Game of Thrones : Review 8.06 Le Trône de fer
Avec un épisode final sobrement intitulé Le Trône de fer, les showrunners David Benioff et D.B. Weiss viennent clore une saison qui marque autant les esprits qu’elle ne divise. Et la véritable pomme de la discorde pour certains, tient dans le choix des showrunners de raccourcir la saison en 6 épisodes. Or, il est fort probable que ce choix ait été rendu nécessaire pour des raisons de production et des impératifs scénaristiques.
D’un point de vue de la production, l’explication du choix de 6 épisodes est simplement budgétaire. Avec une enveloppe budgétaire de 90 millions d’euros, la production ne pouvait matériellement pas aller au-delà de 6 épisodes lorsque certains épisodes monumentaux comme la bataille de Winterfell exigeaient un budget compris entre 15 et 20 millions d’euros. En un sens, le choix de la qualité a primé sur la quantité. Et fort logiquement, une saison de 6 épisodes connait une dynamique et un rythme bien différent d’une saison de 10 épisodes.
D’un point de vue scénaristique, si HBO souhaitait une ou deux saisons supplémentaires, les showrunners ont choisi de clore une saga en une seule et dernière saison 8 de 6 épisodes. Sans évoquer les lassitudes, la pression ou l’envie de renouveau de Benioff et Weiss, il est sans nul doute devenu bien difficile de continuer à maintenir une qualité d’écriture à la hauteur des attentes des fans après quasiment 3 saisons sans l’appui des livres de G.R.R. Martin.
Chose loin d’être surprenante, le dernier épisode de la saga s’éloigne de l’ambiance blockbuster " grand spectacle " pour revenir dans une atmosphère sobre et non épique des premiers instants de la série. D’aucuns auraient d’ailleurs pu remarquer que cette dernière heure et demie s’inspire de l’épilogue du Seigneur des Anneaux – le Retour du Roi.
Dénuées de mise en scène grandiloquente et pompeuse, l’épisode enchaine sur les longs dialogues en face à face et plans fixes, comme pour mieux mettre en valeur le fond plutôt que la forme. En substance, David Benioff et D.B. Weiss résolvent la partie du jeu des trônes au moyen d’une dernière leçon de moral et une leçon de politique.
Du point de vue de la moral, l’épisode se remémore le Mestre Aemon qui indiquait que la véritable valeur d’un homme se découvrait lorsqu’il était confronté à un conflit de devoirs. Le dialogue entre le Mestre et Jon Snow dans l’épisode 9 Baelor de la saison 1 vient résumer la seule réponse valable pour mettre fin à l’antagonisme principal de la saga.
Aemon : Si un jour ton père (Ned Stark) était obligé de choisir entre l’honneur et ceux qu’il aime, que ferait-il ?
Jon : Il ferait ce qui est juste. Quel qu’en soit le prix.
Le tyrannicide étant présenté comme le choix juste et nécessaire, Game of Thrones, en tant que série politique, reprend l’idée très classique selon laquelle l’émergence d’un tyran rend nécessaire l’existence d’un Brutus. Cette approche qui offre une certaine noblesse au titre de Kingslayer, revêt une tournure plus amère dans Game of Thrones. En effet, l’épisode donne à voir le drame très shakespearien d’un homme condamné à trahir sans cesse l’amour au profit de l’honneur et du devoir.
Du point de vue politique, le tyrannicide et le dénouement final témoignent d’une méthode de résolution de conflit très classique et très contemporaine : le Statu quo.
Le tyrannicide est la manifestation de la résistance d’un système à tout changement radical. En un sens, Game of Thrones pervertit la notion de Brutus, qui devient ici le sauveur d’un système sclérosé et malade au détriment des souffles révolutionnaires. En passant, la disparition du symbole du pouvoir n’enlève en rien la soif de pouvoir dans le cœur des hommes et femmes de Westeros, bien au contraire. Comme le démontre l’amorce de la situation finale, les conflits ont repris de plus belle au point que trois camps apparaissent dans les pourparlers : les pro-Régicides, les neutres et les pro-Daenerys.
La situation politique finale de Westeros témoigne de la position de statu quo adopté – à défaut – par les nouveaux seigneurs de Westeros. Outil classique de résolution de conflits dans la diplomatie et les négociations de paix, le statu quo tend à réinstaurer les grands équilibres comme ils étaient avant les conflits. En apparence apaisé, le choix par consensus du " maintien de l’existant " est probablement la pire solution possible pour le royaume de Westeros.
En effet, la situation pacifiée durement acquise à la fin de l’épisode est fragilisée à deux niveaux :
- Si le roi va au bout de son règne, l’absence de descendance de celui-ci promet déjà une lutte de succession sans merci ;
- La scission du royaume du Nord est un coup politique nécessairement source de conflit. D’une part, elle ouvre la voie à toutes autres velléités d’indépendance des autres royaumes. D’autre part, l’indépendance acquise ne prémunit pas le Nord des convoitises des prochains rois ou reines.
A Westeros, l’arrivée de l’hiver était synonyme de fin de cycle. L’épisode intitulé – le trône de fer – matérialise sobrement cette fin tout en ouvrant grande la porte d’une nouvelle ère qui sera sans doute aussi troublée que la précédente.
En dernier lieu, en tant que final d’une saison 8 épilogue, l’épisode se devait de répondre à la question principale de l’intrigue : Quel prétendant va triompher du jeu des trônes et régner sur les royaumes de Westeros.
Avec le temps et le recul, il apparaîtra que cette dernière saison est celle où le dernier grand joueur – le plus puissant – a véritablement joué la partie avec dans sa main les deux atouts maîtres. D’un côté, il détenait toutes les informations du passé, du présent et du futur. Et d’un autre côté, contrairement aux autres qui étaient empêtrés dans les prophéties et les fils du destin, il avait le libre arbitre et détenait surtout le pouvoir de changer – ou non – le destin de tous. Au final, il s’est bien évidemment gardé d’agir plus qu’il ne fallait pour éliminer tous les puissants prétendants au trône, au prix de millions de morts. Tel un maître des poupées et fin stratège, ils manipulaient les joueurs et les plaçaient là " où ils devraient être " pour qu’il obtienne le gain de la partie.
Forcément, le grand gagnant au jeu des trônes ne pouvait qu’être le joueur le plus manipulateur, le plus meurtrier et le moins humain de tous les prétendants.
Et une fois victorieux, comme un comble de la folie, il apparaît que seul le jeu l’intéressait, et non le pouvoir qu’il laisse bien volontiers aux mains des autres.
Finalement, au bout du chemin, de Westeros à Essos, le monde est encore plus fragilisé qu’avant. Dans le contexte de statu quo, le système est toujours aussi vicié et fragile qu’avant, seuls les têtes couronnées changent. Et dans ce contexte de changement, le règne des forts et des puissants cède la place à celui des " handicapés, des bâtards et des choses brisées ".
Bien qu’elle soit source de division aujourd’hui avec cette saison 8, la saga que portent David Benioff et D.B. Weiss à bout de bras depuis 2005 marque l’histoire de l’industrie télévisuelle.
Il faut toutefois souligner que la fin du temps télévisuel offre l’opportunité de mettre en lumière celui des livres. Celles et ceux qui souhaitent encore errer dans le monde de Essos et Westeros, voire au-delà, peuvent toujours lire les saga Game of Thrones – A song of ice and fire dont les deux derniers tomes sont à paraître, sans oublier le spin off Fire and Blood sur le règne Targaryen. Et il serait honteux de passer sous silence l’indispensable et excellentissime ouvrage de Marianne Chaillan Game of Thrones, une métaphysique des meurtres qui livrent l’ensemble des clés de lecture d’une saga littéraire et télévisuelle hors normes.
La fin douce-amère longtemps annoncée est finalement arrivée au terme d’une saison qui doit être considérée comme une petite partie d’un ensemble plus grand. Cette approche permet de souligner que l’important n’est pas véritablement la fin, mais la richesse émotionnelle du chemin parcouru.
EPISODE
Episode : 8.06
Titre : Le Trône de fer
Date de première diffusion : 19/05/2019 (HBO) - 20/05/2019 (OCS)
Réalisateur : David Benioff & D. B. Weiss
Scénariste : David Benioff & D. B. Weiss
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