Star Trek Discovery : Review 2.04 An Obol for Charon
Un épisode bien dense et très intéressant cette semaine avec trois lignes narratrices différentes, une tentative de réponse à la différence technologique avec TOS et la première apparition de Number One.
La première ligne scénaristique concerne Saru. C’est peu dire que le personnage avait été peu utilisé depuis le début de la seconde saison. Mais cette semaine, confronté à ce qu’il croit être sa mort prochaine, le Kelpien va voir ses certitudes, issues des dogmes de son peuple, totalement remises en question. Cet épisode est donc l’antichambre d’une révolution, qui s’annonce radicale, pour la personnalité de Saru. Je ne saurais d’ailleurs trop vous conseiller, si ce n’est déjà fait, de regarder le Short Treks qui lui était consacré pour mieux comprendre la société Keplienne. Comme d’habitude, la relation privilégiée qu’il entretient avec Michael est mise en avant, ce qui donne l’occasion à Sonequa Martin-Green d’avoir à nouveau la larme à l’œil comme à chaque épisode de cette saison.
La seconde trame traite de la situation de Tilly. Coincée avec Stamets et Reno en salle des machines, les événements vont la remettre en contact direct avec le parasite fongique. D’abord, c’est une grande joie de retrouver Tig Notaro dans le rôle de Jett Reno et de profiter à plein de ce personnage à la répartie cinglante. Comme pour Saru, cet épisode propose les prémices d’une histoire. Celle-ci devrait résoudre une fois pour toute la problématique du moteur sporique. On sent bien que le sort de cette technologie trouvera une issue fatale quand il sera établi qu’elle détruit une civilisation dont l’existence est menacée par les sauts de Stamets. Bref, c’est, il me semble, le moyen que la production a trouvé pour expliquer que plus jamais dans le futur, il n’est fait mention de cette technologie. Et pour le coup, si cela se confirme, c’est une explication qui me conviendra très bien
La troisième histoire est centrée sur cette gigantesque sphère co-sentiente, qui en essayant de communiquer avec le Discovery, provoque tous les dysfonctionnements du vaisseau. J’ai adoré la scène où le traducteur universel devient fou et où chaque personnage parle une langue différente. Et il faut bien dire que, pour le coup, on tombe dans une thématique 100% Trek. On ne compte plus, en effet, les épisodes dans TOS et les séries suivantes où le vaisseau se retrouve coincé par un organisme géant ou une singularité consciente.
Si j’ai trouvé très à mon goût ces trois histoires, j’ai quand même quelques bémols sur deux points. La première concerne la visite du premier officier de Pike sur l’Enterprise, la célèbre Number One interprétée ici par Rebecca Romijn. Et ce qui me gêne ici, c’est un sentiment de trop peu. L’alchimie entre Anson Mount et Romijn est évident et je n’ai qu’une envie, c’est d’en voir plus.
Mon second bémol concerne la pirouette scénaristique qui est donnée pour expliquer pourquoi l’Enterprise qu’on connaît est significativement moins avancé technologiquement que le Discovery. J’en rigole encore, tellement c’est une explication ridicule et qui ne tient pas une seconde.
Pour autant, An Obol for Charon reste pour moi un très bon épisode de Discovery, pleins de promesses pour la suite.
FM
À l’instar de DIS 02x02 New Eden, DIS 02x04 An Obol For Charon arbore ostentatoirement (et généreusement) les couleurs du plus pur "classicisme trekkien" :
problèmes d’exo-communication (panne des Universal Translator à une échelle encore jamais mise en scène) ;
first contact avec une entité inconnue (la plus grosse jamais vue dans la franchise, soit une sphère rouge de 565 km de diamètre) ;
ultime legs mémoriel d’une vieille civilisation disparue (finalement cette même sphère rouge dont le premier contact était aussi le dernier) ;
un symbiote (Jahsepp) apparemment gore et prédateur… mais qui vient écologiquement avertir Starfleet (des dégâts que son spore drive cause au mycelial network) ;
le recours spontané à l’euthanasie (par Burnham) sur un confrère sentient à l’agonie (Saru) ;
des échanges poignants d’estime et d’amitié sur un lit de mort (on en pleurerait tellement c’est bô) ;
et de nombreux dialogues introspectifs quant aux doutes existentiels (parler ou ne pas parler à son frère Spock telle est la question) et quant aux choix cornéliens (privilégier l’exploration et le contact avec la sphère… ou la traque de la navette de Spock fuyant à distorsion)…
Le trekker est ainsi littéralement convié au balcon d’honneur pour assister à une parade non-stop de tous les thèmes les plus emblématiques du trekkisme. Autant dire qu’il devrait être permis – et même obligatoire – de se réjouir : Star Trek is back !
Star Trek is back ?
Le premier émoi passé (c’est que c’est devenu fragile un cœur de trekker soumis à la disette depuis maintenant 14 ans), est-ce réellement le cas ? Star Trek est-il vraiment ressuscité des morts ?
Hélas seulement en première lecture… et à un niveau extrêmement superficiel. En fait, "l’esprit de Star Trek" est à peu près aussi présent dans DIS 02x04 An Obol For Charon que la Prime Directive hantait de sa présence réelle le teaser de Star Trek Into Darkness (ou comment "tout comprendre" à la Directive Première en dix minutes chrono grâce à la leçon de rattrapage accélérée 50% fun et 50% émotion "Star Trek pour les nuls" by Kurtzman).
C’est très symboliquement que l’épisode An Obol For Charon débute, en infligeant à la prétendue "timeline commune" le énième recast d’un personnage iconique. C’est au tour de Number One (TOS 00x01 The Cage) de passer à la casserole. Son interprète Rebecca Romijn est assurément aussi belle que voluptueuse, mais elle est ne ressemble pas même un peu à Majel Barrett. Et "Number One" semble être désormais son nom et son prénom, puisqu’elle est appelée ainsi même en dehors de la chaîne de commandement… lorsqu’elle vient visiter Pike sur l’USS Discovery pour le tenir informé de l’avancée des réparations de l’USS Enterprise qu’elle supervise en spacedock.
Elle lui révèle à cette occasion que Starfleet a classifié le cas de Spock en "level 1" (décision sans précédent), et qu’il lui a fallu forcer indiscrètement des portes fermées pour apprendre que Spock s‘était enfui de la Starbase 5 (après avoir prétendument assassiné trois médecins) au moyen d’une navette capable de distorsion (mais dont il est possible de suivre la trajectoire à condition de ne pas trainer).
Voilà qui convoque une pestilence de complotisme (entre le Starfleet dystopique de la saison 1 de DIS et la Section 31 d’Alias), mais qui révèle surtout une possible incohérence. En effet, comment se fait-il que le capitaine Pike, supérieur hiérarchique direct de Spock, commandant à la fois du navire amiral de Starfleet (USS Enterprise) et du vaisseau technologiquement le plus avancé (USS Discovery), chargé en sus d’enquêter de façon hautement prioritaire sur les red bursts galactiques (et les Red Angels) auxquels Spock serait lié… oui comment se fait-il que super-Pike ne dispose pas du niveau d’accréditation maximal de Starfleet (qui fut pourtant toujours la norme à un niveau de responsabilité même moindre dans ST) ?
Dans une saison 2 qui aurait pu être sous-titrée "The Search For Spock", la traque du fugitif s’engage aussitôt. Mais comment se fait-il que seul l’USS Discovery prenne officieusement cette intiative... et non pas ouvertement une armada de Starfleet (étant donné que Spock est devenu l’ennemi public numéro un et que sa navette peut être pistée à distorsion) ?
Bien entendu, la poursuite cesse aussitôt (bon, on s’y attendait car il faut bien faire trainer au maximum cette si exaltante intrigue et exacerber cette si grande impatience "I can’t wait" des trekkers à revoir Spock… sous les traits re-re-castés d’Ethan Peck – la fidélisation du public étant visiblement calculée ainsi). En effet, l’USS Discovery est brutalement expulsé de distorsion par une monstrueuse sphère rouge de 565 km de diamètre, pesant 6,39x1026 kg, atteignant (bientôt) une température de 106 Kelvin (niveau stellaire), âgée de 100 000 ans (rien que ça !), alliant matière organique et inerte (forme de vie hybride ?), émettant des vibrations sonores (dans l’espace ?) et lumineuses (hors du champ visible humain), et déployant un "champ de stase multiphasique" (qui immobilise et fait dysfonctionner le vaisseau).
Conceptuellement, c’est presque le quotidien de Starfleet dans chacune des séries historiques... si ce n’est bien sûr que Discovery se devait se faire exactement comme ses homologues Kelvin : c’est-à-dire plus gros, plus puissant, plus impressionnant, plus rapide, et plus tape-à-l’œil (c’est "l’effet Narada"… quitte à s’asseoir sur l’impératif de sous-enchère – et non de surenchère – qui sied à tout prequel bien né).
L’impact multimodal de cette sphère que les protagonistes comparent immédiatement à une giga-araignée spatiale (un nouvel emprunt aux extravagances light-SF de Doctor Who ?) a pour effet d’engendrer chez Saru le syndrome létal (pour les Kelpiens) du Vaha’rai (difficile de ne pas songer e.g. aux effets non moins létaux de la communication alien sur les Betazoids dans TNG 04x17 Night Terrors), mais également d’exposer les systèmes de l’USS Discovery à un virus très difficile à endiguer.
Ce dernier affectera en premier lieu les communications et les systèmes UT du vaisseau, mais si les précédents (aux manifestations diverses) furent très nombreux dans le Star Trek historique (en particulier dans TNG 02x11 Contagion, TNG 07x17 Masks, DS9 01x05 Babel, DS9 02x10 Sanctuary, VOY 02x04 Peristence Of Vision, et plusieurs épisodes des deux premières saisons d’ENT), il faut néanmoins admettre que DIS 02x04 An Obol For Charon présente l’originalité d’une radicalité inédite... dans la mesure où le dysfonctionnement des traducteurs universels ne porte pas ici seulement sur la langue mais également sur l’annulation de phase sonore au cœur de cette technologie Babel Fish emblématique du Trekverse (en d’autre termes, chaque personnage s’entend lui-même parler aléatoirement dans une autre langue que la sienne, ce qui rend les communications impossibles sauf pour qui comprendrait et parlerait toutes les langues).
L’expérience est fort intéressante au sens de la SF, mais elle se heurte (comme d’habitude dans Kelvin-Discovery) à bien trop d’empressement dans le traitement du sujet (qui s’apparente presque à un gadget), mais également à une très faible authenticité linguistique alors que les UT sont supposés délivrer des langues parfaites, ce qui est décevant à l’aune des exigences multilingues contemporaines dans les séries TV enrecinées dans le mondialisme (cf. e.g. Homeland et Le bureau des légendes, l’usage étant désormais de recourir au doublage (ce qui a visiblement été fait dans An Obol For Charon pour l’italien, l’hébreu, et le mandarin... mais pas pour l’espagnol, l’allemand, l’arabe, ni le français au demeurant fort peu convaincant). Enfin, Saru est catapulté deus ex machina providentiel avec sa capacité à maîtriser 94 langues (lorsqu’on sait combien de temps réclame l’apprentissage ne fut-ce que d’une seule langue étrangère…). Il est vrai que le VOY 04x26 Hope And Fear avait mis en scène un certain Arturis au cerveau surdimensionné qui en maîtrisait environ 4 000. Mais il y a tout de même un contexte temporel qui peut surprendre dans le cas de Saru – Discovery s’employant à doter celui qui est supposé être la "super-proie universelle" de capacités physiques et mentales digne d’un superman à l’échelle humaine.
Finalement, seule Burnham (oui toujours elle) comprend à la 21ème minute que la sphère sensient cherche "simplement" à communiquer (personne d’autre à bord n’a eu cette idée pourtant évidente dans le Trekverse ?), tandis que Saru devinera (fallait-il vraiment son "super-pouvoir thanatocentré" pour cela ?) que la sphère est mourante et cherche juste à transmettre tout le savoir de sa civilisation avant de disparaître – le virus n’étant en réalité qu’un vecteur de communication et de transmission de données. Une opération qui deviendra possible dès lors que Pike et l’équipage prendront le risque de "s’abandonner" à l’entité extraterreste en dépit de son apparence ultra-menaçante. La philosophie du first contact mérite bien ses actes de foi. La procédure suivie et son lot de technobabble ne seront toutefois pas des plus crédibles (une fois de plus). Comment croire qu’il ait seulement fallu quelques secondes pour transmettre à distance aux bases de données de l’USS Discovery 100 000 ans de data alien et high tech en provenance d’une entité plusieurs millions de fois plus volumineuse ? Combien de petaquads ou d’exaquads de données si l’on emploie l’unité de mesure informatique de TNG ?
Toujours est-il que cette problématique convie évidemment quelques-uns des fleurons du Star Trek qui fut, de TNG 05x25 Inner Light (dans sa forme la plus poétique) à ENT 03x03 Extinction (dans sa forme la plus dérangeante).
Malheureusement, convier n’est pas synonyme de traiter. Et c’est précisément là que se niche l’illusion pour ne pas dire la manipulation. Tout véritable épisode de Star Trek (et par extension tout épisode de SF ambitieuse de type Babylon 5, The Expanse, et même Stargate) aurait dédié à une thématique aussi prégnante et déterminante (sociologiquement et psychologiquement) un épisode entier. Quant bien même il ne s’agirait que d’une variante d’un célèbre épisode antérieur (pourvu qu’il existe une plus-value sémantique minimale), ce grand sujet ne mérite de sa réputation qu’à condition d’être accompagné d’un enjeu moral et/ou d’un questionnement de fond. Or DIS 02x04 An Obol For Charon se contente malheureusement de poursuivre – certes d’une façon un brin plus élaborée donc peut-ête davantage trompeuse – le procédé initié dans les films Kelvin : emprunter – à la fois par paresse et par opportunisme – les sémiotiques trekkiennes les plus matricielles dans l’imaginaire collectif, ou plus simplement les meilleurs moments pour composer un medley, espérant ainsi faire d’une pierre trois coups : offrir aux newbies un bref aperçu des classiques trekkiens, assouvir les frustrations des trekkers de longue date en considérant qu’un extrait de la musique du film remplacera (par synesthésie à leurs yeux) le film lui-même (en d’autres termes leur donner une carotte ou pire un os à ronger), et surtout réduire de manière utilitariste un grand thème trekkien à un petit levier narratif au seul bénéfice du fil rouge.
Ce procédé sera malheureusement exactement le même avec chacun des autres thèmes réputés "trekkiens" de l’épisode.
Ainsi, le Vaha’rai – artificiellement provoqué par la sphère sentient – est présenté comme une pathologie mortelle et atrocement douloureuse (jusqu’à susciter la folie) qui serait supposée accompagner l’abattage des Kelpiens par les Ba’ul sur Kaminar. Non seulement, cela ne semble guère correspondre à ce que Short Treks 01x03 The Brightest Star avait montré (où les compatriotes de Saru se rendaient à l’abattoir avec la calme résignation des Eloïs de La Machine à explorer le temps de H. G. Wells), mais cette problématique conduit dans l’épisode à un sujet de société majeure, à savoir l’euthanasie… qui avait déjà été brillement traité par le Star Trek historique, par exemple dans TNG 04x22 Half A Life, TNG 05x16 Ethics, VOY 01x05 Phage, VOY 01x09 Emanations, et même dans TAS 01x04 Yesteryear. Sauf que dans DIS 02x04 An Obol For Charon, une fois plus, cette question se contente d’être effleurée.
Pourtant, moyennant une variante créative de ce que Star Trek avait déjà souvent proposé avant 2009, un sujet de société aussi essentiel (et aussi trekkien) aurait dû faire l’objet d’un épisode entier, au minimum d’une histoire A ou B, car il ne fait sens trekkien que s’il est accompagné d’un véritable dilemme éthique, au minimum d’une réflexion (ou d’une invitation à la réflexion). An Obol For Charon s’y prêtait d’ailleurs particulièrement bien étant donné qu’il s’en est fallu d’un cheveu pour que Burnham tranche les ganglions de Saru, tant elle et lui étaient alors sûrs de leur fait. Mais hormis le soulagement émotionnel résultant, il n’en est strictement rien sorti en terme de fond.
L’objectif narratif des auteurs aura simplement été de se prévaloir de l’alibi d’avoir intégré dans leur épisode un "grand thème trekkien" (durant moins de cinq minutes montre en main), mais en réalité avec l’intention de lui substituer grossièrement un prétexte, non pas seulement de soap, mais carrément de mélo… qui plus est le plus sirupeux, le plus mielleux, le plus guimauve qu’il ait été donné de voir à la télévision depuis l’ère les telenovelas brésiliennes.
Quitte à contredire sans vergogne le comportement particulièrement égocentrique, agressif, carriériste, inamical, inquisiteur, intraitable, et anti-empathique (au sens moral) de Saru durant la saison 1, Burnham dresse rétroactivement un invraisemblable portrait angélique et hagiographique des prétendues qualités exceptionnelles de bonté, de désintéressement, d’amitié, d’empathie ("your are the most empathic soul I know" !), de capacité à aimer et à ne pas juger du Kelpien (nous n’avons décidément pas vu la même série...). Cette scène – tel l’acmé d’une série d’échanges melliflu entre Saru et Michael – est un tire-larmes outrageusement surjoué de la part de Doug Jones ("you’re the only one who knows me, you replaced the sister I had on Kaminar"), mais davantage encore de la part de Sonequa Martin-Green, qui non seulement ne respecte pas son background culturel vulcain (sur lequel la première saison avait pourtant tellement insisté), mais qui constitue en outre une véritable insulte au stoïcisme et à la dignité avec lesquels la franchise avait toujours traité l’affrontement de la mort, y compris dans ses séries réputées les plus "soap" comme DS9. (Notons tout de même que ce surjeu caractérisé n’est pas forcément le fait des acteurs, mais du réalisateur ou des showrunners.)
Le sentiment d’arnaque n’en est que plus grand lorsqu’on découvre finalement (mais était-ce vraiment un suspens ?) qu’aussitôt déclamé les dialogues grandiloquents et larmoyants, Saru se rétablit finalement comme un charme. Du coup, le spectateur a l’impression de n’avoir eu ni le beurre ni l’argent du beurre, à l’image de la fin de ST Into Darkness avec la "fausse mort" de Kirk (encore que dans le second film Kelvin, c’était moins manipulatoire puisque Baby-Kirk faisait tout de même christiquement l’expérience tragique de la mort avant de ressusciter par le miracle du sang de Khan 2.0).
In fine, loin d’un quelconque débat sociologique ou SF, la cause finale de ce spectacle de mauvais goût, c’est d’arracher à Michael sur le (faux) lit de mort de Saru la promesse qu’elle reparlera à Spock. Car oui, le vrai sujet auxquels tous les trekkers sont suspendus depuis le début de DIS 02x04 An Obol For Charon (et même depuis le début de la seconde saison), c’est : Michael va-t-elle reparler à Spock ou pas ? Elle ne voulait pas dans DIS 02x01 Brother, puis elle voulait bien dans DIS 02x03 Point Of Light suite à l’arrivée en fanfare de maman Amanda, puis elle voulait plus au début de DIS 02x04 An Obol For Charon, et maintenant (grâce à la fausse-mort-larmoyante et à l’euthanasie-pour-rire de Saru) Michael veut de nouveau reparler à Spock. Le soap façon Discovery, ce n’est même pas celui de Dallas, ce serait plutôt celui de Dawson ou de Felicity.
Eh non, ce survol utilitariste dépourvu de volonté d’exploration et de capacité d’anticipation n’est pas un corrolaire du format feuilletonnant ou serialisée tellement en vogue.
Car si l’on prend l’exemple de DS9 qui fut une série feuilletonnante (avec des évolutions importantes entre les personnages qui lui ont parfois valu la réputation d’être un peu "soap"), elle a néanmoins toujours su octroyer des épisodes dédiés à toutes les grandes thématiques trekkiennes (e.g. DS9 01x19 Duet, DS9 04x04 The Visitor, DS9 06x09 Statistical Probabilities, DS9 06x14 Far Beyond The Stars...).
Et si l’on prend l’exemple d’ENT qui a porté à un niveau inédit le serial (avec un arc de 28 épisodes de la fin de saison 2 au début de la saison 4 !), eh bien là encore, elle aura été capable de s’accorder des "pauses" stand alone pour offrir d’authentiques focus trekkiens (par exemple ENT 03x08 Twilight, ENT 03x10 Similitude, ENT 03x12 Chosen Realm, ENT 03x21 E2...).
Indirectement, sur le terrain internaliste, il serait possible d’imaginer que les connaissances que la Fédération des 23ème et 24ème siècles possède sur les Slavers décimés il y a un milliard d’années (cf. TAS 01x&4 The Slaver Weapon), sur le Tkon Empire effondré il y a 600 000 ans (cf. TNG 01x07 The Last Outpost) et/ou sur les légendaires Iconians disparus il y a 200 000 ans (cf. TNG 02x11 Contagion)... proviendraient du savoir immémorial légué par cette sphère rouge sentient avant d’exploser (non sans protéger l’USS Discovery de ses effets) – Pike annonçant qu’il faudra des siècles à la Fédération pour en exploiter les données.
Mais il s’agit néanmoins là d’une libre extrapolation dont il ne faudrait pas attribuer prématurément le crédit à DIS (en s’inspirant abusivement des nombreux apports internalistes "hauts perchés" de ce genre qu’ENT avait en son temps prodigués à la cohérence du Trekverse – ce n’était ni les mêmes showrunners ni le même esprit), car il est davantage probable que la brève séquence de la sphère rouge mourante se réduise – comme le plus souvent dans le moule narratif de Kelvin-Discovery – à un bénéfice immédiat dans le cadre des principaux fils rouges. Déjà à l’échelle de l’épisode, en permettant à Burnham de retrouver les traces de la navette de Spock depuis que celle-ci s’était retrouvé hors de portée des senseurs de l’USS Discovery (le "jeu de piste" pourra donc se poursuivre durant l’épisode 02x05...). Et assurément dans la suite de la saison, en fournissant par exemple davantage d’informations sur les Anges rouges... et en permettant bien entendu à Saru de "guérir" de son handicap de "proie terrorisée" pour faire de lui "homme nouveau".
Une évolution d’ailleurs potentiellement intéressante pour le personnage kelpien (futur capitaine en titre de l’USS Discovery ?), bien qu’elle s’appuie tout de même sur plusieurs contradictions (avérées ou possibles), au nombre desquelles une curieuse redéfinition par Saru de la vocation même de Starfleet (aider les plus faibles partout dans l’univers !), une étrange ambivalence quant au mode de recrutement extra-UFP de Saru (au mérite individuel) et à la spéculation de la levée à moyen terme du General Order One envers Kaminar (au nom de la morale ?), la dangerosité foncièrement anti-professionnelle de Saru lorsque celui-ci s’émancipait de sa "peur" (sur Pahvo dans DIS 01x09 Into The Forest I Go), et plus généralement une bien mauvaise intégration du concept de Fear Itself – évoqué (et même mis en scène) dans la première saison comme résultante d’une prédation par innéisme tandis que Short Treks 01x03 The Brightest Star en a fait une prédation par l’acquis (soit l’exact opposé).
Alors bien entendu, la question qui vient à l’esprit, c’est : comment Burnham a-t-elle récupéré instantanément les informations sur la localisation de la navette de Spock au sein de la Somme de 100 000 ans léguée par sphère rouge sentient, alors que selon Pike le traitement de ce very big data allait réclamer des siècles ?
Mais ce n’est en fait pas la bonne question à poser. Il faut en réalité creuser en amont. Le vrai problème, c’est la vitesse avec laquelle Pike aura réussi à faire traduire par l’ordinateur de bord de l’USS Discovery le contenu des données reçues – les informations extraites par Burnham n’en étant finalement que le corollaire.
Parce que si ces archives extraterrestres sont si facilement interprétables et traduisibles, il n’y alors aucune raison que le premier contact avec la sphère ait été aussi dangereux et inintelligible.
Du coup, l’incohérence n’en est que plus profonde et globale, puisqu’elle porte sur le fondement même de l’histoire relatée par DIS 02x04 An Obol For Charon. Et c’est ainsi que le château de carte s’effondre...
En parallèle, dans l’engineering (ou salle des machines), DIS 02x04 An Obol For Charon met en scène un spectacle particulièrement médiocre, dont il est toujours délicat de savoir s’il vaut mieux en rire ou en pleurer. Mais c’est un peu ça "l’effet Tilly" et son humour sophomorique. La créature symbiotique ayant pris l’apparence de May Ahearn, après avoir habité transdimensionnellement le corps de Tilly (cela avait le mérite d’une certaine originalité) se révèle finalement un blob plus ou moins métamorphe qui désormais engloutit Sylvia comme dans un bon vieux gore des familles. Dans un style trash à la Re-Animator, c’est à la perceuse que Stamets va perforer le crane de Tilly (allô, il y a quelqu’un à l’intérieur ?) pour établir un dialogue direct avec le méga-spore (espérons tout de même que le foret à béton ou à métal ait bien été stérélisé). Il est tout de même curieux que, pour la pose de cet implant cortical, un procédé aussi médiéval ait été employé. Curieux aussi que Stamets ait préféré faire chanter Space Oddity de David Bowie à Sylvia plutôt que de l’anesthésier (il y avait pourtant une seringue hypodermique à proximité).
Il apparaît alors que le "blob symbiotique" est une créature sentient très "sophistiquée" (oui, c’est là une "leçon de trekkisme" : ne jamais juger aux apparences) provenant du réseau mycélien (dont l’astromycologue savait pourtant dès l’origine que c’était un "incubateur de vies" !). Cet espèce nommée Jahsepp, vivait harmonieusement avant que les intrusions en spore drive de l’USS Discovery ne ravagent leur écosystème ! De confusions en excuses, Stamets lui promet qu’il va remédier à ça... Mais le blob Jahsepp n’en a cure, il a semble-t-il d’autres "projets" pour Tilly, et aussitôt il l’avale (un peu comme Armus dans TNG 01x23 Skin Of Evil). Suite au prochain numéro...
Malgré tout, l’entrée en scène de l’ingénieure à l’ancienne (à la Scotty quoi, mais en version cliché) Jett Reno (interprétée par la décidemment excellente Tig Notaro) offrira à l’épisode ses meilleurs – ou plus exactement ses moins mauvais – dialogues, au point de composer entre Reno et Stamets quelques joutes verbales cinglantes. Rien d’exceptionnel en soi, mais malgré tout appréciable par contraste envers les mièvreries pleines de pathos que nous inflige l’épisode par ailleurs.
Hélas, les sciences n’en deviendront pas davantage crédibles, notamment quant à la façon de réduire la "différence de potentiel" entre deux pièces isolées…
L’infirmerie sera elle aussi le théâtre de quelques scènes professionnellement absurdes, notamment les gestes bien peu médicaux durant la discussion entre le Dr. Tracy Pollard, Pike, et Burnham.
Par ailleurs, ne sait-on pas au 23ème siècle de DIS que les antibiotiques n’ont aucune utilité pour combattre les supposés virus ?
Sur le terrain de la forme – invariablement affligée de la suresthétisation générale de la série (VFX/SFX très inclus) se construisant au détriment de sa vraisemblance (un autre héritage de la Kelvin timeline) – la mise en scène de Lee Rose ne possède pas l’élégance et l’aération de celle de Jonathan Frakes sur DIS 02x02 New Eden, mais elle s’avère néanmoins plus efficace et équilibrée que celle d’Olatunde Osunsanmi sur DIS 02x03 Point Of Light. D’autant plus qu’il n’était pas forcément aisé d’assembler au montage trois voire cinq intrigues différentes (quand bien même superficielles ou boiteuses) en un seul épisode de 50 minutes.
Pour chacune des histoires ABC voire ABCDE saturant la construction de DIS 02x04 An Obol For Charon et constituant autant de "périls", Michael Burnham sera appelée à rescousse, tel le pompier indispensable miraculeux, renforçant un peu plus l’impression que Discovery est bel et bien le "Burnham show".
Les indices se multiplient de toute part, plus aucun doute désormais, on assiste bien aux prémices d’un rétropédalage pour les incontinences technologiques que s’était accordée Discovery durant sa saison 1, en particulier le spore drive permettant de se matérialiser instantanément n’importe où dans l’univers… mais également l’holographie à tous les étages.
Malheureusement, ni l’une ni l’autre option ne s’annoncent convaincantes, du moins à ce stade de la seconde saison.
Bien entendu, la volonté de Stamets d’agréer à la demande du méga-spore Jahsepp sonne en théorie hautement trekkien (et en quelques sorte astro-écologique à la façon de TNG 07x09 Force Of Nature). Le hic, c’est qu’une décision politique à seule motivation éthique demeure un argument faible face à la marche de l’Histoire (même dans le Trekverse). Les causes impérieuses de survie ("necessité fait droit") prenent tôt ou tard toujours le pas, dès lors qu’une technologie existe et qu’elle est connue (ou du moins qu’elle peut être redécouverte). À l’instar de la Section 31 qui n’avait pas hésité à planifier un génocide des Founders comme ultime recours durant la tragique guerre contre le Dominion à la fin de DS9, ce n’est pas un pieux traité ou une interdiction légale qui pourrait crédibiliser le fait que le spore drive ne soit au minimum jamais évoqué dans les séries DS9 et VOY...
Quant à l’holographie, la voilà soudain présentée comme la cause de la "panne en cascade" de l’USS Enterprise ! Mais alors pourquoi ce phénomène frappe-t-il seulement l’Enterprise et non les autres vaisseaux de la flotte (notamment les autres Constitution Class) ? Pour mémoire dans TOS, aucun vaisseau de Starfleet n’utilisait d’holographie, pas seulement celui de Kirk. En outre, l’argument anti-holographique de Pike – à savoir que ça lui fait penser à des fantômes – est tellement léger que ça relève littéralement du gag, a fortiori si c’est ainsi (et seulement ainsi) que les auteurs prétendent expliquer l’abandon global et durable de cette technologie dans Starfleet.
Il y a de toute évidence un sérieux manque de réflexion de la part des showrunners de Discovery aussi bien dans les options technologiques au début de la première saison, que dans les rétropédalages maladroits maintenant. Dans un cadre opérationnel comme celui de Starfleet, les choix reposent toujours sur l’optimisation entre l’efficacité (ou la praticité d’un côté) et le poids (notamment énergétique) de l’autre.
Or aussi choquant (et décevant) que cela puisse sembler, l’humanité des années 2010 n’est en réalité pas scientifiquement et technologiquement plus proche des révolutions coperniciennes présidant à l’utopie trekkienne que ne l’était l’humanité des années 60 durant laquelle fut produite TOS !
Car ce qui définit avant tout Star Trek (et qui permet matériellement l’utopique UFP), c’est :
#1 le FTL ou warp (possibilité de voyager rapidement entre systèmes solaires en échappant aux contraintes de la relativité restreinte),
#2 la combinaison des synthétiseurs (permettant de tout fabriquer/réparer instantanément) et de ressources énergétiques quasi-néguentropiques situées au niveau II ou III sur l’échelle de Kardachev (autorisant un affranchissement définitif de l’économie de marché et même de l’économie de production),
#3 la téléportation de la matière (et pas seulement de l’info en mode quantique).
Or en cinquante ans, la Terre ne s’est pas approchée d’un iota de ces postulats fondamentaux trekkiens, faute de véritable technologie de rupture, en dépit des considérables progrès réalisés dans de nombreux domaines annexes (astrophysique théorique, informatique, puissance de calcul, quantum computing, réseaux, IA, cybernétique, IHM, transhumanisme, imagerie, HUD, simulations…).
Et c’est bien là que réside l’une des grosses arnaques (mais hélas pas la seule) des repreneurs de la franchise ST depuis 2009. Alex Kurtzman & co se comportent en prestidigitateurs et en escrocs lorsqu’ils prétendent devoir ajouter des artefacts contemporains pour rendre le ST historique soi-disant plus moderne et plus convaincant pour le public… quitte pour cela à briser quarante ans de cohérence in-universe.
Parce que ce ne sont pas les looks d’Apple Store, ni les écrans translucides (au passage bien moins pratiques à utiliser que les écrans opaques), ni de nouvelles interfaces (cyberimplants inclus), ni l’holographie (dont l’utilité dans un cadre opérationnel n’est pas du tout démontrée), ni toutes les démonstrations de design friquées et branchouilles... qui rapprochent davantage les Terriens des voyages intra-galactiques ou qui favorisent davantage l’émancipation humaine des entraves/errements historiques (obscurantismes, capitalisme, idéologies, religions, etc.).
Le Star Trek 2.0 (post-2005) repose sur une affligeante confusion entre concepts scientifiques/technologiques/heuristiques révolutionnaires… et dictature de la mode (en termes de design, de déco, et de posture) voire dictature de la transposition (tenter de présenter les référents contemporains comme plus futuristes que les référents trekkiens originels... alors que sur le fond conceptuel, l’écart entre eux ne s’est pas du tout réduit – et encore moins inversé – en un demi-siècle).
Le titre de DIS 02x04 An Obol For Charon renoue avec le style "kulturel" de ceux de la première saison – les références à la littérature, au théâtre, et à la mythologie ayant toujours la cote. Charon symbolise le thème de la mort qui est supposé relier les nombreux arcs narratifs de l’épisode, et plus particulièrement le "trépas" de la sphère rouge dont l’équipage de l’USS Discovery aura exaucé le dernier vœu (i.e. qu’un savoir de 100 000 ans ne soit pas définitivement perdu). S’inscrivant ainsi dans une tradition déiste (quoique polythéiste) de l’existence de l’au-delà pour les âmes, les héros auront ainsi versé leur "obole" au nautier Charon pour aider la sphère rouge à franchir le Styx… voire ont même placé le denier dans la bouche de la sphère rouge après que celle-ci a transmis les dernières paroles de la mémoire de sa civilisation (voire de l’univers connu).
L’épisode lui-même égrènera quelques répliques "à valeur ajoutée", en particulier la référence à Babel durant la panne des UT, ou encore un parallèle entre le savoir légué par la sphère et les manuscrits de la mer Morte de Qumrân (qui constituent le plus ancien vestige des textes fondateurs des religions monothéistes judéo-chrétiennes, rédigés en hébreu et en araméen).
De tels référents culturels sont toujours les bienvenus, en soi bien sûr, mais aussi parce qu’ils auraient vocation à perpétuer les ambitions (plus ou moins élitistes) du Star Trek historique.
Malheureusement, quelques marqueurs culturels forts dans un océan d’inconséquence voire de cuistrerie ont tendance à faire basculer l’ambition dans la prétention.
DIS 02x04 An Obol For Charon possède sans aucune doute quelques réelles qualités à la marge (la panne assez inédite des UT entérinant bien l’annulation de phase sonore, la prestation de Jett Reno potentiellement alchimique avec Stamets, le fascinant accès à une "bibliothèque d’Alexandrie" perdue de la Voie Lactée...).
Malheureusement pour l’essentiel, cet épisode conserve à des degrés divers les travers (incohérences, facilités, illusions, manipulations intellectuelles et émotionnelles...) des épisodes précédents de Discovery, auquel s’ajoute cette fois les sanglots longs des violons tire-larmes...
Mais surtout, plus que jamais, An Obol For Charon est une version développée voire complexifiée des procédés employés par les films Kelvin, et qui consistent à se prévaloir des référents trekkiens les plus sémiotiques (et les plus emblématiques), non pour mettre à l’honneur et accorder une véritable place à des sujets de fond (sociaux ou philosophiques), mais pour se contenter d’en copier-coller les seules titres de chapitres historiques. La finalité narrative demeure strictement opportuniste : servir les seuls fils rouges sensationnalistes (e.g. les red bursts, les Anges rouges) mais également soapy (e.g. les émotions narcissiques des uns et des autres, "Michael va-t-elle reparler à Spock ?")... que dans le même temps l’on étire en longueur, l’on délaye, l’on tire à la ligne le plus artificiellement possible... tout en réussissant à faire illusion auprès des trekkers les plus nostalgiques (et les plus "orphelins") en substituant l’aliment par son seul arôme, la substance par sa seule évocation.
Certes, il est permis de s’en contenter, et même pourquoi pas, de s’en satisfaire. Car l’illusionnisme est aussi un art, et la résignation une forme de sagesse.
YR
EPISODE
Episode : 2.04
Titres : An Obol for Charon
Date de première diffusion : 07/02/2019 (CBS All Access) - 08/02/2019 (Netflix)
Réalisateur : Lee Rose
Scénariste : Jordon Nardino & Gretchen J. Berg & Aaron Harberts / Alan McElroy & Andrew Colville
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