragique, aux causes incertaines et aux conséquences potentiellement apocalyptiques réussit – telle une séance d’électrochocs – à sortir le spectateur de sa torpeur, à le dégriser... pour lui rappeler que dans notre réalité comme dans celle de For All Mankind, la Guerre froide n’est pas une partie simulée de paintball. Les morts sont véritables, les risques omniprésents, la paranoïa étouffante...
Si dans notre chronologie, l’événement a seulement contribué à exacerber le sentiment antisoviétique... les choses n’en resteront pas forcément là dans une autre timeline. Et en un monde parallèle où la course à l’espace n’aurait jamais cessé, cet incontestable bénéfice possède néanmoins un prix : une rivalité géostratégique accrue entre puissances davantage au coude à coude. L’accélération évolutionniste vers l’utopie trekkienne se paie par une probabilité accrue de guerre totale... et fatale. Serait-ce une loi naturelle ?
Il est également possible que, sous couvert d’uchronie (valant pour le coup passeport d’immunité), les épisodes suivants de FAM accréditent l’une des nombreuses théories conspirationnistes qui circulent sur le compte de la tragédie du KAL 007. Par exemple pour suggérer que Thomas Paine était visé et que "certains" n’ont pas hésité à massacrer un équipage entier pour détourner l’attention... Pourquoi pas ? Mais de telles approches peuvent être à double-tranchant, a fortiori pour une œuvre aux antipodes de navets comme Alias. Et dans quelle mesure serait-il opportun d’accorder de la visibilité aux théories du complot ?
Si l’épisode n’a rien dissimulé de l’abjection d’un régime soviétique faussement communiste s’appuyant sur le Goulag comme outil à la fois de soumission, de déshumanisation et d’esclavagisme-ne-disant-pas-son-nom, il a également montré que l’idéalisme – aussi bien humaniste que spatial – existait des deux côtés du Rideau de fer, non seulement à travers Sergueï Nikulov qui a noué une vraie relation d’amitié et de confiance avec Margo, mais également à travers… Sergueï Korolev au cœur du Звёздный Городок (c’est-à-dire de la Cité des étoiles) à Chtchiolkovo !
En faisant discrètement émerger cette figure historique absolument essentielle de l’ombre, la série livre une clef déterminante sur les origines causales de l’uchronie. Et elle a l’audace de le faire sans tambour ni trompette, offrant ainsi plusieurs niveaux de lecture, mais adressant surtout un signe de connivence aux connaisseurs du programme lunaire soviétique… qui fut définitivement compromis à la mort de ce Wernher von Braun russe. Sauf que dans la ligne temporelle de For All Mankind, le génial Sergueï Korolev n’est non seulement pas mort en 1966, mais il est toujours vivant, actif… et aussi visionnaire en 1983 !
Ouf ! For All Mankind prouve ainsi qu’elle n’aura pas fait l’économie de la radioscopie soviétique. La série sort donc pour la première fois l’URSS de son opacité de MacGuffin / faire-valoir / alibi miraculeux, en donnant enfin un commencement de fondement et de logique à l’ensemble des événements mis en scène depuis le pilote très inclus de la série. Cependant, il faut espérer que l’éclairage contrefactuel ne s’arrête pas en si bon chemin – la survie de Korolev étant certainement une condition nécessaire mais probablement pas une condition suffisante à la crédibilisation d’une alter-URSS ayant réussi là où la "nôtre" avait échoué...
En faisant l’hypothèse que la cause première dont tout le reste a découlé serait uniquement la survie de Sergueï Korolev, et donc que le point d’origine de la divergence entre les timelines remonterait à 1966, peut-être cela expliquerait-il que l’URSS ne se soit pas enlisée dans son programme lunaire et ait réussi le coup d’éclat de devancer les Ricains en 1969... mais sans pour autant que le régime soviétique soit beaucoup plus "solide" (politiquement et économiquement) que dans notre réalité, l’exposant donc peut-être à disparaître également en 1991. Un axiome dont la fragilité serait d’avaliser le paradigme de la causalité unique (au détriment des causalités multiples ou infinies) mais qui ne serait pas formellement aporétique pour autant. Auquel cas, à raison d’une décennie par saison, qu’adviendra-t-il dans la troisième (sise a priori durant les alter-nineties) de l’enjeu même de la série sans le catalyseur soviétique ? Parce dans le monde réel, le principal frein à la course spatiale a toujours été le désintérêt général...
D’un autre côté, les références appuyées au Goulag de Korolev durant son échange d’une grande finesse avec Poole ne sont pas innocentes, car dans notre timeline, le grand homme est mort durant une opération cardiaque en 1966, mais néanmoins des lourdes séquelles d’un séjour tragique entre 1938 et 1944 dans le pire bagne de l’URSS, Kolyma, suite aux purges staliniennes dont il fut lui aussi la victime. Dès lors, il est possible qu’il faille faire remonter l’origine de la divergence causale jusqu’en 1938 voire jusqu’en 1924 : soit que Korolev ait été envoyé dans un camp de concentration moins infernal, soit (par exemple) que Staline n’ait jamais réussi à confisquer le pouvoir après la mort de Lénine...
Avec, en toile de fond, le flux continu – et proprement hypnotique – de l’actualité au travers des discours plus ou moins tweakés – mais toujours forgés dans l’authenticité – des plus importantes personnalités de l’époque (le président Ronald Reagan, le secrétaire d’état George Schultz, le sénateur de Géorgie Jimmy Carter, l’ambassadrice américaine aux Nations Unies Jeane Kirkpatrick, l’ambassadeur soviétique aux Nation Unies Oleg Troynanovsky…), jamais FAM n’avait encore poussé aussi loin et dans de telles proportions le deep fake des visages historiques du monde réel pour relater à travers leurs variations cohérentes l’Histoire uchronique. C’est si convaincant et si enrichissant qu’on se serait volontiers laissé porter à dévorer un épisode intégralement constitué de ces images d’archives d’une autre réalité… à l’instar des fascinants enregistrements vidéo de Hawthorne Abendsen dans le The Man In The High Castle de Frank Spotnitz. L’épisode ira jusqu’à mettre en scène une conversation complète entre Ellen Wilson et le président, avec un Ronald Reagan plus vrai que nature dans sa façon de combiner le conservatisme patriotique, l’anxiolyse religieuse, et l’authentique charme paternaliste d’une vieille Amérique mythifiée. Ronald D Moore reproduira même ce qu’il avait si bien réussi dans le mémorable épisode-hommage ST DS9 05x06 Trials And Tribble-ations, en l’occurrence ici l’incrustation de Waverly au sein du staff présidentiel dans des vidéos d’époque…
La prévalence accrue de l’effort spatial dans la timeline de FAM aura logiquement eu pour effet que les faiblesses structurelles (le joint torique vulnérable aux basses températures) de la navette Challenger aient été diagnostiqués en amont, prévenant ainsi le tragique accident de 1986.
Pour la première fois dans la série, l’URSS cesse d’être un improbable aiguillon du perpétuel dépassement américain. Celle qui faisait l’effet jusque-là d’avoir commodément toujours une longueur d’avance sur les USA, au mépris des faiblesses endogènes de son régime politique et économique, révèle ici de vraies failles… hautement crédibilisantes. La primauté soviétique dans la course au premier alunissage du fait (au moins en partie) de la survie de Sergueï Korolev n’impliquait pas pour autant une suprématie multi-catégorielle universelle. Or le développement de navettes spatiales, connu comme un talon d’Achille soviétique (jusque dans la Russie d’aujourd’hui), aura nécessité le recours intensif à l’espionnage. L’URSS a ainsi réussi à mettre la main sur le plan des OV-1nn de première génération de la NASA… et à les reproduire à l’identique – militarisation potentielle et surtout faiblesses potentiellement létales comprises – dans le cadre du programme Bourane.
Mais l’espionnage étant réciproque, trop content de laisser les Soviétiques faire la tragique expérience de Challenger que les USA n’auront pas connu ici, le général Nelson Bradfort donnera l’ordre à Madison de garder cette information par-devers elle au nom du secret d’état...
Sauf que la conscience a ses raisons que la raison ignore. Alors par humanisme, et au risque d’être poursuivie pour haute trahison (le sort funeste d’Ethel et Julius Rosenberg rappelant que les USA ne plaisantaient pas avec ça), Margo décidera de faire passer à mots couverts le message à son homologue russe Nikulov, transcendant ainsi la rancœur de la destruction du 747 et les procès en paternité.
Une trahison oui, mais en même temps une capacité à dépasser les confrontations d’intérêt et les raisons d’état au nom de la vie et de la science, de quoi redonner foi en l’humanité comme le disait Madison elle-même.
Ainsi, le réalisme dans toute sa palette de nuances a non seulement survécu à l’élargissement de perspective, mais il s’en est nourri en soulignant la relation d’interdépendance des dynamiques de rivalités.
Dans notre réalité, le programme Bourane a été initié par l’URSS dès 1976, et il fut également indexé sur les premières navettes étatsuniennes. Mais les étapes de finalisation du premier exemplaire furent très problématiques, et c’est un modèle réduit qui fit une grande partie des vols pour les vidéos de propagande soviétique. La vraie navette Bourane aura accompli un seul vol orbital en 1988 mais sans passager (en automatique). Et la réalité de ce vol a souvent été questionnée (certains suspectaient une vidéo truquée du fait de l’absence d’observateurs indépendants et de l’inexistence de médias non gouvernementaux). Finalement, le programme Bourane, déjà moribond, fut stoppé net à la chute de l’URSS.
Dans le même temps, en dépit de tensions américano-soviétiques au seuil du casus belli, Sergueï Nikulov aura réussi depuis les USA à forcer le black out de représailles en rétablissant la liaison entre la NASA et ses astronautes confinés dans la Cité des étoiles. Tandis que Sergueï Korolev aura veillé au bien-être de ces derniers, tout en douchant les exigences bourgeoises de Danielle Poole au moyen d’une leçon de relativisme salutaire sur les notions de liberté et de dignité à travers le prisme soviétique. En quelque sorte, l’application pratique d’un choc des civilisations huntingtonien autour d’une bouteille de vodka.
Perpétuellement baignée d’intempéries et d’une lumière glauque alors qu’elle est pourtant sise dans la banlieue de Moscou (ce n’est pas le grand nord sibérien), Звёздный Городок (Star City) véhicule un connoté déprimant et maussade qui contraste vivement avec le soleil du Texas et de la Floride. Mais s’il semble convier la symbolique facile des lumineuses USA vs. la ténébreuse URSS, ce parti pris d’auteur allégorise surtout les prétentions contrariées, les angoisses liminales et la sinistrose des "enfants gâtés" étatsuniens derrière le Желeзный зaнавес.
Suivant un destin paradoxal évoquant quelque peu celui de Michael Corleone dans la trilogie The Godfather de Francis Ford Coppola (le fils idéaliste qui désirait tant s’affranchir du giron mafieux familial mais que les circonstances conduiront à devenir le plus redoutable des parrains), Wilson s’apprêtait à annoncer à Paine son départ de la NASA pour se consacrer pleinement à ses belles amours saphiques avec Pam Horton. Mais un seul coup de fil changera son destin. L’annonce de l’infarctus (finalement bénin) de son père conduira Paine par empathie à convaincre Ellen de se rendre au chevet dans son père dans le Connecticut plutôt que l’accompagner à Séoul pour négocier un partenariat spatial avec la Corée. Échappant ainsi à la mort qui l’attendait dans le vol 007 des Korean Airlines, elle sera nommée administratrice (temporaire) de la NASA, et un nouvel équilibre relationnel s’établira entre elle, sa maîtresse Pam, et son lavender-mari Larry…
Sans que l’on puisse pour autant parler de polyamour façon The Expanse, la relation avec Pam nouée dans les épisodes précédents prendra ici tout son sens car elle offrira à la très stoïque Ellen de belles occasions de s’épancher utilement sur le hasard & la nécessité de son propre destin... Il faut dire que toute personne ayant échappé par le jeu des circonstances à une catastrophe aéronautique (et chacune d’elle possède ses "miraculés" dans le monde réel) a tendance à vouloir donner une "signification définissante" à ce sursis dans le perpétuel jeu de cache-cache avec la mort, au point de réorienter parfois dans une nouvelle direction son existence.
Assumant dès lors avec une vigueur nouvelle ses nouvelles responsabilités en temps de crise, poussée par son "mari-lavande" à s’imposer dans cette nouvelle fonction au nom de l’intérêt supérieur de leur rêves commun d’espace (et en particulier de Mars), Ellen damera stratégiquement le pion à toutes les autorités militaires en embuscade pour éviter que la NASA ne tombe finalement entre leur mains avides, en faisant le plus rapidement disparaître tout motif légitime à la militarisation de l’agence.
Tout en laissant en parallèle une chance au dialogue et à la concertation (notamment grâce aux relations privilégiées entre Madison et Nikulov), Wilson multipliera les actions démonstratives à poigne, convaincant même Reagan d’autoriser (sans attendre la nuit lunaire) l’opération de reconquête de la mine de lithium annexée par les Soviétiques, du moins aussitôt que les astronautes Poole et Morrison auront quitté le territoire soviétique, et ce en dépit de l’impréparation des Marines-astronautes. Un risque potentiellement calculé, ou potentiellement irresponsable, mais largement compensé par l’implication enthousiaste de la pilote bad ass Tracy Stevens dans le pilotage du module pour cette opération commando (achevant ainsi démonstrativement son parcours de rédemption et lui offrant un puissant dérivatif à l’ennui sélénite).
Comme terrassée par la mémoire et l’action infatigable de feu Thomas Paine, Ellen Wilson s’érige ainsi en la digne successeuse du touchant idéaliste républicain, employant comme lui la realpolitik pour faire vivre ses rêves. Mais d’une façon plus décomplexée et plus vigoureuse encore...
Cependant, en accompagnant cette opération à la forte symbolique guerrière (quand bien même les Russes en auraient été les initiateurs et quand même il n’y aurait pas encore de mort à déplorer) du cultissime I Fought The Law de The Clash au connoté triomphant et joyeux, For All Mankind 02x07 Don’t Be Cruel se propulse contre tout attente dans les champs sémantiques à contremploi de A Clockwork Orange (Orange mécanique) et Full Metal Jacket de Stanley Kubrick (1971 et 1987). Et pour enfoncer le clou, la victoire apparente par laquelle se conclue cette reconquista épique versera même dans le pur spot de propagande maccarthyste (ou dans la parodie façon Team America World Police de Trey Parker), où les Américains triomphants remplaceront le drapeau sanglant de la "barbarie" par la bannière étoilée de la "civilisation"... devant deux "affreux cocos" prenant misérablement la fuite. Puis les vaillants GI Joe exulteront en entament la toute première dance lunaire de l’Histoire, toujours sur le rythme du tube de The Clash (se prolongeant même durant le générique final), comme si la membrane séparant les musiques intradiégétiques et extradiégétiques était soudain rompue. Cette issue provoquera l’orgasme des militaires va-t-en-guerre étatsuniens... mais en même temps le malaise palpable voire la consternation de Margo Madison et Molly Cobb... auxquels s’identifieront bien davantage la plupart des spectateurs contemporains.
L’ensemble de cette séquence (dys-)cathartique par laquelle s’achève l’épisode est évidemment un exercice de style décalé et clipesque qui distille à la façon du Starship Troopers (1997) de Paul Verhoeven (voire même de l’original littéraire de Robert A Heinlein) une puissante ambivalence sur l’échelle de l’axiologie. Afin de sanctionner malicieusement le spectateur qui se serait trop vite positionné. Mais aussi pour rappeler que la marche de l’Histoire suit avant tout les lois des causalités... devant lesquelles "the eye of the beholder" ne pèse pas bien lourd.
La féminisation de la NASA n’est donc pas forcément assortie d’une féminisation des méthodes, ce qui – fors les études de genre – dissipe quelque peu la crainte de voir dans les événements de cet épisode le seul désir SJW des auteurs de placer des femmes à tous les postes clefs de la NASA.
En définitive, la profonde dichotomie entre ce qui est montré et ce qui est exprimé, entre le manichéisme apparent de la forme (USA lumineuses versus URSS obscure jusqu’aux frontières du cliché ou de l’endoctrinement) et les infinies nuances de gris du fond (torts géopolitiques partagées, humanisme et progressisme de part et d’autre...) permet à For All Mankind 02x07 Don’t Be Cruel d’induire une dissonance cognitive voire une uncanny valley qui renforce le postulat uchronique dans l’ordre du ressenti.
Malgré tout, en dépit de sa considérable accélération historique, il ne s’agirait pas vraiment de For All Mankind sans une touche soapy plus ou moins HS...
Et c’est dans l’atmosphère tamisée de l’Outpost que l’épisode Don’t Be Cruel dispense sa scène interpersonnelle la plus polémique. Tout commence par une visite du milliardaire Sam Cleveland (et accessoirement nouveau mari de Tracy) qui contre tout attente réussi à convaincre Karen de vendre son business pour la coquette somme de 390 000 dollars… afin d’en faire une chaine ou une franchise internationale. Oscillant entre la nostalgie pour ce bar qu’elle a transfiguré de ses propres mains et le désir profond de passer à autre chose, son état mélancolique rencontrera l’attirance de Danny. Le fils ainé des Baldwin, ami d’enfance de feu Shane, cadet de l’académie aéronavale d’Annapolis, et achevant son job d’été à l’Outpost avait déjà subtilement manifesté cette attraction ambivalente par sa sémiotique corporelle dans FAM 02x05 The Weight.
L’enrichissement de la juke-box par le célèbre Don’t Be Cruel (ayant conféré à l’épisode son titre hautement polysémique) d’Elvis Presley mais réinterprété par Billy Swan… conduira Karen à danser de nouveau. Et c’est alors que, impensable, choquant, indécent, Danny osera rouler un patin à la jolie mère de son défunt ami, Shane. Le premier signe de stupéfaction passé, Karen lui rendra la politesse avec une troublante passion… avant de prendre conscience de son inexpiable transgression et de s’enfuir en courant, honteuse. Elle ira retrouver au plus vite la couche de son mari Ed pour tenter d’effacer l’opprobre par une démonstrative partie de jambe en l’air avec la seule relation que l’Église et la morale commune sanctifient – le réalisateur la faisant d’ailleurs exagérément durer (du moins au regard des standard de FAM) comme pour essayer de rédimer l’indécente audace du script.
Qu’une relation maternelle-filiale par procuration entre la mère et le meilleur ami de son défunt fils glisse soudain vers une expression charnelle quoique mutuellement consentie, cela convoque évidemment les affres de l’inceste, quoiqu’ici à un niveau strictement symbolique. Et pourtant, en dépit de ce qui pourrait être perçu comme une faute de goût malsaine, il n’y a aucune erreur psychologique à déplorer. Parce que la psychanalyse a assez montré depuis un siècle (et la mythologie gréco-romaine bien avant elle) qu’il n’existe pas de compartimentage clair et définitif dans la nature des relations entre êtres humains (à fortiori durant les phases complexes de l’adolescence) – les normes sociales étant sans cesse en conflits (ouverts ou refoulés) avec les réalités émotionnelles et pulsionnelles. En outre, de pareils "dérives" sont souvent révélatrices des douleurs incurables de l’âme et des tentatives désespérés pour les apaiser...
Un sujet délicat assurément, mais qui n’arrive pas fondamentalement davantage comme un cheveu sur la soupe que toutes les autres interactions intimes que cultive sans partage la série. Mais le moins que l’on puisse dire est que l’épisode ne sera pas appesanti dessus, traitant le sujet avec une réelle pudeur. Or la pudeur demeure la dignité du soap opera.
Après, libre à chacun de s’indigner ou d’être touché par ce parti pris. Comme dans FAM 02x06 Best-Laid Plans, il n’existe pas une seule bonne réponse...
Conclusion
Certes, l’épisode souffre à la marge d’une scène intempestive (à nouveau) avec Aleida Rosales (à se demander si le choix de Coral Peña pour ce rôle n’est pas simplement une erreur de casting), éventuellement de la séquence sulfureuse (selon les sensibilités de chacun) entre Karen et Danny, et d’une possible obsession anachronique pour la "Femen-isation" rendant même désormais has been la plus-que-parfaite parité des épisodes précédents (dorénavant, c’est bien simple, tous les postes clefs et symboliques de la NASA sont détenus par des femmes !).
Mais exception faite de ces détails (coûtant malheureusement un demi-point à l’épisode), et malgré l’absence du protagoniste possiblement le plus représentatif de l’esprit de la série (Gordo Stevens)... la construction, l’écriture et la réalisation sont un pur sans-faute, qui plus est furieusement multi-dimensionnel ! Car davantage que n’importe quel autre opus de la série à ce jour, For All Mankind 02x07 Don’t Be Cruel aura tissé une saisissante mosaïque de conflictualité emblématique du genre humain, opposant perpétuellement dans la douleur le fond à la forme, l’exprimé au montré, l’intime au public, la réalité au discours, les arcanes à la propagande, la conscience au devoir, le légitime au légal, la maîtrise à l’exutoire, la raison à la pulsion, l’idéal à la stratégie, la grande Histoire à la petite, le collectif à l’individuel, et même le décalé au tragique, le second degré à l’ambiguïté.
L’URSS uchronique sort enfin de son opacité utilitariste, le mythique Sergueï Korolev émerge du champ causal, et la géopolitique s’invite par la grande porte en se confrontant comme jamais au réel (la tragédie du KAL 007)... mais en transcendant de façon très créative – presque kubrickienne – l’écueil du manichéisme usuel.
Cet épisode offre donc aux spectateurs une souveraine gratification et un puissant assouvissement pour le visionnage patient (ou impatient) de tout ce qui a précédé, ponctuant ainsi magnifiquement une sourde gestation ou un slow burn – attributs mêmes de la Hard SF.
ÉPISODE
Episode : 2.07
Titre : Don’t Be Cruel (Dernière danse)
Date de première diffusion : 2 avril 2021 (Apple TV+)
Réalisateur : Dennie Gordon
Scénariste : Nichole Beattie
BANDE ANNONCE
Les séries TV sont Copyright © leurs ayants droits Tous droits réservés. Les séries TV, leurs personnages et photos de production sont la propriété de leurs ayants droits.