EXCLU UNIF - Doctor Strange : Rencontre avec le créateur des méchants
Unification a eu la chance de rencontrer Jean-Marc Lofficier, l’un des rares français qui a travaillé chez Marvel et qui a créé un passé aux méchants de Doctor Strange :
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et parler de votre parcours professionnel ?
En très bref, mon épouse Randy et moi avons habité Los Angeles plus de 20 ans et notre carrière d’écrivains inclut des articles pour des revues de cinéma fantastique (Starlog, Cinefex, L’Écran Fantastique, etc), des livres sur la SF et le cinéma, des scénarii pour des dessins animés (Picsou, SOS Fantômes, etc.), des traductions et de nombreux comics pour Marvel et DC. Quand on veut vivre de sa plume, il savoir être prolifique !
Comment est venu votre intérêt pour la bande dessinée ?
J’ai toujours été passionné de BD, et de comics US, ayant acheté Fantask, puis Strange, dès leurs sorties, mais aussi le Superman & Batman de SAGE, et les Eclipso, Aventures fiction, etc. d’Aredit. Randy, elle, était plus DC que Marvel. Ses personnages préférés demeurent les Metal Men. Moi, j’étais plus Doctor Strange, Thor, Hulk, les Avengers, le Surfer d’Argent, etc.
Vous avez donc travaillé avec Stan Lee et Jack Kirby. Pouvez-vous nous raconter votre rencontre et qu’est ce qui a fait que vous avez collaboré avec eux ?
Mais « mentors » dans les comics sont surtout Roy Thomas (et à un moindre degré Gerry Conway) qui m’ont épaulé à mes débuts, et Julie Schwartz chez DC auprès duquel j’ai beaucoup appris. Nous n’avons rencontré Jack Kirby que quelque fois lors de « parties » à Hollywood données par des amis communs, et hormis une conversation fort intéressante sur ma reprise des Boy Commandos, on ne peut pas dire que nous ayons eu une véritable relation.
Par contre Stan et nous, sommes devenus relativement amis suite au projet du Surfer d’argent réalisé par Moebius. Quand nous habitions à Los Angeles, nous déjeunions ensemble une ou deux fois l’an, mais surtout pour parler affaires.
Actuellement sort le film Doctor Strange, avez-vous travaillé sur ce personnage à l’époque ?
J’ai travaillé sur Doctor Strange avec Roy Thomas du No.6 eu No. 47 de la 2ème série, plus quelques spéciaux, donc de la fin des années 80 au début des années 90. Essentiellement, Roy et moi discutions à l’avance du concept des scénarios, puis nous nous partagions le travail : lui écrivait l’histoire principale avec Doc, et moi le « back-up » qui mettait en scène les « vilains ». C’est ainsi que j’ai pu donner un passé à toutes une galerie de personnages certes inventés par Stan et Steve Ditko, mis dont les origines demeuraient encore mystérieuses ; par exemple Dormammu, Nightmare, le Baron Mordo, Umar, etc. plus quelques autres qui étaient des créations postérieures, tewls le Darkhold, le Dweller-in-the-Dark, le Zombie, etc.
Les éditions Marvel vous ont-ils contacté pour l’occasion ?
Pour le film, non. Il n’y avait pas de raison d’ailleurs. Part contre quand ils rééditent certaines de mes histoires, comme cela a été le cas récemment avec Brother Voodoo, ils m’envoient un exemplaire !
Vous avez certainement regardé le casting du film. Quel est votre avis sur le choix des acteurs dont Benedict Cumberbatch en tant que Doctor ?
J’approuve entièrement, et je suis au demeurant un grand fan de sa série Sherlock. Je pense qu’il a le « look » du personnage, et si j’ose dire, son côté intellectuel, car Strange est un homme de connaissance et de science.
Quels éléments sur lesquels vous avez travaillé sur l’univers de Dr Strange aimeriez-vous retrouver dans le film ?
Je sais que le Baron Mordo du film est assez différent de celui du comic, dont j’ai rédigé les origines ; par contre, j’espère que leur Dormammu sera à la hauteur de que j’avais imaginé dans Book of the Vishanti.
Pour revenir à Stan Lee, en collaborant avec lui, vous devez avoir de nombreuses anecdotes en tête. Pouvez-vous nous en raconter une ou deux ?
Sur Dr. Strange, un truc amusant que je peux vous raconter est que c’est Roy qui a révélé son adresse dans Greenwich Village, sur Bleeker Street, adresse qui était demeuré mystérieuse tout au long de la période Stan et Steve et leurs successeurs. Steve dessinait d’ailleurs la maison de Strange parfois dans un coin de rue, d’autre fois entre deux maisons adjacentes. Bref, c’était un peu désordonné, et c’est Roy qui a « fixé » l’adresse de Strange une bonne fois pour toute, lui donnant l’adresse de l’appartement qu’il partageait autrefois sur Bleeker Street avec Bill Everett et Gary Friedrich. Je crois comprendre que cela cause un peu de troubles aux malheureux locataires actuels (comme le 221B Baker Street de Holmes à Londres) et j’imagine que ça ne va pas s’améliorer avec le film.
Vous avez été l’un des éléments clefs qui a permis la rencontre entre Jean Giraud alias Mebius et Stan Lee. Racontez-nous cet évènement historique du 9ème art.
J’étais à l’époque l’associé de Moebius qui vivait à Los Angeles ; Marvel avait entamé la publication de la traduction de ses œuvres complètes (par nos soins) et Jean qui avait rencontré Stan à la Comicon avait manifesté le désir de travailler avec lui sur un véritable comics du Surfer d’Argent, papier journal, couleurs benday à la palette limitée, etc. Un peu comme nous tous, c’était pour lui l’occasion de réaliser un désir de jeunesse. Stan était ravi, naturellement, et tout cela s’est fait très vite et dans la plus parfaire harmonie. J’ai donné un coup de main au lettrage sur certaines bulles (pour corriger des fautes de Jean) mais ça ne se voit pas. Il manquait une page bouche-trou dans le No. 2 (de la version comics) que j’ai imaginée et décrite pour Jean et que Stan à scénarisée ensuite.
Ce comics a eu un gros succès, mais plus particulièrement chez les autres dessinateurs américains, car, là, ils se retrouvaient en territoire connu et ne pouvait qu’admirer la manière dont Jean traitait le sujet. Walt Simonson m’a dit que cela avait complètement changé la façon dont il dessinait les foules. Ce Surfer d’Argent a eu une influence graphique qui a largement dépassé son audience populaire.
Vous avez travaillez également chez DC. Quelles ont été les différences notables que vous avez ressenties entre les deux grands éditeurs ?
J’avais à une époque l’habitude de dire que Marvel était comme Lex Luthor, et DC comme le Joker.
De par votre expérience dans le domaine de l’édition de comics américains de super héros, quelles ont été les grandes évolutions du travail que ce soit sur l’écriture, le dessin ou l’édition ?
Ça, c’est une question à poser à des historiens du genre, et à mesurer avec le recul du temps. Je me sens mal placé pour juger le travail effectué ces quinze dernières années.
Vous avez écrit également des scénarios de bande dessinée pour le marché francophone dont Robur dans une ambiance steampunk faisant référence bien évidement au héros de Jules Verne. Comment vous est venue l’idée de cette histoire ?
De fait j’avais élaboré les prémices de Robur dans un numéro de Young All-Stars scénarisé avec Roy pour DC. Roy et moi avons toujours partagé le même amour de la littérature fantastique, et bien avant la célèbre League of Extraordinary Gentlemen de Kevin O’Neil & Alan Moore, nous avions organisé dans Young All-Stars plusieurs crossovers issus de la littérature populaire. Cela n’a pas obtenu toute l’attention que cela méritait, à mon avis, peut-être parce que c’était encore un peu trop novateur, ou que YAS était perçu comme un comics « historique » et donc moins digne d’intérêt. Robur n’a d’ailleurs pas rencontré un immense succès en France, non plus. Ça a bien marché, mais sans plus. Le style un peu comics US classique a peut-être rebuté certains lecteurs de BD franco-belge.
En 2004, avec Philippe Ward, Vous fondez Rivière Blanche, clin d’œil à l’éditeur Fleuve Noir. Quel était le but de cette aventure qui se poursuit encore de nos jours ?
Deux buts : retrouver les grands auteurs qui avaient bercé notre jeunesse et leur redonner l’opportunité d’être publiés à nouveau ; et deuxièmement, donner une chance à des nouveaux auteurs dans des domaines comme la SF pure pour laquelle il n’y a pratiquement plus d’éditeurs en France de nos jours. De ces deux points de vue, l’opération est un succès. C’est pour cela que nous continuons.
Y-a t-il des œuvres que vous avez publiées dont vous êtes le plus fier et pourquoi ?
Il y en aurait trop pour que je les cite ici ; et puis comment comparer un inédit de ces grands auteurs que sont PJ Hérault, MA Rayjean, Hugues Douriaux, Louis Thirion, André Caroff ou Piet Legay avec les premiers romans de gens comme Thomas Géha, Vincent Jouniaux, Alain Blondelon, Lou Jan, et j’en passe. Parmi certains projets qui me tiennent à cœur, je compote la réédition puis la poursuite de la saga de Madame Atomos, la nouvelle trilogie du Chevalier Coqdor, nous ouvrages sur les univers de J & D LeMay et Richard Bessière, notre « résurrection » des personnages du Dr Oméga et du Nyctalope, alors totalement oubliés en France, la publication en VF des Skylark de Doc Smith, du dernier Robert Sheckley et de Nick Carter, les Panthera d’Orloff, le Jean Diable de Paul Féval... Il y a beaucoup de très belles choses dans notre catalogue.
Au sein de Rivière Blanche, on retrouve du comic avec l’univers Hexagon, Pouvez-vous nous raconter l’origine de cet univers et ce que l’on y retrouve ?
A l’origine, il y a les éditions LUG de Lyon qui publiaient non seulement Strange et Nova et titans, mais tout un tas de PFs tels Zembla, Kiwi, Yuma, Nevada, qui contenaient outre des bds anglaises, italiennes ou espagnoles, des bds créée spécialement par et pour LUG, tels Wampus, Zembla, Jaleb le Telépathe, la Brigade temporelle, etc. Plus de 200 séries en tout ! LUG fut racheté, puis finalement mis en faillite en 2003. Il n’y avait aucun contrat d’auteur pour ces séries qui étaient réalisées par des pigistes payés à la page. Bref, j’ai retrouvé trace de bon nombre de ces obscurs tacherons et nous avons créé une association pour rééditer et exploiter toutes ces vieilles BD sous le nom de « Hexagon Comics ».
Hexagon Comics c’est quatre séries : (1) des rééditions des séries classiques en gros volumes mensuels de 500- à 600 pages (plus de 70 tomes déjà parus), (2) et (3) deux comics qui poursuivent la saga de nos héros : Strangers et Le Garde Républicain, et (4) Strangers Universe, des « specials » occasionnels consacrés à l’un ou l’autre de nos héros.
Strangers est divisé en « Saisons » un peu comme les séries télé. La majorité des personnages proviennent des anciens PFs LUG, remis à jour. Il y a une Saison 0 qui sert de prologue, puis 3 saisons ; la Saison 4 vient juste de démarrer. C’est du super-héros avec une forte orientation SF. De fait, c’est aujourd’hui le comic le plus ancien de super-héros français. Si j’avais numéroté tous les épisodes par tranches de 22 pages depuis le No. 1 comme chez Marvel, on en serait vers le No. 70. Ceci étant, chaque saison peut être lue indépendamment des autres, et même la plupart des numéros sont en fait compréhensibles sans avoir tout lu.
Il existe des manuels pour un jeu de rôle situé dans notre univers, Hexagon Universe, écrits par Romain d’Huissier, qui forment aussi une excellente entrée en matière.
Le Garde Républicain est de Thierry Mornet. Comment est venue votre collaboration ?
Le Garde est une création de Thierry qui fit sa première apparition dans Homicron il y a déjà quelques années. Puis on l’a testé dans une première histoire publiée dans Strangers Universe, et maintenant il a sa propre série, plus des « annuels » dans lequel il croise la route d’autres héros ce l’univers Hexagon. Thierry est chargé de la série régulière et moi des annuels. C’est un peu notre Captain America.
Quelles sont vos futures actualités ?
Comme je le disais, la Saison 4 de Strangers vient juste de démarrer ; le Garde Républicain y joue un rôle important d’ailleurs.
Les éditions Rivières Blanches :
http://www.riviereblanche.com/
http://www.riviereblanche.com/strangers.html
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