EXCLU - Le pont des espions : Entretien avec Tom Hanks
Evènement, 3 ans séparent Lincoln de la sortie du Pont des espions, le nouveau film de Steven Spielberg. Et c’est même un double événement puisque le film marque également une nouvelle collaboration entre le cinéaste et Tom Hanks après Il faut sauver le soldat Ryan, Arrête-moi si tu peux et Le Terminal. Nous vous proposons aujourd’hui un entretien avec l’acteur où il revient sur les circonstances du long métrage et son travail avec Spielberg et l’équipe du film :
Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce projet ?
L’époque et les lieux dans lesquels se déroule le film m’ont tout de suite fasciné. Quand j’étais enfant, on nous enseignait qu’il existait des méchants de l’autre côté de la planète et qu’ils avaient mis en place un rideau de fer pour empêcher ceux de chez eux de sortir et nous d’entrer, et que ces gens n’avaient qu’une envie : détruire notre mode de vie et nous obliger à vivre comme eux. En grandissant, on nous avait inculqué que nous devions vivre mieux et être meilleurs au nom de l’espèce humaine parce qu’il y avait là-bas cette anti-version de la vie, cette anti-version du gouvernement et de la liberté qui étaient les nôtres et dont ils voulaient nous priver. Je ne comprenais pas comment les choses fonctionnaient là-bas et j’avais envie de savoir ce qui se passait dans la tête de ces gens qui nous ressemblaient malgré tout. Quand j’ai été un peu plus âgé, je me suis documenté pour en savoir plus sur les différences entre l’Ouest et ce qui se trouvait de l’autre côté du rideau de fer. Je savais que Francis Gary Powers était un pilote d’U-2 et qu’il avait été abattu par l’Union soviétique, que c’était un incident international majeur et qu’il y avait eu des négociations pour le récupérer, mais je ne connaissais aucun détail et je n’avais jamais entendu parler de James Donovan. J’adore me plonger dans l’histoire et découvrir des choses nouvelles, en particulier sur un sujet que je pensais bien connaître. Et quand cela se produit, c’est comme gagner le gros lot ! Et que rêver de mieux en tant qu’acteur que de lire un scénario explosif et de savoir que non seulement ils vous veulent dans le rôle, mais qu’en plus c’est Steven Spielberg lui-même qui vous demande !
Parlez-nous de votre personnage, James Donovan.
James Donovan est un négociateur né. Il est irlandais, dur en affaires, et il ne lâche jamais. Il est décidé à décortiquer les moindres rouages de la loi, ce qui nécessite une concentration et une énergie particulières, ainsi qu’une foi profonde en la justice. Il a cette foi chevillée au corps. Il a livré un plaidoyer passionné, vibrant de franchise, pour défendre cet espion soviétique, Rudolf Abel, et c’est ce plaidoyer qui l’a amené à être choisi pour négocier l’échange d’un espion américain contre un espion russe. Son seul dilemme a été de savoir s’il était prêt à laisser cette affaire envahir sa vie : il savait que le procès le consumerait littéralement. J’ai été fasciné par la complexité du personnage, mais je savais aussi que ce serait un rôle difficile. C’était un équilibre à trouver, entre intérioriser le jeu pour laisser le personnage sortir peu à peu de soi, et extérioriser les sentiments par des dialogues très présents – les dialogues ont une place importante dans ce film – et portant principalement sur le raisonnement visant à gagner. Donovan voulait obtenir des points très précis en tant que négociateur.
Quelles relations entretiennent votre personnage, James Donovan, et Rudolf Abel, joué par Mary Rylance ?
Pour Donovan, Abel était juste un homme qui faisait son travail. C’est un espion, et nous-mêmes avions des gars qui faisaient la même chose là-bas pour notre pays. Nous ne pouvions pas nous montrer aussi hypocrites et envoyer ce type à la chaise électrique pour avoir fait son devoir, parce que cela aurait signifié que nos gars de l’autre côté du rideau pouvaient subir le même sort. Je crois qu’Abel a été surpris d’entendre cet argument dans la bouche de son avocat. Ce n’était pas un simple stratagème juridique de la part de Donovan, c’était son intime conviction. C’était pour lui un fait irréfutable, et cela a joué un rôle essentiel dans leur relation. Mark incarne ce personnage avec une assurance, une autorité pleinement assumée. Jamais il ne remet en cause le personnage qu’il a créé pour essayer quelque chose de complètement différent ou le réinventer. Au contraire : il construit le personnage par petites touches, par petites pistes, par petites feintes, et lui injecte chaque fois une nouvelle dose d’énergie qui le secoue tout entier, tout en conservant son intégrité. J’ai rarement vu un comédien aussi accompli au théâtre être capable de se plier aux exigences d’une longue journée de travail de dix heures pour faire et refaire la même scène, encore et encore.
Comment s’est déroulée votre collaboration avec Amy Ryan, qui joue Mary Donovan, l’épouse de votre personnage ?
Aucune femme au monde n’aimerait voir son mari accepter un travail qui pourrait attirer la violence sur leur famille. Mais on sent qu’elle fait confiance à l’homme qu’elle a épousé et qu’elle est convaincue qu’il sera prudent et fera ce qu’il faut. Travailler avec Amy a été extraordinaire. Elle joue tellement en subtilité qu’elle donne l’impression de ne rien faire alors qu’elle fait tout en même temps. Il faut que j’apprenne à faire pareil ! Je finis toujours par me montrer trop expressif, j’ai le visage trop mobile, je parle trop... Amy, elle, c’est un roc. Dans nos scènes, nos personnages, en tant que parents et que couple marié, parlent comme des êtres humains réels, qui ploient sous la charge, qui sont épuisés, mais qui appartiennent à quelque chose de plus grand et de plus important qu’eux. Cela montre qui ils sont.
Comment avez-vous travaillé avec Steven Spielberg ?
Steven pense en termes cinématographiques. Sa capacité à dire des choses importantes à travers l’utilisation de la caméra est justement la raison pour laquelle il est Steven Spielberg. Et il le fait et le refait, encore et encore, et vous ne pouvez que reculer d’un pas pour mieux le regarder faire, et vous incliner. Lui et moi partageons une sorte de raccourci mental dans le travail. Je lui propose des idées sur la manière de faire telle ou telle scène, et lui rebondit tout de suite, il visualise immédiatement, il sait comment je dois me déplacer, et où ira l’œil du spectateur dans l’image. On est sur la même longueur d’onde, chacun enrichit les idées de l’autre. Lorsqu’on arrive sur les décors d’un film de Steven, tout est déjà là, non seulement physiquement, mais également mentalement – il a tout en tête. Votre mission en tant qu’acteur est de suivre ses instructions à la lettre tout en y apportant votre touche personnelle. Il a le montage du film en tête bien avant que ses acteurs arrivent sur le plateau. Il lit et relit le scénario des centaines de fois, de façon à savoir très exactement ce qui doit se passer et quand. Et il sait ce qu’il fera la semaine prochaine, ou cinq semaines plus tard. En discutant avec lui, j’ai su dès le départ que le défi pour moi en tant qu’acteur se nicherait dans les détails de la défense, les innombrables détails de tellement de scènes si particulières. Mon travail allait être de m’inscrire dans tout cela de manière à ce que Steven puisse lâcher cet instinct de cinéaste qui est le sien et qui fait merveille.
Pouvez-vous nous parler de l’exceptionnel travail accompli par l’équipe du film ?
Très souvent, les producteurs sont redevables au réalisateur parce que sans lui, leur film ne pourrait pas exister. Mais je pense que Steven est redevable à Kristie et Marc parce que sans eux, il n’aurait pas cette liberté de pouvoir penser au film en des termes purement artistiques. Kristie sait tout sur tout. Elle connaît le scénario mieux que moi et elle garde en tête le sous-texte de chacune des discussions qu’elle a eues avec Steven. Kristie sait que nous avons des milliards de pièces, et elle sait exactement les identifier et laquelle va où. Quel que soit le moment, vous pouvez venir la voir et discuter dans les moindres petits détails de ce qui se joue. Elle vous dit immédiatement quelle est la fonction du moindre élément. Quant à Marc, il sait quelle place ce film occupe dans l’air du temps. Il prend en compte l’histoire du film, l’époque à laquelle il se déroule, les acteurs, et il envisage le tout comme un organisme unicellulaire.
Quant aux équipes techniques, elles font un travail absolument faramineux que l’on a du mal à mesurer. Ils effectuent beaucoup de recherches et semblent à chaque fois être prêts à la dernière minute pour tourner. Mais quand vous voyez le résultat, c’est tellement évocateur, ça a l’air tellement vrai que même quelqu’un comme moi qui suis bien placé pour savoir que c’est un décor, se prend au jeu et traîne sur le plateau le plus longtemps possible pour tout voir. C’est vraiment un talent particulier. Il ne se passait pas un seul jour sans qu’en arrivant sur le plateau, on se dise que ce n’était pas juste une recréation du passé, mais une représentation authentique, un hologramme vivant en trois dimensions de ce qu’a été réellement cette période.
Le plus époustouflant de tous ces décors a été le mur de Berlin qui a été construit par l’équipe décoration. Pour des raisons de mise en scène, il était sans doute un peu plus peuplé qu’en réalité, mais c’était bouleversant de voir cette séparation en train d’être érigée. Ces murs étaient terrifiants, et ils avaient l’air d’être là pour toujours. Adam Stockhausen a choisi ce carrefour parfait à Wroclaw, qui avait la même architecture que le Berlin de l’époque, pour édifier son mur, et c’était vraiment très impressionnant.
Les costumes de ce film étaient eux aussi d’une qualité hors du commun, c’était absolument fabuleux. Cela en dit long sur le film. N’importe qui peut se procurer des costumes chez un loueur, mais ils auront toujours l’air de costumes loués. J’ignore comment elle a fait, mais notre chef costumière, Kasia Walicka Maimone, arrivait toujours avec une nouvelle idée, une nouvelle suggestion, jusque pour les uniformes des serveuses de l’hôtel Hilton de Berlin… C’est à cela que l’on reconnaît les grands artistes.
Ce que j’aime en travaillant avec Janusz Kaminski, le directeur de la photo, c’est qu’avec lui on comprend très vite ce qui se joue dans l’image. Je peux lui demander ce que l’on verra dans le plan, il me décrira tout en détail. J’ai donc le luxe de travailler avec quelqu’un qui va m’aider. Regardez n’importe lequel des films qu’il a faits avec Steven, coupez le son, et vous aurez quand même la magie des plans de Steven et de la lumière de Janusz. Et vous comprendrez parfaitement l’histoire.
Qu’est-ce qui vous a marqué le plus dans cette expérience ?
Ce qui me reste du film, c’est qu’il ne faut jamais juger sur la mine. Il y aura toujours de l’ignorance et des préjugés, il y aura toujours des gens pour porter des jugements hâtifs et pour coller des étiquettes sur les autres et leurs motivations, les classer « gentils » ou « méchants ». Beaucoup de gens ont considéré James Donovan comme un traître, mais il ne s’est pas laissé décourager. Il les trouvait stupides de penser ainsi, parce qu’il savait qu’en défendant cet homme il incarnait les valeurs d’un véritable Américain. Si vous cherchez une bonne introduction à ce qu’a été la Guerre froide, allez voir Le pont des espions.
Le film sera dans les salles françaises le 2 décembre prochain.
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