EXCLU UNIF - The Strain : Interview de Remy Gente
[Unification]
Interview de Rémy Gente, réalisateur français et auteur du générique de l’épisode 9 (saison 2) de la série américaine The Strain.
Bonjour Rémy, pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous raconter votre parcours professionnel ?
Bonjour et merci pour cette interview. Je suis un réalisateur et directeur artistique multidisciplinaire et autodidacte de 31 ans qui vit et travaille à Paris.
REMY GENTE / Director Reel from Rémy GENTE on Vimeo.
Je suis né dans le sud-ouest de la France, en Dordogne. Je suis arrivé à Paris en 2005 où j’ai commencé à travailler en tant que graphiste et motion designer pour diverses sociétés de production et sur différents types de projets, tels que des publicités, des clips vidéo, des longs-métrages et des films de mode.
Puis j’ai ensuite réalisé quelques pubs pour des marques de prêt-à-porter telles que Karl Lagerfeld ou Dolce& Gabbana, ainsi que clips vidéos pour des groupes d’électro rock tels que Dead Sexy, Carbon Airways ou encore Apoplexie. Le clip vidéo « Pimpon » que j’ai réalisé pour le groupe Apoplexie, et pour lequel j’ai aussi réalisé la post production et la direction artistique, a été nominé aux « Berlin Music Video Awards » dans deux catégories. Meilleurs Effets Spéciaux et Meilleurs Direction Artistique. Ce qui m’a permis de signer en tant que réalisateur chez quelques agences.
Clip « PIMPON » :
PIMPON from Rémy GENTE on Vimeo.
Je dessine depuis que je suis gamin. C’est mon père qui m’a initié au dessin. Lui aussi dessinait et peignait un peu et j’ai commencé à m’intéresser à l’art et à la peinture grâce à lui. A l’époque j’achetais le Pif Gadget et le Picsou Magasine en reproduisant les cases et en rêvant d’être un jour dessinateur de bande-dessinées.
Puis vers 8 ans, mes parents ont acheté un magnétoscope et pour fêter ça, ils m’ont loué la VHS de HOWARD THE DUCK. Ça m’a laissé un très fort souvenir. Je me rappelle encore de la jaquette représentant un bec de canard sortant d’un œuf flottant dans l’espace et ce logo orange qui prenait tout le haut de la couverture. J’avais déjà vu quelques films au cinéma avant mais c’était le premier film que je regardais en VHS. La sensation était complètement différente pour moi. Je me rappelle être tombé amoureux du cinéma et des effets spéciaux avec ce film. Puis quelques mois plus tard pendant les vacances d’été, mes parents ont invité quelques amis et voisins à dîner un soir. Le genre de dîner entre voisins où on met les gamins devant la TV pour avoir la paix. On était 5 ou 6 gamins vautrés devant la TV. Mon père nous avait loué ce soir-là, EXPLORERS de Joe Dante, TOXIC AVENGER de Lloyd Kaufman et Ninja 3 de Sam Firstenberg, je m’en souviens comme si c’était hier. Le genre de programme un peu étrange pour des gamins quand même... Tout se passait bien, jusqu’au moment où on a mis la VHS de TOXIC AVENGER. Imaginez une bande de gamins âgés de 6 à 8 ans qui viennent de voir EXPLORERS juste avant et qui sont ensuite complètement hallucinés et terrorisés de voir un géant vert en tutu rose sortir d’un bac d’acide et démembrer tout ce qui bouge… Mon père est venu pour arrêter le film quand un des gamins s’est mis à hurler et à pleurer, complètement terrifié. Moi j’étais fasciné par ce film. Mon père était super gêné car il pensait que c’était vraiment un film pour les gosses d’après la jaquette de l’époque. Il n’y avait pas encore toutes ces restrictions et ces mises en garde à l’époque. On pouvait quasiment voir tout ce que l’on voulait, c’était génial. J’ai vu énormément de films que je n’aurais pas dû voir grâce à la VHS.
Puis quelques années plus tard au collège, quand est arrivé le moment de m’orienter professionnellement, je me rappelle que je n’osais pas dire que je voulais devenir réalisateur et faire des films. Ni à ma conseillère d’orientation, ni à mes parents, ni à mes amis. J’avais peur qu’on se moque de moi. Ça semblait tellement inaccessible. Donc vers 15 ans j’ai décidé d’abord de réaliser des courts métrages pour savoir si c’était vraiment mon truc. En demandant à des copains de classe de jouer dedans. Et depuis, je n’ai jamais plus décroché.
Il y a trois semaines, les téléspectateurs américains et français ont eu la grande surprise de découvrir un superbe générique pour l’épisode 9 de la série de Guillermo Del Toro, The Strain, comment vos images se sont retrouvées sur le petit écran ?
J’ai eu l’occasion de réaliser auparavant des génériques pour le film de science-fiction DEAD SHADOWS de David CHOLEWA, ainsi que pour le film documentaire DU SANG SUR LA NEIGE de Gildas HOUDEBINE et Julien DUNAND, le réalisateur de BIG JOHN (un documentaire sur John Carpenter) J’étais en train de travailler sur un « proof of concept » avec EL REY NETWORKS pour le générique de FROM DUSK TILL DAWN (la série adaptée d’UNE NUIT EN ENFER de Robert Rodriguez) quand j’ai reçu quelques jours plus tard un coup de fil de Carlton Cuse et des producteurs exécutifs de « The Strain » pour me proposer de réaliser un générique pour la saison 2.
Comment avez-vous conçu ce générique ? Quelles ont été les étapes de « fabrication » si je puis-dire ?
La série TV utilisant une palette de couleurs très vives et contrastées, l’idée de départ était de revenir à la source du matériau d’origine que sont les livres, mais surtout les comic-books. Je trouvais que c’était une idée intéressante pour aider le spectateur à accepter plus facilement l’idée que ces personnages existent avant tout dans un monde qui leur est propre, et qui par définition n’est pas forcément réaliste. J’ai eu donc l’idée de représenter chaque acteur/personnage dans un style comic-book, un peu dans l’esprit pulp des couvertures des comic-books.
J’ai ensuite proposé à mon ami illustrateur Edward Delandre de travailler sur les illustrations des personnages avec moi. L’idée était de travailler de manière organique afin d’être les plus efficaces possibles. Je faisais de rapides croquis et storyboards avec indications sur les directions de lumières et mouvements de caméra. Edward illustrait globalement les personnages et je repassais derrière pour retoucher certaines proportions, repeindre un détail, rajouter de la texture etc. Ensuite on discutait ensemble du résultat. Et on retravaillait jusqu’à ce que cela nous convienne. Ça a été un procédé créatif très organique entre nous. Une fois les illustrations terminées, j’ai dû créer les décors, dont certains en 3D, puis découper nos illustrations pour les animer et les disposer dans un espace 3D afin de leur donner, grâce à un mouvement de caméra, une sensation de parallaxe et de perspective. L’animation du générique n’est pas une animation 2D traditionnelle faite à la main. Elle
s’apparente beaucoup plus à du travail graphique de motion-design, qui consiste à donner de la vie à des illustrations fixes en leur donnant juste l’illusion du mouvement. On est plus sur quelque chose de l’ordre du sensitif pour le coup.
The Strain - Générique Episode 9 :
The Strain Opening Titles from Rémy GENTE on Vimeo.
Avez-vous pu rencontrer l’équipe de production de The Strain ?
Je me suis entretenu avec Carlton Cuse et les producteurs exécutifs pour déterminer de la direction du générique, mais nous n’avons pas eu besoin de nous rencontrer physiquement pour travailler ensemble. Hormis quelques directions précises, ils m’ont globalement laissé carte-blanche et m’ont fait complètement confiance. Ce qui est plutôt rare.
Sur Facebook, il y a eu un élan de solidarité pour que votre générique devienne le générique officiel de la série, est-ce que cela est en cours de négociation ou était-ce simplement un one-shot ?
Le générique que j’ai créé pour la série est officiel. Il s’agit simplement d’un one-shot pour l’épisode 9 de la saison 2. Il faut savoir que la série n’a pas de générique à ce jour. Il y a simplement un « title card » de 10 secondes avec le logo titre que je trouve très réussi et que j’aime beaucoup d’ailleurs. Je suis très content et surpris des réactions très positives qu’a suscité le générique à travers le monde. Je ne m’attendais pas à ce que le générique plaise autant aux fans. Certains fans ont tweeté des messages comme quoi ils ne s’attendaient tellement pas à cette surprise que lors de l’apparition du générique ils ont été parcourus de frissons de jubilation. D’autres écrivent qu’ils l’ont regardé en boucle. C’est complètement dingue. Je ne savais pas qu’un simple générique pouvait provoquer de telles réactions chez les fans de la série. On parle quand même d’un simple générique à la base…pas de quoi s’exciter comme ça. Mais ça m’a fait très plaisir de lire ces réactions passionnées. C’est vrai que, presque instantanément, la plupart des fans se sont manifestés sur les réseaux sociaux pour que le générique remplace définitivement le « title card » actuel. C’était très étonnant et très touchant comme réaction. J’adorerai faire un vrai générique pour la saison 3. Pas forcément avec un style comic-book d’ailleurs. Plutôt avec des prises de vues réelles. J’ai déjà quelques idées. Mais cela dépendra des producteurs, des fans et de leur envie de voir quelque chose de différent. Les réactions massives et presque unanimes des fans sur les réseaux sociaux ont montré qu’ils étaient à priori très favorables à un renouveau. Il est un peu trop tôt pour en parler maintenant. Wait and see.
Votre avis sur la série The Strain ?
C’est une série très ambitieuse qui a l’originalité et le mérite d’aborder le mythe du vampire sous l’angle moderne de la biologie, tout en prenant sa source dans des ramifications historiques beaucoup plus anciennes et obscures de notre passé. J’aime l’attention apportée à chacun des détails de la série. Peu nombreuses sont les séries qui arrivent aujourd’hui à un tel niveau de détails en termes de production design pour en rendre crédible l’univers à l’écran. Je suis vraiment très fan du travail qui est fait sur le production design, la direction artistique et les practical effects que je trouve particulièrement très soignés pour une série de ce genre. J’ai adoré le design du Maître par exemple. On sent que chaque détail est pensé et que Guillermo Del Toro est bien là pour superviser le tout. Son empreinte est présente dans chaque épisode. J’aime beaucoup la palette des couleurs sur cette série. Même si certains épisodes sont un peu inégaux par rapports à d’autres en termes d’écriture, je prends beaucoup de plaisir à regarder cette série depuis le début et à voir évoluer ses personnages. Ce qui me plait le plus c’est l’idée que les Strigoïs ont la faculté de se nourrir et de tuer uniquement ceux qu’ils aiment. Il y a quelque chose de très tragique et de romantique au fond dans cette idée. Cela nous donne l’occasion de connecter tout de suite avec certains personnages qui se retrouvent en danger. C’est un procédé narratif très malin je trouve.
Sur quelles séries aimeriez-vous travailler ? Allez-vous continuer à persévérez aux États-Unis ?
Depuis la sortie du générique de « The Strain », j’ai été contacté par quelques producteurs américains et anglais pour travailler sur certaines de leurs productions dont une série que j’aime énormément. Je ne peux pas trop en parler pour l’instant. Les contacts de producteurs français se font plus rares.
Sinon, pour répondre à votre question, j’adorerai travailler sur tout ce que produit Gale Ann Hurd. J’ai une vraie admiration pour la qualité de ses productions, notamment « The Walking Dead » mais aussi pour son parcours en tant que productrice. C’est une vraie geek qui a commencé à travailler chez Roger Corman, et tout ce qu’elle a fait depuis a marqué ma mémoire de cinéphile. Mais tout dépendra des offres et des propositions que l’on me fera. J’irai surtout là où l’on me proposera du travail. Qu’importe le pays, je reste ouvert. Et pour l’instant, je ne travaille pas encore aux Etats-Unis, mais notamment « pour » les Etats-Unis. Il y a une vraie différence.
J’adorerai pouvoir travailler en France et en vivre mais c’est très compliqué. C’est un secteur très fermé dans lequel la consanguinité artistique et le copinage nécrose absolument tout. Il faut rentrer dans des cercles d’amis, des réseaux particuliers, sinon tu n’existes pas. Par exemple, j’ai pu noter un vrai contraste et une véritable différence d’attitude dans la manière d’aborder le métier entre un producteur américain et un producteur français. Les producteurs américains sont au taquet dès 9h du matin. Ils répondent à leurs mails généralement dans l’heure, sinon ils vous envoient un mail en vous disant qu’ils s’arrangeront pour le faire plus tard, généralement dans la journée. Ils sont très réactifs, s’intéressent à vous, à votre travail, vous font des retours dessus, des retours constructifs la plupart du temps, ils montrent de l’enthousiasme et de la curiosité, et s’ils décèlent un potentiel ils tentent généralement d’étudier des opportunités de business potentiels qu’ils peuvent créer avec vous. Bref, ils bossent et font juste leur boulot finalement. Ces petits détails vous donnent le sentiment d’être non seulement considéré mais surtout l’impression de travailler avec de vrais collaborateurs. Et cerise sur le gâteau qui ne gâche rien, ils le font avec le sourire. Je n’exagère même pas. En France, les producteurs que j’ai eu l’occasion de rencontrer sont majoritairement feignants, voire laxistes dans leur approche de la production et de la collaboration. Ils prennent rarement la peine de répondre aux mails de sollicitation qu’on leur envoie même pour dire qu’ils ne sont pas intéressés de travailler avec vous, prétextant un manque de temps ou une surcharge de travail… Le producteur français a toujours un bon prétexte pour ne pas faire les choses. Il y a un vrai manque général de curiosité artistique et d’enthousiasme pour la création française. Une sorte de snobisme, très parisien d’ailleurs je trouve, qui consiste à dédaigner tout ce qui est différent et qui ne possède pas les codes actuels. Mais ce qui est le plus triste c’est de se rendre compte que personne ne va pas chercher les nouveaux talents de demain. Tout simplement parce que la plupart des producteurs français n’ont pas une vision globale à long terme dans la construction de la relation de travail avec leurs collaborateurs. Ils se contentent d’appeler un copain qui fera le job pour pas trop cher et rapidement et puis ils passent à autre chose. Au détriment de la qualité et du rapport de confiance. Ils ne sont pas tous comme ça bien sûr, mais j’ai pu noter que peu d’entre eux ont une vraie vision de producteur. Tous disent qu’ils adoreraient travailler avec toi un jour mais peu te proposent un script ou un projet spontanément en pensant que tu pourrais être la bonne personne pour le faire. Peu d’entre eux initient d’eux-mêmes les projets. Beaucoup attendent qu’on leur prémâche le boulot, que l’on amène l’histoire ou le concept, le dossier de production etc... Bref qu’on fasse leur boulot. Il y a selon moi un réel manque d’ambition créative en France depuis de nombreuses années qui nécrose le cinéma et la création française en général. Un vrai laxisme de la part de certains producteurs qui pourraient faire bouger un peu les choses. Quand on connait les talents immenses que l’on a en France, tous arts confondus, on ne peut que regretter la manière dont ils sont très globalement sous-exploités. Et puis moralement, à la longue, cette négativité ambiante et ce nivellement par le bas sont juste plombants. Donc forcément, quand des producteurs américains vous sollicitent pour travailler avec eux, le choix est vite fait. Et cela ne devrait pas. Je trouve ça plutôt triste en fait et révélateur de la manière dont on envisage cette industrie en France. On a 20 ans de retard sur tout. Donc pour répondre à votre question honnêtement, j’irai surtout là où on me proposera du travail. Tout simplement.
Quels sont vos projets désormais ?
Je souhaite me concentrer maintenant sur mes projets de fiction et sur ce que j’aime vraiment faire : la mise en scène.
Je suis actuellement en post-production d’un court métrage de science-fiction BLUE SKIN qui se passe dans un futur proche, dans lequel un appareil scientifique perfectionné permet à une unité de police spéciale de visionner les 15 dernières minutes de la mort de victimes de meurtres. Lorsque le corps d’une jeune femme est retrouvé dans son appartement, l’inspecteur chargé de l’enquête va rapidement se rendre compte que le tueur n’est pas vraiment ce à quoi il s’attendait. C’est un pur film d’horreur dans un esprit Lovecraftien mais avec une vraie touche science-fiction.
BLUE SKIN (teaser) :
"BLUE SKIN" - A film by Remy Gente from Rémy GENTE on Vimeo.
Je suis aussi en préparation d’un second court-métrage appelé « NOIR » que je vais tourner avant la fin de l’année si tout va bien. C’est un court-métrage d’horreur avec des créatures un peu particulières. Je pense que je l’aurai terminé avant BLUE SKIN car tous les effets spéciaux seront tournés en direct.
Sinon, je travaille également avec mon ami réalisateur Yann Danh (dont l’excellent court-métrage A TOUT PRIX a été récemment acheté par le créateur des EXPERTS CSI, Anthony Zuicker) sur un film-court de science-fiction se déroulant à Paris dans la veine de « THEY LIVE » de John Carpenter et que j’aimerai le tourner l’été prochain.
J’ai également un projet de comédie fantastique pour les enfants sous la forme d’une mini-série qui tourne autour de la culture mexicaine et du Lucha Libre. C’est un projet très particulier dans sa forme mais aussi dans ce qu’il raconte. C’est une satire trash, irrévérencieuse et décalée de la culture mexicaine sous fond de Santeria, d’exorcismes, de comic-books, de fantômes, de monstres et d’éléments de la culture pop et transgenre. Avec une vraie réflexion sur l’acceptation de la différence dans notre société. J’aurai adoré regarder une telle série étant gamin.
Je travaille également depuis Juin à l’écriture d’un long-métrage « LE REMPLAÇANT » qui est un film d’invasion en huis-clos et qui m’a été inspiré par l’histoire vraie qu’a vécu l’un de mes voisins il y a quelques années.
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