La belle saison : Catherine Corsini - La rencontre

Date : 19 / 08 / 2015 à 09h25
Sources :

Unification


A l’occasion de la sortie en salle le 18 août 2015 de La belle saison, Unification a pu rencontrer la réalisatrice et co-scénariste du film Catherine Corsini.
Vous pouvez trouver tous nos échanges ci-dessous.

Attention ! Certaines questions contiennent quelques légers spoilers concernant le film. La question portant sur la fin a été déplacée en bas de l’article.

Vous avez réuni deux actrices solaires et lumineuses dans votre film. Pourquoi avez-vous écrit le rôle pour Cécile de France ? Pourquoi avez-vous pris Izïa Higelin alors que ce n’était pas votre premier choix ?

Il s’agit d’une histoire d’amour, je voulais donc que les actrices incarnent le film, que les personnages soient entraînés dans l’histoire. Il y a des films qui reposent sur leur structure ou leur scénario. Mais je voulais que dans mon film, ce soit les filles qui soient au cœur de l’histoire. Cécile de France a une couverture populaire. Je n’avais pas envie que le contenu de La belle saison en fasse un film de niche. J’avais envie que ce soit un peu mon Brokeback Mountain à moi. Avec une telle actrice, j’espère élargir mon audience. Il n’y a pas d’autre actrice de son âge pour incarner Carole dont l’histoire du féminisme bouleverse sa propre histoire sexuelle. C’est aussi le film Les Invisibles de Sébastien Lifshitz qui m’a inspiré.
Je ne voulais pas que ce soit une jeune femme, mais quelqu’un de 40 ans pour ce rôle. Cécile est hyper libre et sans tabou. Beaucoup d’acteurs font peser leur jeu quand ils interprètent des homosexuels. Mais pas elle, elle ne joue pas une étiquette.

J’ai pensé à deux femmes, Carole et Delphine qui est un hommage à Carole Roussopoulos, la première vidéaste à avoir filmé les luttes des femmes ainsi que le premier défilé homosexuel en marge du rassemblement du 1er Mai 1970, et Delphine Seyrig qui a coréalisé avec elle des films militants.

J’ai découvert Carole Roussopoulos dans les cahiers du cinéma dans un entretien où Jean-Luc Godard parlait d’elle. Elle filmait dans des lieux où les femmes étaient oppressées comme dans des usines et était soutenue par son mari qui était très libertaire.
Je voulais montrer des femmes joyeuses, drôles sans lien avec le pouvoir. Cécile était la bonne incarnation du personnage.

Au début, Adèle Haenel était convaincue de participer au film et devait jouer le rôle de Delphine, puis elle s’est désistée car elle ne sentait pas le rôle. Nous avons fait un casting, mais l’actrice retenue était trop jolie, trop poupée, or je voulais une fille plus charpentée. Nous n’avions pas gardé Izïa Higelin au départ car Cécile et moi la trouvions trop jeune mais comme elle joue très juste, très ancrée et terrienne, c’est sur elle que notre choix s’est finalement arrêté.
Le tournage avec Cécile s’est fait sans problème. Cela a été plus compliqué avec Izïa. C’était parfois un combat pour obtenir la scène que je voulais.

En choisissant Izïa Higelin, vous souhaitez une bonne partenaire pour Cécile de France ?

Ce n’était pas vraiment cela. Cécile avait envie de jouer avec des acteurs plus confirmés, mais Izïa permettait d’avoir un certain déséquilibre. C’est comme quand on joue avec des enfants dans un film, ça amène une certain souffle.

Cécile a eu beaucoup de plaisir à jouer les scènes avec Noémie Lvovsky qui a une palette de jeu énorme. Nous avons tourné de nombreuse fois la scène de la confrontation entre elles car elles prenaient beaucoup de plaisir à l’interpréter.

Dans un autre de vos film, La nouvelle Eve vous avez évoqué l’homosexualité. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour en faire le sujet principal d’un de vos films ?

Je me suis aussi posé la question. J’avais très peur de ne pas savoir tourner une scène d’amour charnelle entre deux femmes, de la rendre trop mièvre, de ne pas savoir la restituer correctement.
Je voulais que mon film soit plus qu’une romance et ait un côté mélodramatique. Je me suis engagée sur le film avec la productrice Elisabeth Perez. Elle voulait qu’il y ait le côté irrévérencieux de La nouvelle Eve avec un côté charnel.
Je voulais raconter l’amour de manière frontale. Mais je me suis interrogée pour savoir si je devais faire le film après celui d’Abdellatif Kechiche (La vie d’Adèle). Mais finalement, je me suis lancée. J’ai été capable de filmer moins de scènes d’amour, mais je les ai fait durer plus longtemps.

Après le film d’Abdellatif Kechiche qui a eu la palme d’or, avez-vous trouvé important que le regard d’une femme se porte sur l’homosexualité féminine ? Est-ce que votre direction d’acteurs dans les scènes a été d’une grande aisance avec Cécile ?

Je suis une femme. Je ne voulais pas tomber dans le voyeurisme mais être dans l’émotion, dans la joie de la première fois d’où le côté bouleversant de Carole. C’est l’histoire d’amour qui compte le plus. Avec mon chef opérateur Jeanne Lapoirie, nous avons beaucoup regardé de tableaux. Nous avons aussi vu Le bonheur d’Agnès Varda dans lequel il y a des scènes d’amour dans la nature très sensuelles. On sent le temps qui passe sur le visage des personnages.

Avec Cécile, nous n’avons pas tellement parlé de la nudité et des scènes d’amour. Comme elle l’a dit elle-même dans des interviews, elle avait confiance en moi comme un modèle avec son peintre. J’ai demandé à mes deux actrices principales de se laisser pousser les poils sous les bras et sur le sexe et elles ont joué le jeu. Je voulais montrer la nudité d’un côté baba cool. Comme dans le nudisme où on revendique un corps différent, pas comme celui que l’on voit partout sur les publicités. Un être facile à déshabiller et à jouer comme cela.
Cécile apportait de l’impudeur dans la campagne. Quant à Izïa, j’ai joué sur sa peur et je devais la forcer pour faire des choses car elle était très réticente.

La belle saison est votre premier film tourné en numérique. Cela vous a-t-il donné davantage de liberté ?
J’ai travaillé avec Jeanne Lapoirie qui est une spécialiste de l’Arriflex Alexa. Du coup le tournage était très rapide et on n’avait pas besoin de faire beaucoup de prises. De plus le geste est plus facile et on n’a pas besoin de couper la caméra pour refilmer une scène.
Je préfère le 35 mm car je trouve le numérique un peu dur et j’aime le grain qu’apporte la pellicule, notamment sur les visages des personnages. Mais en numérique, on n’a pas besoin d’autant de lumière et on peut refaire les prises plus rapidement. C’est d’autant plus plaisant qu’on n’a pas besoin de ré-éclairer la scène.
En plus cela permet des économies car le film a été sous-financé. J’ai pu le faire grâce notamment aux efforts qu’ont fait les acteurs sur leurs salaires.

Comment avez-vous effectué le travail de reconstitution des années 70 ?

Nous avions une banque de données avec des films. Nous avons revu en noir et blanc La maman et la putain de Jean Eustache, des films d’Agnès Varda, des documentaires dont ceux de Carole Roussopoulos et celui de Louis Malle sur les années 70 qui filme la place de la République.
Les costumes étaient des mélange de plusieurs périodes et pas que des pattes d’éléphant car il y a avait des gens qui portaient des tenues des années 60.
Nous avons fait très attention à cela. Nous ne souhaitions pas déguiser les acteurs mêmes si ces derniers voulaient des pattes d’éléphant. Nous avons simplifié leurs tenues pour ne pas avoir un côté trop guignol à l’écran. Nous ne voulions pas non plus être dans une pure reconstitution.
Nous avons donc dû freiner le costumier Jürgen Doering et la responsable des décors Anna Falguères car nous ne voulions pas du papier peint années 70 partout.
Cela a été difficile. On a regardé des photos, des archives. On voulait que le film soit juste sur tout. Le seul élément où je me suis écartée de cette ligne est pour la scène dans laquelle elles couvrent les balles de foin par des bâches noires. Cela ne se faisait pas comme cela à l’époque, mais j’aimais l’image d’étouffement qu’apportait cette scène.

Dans votre film, la campagne est très bien filmée. Pourquoi le choix de cette campagne dans les années 70 ?

J’ai mis trois mois à écrire sur le sujet car j’ai été très marquée par la manif anti-mariage gay. Mais je retombais à chaque fois dans les mêmes crispations. Pour déplier le film, il fallait qu’il soit ancré dans les années 70. En plus aujourd’hui un personnage d’homosexuel refoulé ne véhicule pas une image positive.
J’ai trouvé les années 70 plus intéressantes pour une mise en regard. J’ai été voir aujourd’hui Mustang et je trouve terrible ce qu’on impose à ces femmes, mais on peut s’en rendre compte car ce n’est pas dans notre pays que l’histoire se passe. Une distance physique ou temporelle permet plus facilement de porter un jugement.

Vous parlez du mouvement de libération des femmes, mais aussi du rapport de vos personnages par rapport à leur propre corps. Avez-vous voulu mettre en abîme ces deux éléments pour parler du corps de la femme ?

Pourquoi 71 et pas 73 ? On était à l’aube du mouvement, de l’émergence des pensées qui créent des liens entre les femmes. Après il y a eu des groupes qui se sont constitués et qui se sont battus sur des choses plus précises.
Au début les femmes étaient opprimées. Elles avaient besoin de retrouver une parole libre. Une parole que Delphine n’ose pas prendre vis-à-vis de son père.
Les femmes veulent pourvoir utiliser leur corps, prendre la pilule. Carole a continué son militantisme, c’est pour cela qu’à la fin du film elle travaille au planning familial.
Si j’avais choisi une période plus tardive, j’aurais rencontré des difficultés.
Par exemple le professeur qui reçoit du mou de veau fait référence au Professeur Lejeune qui en a reçu. Il tenait des propos horribles. Le pape, à sa mort, est venu se recueillir sur sa tombe !

Je voulais retraduire une époque. J’aime l’anecdote de ces femmes féministes qui ont été déposer une gerbe de fleurs sur la tombe de la femme du soldat inconnu à l’Arc de triomphe en disant : « Qui est plus inconnu que le soldat inconnu ? Sa femme ! ».
Mais je ne voulais pas reconstituer cette époque.

En 1995, j’ai réalisé pour la télévision Jeunesse sans dieu qui est l’adaptation du roman d’Ödön von Horváth, un auteur Austro-Hongrois obligé de fuir son pays à cause du nazisme. Il l’évoque dans son livre sans jamais le citer et cela crée un léger décalage que j’aime.

Dans La belle saison, je voulais parler d’une histoire avec une idée précise mais sans entrer dans la reconstitution et ne pas figer le film dans une époque.

Est-ce que le sujet de l’homosexualité féminine est toujours tabou surtout au cinéma ?

Vous m’auriez posé la question il y a quelques jours, je vous aurais répondu le sujet avait évolué. Mais je découvre certaines réactions sur certains sites et cela me fait froid dans le dos. Ce n’est pas gagné. Il y a toujours un regard condescendant. On a des « Ah ! Encore des histoires avec deux femmes ! » comme s’il y avait tant de film que cela qui sortait sur ce sujet et des « Ah ! C’est encore le lobby homosexuel ! ». Cela laisse des relents détestables. On devrait pouvoir aborder tous les sujets dans les films.

Quand je vais au cinéma, je vois plein de bandes annonces de films américains sur la fin du monde qui sont morbides et angoissants. Le cinéma français est super riche et parle de plein de choses.

Je serais contente quand on ne parlera plus de film d’amour homosexuel ou hétérosexuel. C’est comme pour les cinéastes, pourquoi parler de femmes cinéastes, ou en politique, quand on évoque les femmes politiques. On devrait parler des cinéastes.
Dans notre pays l’égalité est loin d’être gagnée. Une partie de la presse ne veut pas parler du film à cause de son sujet.
Certaines marques de produits de beauté n’ont d’ailleurs pas voulu s’associer au film…

Quelle est la visibilité du film ?

Je n’ai pas eu de problème pour faire le montage financier du film. Canal + a lu le scénario et a été emballé. La chaîne ainsi que France 3 ont été très généreuses.
Remettre les tracteurs d’époque en état pour qu’ils fonctionnent, trouver la ferme, cela a coûté de l’argent et du temps. Mais je n’ai pas eu de difficulté de financement.

Par contre on se pose des questions concernant les petites villes. Est-ce que le film va marcher là-bas ? Et dans les villes universitaires ? J’ai aussi peur que le film soit labellisé de gauche et ne donne pas envie à certaines personnes de le découvrir. De plus nous avons fait le choix d’une affiche qui risque d’écarter un certain public. Néanmoins, c’est une belle sortie nationale dans plus de 300 salles.

Attention ! Gros spoiler sur la fin dans la question ci-dessous !

Est-ce qu’en évitant une happy end, vous vouliez montrer qu’il ne s’agissait que du début du combat ?

C’est très dur de finir un film, tout comme le commencer. J’ai beaucoup parlé avec la co-scénariste Laurette Polmanss. Je voulais que Carole ait appris quelque chose, notamment qu’on ne peut pas revenir en arrière, mais que la lutte doit continuer. Mais je ne voulais pas que la fin soit triste. C’est pour cela que 5 ans plus tard Delphine lui écrit une lettre. Elle a pu quitter la ferme familiale et pourra peut-être enfin s’assumer comme homosexuelle. Mais la vie est dure pour toutes les femmes. Aujourd’hui encore elles doivent lutter pour les mêmes acquis, le gain de la liberté.

Merci beaucoup à Catherine Corsini de nous avoir offert une table ronde très intéressante, ainsi qu’aux 4 autres journalistes web d’avoir posé des questions pertinentes et inspirées.
Quant à ceux qui se poseraient la question, dans les années 70, on parlait bien de crise cardiaque pour une personne frappée d’AVC. Cela peut paraître surprenant mais la recherche documentaire poussée de Catherine Corsini sur les années 70 est exhaustive.

La belle saison est un film très beau, qui tout en revenant sur le mouvement de libération des femmes dresse le magnifique portrait de deux femmes passionnées et entières superbement interprétées par Cécile de France et Izïa Higelin. Vous pouvez retrouver la critique du film ICI.

- SITE OFFICIEL


GALERIE PHOTOS DE L’AVANT PREMIÈRE DU FILM



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