Suzume : La rencontre avec Makoto Shinkai

Date : 12 / 04 / 2023 à 08h30
Sources :

Unification


À l’issue de la projection du film Suzume, une table ronde avec Makoto Shinkai a été organisée avec la presse spécialisée par le distributeur Eurozoom.

Voici la retranscription des échanges qui ont eu lieu. Attention, ils contiennent quelques spoilers.

Makoto Shinkai : Je suis ravi de rencontrer le public français. Depuis plus de 10 ans, à chaque sortie de mon nouveau film, je viens à Paris. J’aime le public français. Ça me fait plaisir et la nourriture est très bonne. Surtout que je viens d’Allemagne (où le film était en compétition à la Berlinade, nda) et que je vais en Angleterre demain.

Mon nouveau film est un road movie qui raconte la visite de différentes portes qui permettent d’éviter des catastrophes naturelles. C’est aussi en voyage à travers l’espace et le temps.

Qu’est-ce que représente la porte ?

La porte fait partie de la mythologie japonaise. En fermant une porte, cela peut éviter des forces environnementales destructrices. Une porte peut être ouverte et fermée en même temps. La porte permet de rencontrer soi-même son passé et son présent et de se faire face à soi-même.
Derrière la porte, il y a un univers qui est appelé le « monde éternel », Tokoyo, et qui est composé de deux idéogrammes en japonais.

C’est un lieu où normalement tous les temps coexistent en même temps. Dans ce monde, il n’y a pas de notion de temps.

Mais la porte peut avoir d’autres significations. Cela peut aussi être le symbole d’une vie quotidienne. Tous les jours, on ouvre la porte quand on sort et on utilise le terme ittekimasu qui veut dire : je pars et je reviens. Et quand on rentre on dit tadaima, ce qui veut dire qu’on est de retour. Et tous les jours, on peut tenir cette promesse que l’on va revenir. Mais elle peut être interrompue par une catastrophe naturelle.

Pourquoi est-ce qu’une adolescente est un bon personnage pour raconter une histoire ?

L’animation est un média qui est destiné aux jeunes et aux adolescents. Moi, quand j’étais adolescent, c’est un média qui m’a beaucoup aidé. Il y avait les œuvres de Myazaki, des mangas, des livres jeunesse étrangers… Je voulais offrir aux jeunes d’aujourd’hui ce que j’ai eu.

Quel est le rapport à la fatalité avec ces éléments qui se déchaînent ?

Quand on emploie le mot destin, on pense « naître au Japon et vivre au Japon ». C’est un grand pays sismique et la terre tremble sans cesse. Notre manière de vivre est différente à cause de cette menace permanente. On a une vision de la vie et de l’amour qui est différente. Nous vivons en pensant que notre terre peut disparaître. Cela a un côté éphémère et rien n’est éternel. Ça paraît fatal, mais ça donne de l’énergie, car tout est précieux. On donne ainsi plus d’importance à chaque jour. Je voulais transmettre cela à travers mon film qui est porteur d’espoir.

La gestion des particules est très importante dans vos anime. Est-ce un choix personnel ?

J’ai commencé par un film indépendant que j’ai auto-produit. Je l’ai réalisé en analogique en 3D. J’ai directement commencé avec du numérique. J’avais alors envie de faire ce que les professionnels de l’animation ne faisaient pas. Et j’ai donc cherché quelque chose qui était vraiment propre au numérique. J’ai découvert les particules en suspension et j’ai trouvé que c’était propre à ce type d’animation. Par exemple les lumières sur les particules que l’on voit dans les rayons du soleil. Cela apporte une grande originalité, et une véracité accrue, à l’animation numérique. Parce que dans l’animation traditionnelle, on ne fait pas ce genre de choses-là. Cela a beaucoup étonné le public à ce moment-là. Et finalement, ce travail sur la poussière et les particules est devenu ma marque de fabrique. Et j’ai continué de le faire, car cela fait plaisir aux gens.

Depuis votre première œuvre, le remarquable The Voices of a Distant Star (Hoshi no koe), les femmes ont une place très importante dans vos récits. Elles ne sont pas manichéennes, savent se débrouiller et ont une grande personnalité. Comment réussissez-vous à être toujours aussi juste, alors que parfois dans l’animation elles sont beaucoup plus classiques et moins intéressantes ?

Cela valait le coup de venir en France pour répondre à cette question. Au Japon, on me fait remarquer que je ne mets en scène qu’un seul type de femmes. Pour moi, les femmes et les hommes n’ont pas d’importance. Ce qui m’intéresse, c’est la rencontre entre les personnes. C’est de rencontrer quelqu’un qui est capable de me changer. Je raconte une histoire d’amour, mais pas uniquement. Le public peut me changer, comme quelqu’un que je ne connais pas encore. Et une expérience cinématographique peut aussi changer un spectateur.

Si le Japon était totalement à l’abri des tremblements de terre, est-ce que ce serait encore le Japon ?

J’ai du mal à imaginer le Japon sans tremblements de terre, même si je pense que ce serait formidable. Beaucoup de personnes pensent comme moi.
Je vis dans un pays où il y a un risque, et même si je peux aller ailleurs, je voudrais continuer à y vivre. Le Japon est un pays très sismique et cela crée aussi son identité. Cela permet de créer les paysages japonais. Et ça entraîne aussi une collaboration entre l’humanité et la nature, avec des constructions, des champs, des rivières. Il y a aussi une notion de terroir qui se dégage.

Vous avez commencé il y a 25 ans avec un premier court-métrage que vous avez réalisé tout seul et maintenant vous avez une très grosse équipe et vous travaillez sur des superproductions. Vous n’avez pas envie de revenir sur quelque chose d’un peu plus intime ?

Je n’ai pas conscience de cette responsabilité. Je n’ai jamais demandé de faire venir 200 personnes sur la production. Ce sont les producteurs et les PDG du studio qui ont obtenu plus d’argent et qui ont fait cela. Ce n’est pas moi, aussi, je me sens moins responsable.

Mais je me sens une grande responsabilité pour le public. Le ticket de cinéma est à environ 14 euros au Japon. C’est un prix élevé pour les enfants. J’ai donc la responsabilité de réussir un film de divertissement qui fait plaisir. Je veux aussi apporter quelque chose d’utilité publique.

Pour l’instant, je n’ai pas décidé de passer à une équipe réduite. Mais comme la presse française me compare toujours à Miyazaki, je vais peut-être aller dans une autre direction que celle prise par le Studio Ghibli, ce qui me permettrait de faire quelque chose de différent de Miyazaki.

Pouvez-vous me raconter la genèse de Suzume ?

J’ai eu l’idée assez rapidement au début du projet. Mon premier dessin montrait Suzume et une chaise à côté d’une porte. J’ai très vite imaginé que le plus important était que cette fille avait vu des choses horribles et avait côtoyé la mort de près à cause des tremblements de terre.

Je voulais que le personnage ait un regard très fort. Je voulais à travers cela évoquer un côté éphémère et le vide. Le personnage n’a pas peur de mourir, car il pense ne rien avoir à perdre. Mais il évolue et à la fin, il a finalement peur de mourir et il veut vivre longtemps. Je voulais dessiner ses yeux comme si elle se droguait, mais c’était une blague.

Le monde d’ailleurs, Tokoyo, a une dimension mythologique et religieuse. C’est un monde éternel et aussi le monde des morts. Il y a d’ailleurs plusieurs mots qui signifient le monde des morts. On parle de paradis ou d’enfer par exemple. J’ai choisi exprès Tokoyo. C’est un lieu où la notion de temps n’existe pas. Et cela correspond bien à ce film. Il y a ce monde avec un aspect mythologique et religieux. C’est aussi lié à mon enfance et à ce que j’ai vu quand j’étais petit.

J’ai grandi à la campagne dans un lieu entouré de montagnes. Je passais des heures à regarder le ciel et cela me paraissait comme un écran. On passait du bleu à un ciel étoilé, et j’adorais le regarder.

J’étais dans des champs, dans les lisières et je me retrouvais entouré de vert et je regardais ce ciel qui passait du bleu au rouge, avant de devenir noir.
C’est comme si tous les temps existaient en même temps et cela m’a inspiré.

Au Japon, des objets auxquels on tient et qui sont cassés peuvent devenir des kamis, des sortes de petits Dieux. Est-ce que vous avez transformé l’un de vos personnages principaux en chaise cassée vivante comme une allégorie d’une déité protectrice du Japon ?

C’est une très bonne idée et j’aimerais bien pouvoir dire oui. Mais j’ai choisi une chaise à 3 pieds parce que ça lui ajoutait un côté joyeux et lui donnait une démarche particulière et humoristique. Le thème principal concerne les tremblements de terre et il est très grave. Mais je voulais aussi faire une œuvre qui était du divertissement et qui apportait du plaisir. C’est un personnage très mignon. La chaise qui appartient à l’origine au personnage principal n’a que 3 pieds et cela explique le manque et le vide dans le cœur de Suzume qui a perdu sa mère. Malgré cela, le personnage arrive à faire rire.

Je voulais montrer qu’on peut toujours vivre de manière joyeuse, même si on perd des choses importantes. Et qu’il faut vivre avec de l’espoir.

Suzume est un véritable chef-d’œuvre bénéficiant d’une animation somptueuse et d’une histoire envoûtante. Vous pouvez en retrouver la critique ICI.

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