Doctor Who : Pour un bilan détaillé de la saison 37 (ou 11)

Date : 10 / 02 / 2019 à 12h15
Sources :

Unification


Il était une fois une critique en différé

Il peut sembler incongru ou redondant de publier une analyse détaillée de la dernière saison de Doctor Who... plus d’un mois après la fin de sa diffusion... et tandis que tous ses épisodes furent individuellement et efficacement reviewés en temps réel sur Unification par Clothilde Milan !
Pourtant, seul le recul – donc le temps – permet de porter un regard authentiquement critique sur une œuvre.
En outre, l’objectif singulier de cet article sera de dépasser le cadre spécifique des épisodes eux-mêmes pour dresser un bilan général de la première saison de Doctor Who showrunnée par Chris Chibnall... à la lumière de tout ce qui l’a précédée, c’est-à-dire pas moins de 36 saisons télévisuelles sur 55 ans.

Il était une fois une philosophie du changement

Le changement est depuis toujours le principal moteur de Doctor Who. Changement du Docteur, changement des compagnons, changement des showrunners, changement des scénaristes, changement des producteurs. Ainsi lorsque Russell T. Davies ressuscite la série en 2005, il la réinvente en profondeur. Avec le départ de Steven Moffat, la série se devait à nouveau de démontrer sa capacité à se renouveler. La perte à la fois de l’un des auteurs les plus prolifiques du Whoniverse et de l’un des producteurs à avoir eu le plus longtemps la charge des aventures du Docteur était à ce prix. Pour accompagner la série à ce moment crucial de son histoire, la BBC aura fait appel à un auteur pour le moins controversé : Chris Chibnall.

Un choix qui fait sens d’un point de vue commercial, Chibnall surfant sur le succès international de la série policière larmoyante Broadchurch. Mais un choix beaucoup plus contestable d’un point de vue artistique.
Chibnall aura signé certains des épisodes les plus faibles des périodes respectives de Davies & Moffat. Or il est intéressant de noter que 42, The Hungry Earth, Cold Blood, Dinosaurs On A Spaceship, et The Power Of Three sont bâtis plus ou moins sur le même modèle narratif. Un sujet égaré au milieu d’une intrigue multipliant les enjeux plus ou moins artificiels pour conférer une illusion de densité, assorti d’une résolution abrupte et/ou incohérente (la mort maladroite de Rory à la fin de Cold Blood, le Doc’ qui commet un meurtre de sang froid dans Dinosaur On A Spaceship, la miraculeuse utilisation du Sonic dans The Power Of Three...). Chibnall aura également démontré son incapacité à réinventer une grande mythologie à travers la piteuse série Camelot – un échec artistique retentissant que Chibnall aura tôt fait de mettre sur le dos de producteurs américains envahissants (mouais...).

Malgré tout, on ne peut pas dénier que la première grande décision de Chibnall en tant que showrunner de Doctor Who aura été courageuse : caster une femme pour incarner le Docteur. Il s’agit néanmoins là d’une évolution logique des avancées narratives de la série sous Moffat qui n’aura eu de cesse de teaser la chose, tout en préparant le terrain avec le changement de sexe du Master. Le Treizième Docteur va pourtant se révéler être l’un des problèmes majeurs de cette saison, pas en raison de son sexe, mais d’une caractérisation datée qui choisit étrangement de regarder vers le passé, plutôt que de continuer à construire le personnage sur les bases de ses incarnations les plus récentes. Dans les faits, le Docteur de Jodie Whittaker s’avère étrangement anachronique.

Il était une fois un retour

En ramenant le Docteur en 2005, Davies le redéfinit selon un nouveau paradigme. Loin d’être un caprice, cette évolution narrative s’avère parfaitement en phase avec les changements qu’aura connus le personnage tout au long de la période classique. S’il commence ses aventures tel un vagabond de l’espace, il va progressivement changer de rôle. Les années UNIT le verront par exemple s’impliquer presque intimement dans les affaires terrestres, développant au passage une amitié profonde avec le Brigadier. Mais ce sera la période McCoy qui verra le Doc’ connaître son changement le plus significatif. Au cours des saisons 25 & 26, la septième incarnation du Docteur devient une pure créature mythologique. Un manipulateur brillant et parfois impitoyable, jouant des parties d’échecs à l’échelle du Cosmos, un destructeur de planète, une entité terrifiant les pseudo-divinités de l’univers. Le Neuvième Docteur de Davies, vétéran de la guerre la plus destructrice qu’a connue l’univers en est un développement aussi logique que pertinent.
Quant à Steven Moffat, tout au long de son run, il va s’efforcer d’assumer l’archétype établi par Davies (du moins jusqu’à l’épisode historique des 50 ans de la série), tout en continuant de creuser la nature mythologique du personnage. Il le fera via son amour des contes de fées, le Onzième Docteur sera ainsi façonné en partie sur l’archétype de Peter Pan : ici, un vieil alien qui après avoir connu son lot de souffrances va se réfugier dans un corps juvénile. Ce n’est pas innocent si les enfants sont aussi présents tout au long d’ère de Matt Smith, le Onzième Docteur restant très connecté à l’enfance. Même piégé sur Trenzalore et contraint de faire face à la vieillesse, il n’aura de cesse de s’entourer d’enfants...
Logiquement, le Douzième Docteur en sera le miroir inversé : un vieil homme qui affronte une crise d’identité profonde et qui, tout au long de ses aventures, va s’efforcer de retrouver ses racines. Il était particulièrement symbolique que sa dernière aventure soit celle de l’acceptation. Le Douzième Docteur abandonnant définitivement derrière lui le manteau du "Docteur de guerre" sur un champ de bataille.

Bref, Chris Chibnall avait la liberté de pouvoir à son tour définir le Docteur selon un nouveau paradigme et l’amener vers de nouveaux horizons. D’autant plus que le changement de sexe du personnage pouvait lui permettre potentiellement d’emprunter toutes sortes de directions nouvelles. Hélas il n’en est rien et ironiquement sous couvert de grandes avancées pour le personnage (enfin une femme dans le rôle !), Chibnall fait le choix de l’immobilisme et pire encore, du rétropédalage.
Après dix épisodes, le Docteur de Jodie Whittaker se résume à sa définition la plus simpliste : une time lady qui voyage dans l’espace et le temps. Le personnage n’a aucune caractéristique qui lui soit propre (en dehors de son sexe). Plus grave encore, le personnage fait preuve d’une passivité exaspérante tout au long de ses aventures. Un peu comme si, finalement, elle avait décidé d’adopter le principe de non-ingérence de son peuple.
Nous ne sommes plus à une ironie près : ce que les time lords ont été incapables de faire en plus de 50 ans, Chris Chibnall l’a réussi en une seule petite saison : le Docteur est rentré dans sa cage ! Et même si Jodie Whittaker a droit à quelques trop courts moments de "Doctorisation" (notamment son émerveillement face à la découverte d’un univers conscient puis son regret de devoir le quitter), le personnage apparaît hélas comme une vague esquisse, rien de plus.

Il était une fois des compagnons

Ce refus d’aller de l’avant, disons-le carrément, de prendre des risques, on le retrouve malheureusement aussi au niveau des compagnons. Tout comme pour le Doc’, le rôle du compagnon n’aura eu de cesse d’évoluer tout au long de la série. Et tout comme pour le Docteur, le changement le plus significatif intervient au cours des saisons 25 & 26 de la période classique. Ace est incontestablement la première compagne au sens moderne du terme. Elle va grandir et évoluer de façon considérable au contact du Docteur, elle a un véritable arc narratif qui a des répercussions sur le Whoniverse (à travers la confrontation entre le Septième Docteur et Fenric). Lorsqu’on la découvre dans Dragonfire, elle est une jeune fille impulsive, littéralement explosive qui va petit à petit gagner en sagesse. Au point d’afficher une remarquable maturité lors de Survival, son dernier épisode, qui est également le dernier opus de la période classique. Enfin, comme préfigurant les compagnons de l’ère Moffat, elle est entourée d’un mystère qui sera résolu après plusieurs serials lui permettant au passage de commencer à exorciser un traumatisme majeur de son passé (oui, on n’est pas si éloigné que ça d’Amy...).

Au sein du revival, le compagnon va servir au showrunner de catalyseur, pour exprimer ses obsessions thématiques. Dans le cas de Davies, on y retrouve l’idée d’une personne en apparence banale, issue de la classe populaire qui va s’affirmer au contact du Doc’ et se révéler. Ce n’est pas un hasard si Rose est la compagne la plus marquante de l’ère Davies dans la mesure où elle incarne déjà l’aboutissement de cette thématique (Martha & Donna en seront des variations) : une jeune femme qui végète, enfermée dans un emploi peu gratifiant et une relation qui ne va nulle part. Au contact du Docteur, elle finira par devenir une déesse cosmique sauvant la vie du Doc’ et la Terre, ressuscitant au passage un camarade tombé au combat. Quant au Neuvième Docteur, il se reconnecte avec l’humanité – et sa propre humanité – à travers celle débordante de Rose.
Pour Moffat, le compagnon servira à explorer ses envies de narrations métaphysiques (le Whoniverse qui existe dans l’esprit d’Amy et qu’elle va rebooter, l’existence/la mort de Rory dans de multiples lignes temporelles...). Clara en est l’aboutissement : un personnage narrativement impossible, qui se sera rendu possible à travers un enchevêtrement de paradoxes temporels vertigineux. Au point de se lier aux origines morales du Doc’ et à la ligne de conduite qu’un alien – dont on ignore le nom – aura choisi d’adopter en même temps que le titre de "Docteur".

À l’inverse, le compagnon chez Chibnall est réduit à sa plus simple définition : il accompagne le Docteur et ce n’est pas en l’appelant autrement qu’on va changer cet état de fait. Le trio de compagnon de cette saison 11 n’a pas vraiment d’arc narratif. Pour Ryan & Graham, ça va se résumer à accepter de faire son deuil (au bout de dix épisodes). Ils ne vont pas impacter le Whoniverse ou le Doc’. Ils n’ont aucun point de vue particulier, que ce soit sur le Doc’ ou pour permettre au showrunner de s’exprimer. Si ce n’est pour mettre en avant une sensibilité politique qui n’a pas trop sa place dans DW (nous allons y revenir...). On a simplement l’impression d’avoir régressé aux pires heures de la période classique, lorsque les compagnons n’étaient que des véhicules transparents servant à faire de l’exposition (oui, Peter Davison, c’est de ton run que je parle).
Dans Demons Of The Punjab, Yaz ne servira qu’à introduire le besoin d’aller à une certaine période temporelle à peu de frais. L’épisode n’aura aucun impact durable (ni même à court terme) sur elle, cela ne changera en rien sa relation avec le Doc’. Tout le contraire d’un épisode tel que Thin Ice où Bill Potts – confrontant le Douzième Docteur – découvre de nouvelles facettes de sa personnalité : aussi bien inquiétantes (son passé sanglant) que réjouissantes (au cours de son discours trekkien plus tard dans l’épisode).
En revanche, il n’y a pas vraiment de dynamique identifiable entre le Treizième Docteur et ses compagnons. Ceux-ci l’accompagnent, ne sont jamais dans l’action, rarement dans la réaction, et les scénaristes se contentent de faire avancer l’intrigue à grands coups de longues plages de dialogues sans relief. C’est plat, tout simplement.
Quant au fait de donner à l’un des compagnons un handicap ? Ce sera rapidement ignoré et ça n’aura aucune conséquence majeure sur Ryan. Il s’agit juste d’une des "astuces" récurrentes des scripts de Chibnall : on crée un obstacle mais ça n’a pas d’autre utilité que de remplir du vide.

Nardole avait marqué une étape importante en faisant enfin d’un compagnon un alien... et non plus un britannique contemporain des spectateurs (River Song étant un cas à part). Amenant une dose d’exotisme supplémentaire tout en offrant aux scénaristes plus de libertés. Forcément un compagnon qui peut manœuvrer le Tardis, ça change pas mal de choses. Voilà encore un point sur lequel les compagnons de Chibnall marquent une vraie régression. D’autant plus que Nardole servira de garde-fou pour le Douzième Docteur, n’hésitant pas à remettre en cause l’autorité du Doc’ sur le compagnon. Le passage au trio de l’ère Chibnall n’en est que plus abrupt, renforçant un peu plus ce sentiment de régression. D’un compagnon aussi "alien" et étrange, on passe à de simples suiveurs, tous très communs. Si encore le trio qu’ils forment permettait de dépeindre les lignes de fracture de la société anglaise entre ressortissants de différentes origines (blanche, africaine, asiatique) que le Docteur permettrait de dépasser, de mettre en relief, là encore en allant de l’avant. Mais non, même pas ! Leur origine n’influe en rien dans leur dynamique de groupe à part (ou alors tout au plus de manière accessoire). Comme si ce choix d’origines différentes n’était en réalité pas plus différent que celui des publicités qui mélangent ou segmentent selon les modes.
Tout cela est donc fortement regrettable, bien que ce retour à des compagnons humains et contemporains ne soit pas nécessairement entièrement la faute de Chris Chibnall. La BBC ayant en 2012-2013 demandé à Moffat de faire de Clara une contemporaine... tandis que l’idée de base du Moff’ était de suivre (tout au long de la seconde partie de la saison 7) la Clara de The Snowmen issue de l’époque victorienne.

Il était une fois un fil rouge

La construction narrative de cette saison illustre elle aussi à quel point Chris Chibnall refuse de prendre des risques, refuse d’expérimenter.

Parmi les nombreux changements de l’ère Davies, l’un des plus importants est la présence d’un fil rouge, d’un motif récurrent qui trouvera son explication lors du final. Une rupture assez nette vis à vis de la période classique, d’autant plus marqué que Davies aura soigneusement planifié l’ensemble des arcs de son run à l’avance. De l’institut Torchwood au retour du Master en passant par celui de Davros, Davies savait précisément où il voulait aller dès la saison 1. Une histoire avec un début, un milieu, et une fin.
Moffat de son côté sera beaucoup plus dans l’improvisation, mais il va s’efforcer d’expérimenter à chaque nouvelle saison ou presque. Sa première saison aura assuré une transition en douceur avec l’ère Davies, reprenant l’idée du motif récurrent (ici les failles) tandis que la saison suivante sera extrêmement feuilletonnante. La saison 7 sera composée de 2 blocs distincts, l’un centré sur le départ des Pond, l’autre sur l’introduction de Clara. Quant à la saison 8, elle mettra en avant de façon inédite la vie privée de la compagne. Enfin, la saison 9 sera essentiellement composée d’épisodes en 2 parties. Quant à la saison 10, elle concrétisera brillamment le désir de Moffat de lier la période classique et le revival tant en termes visuels que de continuités.

À l’inverse, il est bien difficile de dégager une approche narrative particulière concernant cette première saison de Chris Chibnall. Pas de fil rouge, assez peu de folies conceptuelles (seul It Takes You Away tente de s’illustrer dans ce domaine). Pas de thème fort non plus (ou alors très mal traités).
Chibnall aura bien tenté d’asséner un discours démystificateur pour le final The Battle Of Ranskoor Av Kolos, mais celui-ci s’avère très timide, loin d’être aussi dévastateur que celui de Dark Water/Death In Heaven. Où pour rappel, on découvrait quand même que la promesse rassurante de l’au-delà et du paradis n’était qu’un mensonge de l’esprit le plus perturbé du Whoniverse. Pire encore, le paradis n’est qu’une carotte dont la seule finalité est d’asservir la race humaine... Il va sans dire qu’à côté, l’effort de Chibnall parait aussi inutile que conservateur.
Quant aux leçons moralisatrices de Rosa et Démons Of Punjab, elles sont aussi simplistes qu’écœurantes. Rosa avec son méchant blanc raciste du futur, qui est un méchant blanc raciste du futur parce qu’on avait juste démagogiquement besoin d’un méchant-blanc-raciste-du-futur. Si ça avait été un simple voyage historique sans intrusion d’un élément de SF traité par-dessus la jambe, l’épisode aurait été bien plus respectable. Certes toujours extrêmement moralisateur et pompeux, mais néanmoins davantage supportable. D’autant plus que c’est l’impression que donne souvent cette "Tardis Team" : n’être que des touristes qui subissent les événements ! À l’image du Docteur de Jodie Whittaker qui va perdre son Tardis, créer son propre big bad (de pacotille) et apparaître souvent dépassée par les événements, à la traîne. Difficilement compréhensible lorsqu’un chef d’œuvre tel que Heaven Sent nous met littéralement dans la tête du personnage, identifiant en détail son processus de pensée, en particulier face à l’adversité. Pour le premier Docteur féminin, un tel traitement est, pour ainsi dire, maladroit. Quant à Demons Of Punjab, s’il avait comme Rosa un sujet fort et marquant du 20ème siècle, il s’avère traité de façon caricaturale, en choisissant de développer une sorte de parabole maladroite à travers le conflit entre deux frères, tout en ignorant commodément l’implication du Royaume Uni dans la tragédie historique.

Doctor Who sous Chris Chibnall est devenue une série pleine de bons sentiments faciles et relativement hypocrites. Le pompon revenant sans doute à Arachnids In The UK qui se conclut sur un débat ayant pour sujet la manière la plus humaine d’éliminer une araignée géante : visiblement la flinguer tel un gros bourrin d’Américain, c’est mal, mais la laisser agoniser après un empoisonnement, c’est tout de suite plus humain...

Il était une fois un virage

Du 26 mars 2005 au 25 décembre 2017, Doctor Who n’aura eu de cesse d’aller de l’avant, de tenter de nouvelles choses, d’expérimenter. C’est un paradoxe presque fascinant de constater que la saison annoncée et vendue sous l’argument du progrès... soit au final celle du surplace, et plus grave encore, celle de la régression ! Que ce soit en termes dramaturgiques, narratifs, de caractérisations, et de portées thématiques, la première saison de Chis Chibnall est la plus faible de toutes. Probablement l’une des plus faibles de l’histoire du Whoniverse aux côtés des saisons 22 & 24 de la période classique.
Certains verront derrière l’approche timide de Chibnall une volonté de rendre hommage à la toute première saison de la série en 1963. Après tout, ça expliquerait la présence envahissante de 3 compagnons que rien ne justifie vraiment (à moins d’imaginer que Chibnall n’avait pas totalement confiance en Jodie Whittaker pour porter la série sur ses épaules).

Mais on peut aussi y voir autre chose de plus insidieux. Par bien des aspects, cette saison 11 s’apparente au premier vrai reboot de la série. La continuité n’est plus qu’un vague alibi reposant uniquement sur la nostalgie et le clin d’œil (oh un fez !), tandis que sur le fond, on procède à un reset de plus de douze années de progressions narratives. Tout en mettant en avant un gimmick facile pour faire passer la pilule : enfin une femme dans le rôle principal !
Voilà qui rappelle de bien mauvais souvenirs... et surtout un certain… Star Trek : Discovery !
L’avenir nous dira de quel côté Chris Chibnall penche réellement.
L’unique épisode de 2019, le spécial du nouvel an, Résolution, offre-t-il quelques indices ? Y voit-on enfin Chris Chibnall faire preuve d’une ambition digne de ses prédécesseurs ?

Il était une fois les épisodes de Noël

Résolution : ce n’est certainement pas cet épisode qui viendra apaiser les craintes d’un reboot déguisé, c’est-à-dire refusant de s’assumer en tant que tel.

En soit, l’idée sur laquelle repose l’épisode n’est pas forcément mauvaise. D’une part, ça fait deux saisons complètes qu’on a plus vu les Daleks (mis à part leur caméo dans l’épisode d’ouverture de la saison 10), et la volonté apparente de mettre en avant le danger que représente un Dalek est louable. Le problème étant que, désormais, un seul et unique Dalek ne représente pas vraiment une menace crédible pour le Doc’. Pas après la Time War. Du coup, on a bien du mal à comprendre les craintes du Doc’, pas lorsqu’on pense aux dix saisons qui ont précédées. Apparemment, Chris Chibnall voudrait qu’on les oublie... tout en continuant à caresser le "Whovien" dans le sens du poil, à coup de clins d’œil par-ci et coups de coude par-là : une écharpe rappelant Tom Baker, UNIT et Kate Stewart évoqués au cours d’une séquence tout simplement débile (et qui n’est là que pour justifier un peu plus la menace de ce Dalek solitaire). Se débarrasser ainsi d’UNIT, d’une manière aussi crasse, renforce plus que jamais cette impression de reboot...
Quant à l’existence de ce "Dalek d’élite" spécialisé dans la reconnaissance, ce n’est pas forcément incohérent, car des Daleks ayant un rôle spécifique ça s’est déjà vu (le "Dalek special Weapon" par exemple)... mais sans que ce soit particulièrement mis en avant. Car après tout, le Dalek incarne la conformité (Rusty qui aura vu sa psyché transformée par le Doc’ entre dans des cas à part). Mais là, un Dalek qui dispose d’un armement digne d’Iron Man et qui est capable de désactiver le Sonic du Doc’, c’est tout de suite plus problématique...
Au final, on tient là un épisode quelconque et relativement insipide que Chibnall tente de rendre intéressant en sortant la carte du soap via l’intrigue entre Ryan et son père. L’occasion pour le showrunner d’écrire encore un de ces dialogues interminables dont il a le secret. Et surtout de continuer à asséner son message sur l’irresponsabilité du père. Il semble que dans le "Who" de Chibnall, Graham soit la seule figure paternelle positive. Le père de Ryan est indigne, du moins jusqu’à ce que Graham lui fasse la morale et lui montre la lumière... permettant au passage une réconciliation cathartique qui permettra de vaincre le Dalek. Dans le genre "je résous mon intrigue avec de gros sabots", ça se pose là !
Le père de Ryan n’est d’ailleurs pas le seul représentant de cette irresponsabilité paternelle au sein du run de Chibnall. On pourrait citer Yoss, l’homme enceint du 67ème siècle, qui veut bien entendu dans un premier temps abandonner son enfant, mais qui changera d’avis au contact de la Tardis Team. Ou bien encore Erik dans It Takes You Away qui abandonne sa fille pour poursuivre un fantasme et qui devra être coupé de force de son fantasme pour retourner vers son enfant.
Et lorsqu’il n’est pas irresponsable, le mâle est forcément un ennemi, ou un obstacle à surmonter. Pas un seul épisode du run de Chibnall n’échappe à ce schéma répétitif, alors qu’il y avait pourtant des opportunités... Ironique pour une saison qui n’a eu de cesse de vouloir mettre en avant un idéal de diversité. Par exemple, l’alien servant de "big bad" à la saison aurait pu être une femme, ou bien alors rien n’empêchait de faire du raciste-du-futur de "Rosa" une femme. Ça aurait amené de la nuance à un propos qui en manque cruellement. Mais Chibnall s’inscrit dans une doxa qui choisit de ne voir dans la dynamique homme/femme qu’un simple rapport de force entre dominants et dominées. Le personnage qui pose problème est donc joué par un homme, et cela peu importe l’époque ou la planète.
Le symbole (tracé au feutre bien épais) devient plus important que le propos. Il ne faut pas dès lors s’étonner de voir débarquer dans ce spécial une scène aussi nullissime que celle où – oh malheur – une petite famille est coupée de son Netflix et décide que tiens, pour une fois, ce serait pas mal qu’on se parle. L’idée de la technologie moderne qui envahit le quotidien au point de parfois modifier en profondeur la dynamique familiale, de la "culture" accessible partout et tout le temps en abondance... ce n’est pas un thème inintéressant. Mais à condition toutefois de ne pas être traité en une minute montre en main pour le lol. Encore une fois Chibnall démontre qu’il préfère faire dans la symbolique facile et simpliste, plutôt que dans le propos nuancé et enrichissant.

On pourrait néanmoins reconnaître à Chris Chibnall de faire preuve d’humilité en concentrant son intrigue autour d’enjeux relativement intimistes. Et après tout, c’est l’une des "qualités" les plus mises en avant sur la toile pour défendre la saison 11. Mais c’est oublier que tout le run de Capaldi s’est construit autours d’enjeux plus intimistes aussi, loin des menaces à portées cosmiques qu’aura dû affronter le Onzième Docteur. Seul Hell Bent joue la carte de l’univers menacé de destruction en raison de la survie de Clara, mais ça reste très abstrait. L’épisode se concentrant sur l’histoire d’amour platonique entre le Douzième Docteur & Clara.
Une fois qu’on a remis cela en perspective, que reste-t-il donc de ce spécial ? Pas grand-chose. Une Jodie Whittaker qui semble un peu plus à l’aise (elle est parfaitement crédible lors de ses face à face avec le Dalek) bien que son Docteur reste toujours aussi générique. On appréciera également quelques moments de pures magies "whoviennes" bien trop courts mais qui faisaient désespérément défaut aux dix épisodes précédents, tels que Graham qui décrit le Tardis avant son arrivée majestueuse dans son salon.

La volonté de Chibnall "d’effacer" le christmas special – qui depuis 2005 avait permis de profiter de cet espace pour réellement proposer une œuvre "spéciale" – renforce là-aussi cette impression de reboot. Ce rendez-vous, devenu presque institutionnel – à l’image de la série elle-même – était porteur d’une vraie signification le distinguant des épisodes habituels de la série. Davies les utilisera ainsi en tant que marqueurs importants de son run (introduction du Dixième Docteur dans The Christmas Invasion, celle de Donna Noble dans The Runaway Bride, régénération de David Tennant dans The End of Time (qui fut prolongé jusqu’au nouvel an mais qui fondamentalement reste un special). Ou alors, les christmas prendront la forme d’aventures très joueuses avec le spectateur, à l’image de The Next Doctor et de son concept intelligemment trompeur, ou encore Voyage Of The Damned qui s’articule autour de références aux films catastrophes tout en convoquant une guest-star de poids en la personne de Kylie Minogue.
Moffat de son côté exploitera à son tour le christmas special en tant que marqueur. Ainsi, The Snowmen réintroduira et développera le mystère entourant la nouvelle compagne, tandis que The End of Time & Twice Upon A Time verront les départs respectifs des Onzième & Douzième Docteurs. Sans oublier The Husbands Of River Song qui boucle la boucle de l’arc narratif du personnage. Moffat profitera de l’aspect festif de ces épisodes pour proposer également des aventures qui vont lui permettre d’organiser des crossovers officieux entre DW et d’autres grandes œuvres de la culture populaire… Que ce soit Charles Dickens dans A Christmas Carol ; l’univers de Narnia dans The Doctor, The Widow And The Wardrobe ; Alien, The Thing ou encore Inception dans Last Christmas ; et bien évidemment Superman dans The Return Of Doctor Mysterio.
Le christmas special aura donc permis aux précédents showrunners de faire preuve de ludisme, jouant avec l’univers de la série tout en faisant preuve d’une ambition narrative permettant de dépasser le cadre habituel de la série.

Or le premier épisode de Noël de Chibnall n’a in fine rien qui lui permette de justifier son appellation... en dehors de sa date de diffusion. Une preuve supplémentaire (s’il en fallait une) que Doctor Who a perdu de son éclat et de sa "folie"...

Il était une fois un post-scriptum

Cette critique s’est efforcée de se placer dans une optique "whovienne" pour parler de cette dernière saison (onzième ou trente-septième selon la nomenclature choisie).
La volonté affichée et déclarée de rendre la série plus "inclusive" doit cependant être abordée. L’accueil très favorable de la presse à souvent mis cette volonté en avant... mais au prix d’en oublier (délibérément ?) les défauts et limites de cette saison.
En soi, amener plus de diversité n’est pas un défaut. Mais en soi, ce n’est pas une qualité non plus. Comme il est souvent dit, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Or ce qui importe le plus, par-delà cette volonté "inclusive", c’est tout de même de proposer les meilleures histoires possibles.
Afficher la volonté d’aller plus loin qu’avant et, simultanément, proposer une saison narrativement plus limitée qu’avant... voilà une contradiction qui empêche la saison de réussir cette ambition. À la critique professionnelle de savoir ne pas tomber dans ce piège.

Il était une fois des remerciements

Thierry Cerdan-Picard, l’auteur de ce bilan critique, tient à remercier Nicolas Matou et Yves Raducka pour leur aide précieuse.


Doctor Who est Copyright © BBC Tous droits réservés. Doctor Who, ses personnages et photos de production sont la propriété de BBC.



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