Star Trek Picard : Critique 2.02 Penance
STAR TREK PICARD
Date de diffusion : 11/03/2022
Plateforme de diffusion : Prime Video
Épisode : 2.02 Penance
Réalisateur : Doug Aarniokoski
Scénaristes : Michael Chabon, Akiva Goldsman, Terry Matalas et Christopher Monfette
Interprètes : Patrick Stewart, Alison Pill, Isa Briones, Evan Evagora, Michelle Hurd,
Santiago Cabrera, Jeri Ryan
LA CRITIQUE FM
What If... ? Non, il ne s’agit pas du célèbre comics Marvel et maintenant série animée de Disney+ dont il s’agit. Et si la Fédération était devenue la Confédération, une dystopie de l’utopie trekienne. Et si notre Picard humaniste était devenu un nazi du 24ème siècle. Avec des si, notre bien-aimé Q propose cette semaine à nos picardiens de vivre dans un univers à l’opposée du leur.
En parlant de Q, il faut bien remarquer que l’alchimie entre Patrick Stewart et John de Lancie reste intact 27 ans après la fin de la Nouvelle Génération. Comme indiqué par De Lancie, son personnage a évolué dans cette période de temps. Q semble au bord du burn-out. Quant à la raison de cette instabilité émotionnelle, ce sera, sans aucun doute, révélé plus tard dans la saison.
Si cette réalité n’est pas liée au célèbre univers miroir, c’est avec stupéfaction que Picard and co découvrent qu’il s’agit d’un "annule et remplace" dû à un événement ayant eu lieu en 2024. Et c’est là que je me dis que, décidément, la série colle parfaitement à la situation géopolitique du moment, tant la culture de l’annihilation des civilisations de cette Confédération a des relents de conséquence à long terme de cette crise poutinienne.
Beaucoup moins de lenteurs par rapport au premier épisode, les scènes s’enchaînent pour nous faire découvrir nos héros et leurs interrogations par rapport à ce nouvel environnement. Kurtzmanworld oblige, c’est toujours un univers de poche. Chacun se retrouve au bon endroit au bon moment. Mais comme la semaine dernière, cela reste beaucoup plus supportable que ce qu’est devenu Discovery.
Principal point négatif de cet épisode : le tropisme clownesque d’Agnes Jurati. En première saison, un équilibre avait été trouvé entre la face plus tragique du personnage et son coté scientifique déjanté. Mais cette saison, Alison Pill semble être en roue libre.
Point ultra positif de cette semaine : la formidable reine Borg et son épatante interprète Annie Wersching. Les reines Borg ont toujours eu une facette sexy et une autre effrayante. Mais cette semaine, entre l’interprétation tout en retenue de Wersching et son magnifique maquillage, je pense qu’on atteint le summum de ce que peut donner à l’écran ce personnage.
Un épisode qui me semble donc supérieur au premier tant on entre pleinement dans la dramaturgie de cette seconde saison.
LA CRITIQUE YR
En concluant par « Well, my friend, welcome to the very end of the road not taken », Picard 02x01 The Star Gazer annonçait une couleur que Picard 02x02 Penance viendra confirmer. Au moment de l’autodestruction de l’USS Stargazer (emportant avec lui la flotte de Starfleet et possiblement aussi le vaisseau borg "agresseur"), Q a bel et bien repêché de la mort Jean-Luc, mais aussi les cinq autres VIP du main cast… en les propulsant dans une timeline alternative. Apparemment (?) fidèle à sa "tactique" dans ST TNG (et ST VOY), l’extraterrestre omnipotent vient donc en aide aux personnages de la série mais au travers d’une épreuve existentielle (ou d’un jeu mortel) qui le fera passer pour malveillant...
Et en l’occurrence, même si cela vaut probablement mieux pour les protagonistes que l’irréversibilité de la mort (et le possible écrasement de la Fédération par des Borg 2.0), ladite épreuve se veut particulièrement extrême, dans la mesure où la conscience des six personnages est transférée dans les corps de leurs alter egos d’une réalité encore plus dystopique que celle de la première saison de Picard...
Ici, point de Fédération des Planètes Unies, mais une Confédération de la Terre profondément xénophobe s’appuyant sur une armée spatiale (aux grades décalqués de ceux de l’armée de Terre et non plus de la Marine contrairement à Starfleet) qui conquiert par la force, massacre, domine, et asservit toutes les civilisations non-humaines de la Voie Lactée… avec une efficacité au demeurant redoutable (puisque même les Borgs ont été vaincus). Moyennant un prix élevé cependant : un système totalitaire et criminel ayant transformé l’exécution des non-humains en grand spectacle durant le bien nommé "Eradication Day", de nombreux esclaves non-humains (notamment Romuliens mais aussi Synthétiques) employés par la Confédération (y compris dans le château viticole de l’alter-Picard), une Terre écologiquement ravagée mais soutenue par un vaste bouclier alvéolaire orbital, Vulcain et sa résistance en passe d’être anéantie par la Confédération…
Et comme dans les productions les plus cheaps et les plus convenues, c’est toute l’iconographie et la symbolique du Troisième Reich qui est conviée, sans nuance et de manière pachydermique, avec tout le champ lexical simpliste (donc si facilement identificateur) des réseaux sociaux, tel un point Godwin condamné à devenir le running gag de la doxa. À tel point que le qualificatif "cliché" est devenu presque obsolète car insuffisant pour décrire vraiment la situation.
Mais ironiquement, il serait presque possible d’y voir un aveu d’impuissance pour ne pas dire un acte manqué : faut-il que la Fédération revue et corrigée par Kurtzman soit devenue foncièrement dystopique pour que seule la version galactique du NSDAP creuse vraiment l’écart dans la dynamique du pire...
En outre, le public étatsunien appréciera certainement la tentative de manichéisation simpliste entre la Fédération (forcément "gentille" comme le sont les Yankees et les USA) et la Confédération (forcément "méchante" comme l’étaient les Dixies et les Confédérés du 19ème siècle). Mine de rien, voilà qui donne une petite indication sur l’agenda politique dans la suite de la seconde saison de Picard...
Alors dans cette nouvelle timeline :
Picard – curieusement transféré ici aussi dans un corps synthétique – est un général redoutable et redouté, réputé pour sa cruauté, exposant même dans son salon les cranes de ses victimes galactiques, comme de bien entendu les alter egos de notables du ST historique : le Cardassien Gul Dukat, le Klingon Martok, le Vulcain Sarek, probablement un grand Nagus ferengi… (au secours le name dropping !) ;
Seven Of Nine n’a jamais été assimilée par les Borgs (elle ne porte donc aucun implant et se nomme Annika Hansen), elle n’est rien de moins que la présidente de la Confédération (suggérant qu’un processus électif voire démocratique ne garantit aucunement l’état de droit), elle en sus mariée au premier magistrat du régime (tenant lieu également de conseiller) ;
Cristóbal Rios est un colonel qui conduit une attaque fatale de la flotte terrienne contre Vulcain... mais invraisemblablement depuis un vaisseau aussi mineur (et non-militaire) que La Sirena ;
Agnes Jurati est toujours une cybernéticienne de pointe qui développe des "IA de compagnie", en l’occurrence un chat virtuel et parlant au caractère bien trempé, Spot 73 (histoire d’updater et d’incrémenter celui de Data dans ST TNG) ; elle détient à l’intérieur d’un tube de stase dans ses "stocks" la reine borg vaincue par la Confédération et s’apprêtant à être exécutée en public durant l’Eradication Day (une reine dans sa version classique quoique recastée et non la 2.0 surgie dans Picard 02x01 The Star Gazer) ;
Raffaela Musiker est à la tête des services de sécurité vêtus de noir (de type Gestapo, KGB, ou Section 31 discoverienne), et elle traque des rebelles extraterrestres, notamment à Okinawa (décidément une localisation récurrente depuis la première saison de Picard ;
L’elfe Elnor est justement l’un desdits rebelles… que traque Raffi.
S’inspirant des dix premières minutes de ST TOS 02x10 Mirror, Mirror, le principal enjeu de l’épisode va consister pour les six personnages "mentalement déplacés" depuis leur timeline à comprendre par eux-mêmes ce qui leur arrive (mais sans se griller auprès de leurs nouveaux entourages respectifs très suspicieux), à rétablir le contact (de façon souvent codée) avec leurs vrais "compatriotes" d’univers (en dépit de tous les obstacles de cette société bien différente), puis à déterminer le point d’origine de la divergence historique dont résulte une chronologie si sombre et si anti-trekkienne (dès lors que l’hypothèse d’une altération temporelle par Q l’emporte sur celle d’une réalité alternative alias monde parallèle).
Cette là que la reine borg (retenue dans la cave de l’institut cybernétique de Jurati) se révèlera essentielle pour la narration. Non seulement elle déterminera en quelques secondes chrono le point d’origine de l’uchronie (à savoir un certain "Watcher") à Los Angeles en 2024), mais d’après le script de l’épisode, elle seule pourra superviser un voyage temporel selon le procédé employé par Kirk dans ST IV The Voyage Home, à savoir naviguer à distorsion au bord d’un puits de gravité stellaire (« a slingshot maneuver at warp to generate a temporal fissure »). À la façon de ST VOY 03x26+04x01 Scorpion, une alliance est donc conclue avec la "souveraine" déchue car celle-ci préfère également restaurer la timeline où existe la Fédération...
Toutefois, ce plan est contrarié lorsqu’un processus automatique transfert la reine borg sur la scène sanglante de l’Eradication Day où le général Picard doit justement l’exécuter sous la houlette de la présidente Annika Hansen pour abreuver l’hystérie d’une populace décervelée hurlant en rythme « Kill ! Kill ! Kill ! » Serait-ce le comble de la vulgarité... ou une allusion à la révolte des Boxers assiégeant les légations occidentales aux cris de lynchage « Sha ! Sha ! Cho ! Cho ! » (c’est à dire « Tue ! Tue ! Brûle ! Brûle ! » durant les 55 jours de Pékin en 1900.
Alors pendant que Jean-Luc et Seven donnent tant bien que mal le change durant cette grand-messe orwellienne en retardant au maximum la mise à mort... Raffi, Elnor, Agnes s’affairent pour réussir à téléporter (en pleine "cérémonie") toute la troupe (dont la nouvelle "alliée" borg) à bord du vaisseau de Cristóbal, afin de s’embarquer vers le "passé" (i.e. notre monde contemporain, à deux ans près, soit 2024).
Mais coup de théâtre... comme dans un serial des années 30 : le premier magistrat désactive à distance les boucliers de La Sirena au moyen d’un "presidential override" et s’y matérialise à son tour, l’arme au poing et accompagné d’une troupe de choc. Le mari de l’alter-Seven est désormais convaincu que sa femme et le général Picard sont des imposteurs... L’elfe Elnor en fait les frais en étant abattu (mais néanmoins pas désintégré) par un tir de phaser.
Et hop, rideau... sur un cliffhanger à gros roulements de tambours.
À la première lecture, Picard 02x02 Penance semble proposer une aventure fort dépaysante et sans temps mort, avec une dose parfaitement formatée de surprises, de suspens, d’émotion, d’action et de fan-service. Les héros doivent s’adapter à un monde cauchemardesque, simuler des comportements antinomiques des leurs et consentir à des alliances contre nature... pour réussir à emprunter à travers les méandres spatio-temporels un chemin épique qui les ramènera in fine à bon port, c’est-à-dire restaure leur réalité… tout en déjouant (d’une façon ou d’une autre) l’apparente attaque borg contre l’USS Stargazer dans l’épisode de lancement.
Oui... mais non ! Car comme toujours, le diable se niche dans les détails…
Le script, cumulant quelques répliques en elles-mêmes assez bien écrites, multiplie les références à l’univers miroir, allant jusqu’à inclure dans les lignes de dialogues même – avec une lourdeur digne de la série animée Lower Decks – des remix des titres historiques afférents (genre une hybridation de ST DS9 03x19 Through The Looking Glass et ST ENT 04x18+04x19 In A Mirror, Darkly).
Ainsi, de façon presque avouée, l’épisode prétend ainsi satisfaire a "frustration" de n’avoir jamais vu dans les séries sises au 24ème siècle (ST TNG, ST DS9, ST VOY) de Terran Empire (qui s’était depuis longtemps effondré suite aux réformes de Mirror-Spock au 23ème siècle) puisque la Confédération de la Terre en reprend l’intégralité des caractéristiques, notamment l’impérialisme conquérant et la xénophobie terrienne...
Cette dystopie totalement assumée a peut-être aussi pour objectif impuissant de tenter de réhabiliter – par contraste – la fausse utopie de la première saison de la série Picard...
Le gros hic, c’est que depuis ST TOS 02x10 Mirror, Mirror, la masse de similitudes entre l’univers prime et l’univers miroir – mêmes technologies, mêmes designs, mêmes personnages (d’une perspective physique, nominative, et statutaire) – en dépit de chronologies et de causalités radicalement différentes... s’expliquait par la profonde gémellité qui liait les deux univers, en illustration de la théorie des univers énantiomorphes du physicien Andreï Sakharov. Dès lors, le syndrome VIP (mêmes personnages occupant de semblables postes clefs dans les hiérarchies sociales) était pleinement légitimé par un argument internaliste fort.
Mais hors d’un "couplage" transdimensionnel permanent, il est totalement improbable – donc statistiquement impossible – qu’une ligne causale radicalement distincte (et dont le point d’origine remonte à presque 400 ans) puisse conduire à une société aussi symétriquement antithétique (en gros tout ce qui est "mal" pour la Fédération devient "bien" pour la Confédération et inversement) tout en permettant aux seuls VIP-qui-comptent dans l’épisode (Picard, Seven, Rios, Jurati, Raffi, Elnor...) d’exister physiquement intacts et d’occuper comme par hasard les fonctions les plus prestigieuses (général, présidente…). En réalité, aucun de ces VIP ne devraient même exister dans cette nouvelle timeline (lorsqu’on sait à quels facteurs infinitésimaux tient la conception biologique de toute être vivant spécifique... comme l’avait notamment montré le chef d’œuvre temporel ST VOY 04x08+04x09 Year Of Hell).
Dans une ligne temporelle foncièrement différente résultant d’une inflexion passée, le syndrome VIP ne saurait être légitimé par l’argument internaliste, et il tiendrait donc à la fois d’une profonde incohérence et d’une facilité démagogique. C’est bien pour cela que dans le ST historique, chaque fois que la timeline était altérée de façon profonde à une période contemporaine (ST TOS 01x28 The City On The Edge OF Forever, ST DS9 03x11+03x12 Past Tense...), le futur trekkien (séparé de plusieurs révolutions coperniciennes) cessait logiquement d’exister, et il était alors impossible d’établir des correspondances flatteuses pour les fans. Il y avait certes eu le cas du mémorable ST TNG 03x15 Yesterday’s Enterprise (auquel Q fait d’ailleurs explicitement référence de façon méta dans Picard 02x02 Penance), mais sa variance – au demeurant très faible – restait contenue à deux générations, et à l’intérieur même du paradigme trekkien.
Mais bah ! Pour les showrunners de la seconde saison de Picard, il fallait bien que les héros déplacés par Q puissent se retrouver sans efforts en seulement quelques minutes... Preuve que les lignes temporelles ont beau changer, l’univers reste toujours aussi microscopique, messianique, et VIP-centré. Très Kelvin dans l’esprit quoi...
De surcroît, la diégèse de Picard 02x02 Penance s’appuie – comme dans presque chaque opus des productions Secret Hideout depuis 2017 – sur des retcons (hypocrites ou inconscients) du matériau internaliste existant, et dont l’écueil premier est désormais moins de rompre la continuité ou l’esprit (une "cause perdue" depuis longtemps) que d’aligner de façon décomplexée toutes les facilités des jokers et des triches...
Ainsi, les scénaristes sortent de leur besace de prestidigitateurs que la reine borg – pourtant au cœur de ST First Contact et de ST VOY – possède soudain une "transtemporal awareness", lui permettant d’établir des ponts entre des timelines adjacentes. Et cela sur la base d’une logorrhée verbale lorgnant les hybrides immergés de BSG 2003, mais aussi et surtout de l’assertion de Seven qui établit ainsi cette aptitude dans le champ rétroactif. C’est là une confusion patente avec les Sphere Builders du Delphic Expanse de la troisième saison de ST ENT ou encore avec les technologies dont dispose la "patrouille temporelle" du Starfleet du 29ème siècle dans ST VOY 05x25 Relativity.
Mais qu’importe, puisque le fil rouge de la seconde saison de Picard avait juste besoin d’un personnage "cicérone" qui tienne peu ou prou le rôle de l’El Auriane Guinan dans ST TNG 03x15 Yesterday’s Enterprise, quitte à pousser nettement plus loin la précision de l’omniscience, puisque la reine déterminera instantanément l’origine exacte de la divergence de timeline !!! Comme Discovery ne cesse de le montrer épisode après épisode, le #FakeTrek kurtzmanien n’est jamais économe en deus ou dea ex machina. Seulement, en prêtant à la reine borg un "super-pouvoir" pareil pour les seuls besoins narratifs du moment, Picard 02x02 Penance décrédibilise rétrospectivement le Star Trek historique (et contredit entre autres ST First Contact) où les Borgs n’avaient justement pas un tel avantage décisif (et "game changer") pour vaincre la Fédération du 24ème siècle.
Lorsqu’il est question d’entreprendre un voyage dans le temps, la seule solution qu’envisage Picard est de reproduire le procédé de ST IV The Voyage Home, hérité d’épisodes comme ST TOS 01x21 Tomorrow Is Yesterday et ST TOS 02x26 Assignment : Earth, en une époque où Starfleet venait de découvrir (dans ST TOS 01x06 The Naked Time) la possibilité de maîtriser le voyage dans le temps (ce qui suppose bien sûr de faire abstraction de la seconde saison de Discovery venant frontalement contredire tout ça). À la manière d’une nouvelle lantern, Jean-Luc qualifiera lui-même cette méthode de grossière, comme pour dispenser l’épisode de considérer le vaste siècle qui le sépare de ces pionniers, et partant, toutes les méthodes bien plus chirurgicales et fiables employées par exemple dans ST DS9 03x11+03x12 Past Tense ou lors des voyages de retour dans ST TNG 05x26+06x01 Time Arrow et ST First Contact...
Mais qu’à cela ne tienne, il fallait absolument puiser dans ST IV The Voyage Home car, non seulement c’est l’opus temporel trekkien le plus connu dans la culture populaire, mais cela permet surtout de rendre la reine borg indispensable, qui plus est carrément dans le fauteuil de Spock ! Le pire est que les showrunners doivent certainement considérer que cette "inclusion" à l’équipage est une audace super-cool ! Du pur "K" quoi.
Et bien sûr, tout ça est au prix d’un nouveau retcon (décidément), puisque l’on prétend maintenant qui faut absolument quelqu’un pour « isolate the divergence and micro-shift for any chronitonic radiation » durant l’intégralité du voyage temporel. Il n’y avait pourtant aucun technobabble cryptique de ce genre dans le film aux baleines à bosse, le célèbre Vulcain s’étant "contenté" de réaliser un calcul spatiotemporel élaboré (ne relevant pas d’un super-pouvoir ou de cyber-implants), qui plus est préalablement (puisque l’équipage fut inconscient pendant le saut temporel à proprement parler).
Autant le commun des mortels auraient eu de quoi perdre son self control (voire sa tête) en étant plongé sans explication dans une autre réalité, autant des protagonistes avec un tel passif – tout particulièrement Seven Of Nine au regard de son exceptionnel vécu à travers ST VOY – auraient dû être capable de bien mieux se fondre dans ce nouvel environnement. Et pourtant, tous multiplient consciencieusement les maladresses ou les bévues, comme s’ils cherchaient délibérément à se rendre suspects...
C’est avec le plus grand naturel que le sabreur Elnor égorge les serviteurs de la Confédération qui ont le malheur de barrer son chemin ! Ok, ce sont supposés être d’affreux "nazis", mais est-ce vraiment ce que l’elfe romulien a appris durant son cursus de moins de deux ans à Starfleet Academy ? Plus généralement, égorger les adversaires est-il un comportement vraiment trekkien ?! Peut-être alors au titre d’un complet révisionnisme de ST dans le cadre du retcon général du NuTrek depuis 2009. Quand une dystopie en cache une autre... De toute façon, OSEF, l’essentiel est que le duo Elnor & Raffi puisse se payer un trip ostentatoirement buddy movie, façon Arme fatale (en version gore).
Au passage, que sont devenues les consciences des hôtes de la Confédération que les héros de la Fédération ont remplacé par la grâce de Q ? Bah, on s’en fiche, ce n’était que des "nazis" après tout...
Bref, comme à l’accoutumée, les productions Kurtzman convoquent à tout bout de champ des référents du ST historique, mais sans les comprendre véritablement ou pour les détourner à qui mieux mieux (en espérant peut-être que les madeleines de Proust seront autant de rideaux de fumée émotionnels pour les trekkers nostalgiques). Du coup, les objectifs externalistes prennent systématiquement le pas sur la cohérence internaliste... et l’histoire relatée n’en apparaît que plus artificielle, prétexte, et finalement bidon.
2024 est donc le point d’origine de la fork, de la divergence à corriger. Mais est-ce un hasard que ce soit justement aussi l’année d’une autre divergence historique, celle de ST DS9 03x11+03x12 Past Tense ? Pour préserver la timeline trekkienne, Benjamin Sisko dut remplacer au pied levé Gabriel Bell, décédé prématurément le 31 août 2024, donc avant les Bell Riots, au lieu du 3 septembre 2024. Alors un caméo d’Avery Brooks à espérer... ou à craindre ?
Quant à l’implication d’un mystérieux Watcher, ne serait-il pas lié par hasard aux agents spatiotemporels du Starfleet du 29ème et du 31ème siècles croisés respectivement dans ST VOY et ST ENT ? Auquel cas, un caméo de Matt Winston dans le rôle l’agent Daniels (de la TCW) serait-il également au programme ? Mais ce serait plutôt étonnant étant donné que les productions Secret Hideout ont systématiquement ignoré tout ce volet-là du Star Trek historique, tant il était incompatible avec l’absurdité des saisons 3 et 4 de Discovery...
On pourra malgré tout se satisfaire de la forme assez équilibrée, ainsi que d’une interprétation qui continue mettre Discovery minable (mais en même temps, ce n’est pas bien difficile vu le level).
John de Lancie offre la prestation la plus convaincante de l’épisode, telle une capsule temporelle sortie de ST TNG, preuve que la maîtrise de son personnage culte ne l’a pas quittée (il continuait à l’interpréter périodiquement pour des jeux vidéo et dans des pièces de théâtre), si bien que le comédien réussit à faire subtilement passer dans son jeu quelques variations énigmatiques (comme si quelque chose avait changé dans le Continuum, ce que ne manque pas de relever Jean-Luc).
Agnes Jurati a tendance à devenir un ressort comique un poil clownesque, mais néanmoins incomparablement plus fin que Sylvia Tilly dans Discovery. La capacité d’Alison Pill à débiter d’interminables dialogues apparemment improvisés force le respect, son flow impressionne. De fait, quand bien même outrancière dans le sens inverse, elle se révèle progressivement une "anti-Burnham" rafraichissante, presque un antidote au pathos glucosé dans l’empire des excès.
À la rubrique des recasts (en soi toujours dommageables), Annie Wersching s’en sort plutôt bien dans le rôle de la reine borg, même si sa version est quelque peu "éteinte" au point de renvoyer à l’imaginaire des zombies (relativement "flippant" au demeurant), donc assez loin de la perversion érotique d’Alice Krige qui invoquait plutôt l’effroi de Hellraiser... Malgré tout, le contexte de défaite et d’emprisonnement peut expliquer ce différentiel comportemental, il y a de quoi être trauma même pour une Borg.
Paradoxalement, c’est la prestation de Patrick Stewart qui est la moins convaincante du lot, non seulement dans le rôle d’un général sanguinaire (à travers les enregistrements risibles de ses discours/spots de propagande au sein de la Confédération) mais aussi dans son rôle nominal. La triste réalité est que Patrick Stewart n’est plus en état d’incarner un personnage aussi iconique et épais que Jean-Luc Picard, davantage en raison de l’état de santé de l’interprète que son âge (après tout, William Shatner a neuf ans de plus, et il est resté égal à lui-même).
Il faut dire aussi que le script ne l’aide pas, par exemple en le conduisant à s’indigner stérilement face à Q – jusqu’à refuser pour le principe la porte de sortie expiatoire qui lui est proposée – comme si Jean-Luc était revenu aux deux premières saisons de ST TNG (e.g. dans ST TNG 01x01+01x02 Encounter at Farpoint, ST TNG 01x10 Hide And Q, ST TNG 02x16 Q Who) tandis qu’aurait été effacé tout le bénéfice empirique des dernières saisons de ST TNG – où Picard avait appris à mieux comprendre voire à estimer le "maïeuticien" Q (cf. ST TNG 06x06 True Q, ST TNG 06x15 Tapestry, et surtout ST TNG 07x25+07x26 All Good Things...).
En revanche, les budgets ont beau exploser, ce n’est pas forcément un gage de qualité de forme sur tous les plans. Et s’il y a bien un département où le bât blesse dans les productions Secret Hideout, c’est celui des "prosthetics". Entre les Ferengis cadavériques qui apparaissent çà et là dans la quatrième saison de Discovery, les oreilles grossières des Romuliens et même le front klingon discoverien dans cet épisode... la SF semble avoir abandonné le terrain au cosplay (dans le meilleur des cas), au carnaval (dans le pire des cas). N’est vraiment pas Michael Westmore qui veut...
Mais où sont donc passés les sept millions de dollars de l’épisode ? Dans le cachet de Patrick Stewart ?
Picard 02x02 Penance possède toutes les caractéristiques d’un songe de gamin... mais malgré lui. Sa timeline alternative se déploie dans un bac à sable profondément factice et démagogique, à la fois caricatural et infantile, construit sur mesure au service du culte du main cast (un retour en force du "syndrome VIP"), mais sans l’alibi conceptuel et philosophique du Mirror Universe (lui-même à l’origine une forme d’auto-dérision). Or confondre les propriétés d’une timeline distincte (suite à une altération temporelle presque quatre siècle avant) avec les propriétés d’un univers énantiomorphe (impliquant des liens de gémellité), c’est une incohérence majeure tant en SF qu’en sciences physiques conjecturales !
L’hypothèse de la simulation de Q serait bien la seule excuse de ce parti pris, à la façon d’un jeu de rôle virtuel en live (quoique très immature), mais la construction de la saison n’en prend guère le chemin...
En définitive, ce second épisode de la deuxième saison de Picard recycle en tout point la "formule" du très médiocre arc miroir – involontairement parodique au point d’en être cartoonesque – de la première saison de Discovery (DIS 01x09 Into The Forest I Go, DIS 01x10 Despite Yourself, DIS 01x11 The Wolf Inside, DIS 01x12 Vaulting Ambition, et DIS 01x13 What’s Past Is Prologue).
Fallait-il vraiment endurer ça à nouveau ?
Somme toute, Picard 02x02 Penance est pur serial, certes distrayant, mais navrant en matière de réalisme, politiquement dérisoire tant il enfile les outrances, et aucunement trekkien. La saturation de "placements publicitaires" internes (Easter eggs, clin d’œils, citations, name dropping...) n’étant que d’ordre sémiotique et non sémantique, la faillite idéelle est de plus en plus difficile à masquer.
L’épisode sombre même dans une forme de "concurrence dystopique" qui n’exprime pourtant rien par-delà les truismes éculés. La nouvelle timeline de la Confédération non seulement pastiche, mais cannibalise l’univers miroir avec trivialité et vulgarité, tout en ayant la prétention de délivrer une pensée dialectique pertinente !
De quoi être relativement pessimiste envers l’épine dorsale de la seconde saison qui pourrait bien confiner aux hauteurs himalayennes des "audaces" dénonciatrices d’un Florent Brunel...
Y a pas à dire, faut vraiment être dans le "camp du Bien" pour avoir le courage de s’engager et militer contre un Troisième Reich galactique et vampirique.
Bref, l’espoir suscité par Picard 02x01 The Star Gazer n’aura pas mis longtemps à être douché. Le supposé "miracle" n’était probablement qu’un mirage (de plus). Le "naturel kurtzmanien" revient déjà au galop, les simplismes des teen shows se bousculent au portillon, et la sensation de fake l’emporte (à nouveau).
Certes, grâce à ses interprètes et à quelques lignes de dialogues bien senties, ce fake reste davantage plaisant à suivre – du moins à ce stade – que le fake de la quatrième saison de Discovery. Et pareille illusion pourrait suffire en l’état à une partie du public... ou selon la disposition d’esprit adoptée...
Toujours est-il que le schéma involutif de la première saison de Picard est bien parti pour se répéter dans la seconde, inéluctablement, implacablement... telle une malédiction, une fatalité, une boucle temporelle, un disque rayé...
Auquel cas, l’émargement au showrunning du vétéran bermanien Terry Matalas n’aura finalement rien changé à l’affaire.
BANDE ANNONCE