Star Trek Picard : Review 1.01 Remembrance
ATTENTION : Deux critiques comme pour chaque review d’un Star Trek : une première par Frank qui ne comportera que rarement des spoilers (pas plus que ce que révèlent les bandes annonces et les déclarations déjà publiées des auteurs et du casting) ; une seconde par Yves 100% spoilers avec une analyse très fine des événements de l’épisode.
Deuxième véritable incursion dans la franchise TV Star Trek d’Alex Kurtzman et son équipe, après deux saisons de Discovery qui ont divisé, voire déchiré les amateurs de l’univers créé par Gene Roddenberry, voici qu’arrive sur nos écrans Star Trek Picard.
Disponible aux USA sur CBS All Access et en France sur Amazon Prime Video, la série nous permet de retrouver un des personnages les plus emblématiques de la Franchise, Jean Luc Picard, et son génial interprète Patrick Stewart. Si celui-ci avait fait les beaux jours de Star Trek La nouvelle génération, il ne faut pas, pour autant, considérer cette série comme une huitième saison de TNG. C’est une toute nouvelle histoire dans un univers qui a connu quelques grands bouleversements depuis Nemesis, le dernier film.
Positionnée 18 ans après, la Fédération et les Empires environnants ont eu le temps de changer profondément. C’est particulièrement le cas des Romuliens dont la caste dirigeante avait été décimée par Shinzon et dont la planète Romulus a été détruite par une Supernova. Oui… celle à qui on doit le « superbe » univers reboot de J.J. Abrams. La Fédération n’en est pas également sortie indemne, mais je vous laisse découvrir pourquoi dans ce premier épisode.
En une vingtaine d’année, les esprits et la mentalité des membres de la Fédération ont pu évoluer et peut être même dévier quelque peu de la vision utopiste à l’origine même de Star Trek. Je précise « peut-être » parce que, à la fin de ce premier épisode, on n’a pas encore la totalité des tenants et aboutissants de l’intrigue.
En tout cas, on ne retrouve pas un univers noyé dans du formol. Ce Star Trek, comme les précédentes séries, est une représentation transposée des problématiques et interrogations du notre. Et en quasi deux décennies, dieu sait que notre quotidien, nos envies, nos peurs, notre appréhension du futur a pu changer et pas dans le bon sens. La série a également une vraie thématique qui oblige le téléspectateur à avoir une réflexion. Et dans ce sens, elle est pour moi beaucoup plus trekkienne, même si elle égratigne la société idéale de Roddenbery, que le serial Discovery.
La série a aussi un grand avantage par rapport à DIS, c’est que l’histoire s’inscrit dans le futur et qu’il n’y a plus de raison de critiquer les erreurs de continuité. Vous aimerez ou pas ce qui est raconté, mais, il n’y aura pas ici de contestation quant à la légitimité de l’appartenance de l’œuvre à la Franchise. D’autant plus, qu’à la vision de l’épisode, on peut dire que la psychologie des personnages connus est respectée. Si Picard a vieilli, on retrouve avec un immense plaisir le personnage et toute sa faconde, sa capacité d’indignation et sa profonde humanité.
Formellement, c’est bien une série de notre époque. C’est de plus en plus difficile de voir une différence avec la qualité d’un long métrage. Le design est néanmoins beaucoup moins clinquant et artificiel que Discovery. Ce premier épisode ne se complait pas dans des scènes d’action à tout va, mais quand elles sont présentes, elles sont diablement bien chorégraphiées.
Cette première mise en place, ne permet pas également de découvrir l’ensemble du casting. Mais, les deux premiers personnages introduits, Dahj (Isa Briones) et le docteur Agnes Jurati (Alison Pill) ont une belle présence et des choses à jouer.
Bref, une belle introduction avec son lot de surprises qui donne une grande envie d’en savoir plus…
FM
Rarement une série portant le label Star Trek, et même une série de SF en général, n’aura été autant attendue que Picard. Non pas seulement en raison des moyens promotionnels considérables que CBS a engouffré dans sa valorisation depuis plus d’un an, mais surtout en raison de la place unique dans l’imaginaire collectif occupée par la série dont elle prétend être la suite, à savoir Star Trek The Next Generation. Ayant toujours incarné l’aboutissement de la vision de Gene Roddenberry et sa capacité à lui survivre, TNG est généralement considérée par la critique et les trekkers comme la meilleure série Star Trek à ce jour, non seulement par une myriades d’épisodes de référence (aussi bien en terme de portée que de crédibilité), mais également par des personnages cultes ayant réussi à égaler voire dépasser l’icônisme de ceux de la série originale. Le plus mémorable d’entre eux étant Jean-Luc Picard, devenu progressivement à lui tout seul l’incarnation des valeurs trekkiennes, et porté par l’un des acteurs les plus fameux – authentique interprète shakespearien – ayant jamais été accueilli dans la franchise. Dès lors, une série déployée autour de son personnage, jusqu’à porter son nom (une première dans ST), et sise quelques 29 ans après la fin de la septième saison de TNG et 20 ans après la fin de Nemesis ne pouvait qu’attirer le regard et être au centre de toutes les attentions.
Malgré tout, Picard partait avec le handicap d’être produite et showrunnée par Alex Kurtzman, déjà impliqué dans le développement du reboot officiel Kelvin et artisan du reboot officieux Discovery – qui, quoique bénéficiant d’un soutien médiatique quasi-unanime et presque contractuel, n’en fut pas moins en grande partie rejetée par la communauté des trekkers pour ses viols à répétition de la continuité et ses avalanches d’incohérences. Ledit handicap se voyait malgré tout compensé par la contribution très politisée de Patrick Stewart lui-même (executive producer et apporteur d’idées), mais aussi et surtout de Michael Chabon (co-showrunner), authentique auteur de SF littéraire et détenteur de nombreux prix pour son œuvre (Pulitzer de la fiction, Hugo, Nebula, Sidewise, Ignotus).
D’innombrables rumeurs ont circulé sur le pitch de Picard, de l’appropriation non créditée d’un projet refusé de Bryan Fuller (selon Robert Meyer Burnett) à la présence surprise de tout le main cast de TNG, en passant par la construction de la série qui serait celle d’un long métrage (un film post-Nemesis) quoique très long (de huit heures et divisé en dix chapitres).
Dans tous les cas, il serait question de Romuliens et d’Intelligence Artificielle, et l’objectif était d’assumer dans la Prime timeline (celle de ENT-TOS-TNG-DS9-VOY) les causalités à l’origine de la Kelvin timeline (la réalité parallèle engendrée par le voyage temporel accidentel du Romulien Nero et Spock dans le film ST 2009), en l’occurrence la supernova Hobus ayant détruit Romulus. En soi, une tentative louable de recoller les morceaux après les dégâts internalistes infligés par le reboot de 2009, mais en même temps, un jeu casse-gueule et à double-tranchant tant ce ressort était hautement bancal à la base (une supernova ne saurait en aucun cas avaler une galaxie entière, et cela reste un phénomène hautement prédictible, a fortiori avec les sciences trekkiennes du futur et au sein de la culture aussi actuaire que paranoïaque des Romuliens).
Finalement, une campagne publicitaire pro-active multipliant les bandes-annonces aura progressivement levé le voile sur l’histoire relatée, en réduisant les marges d’erreur des inévitables spéculations de fans. Et si plusieurs personnages centraux aussi bien de TNG que de VOY sont appelées à apparaître (Data ou B-4, Riker, Deanna Troi, Seven Of Nine, Hugh… et dans l’avenir Guinan), ils constituent surtout un vecteur d’appel fan service en ne dépassant guère les fonctions de caméo tout au long de la série (moyennant une invitation différente dans presque chaque épisode, telle une succession de cartouches – ou de sucettes – à l’attention des nostalgiques).
Pour qui sort de deux saisons de Discovery, la plongée dans Picard 01x01 Remembrance assène un choc, mais pour une fois, aucunement anaphylactique. Nulle frénésie de rythme, nul tape-à-l’œil de showroom, nulle posture jeuniste et cool, nul humour branchouille et putassier, nul soap ou mélo tire-larme… et pas non plus d’absurdité ou d’incohérence à chaque minute. Littéralement à ne pas en croire ses yeux (et ses oreilles) pour une production Kurtzman.
Ce pilote prend le temps de respirer, de planter un décor, de présenter une sociologie complexe, d’explorer les douleurs de la psyché, de nouer des liens invisibles à travers le temps et l’espace. Et fatalement, il parlera au cœur des trekkers en relatant l’histoire d’un vieil homme, qui fut jadis l’emblème vivant des Lumières et de la vitalité trekkiennes, et qui se retrouve désormais au crépuscule de sa vie, seul et marginalisé, hanté par des souvenirs et des traumas inexpiables, et visité par des rêves qui se dérobent sans cesse à leur signifiance.
Dès le teaser, c’est la sémiotique cérébrale et contemplative de TNG qui est convoquée, et plus particulièrement ces parties de poker structurantes qui avaient jalonné la série jusqu’à l’exceptionnel TNG 07x25x07x26 All Good Things…. Sur un air de Blue Skies (Bing Crosby), Picard et Data s’affrontent aux cartes en duel, seuls dans le Ten Forward déserté de l’USS Enterprise D (en dépit de CGI un peu cheaps, un Ten Forward visuellement fidèle à TNG au contraire de DIS par rapport aux designs de TOS), tandis que les larges baies spatiales dévoilent que le vaisseau est en orbite de Mars en pleine attaque de Rogue Synths (cf. Short Treks Children Of Mars). Devant les interrogations de Data, Picard répond un très symbolique et polysémique « Je ne veux pas que la partie se termine » (sortez vos mouchoirs), qui de toute évidence deviendra le moteur de ses actes durant le reste de la saison. Data abat alors une main impossible, constitué d’un "carré" (ou d’une "quinte") de cinq reines (queens), soit 5 Q, probablement en référence à sa rencontre déterminante avec Q dans l’épisode final de TNG… qui avait quant à lui dévoilé un futur (sis en 2395) fort différent de celui (sis en 2399) dans lequel nous transporte la série Picard. De là à imaginer que toute la série Picard ne serait qu’un simulacre de Q, la poursuite (par un autre moyen) du grand test que le Continuum impose à l’humanité (depuis TNG 01x01+01x02 Encounter At Farpoint), il n’y a qu’un pas… que nous ne franchirons toutefois pas (du moins pour le moment).
Jean-Luc se réveille alors, seul dans son lit. Avec pour cadre sa somptueuse propriété viticole, le Château Picard, bordée de champs de vignes s’étendant jusqu’à l’horizon, entre lesquels circulent des engins agricoles volants.
Ces deux éléments constitueront d’ailleurs les refrains alternatifs de l’épisode, mais déployés de façon duale, le Château Picard incarnant l’enracinement terrien, la fuite et le refuge (pour un héros désormais devenu presque paria dans sa société), tandis que les rêves de Data matérialisent à la fois le legs de TNG et l’appel vers l’ailleurs. L’ensemble de l’épisode sera même baigné dans un onirisme mystérieux empruntant directement à l’inoubliable TNG 06x16 Birthright, Part I de Brannon Braga, pour un jeu de piste symbolique entre rêve et réalité autour de la quête de paternité.
La scène suivante introduira un personnage appelé à jouer un rôle majeur, à savoir Dahj (jouée par Isa Briones), jeune humaine célébrant son admission au Daystrom Institute, en compagnie de son petit ami (un extraterrestre xahean au front sculpté et avec des yeux d’apparence mécanique comme ceux de Geordi La Forge). C’est alors que sans crier gare, des "ninjas" encagoulés et vêtus de noir se téléportent dans son appartement du Greater Boston, tentent de la kidnapper après avoir constaté (au moyen d’un analyseur) qu’elle n’était pas "activée" (ce qui suggère soit une programmation mentale soit une nature synthétique), et finalement assassinent son petit ami. Une tragédie qui déclenche une réaction reflexe chez Dahj, et avec des capacités physiques de superwoman, elle massacre en quelques secondes à main nue ses agresseurs, pour découvrir ensuite malgré elle les aptitudes ignorées qui gisent en son sein. C’est alors qu’un visage s’impose à son esprit, celui de Picard.
S’ensuit un générique visuellement très soigné, en perpétuel morphing et mutation, articulé autour de la symbolique d’un fragment (un morceau de peau de Picard ou une feuille de vigne) qui s’éloigne de son vignoble originel pour s’enfoncer dans l’espace à la rencontre de cubes borgs, puis pénétrer des réalités quantiques et fractales navigant entre les doubles helix, les réseaux neuronaux et les IA (avec une référence à l’œil rouge de HAL 9000)... avant de venir compléter le visage décomposé de Jean-Luc Picard, telle la pièce manquante d’un puzzle incomplet.
Malheureusement, la musique demeure assez plate, dépourvue de souffle et ne dévoilant aucun motif saillant... hormis çà et là quelques notes discrètes issues du générique de TNG et de la mélodie intérieure de TNG 05x25 The Inner Light (en finale).
Jean-Luc Picard vit seul dans son exploitation viticole, mais désormais flanqué d’un bull terrier, nommé affectueusement Number One (qu’en aurait pensé Will Riker ?). Mais outre de disposer de personnel s’occupant des vignes, il a pour domestiques Laris et Zhaban, un couple de réfugiés Romuliens... sortant directement du comics non canon Picard Countdown (qui a préparé le terrain à la sortie de la série).
Aux antipodes des incontinences de Discovery envers les Klingons, on appréciera ici le respect des phénotypes romuliens (avec en sus une cohabitation assumée des deux morphologies frontales).
Convoquant en filigrane le sens du devoir d’un The Remains Of The Days de James Ivory (1993), ces Romuliens se révèlent être également des conseillers, des confidents, et finalement la nouvelle famille d’adoption de Picard, dont la solidité des liens personnels s’est forgée dans la tragédie de la civilisation romulienne.
Picard relatera ce moment hautement "définissant" des vingt années séparant Nemesis de la nouvelle série durant un long interview accordé à une journaliste des médias télévisés : comment Picard avait réussi à convaincre Starfleet d’entreprendre une titanesque opération d’évacuation et de relocalisation du peuple romulien, mais celle-ci a été tuée dans l’œuf par l’attaque des chantiers astronautiques de Mars par les Synthétiques rebelles, ayant eu pour conséquence que la majorité des Romuliens n’ont pas été sauvées tandis que toute vie synthétique a été interdite par la Fédération, conduisant Picard à démissionner de ses fonctions d’amiral tant il ne reconnaisait plus Starfleet.
Désormais amiral en retraite, ne disposant plus de ses anciennes ressources, mais fidèle aux idéaux trekkiens qui ont progressivement déserté l’UFP, Picard accueillera spontanément Dahj lorsqu’elle se présentera à la porte de son domaine pour en appeler à son aide. En cavale, traquée par des tueurs dont elle ne sait rien tandis, elle s’est découvert des capacités suprahumaines, sans comprendre son lien avec Picard. Grâce à un nouveau "rêve avec Data" où ce dernier peint Dahj sur un chevalet entre les vignes de la propriété, Picard remarquera un tableau suspendu dans son bureau, et par un jeu d’associations (et de piste), il sera "guidé" jusqu’aux archives quantiques de Starfeet à San Francisco.
Cette quête personnelle culminera dans grand moment de nostalgie lorsque l’ancien capitaine de l’Enterprise D renouera avec des artefacts chargés d’histoire (personnelle), dont la maquette de l’USS Stargazer (son premier vaisseau), le fameux bandeau "Captain Picard Day" entrevu dans les bandes-annonces, et un terminal LCARS (emblématisant à lui tout seul les "années TNG"). Tel Scotty lorsqu’il simulait en holodeck la passerelle de son USS Enterprise NCC-1701 dans TNG 06x04 Relics.
Par l’observation de la toile de Data exhumée par téléportation des archives quantique et nommée sobrement "Daughter", Picard comprendra bien vite que Dahj est la "fille" de Data, dans le prolongement de Lal dans TNG 03x16 The Offspring en 2366. Quoique cachée et clandestine, ignorant elle-même être une androïde sentient, exactement comme le Dr Juliana Tainer dans TNG 07x10 Inheritance.
Ayant quitté sans prévenir le Château Picard de peur d’exposer le vie de son hôte, une prise de contact holographique (les smartphones de ce temps-là se déploient des surfaces tactile devant l’utilisateur sous forme de hologrammes 3D) de Dahj avec sa prétendue mère (un visage souriant et attentionné sur l’écran mais disposant de connaissances qu’elle n’était pas supposée avoir et contrôlant à distance Dahj à la façon d’une hypnose ou d’un virus informatique) suggérera que l’ensemble de sa vie n’était qu’un simulacre (dans le style "tout ce que vous croyez est faux depuis votre naissance").
Entrant dans les systèmes de surveillance planétaire avec une aisance déconcertante, Dahj localisera Picard à San Francisco, et le rejoindra sur le parvis des Archives de Starfleet. À peine Picard eut le temps de lui révéler sa vraie nature qu’ils seront attaqués par les mêmes "ninjas" noirs. Tandis que Picard se révélera très diminué (incapable de courir et de monter des escalier en raison d’une forte dyspnée), Dahj déploiera ses capacités de Wonder Woman en mettant au sol successivement cinq agresseurs, le sixième ayant toutefois raison d’elle en crachant une sorte de liquide corrosif qui consumera en quelques secondes ses tissus avant de la faire exploser (Picard étant projeté par le souffle et échappant de peu à la mort).
Le héros en titre se réveillera chez lui, entre les bons soins des domestiques romuliens qui lui révèleront que la police n’a retrouvé aucune trace de Dahj, y compris sur les enregistrements vidéo précédant l’explosion. Impliquant soit des technologies furtives inconnues, soit une corruption profonde de la police.
Sous le choc de la perte de Dahj qui le rapprochait de feu Data, Picard entame une enquête policière en se rendant à l’Institut Daystrom d’Okinawa (avec à proximité une station ou une "cité suspendue" digne de Stratos dans TOS 03x19 The Cloud Minders). La Dr Agnes Jurati (interprété par Alison Pill) lui fait découvrir la Division de recherches synthétiques de la Fédération où furent fabriqués les Synthétiques ayant détruit les chantiers astronautiques de Mars... avant que les vies artificielles ne soient purement et simplement proscrites, réduisant les recherches à leur volet exclusivement théorique.
Picard apprendra qu’en dehors de la technologie positronique de Data, l’UFP n’a jamais été capable de développer des vies artificielles sentients. Alors, à défaut de disposer de l’accès matériel à Data (qui lui fut pénalement refusé suite au procès de TNG 02x09 The Measure Of A Man), Bruce Maddox a développée par lui-même d’autres Synthétiques (moins élaborés et considérés comme non-sentients). Mais en parallèle, il a également réussi en 2369 à concevoir Dahj à partir d’un seul neurone postronique de Data, et à l’aspect physique modelé sur ses peintures. De surcroît, étant fabriquées par paire (bien commode), Dahj possède un clone, ou en quelque sorte une jumelle (gémellité symbolisée par les deux cercles superposés du collier que portait Dahj). Jurati présentera également à Picard les pièces détachées de B-4, et il apparaîtra alors que ce dernier n’a jamais réussi à absorber le contenu du réseau neuronal de Data, faute d’un niveau de complexité suffisant, brisant ainsi l’espoir suggéré par la fin de ST Nemesis (et contredisant au passage le comics ST Countdown).
Il en ressort donc que ce n’est finalement pas Data qui a créé Dahj, mais celui-là même qui avait menacé son intégrité de sentient dans TNG, Bruce Maddox. Celui-ci devenant ainsi le père de Dahj et de sa jumelle (Asha), tandis que Data restait en quelque sorte son géniteur à travers ses neurones postroniques – qui de façon fractale posséderaient chacun l’intégralité de l’essence (voire des souvenirs) de Data. Maddox a ainsi exaucé doublement le vœu de paternité de Data, après la tragédie du décès de Lal dans TNG 03x16 The Offspring. Mais Data l’a-t-il jamais su (c’était en 2269, soit dix ans avant sa disparition dans ST Nemesis) ?
Finalement, suite à une transition très artistique (une vue spatiale présentant la même morphologie que les deux cercles superposés du collier de Dahj), l’épisode se conclura par la plongée vertigineuse dans une technostructure romulienne, où apparaîtra un Romulien barbu, Narek, interprété par Harry Treadaway (et appelé à rejoindre le main cast), ainsi que la jumelle de Dahj, le docteur Asha.
Puis par une plongée inverse, la caméra s’éloigne de la scène… pour révéler que cette dernière prenait place à l’intérieur d’un gigantesque cube borg, totalement colonisé par les Romuliens, et accompagnée d’une BA menaçante.
Le state-of-the-art du cliffhanger.
La victoire de Janeway sur les Borgs à la fin de VOY aura visiblement permis aux Romuliens de s’emparer de leur technologie...
Picard 01x01 Remembrance déploie ainsi une narration à la fois lente et complexe, avec des dialogues très bien écrits (de toute évidence, une signature davantage Akiva Goldsman et James Duff qu’Alex Kurtzman), avec une galerie de personnages complexes et ambigus, de fils rouges aux contours incertains, d’enjeux politiques et sociaux, et de questionnement ontologiques et philosophiques, dont le personnage titre sera le nexus, puisqu’il est désormais devenu le dépositaire quasi-unique de ce fut jadis Starfleet et la Fédération (celle-ci n’étant désormais plus qu’une coquille vide, en attente de restauration comme un PC buggé). On signalera également quelques marques narratives courageuses, comme de n’avoir pas ressuscité Data à travers B-4, du moins pour le moment (au contraire par exemple de Spock dans ST III The Search For Spock).
Vocation évidente de la série Picard qui a fait naître par son seul épisode pilote l’envie vorace de découvrir la suite, en particulier la rédemption personnelle au soir de sa vie du héros le plus emblématique du Star Trek qui fut. Mais un Jean-Luc Picard métamorphosé, moins par le poids des ans que par l’exclusion d’une société qui ne lui ressemble plus. Du désabusement le plus désillusionné à la vulnérabilité la plus désarmante, toute la palette affective est convoquée pour toucher le trekker, et même l’attacher voire le ligoter.
Ce renouvellement de style est une autre façon de faire honneur à la profondeur de TNG. Il n’est désormais plus question de capitaine, de passerelle, ni de vaisseau, mais d’un cheminement personnel dans les arcanes d’une société à la dérive, avec peut-être, à terme, l’espérance d’une reconquista.
Un bel épisode de SF assurément, dans son style comme dans sa narration, et qui mérite en lui-même une note élevée...
Ceci étant posé, quid de la composante Star Trek dans tout ça ?
Pour répondre à cette question, il faut en revenir aux définitions. Bien entendu, chaque trekker est fondé à avoir des attentes différentes. Mais au sein de cette multitude, une perspective émerge et a fatalement préséance sur les autres : celle du créateur, Gene Roddenberry.
Son univers se caractérisait par deux postulats :
#1 une société utopique (la Fédération ou UFP), véritable dénominateur commun de toute production labélisée "Star Trek", elle en est aussi invariablement le personnage principal, la véritable héroïne ;
#2 l’exploration (de mondes étranges), c’est-à-dire l’exploration de l’univers, du temps, d’autres réalités...
En l’absence de ces deux caractéristique inhérentes, est-il encore possible de parler de Star Trek ?
Beaucoup répondront qu’il faut bien vivre avec son temps, que le monde a changé (les futurs radieux des sixties ont cédé aujourd’hui la place aux futurs pessimistes), que Star Trek doit se renouveler pour survivre et parler au public contemporain, et finalement que seuls les personnages comptent (car ils sont les véhicules affectifs auxquels les trekkers s’identifient).
Certes, mais de quelle survie parle-t-on alors ? La survie du seul label "Star Trek" toujours banquable, quand bien même son contenu ait été totalement remplacé ? La survie de personnages devenus les exceptions de leur société au lieu d’en être les représentants ?
Si la survie implique de renier ce qui différencie en essence Star Trek de toutes les SF concurrentes, il n’en résulte plus qu’un Star Trek in name only, c’est-à-dire une énième œuvre de SF relatant des aventures spatiales ou high tech dans un futur inquiétant.
La qualité peut d’ailleurs être au rendez-vous, mais au prix d’une usurpation d’identité.
Même s’il n’est pas possible de se prononcer dès à présent pour l’ensemble de la série, le second point (i.e. l’exploration) n’est néanmoins pas checké, et il ne semble clairement pas au cœur des objectifs narratifs de Picard, ce qui n’est guère étonnant puisque ce ressort pourtant cardinal a été abandonné depuis 2009. Ironiquement, en dépit de l’immobilité de sa station spatiale (c’est la galaxie qui venait à elle et non l’inverse), DS9 proposait davantage d’exploration qu’il n’y en a jamais eu depuis dix ans dans les ST abramsiens/kurtzmaniens.
Quant au premier point, Picard 01x01 Remembrance le viole et même le défonce d’entrée de jeu ! De l’utopie, il ne reste plus rien. La Fédération de Picard réussissant même l’exploit d’être plus dystopique encore sur le fond que celle de Discovery !
Mais pour bien mesurer cette réalité, il faut prendre la peine de faire un focus sur les quelques échanges de haute volée dont l’épisode gratifie le spectateur.
En commençant par analyser l’interview que donne Picard à la journaliste de FNN dans le cadre de l’émission News Of The Galaxy...
Cela débute par une présentation hagiographique : « Lorsqu’il était capitaine du vaisseau amiral de Starfleet, l’USS Enterprise, il fut acclamé comme l’un des explorateurs les plus intrépides de la galaxie, un habille diplomate, stratège militaire, humanitaire, et auteur de nombreuses analyses historiques acclamées par tous. Il se joint à nous pour cet anniversaire de la supernova romulienne pour discuter de son rôle dans ces événements tragiques. »
J’ai l’honneur rare (ou indicible) de vous présenter l’amiral Jean-Luc Picard
À la retraite
Vous n’avez jamais accepté d’accorder une interview auparavant, alors merci d’avoir invité la galaxie dans votre bureau.
Moins encombré que je ne le pensais.
Aujourd’hui, c’est un jour solennel.
C’est un jour de mémoire. Alerter l’opinion sur l’impact des séquelles de la supernova est un travail qui me passionne énormément.
Explorons la question.
Quand vous avez appris que le soleil romulien allait exploser et les terribles conséquences que cela entraînerait, quels ont été vos sentiments ?
Aucun mot ne peut décrire l’ampleur catastrophique de ce changement. Ce qui est l’une des raisons…
Vous ne pouvez décrire vos sentiments, mais votre première réaction a été d’appeler à la relocalisation massive des Romuliens.
Les Romuliens ont demandé notre aide. Et je crois que nous avions la profonde obligation de la leur donner.
Pour beaucoup, nos ressources auraient pu être mieux utilisées qu’en aidant les plus vieux ennemis de la Fédération.
Eh bien heureusement, la Fédération a soutenu l’effort d’assistance.
Oui. Au début.
J’ai la réputation d’être persuasif. Mais la Fédération a compris qu’il y avait des millions de vies en jeu.
Des vies romuliennes.
Non, des vies.
Vous avez laissé l’USS Enterprise pour commander l’armada de secours. Dix milles transbordeurs capables de vitesse de distorsion. Une mission pour relocaliser 900 millions de citoyens romuliens vers des mondes au-delà du rayon d’explosion de la supernova. Une prouesse logistique plus ambitieuse que les pyramides.
Les pyramides étaient un symbole d’une vanité colossale. Si vous voulez chercher une analogique historique… Dunkerque.
Dunkerque.
Oui.
Et alors l’inimaginable est arrivé. Pouvez-vous nous en parler ? [Grand moment de silence et de gêne]
Amiral ?
Je croyais qu’on était là pour parler de la supernova.
Un groupe de voyous synthétiques baissent les boucliers de défense planétaire et piratent le réseau de défense de Mars…
Oui.
… éliminant l’armada de secours et détruisant entièrement la chantier naval d’Utopia Planitia. Les explosions ont mis le feu aux vapeurs inflammables de stratosphère. Mars est encore en feu à ce jour. 92 143 vies furent perdues ce qui entraina l’interdiction des synthétiques.
Oui [Picard visiblement très affecté.]
On ne sait toujours pas pourquoi les synthétiques se sont rebellés et ont fait ce qu’ils ont fait ce jour-là. Mais je crois que la décision résultante d’interdire les formes de vie synthétiques était une erreur.
Le lieutenant-commandeur Data, chef des opérations sur l’Enterprise, était synthétique. Avez-vous perdu la foi en lui ? – Jamais.
En quoi d’autre avez-vous cessé de croire, amiral ? Vous n’avez jamais parlé de votre départ de Starfleet. N’avez-vous pas en réalité démissionné en signe de protestation ? Dites-le-nous, amiral. Pourquoi avez-vous réellement quitté Starfleet ?
Car ce n’était plus Starfleet [dit Picard à voix basse]
Pardon ?
Car ce n’était plus Starfleet [en proclamant à haute voix]. Nous nous sommes retirés. La galaxie était en deuil, elle enterrait ses morts. Et Starfleet a renoncé à ses devoir. [Picard hausse encore le ton] La décision d’annuler les secours et d’abandonner ces gens qu’on avait juré de sauver n’était pas juste déshonorante. Elle était purement criminelle ! Et je n’étais pas disposé à rester en attente comme un spectateur. Et vous, ma chère, vous ne savez pas ce qu’est Dunkerque, n’est-ce pas ? Vous ne savez rien de l’Histoire. Vous ne savez rien de la guerre. Vous agitez juste la main, et tout s’efface. Mais ce n’est pas si facile pour ceux qui sont morts. Et ce n’était pas si facile pour ceux qu’ils ont laissés derrière eux. On a fini.
Picard quitte alors brutalement l’interview.
Voilà donc un pur "instant média" millésimé 2020 (et non 2399), possédant toutes les caractéristiques sémiologiques des chaines de TV contemporaines. La journaliste de FNN témoigne d’ailleurs de la même suffisance et du même irrespect de la parole donné que sur Fox News (il était au préalable convenu avec Zhaban faisant office d’agent de Picard que celui-ci ne serait pas interrogé sur Starfleet).
Mais c’est bien l’interview lui-même, au demeurant remarquablement bien écrit par les scénaristes, qui est effarant parce tout qu’il dévoile, aussi bien dans le champ des dits que des non-dits.
On apprend ici que la Fédération ne trouvait pas naturel d’elle-même, c’est-à-dire sans le lobbying de Picard ("J’ai la réputation d’être persuasif"), de déployer un maximum d’efforts pour secourir la population Romulienne !
Est-ce du seul fait des antagonismes politiques passés avec les dirigeants romuliens… ou est-ce carrément par racisme pur et simple ?
Rien que la première option (politique) serait déjà déshonnorante au regard des valeurs trekkiennes (tenir une population civile responsable des actes de ses dirigeants), à fortiori au regard des passifs internalistes ayant participé du rapprochement perpétuel entre UFP et Romuliens : le prêche de Spock dans TNG 05x08 Unification II et par la suite, l’opération de Sisko dans DS9 06x19 In The Pale Moonlight (ayant fait des Romuliens des alliés de la Fédération au même titre que les Klingons), et finalement les actions de Picard dans ST Nemesis (ayant rapproché encore davantage les Romuliens de l’UFP).
Sauf que c’est la seconde option (le racisme), bien plus infamante, qui se voit confirmée par la réaction profondément indigne (pour ne pas dire obscène) de l’intervieweuse de l’un des plus importants médias de 2399, exprimée qui plus est publiquement et avec le plus grand naturel, formant donc un litmus et un diagnostic édifiant de l’état sociologique de l’UFP de la fin du 24ème siècle. En effet, lorsque l’amiral Picard à la retraite déclare : « J’ai la réputation d’être persuasif. Mais la Fédération a compris qu’il y avait des millions de vies en jeu. », elle le reprend aussitôt : « Des vies romuliennes » !!!
Cela implique donc que les vies sentients n’auraient pas la même valeur ontologique, selon l’origine, la race ou l’espèce !?! Les Romuliens, voire tous les extraterrestres non citoyens de l’UFP, sont-ils devenus des Untermenschen ? Ce qui postulerait donc, en se référant aux travaux de Guillaume Bernard, un système de droit attribué (comme durant l’antiquité ou durant le Troisième Reich) et non plus de droit attribut (comme de nos jours et a fortiori dans la véritable utopie trekkienne) !
Aucun homme politique (même populiste et même d’extrême-droite) et aucun journaliste/chronique (de médias nationaux) n’oserait tenir dans les sociétés d’aujourd’hui (pourtant loin d’être utopiques) des propos aussi discriminatoires et racistes que l’intervieweuse de FNN !
L’UFP de la série Picard ne se contente donc pas d’avoir sociologiquement involué jusqu’au monde contemporain, elle a régressé (par certains aspects) jusqu’aux sombres années pré-WW2 !
Et en in universe, ce bilan est d’autant plus consternant que dans ST VI The Undiscovered Country, plus d’un siècle avant, en 2293, en dépit de la présence d’une poignée de faucons favorables à la guerre (mais alors légitimement considérés par société comme des traitres), l’UFP avait fait le choix du rameau d’olivier tendu aux Klingons durant une phase difficile de leur Histoire. Or l’UFP du 23ème siècle de TOS était pourtant bien moins utopique que celle du 24ème de TNG, supposée incarner une apothéose socio-évolutionniste.
Ensuite, il apparaît qu’un acte de guerre (oui 92 143 morts) émanant d’un groupe de Synthétiques a eu pour effet que, sans même réussir à mener une enquête sur la cause de cette rébellion (ce qui témoigne déjà d’une impéritie des autorités en amont), la Fédération a arbitrairement décidé d’interdire purement et simplement les vies synthétiques. Somme toute, un amalgame, mais pas n’importe lequel : un amalgame systémique entre coupables et innocents, jusqu’à questionner le droit collectif à l’existence ! En d’autres termes, ne plus fabriquer de synthétiques certes, mais aussi désactiver ceux qui existent déjà. Ce qui, au regard des droits fondamentaux acquis dans l’UFP du ST historique (par exemple dans des épisodes comme TNG 02x09 The Measure Of A Man, TNG 06x09 The Quality Of Life, et VOY 07x20 Author, Author) ou même non encore acquis (VOY 07x20 Author, Author également), relève d’un ordre de génocide ! ("Heureusement" que Data était déjà mort, pourrait-on presque penser.)
C’est à croire que la lumineuse UFP de Star Trek suit les traces des douze colonies de Kobol dans la très sombre Battlestar Galactica 2003 (de Ronald D Moore), et que tout le bénéfice philosophique et ontologique de TNG a été inexplicablement oublié ou renié.
Puisque la série Picard se spécialise dans le commentaire du contemporain et que Children Of Mars avait délibérément parallélisé le 9/11, alors filons donc un peu cette transposition... Après le 11 septembre 2001, les USA ont certes recouru à des pratiques fort contestables (perte de certaines protections/libertés individuelles avec le Patriot Act, renditions avec Guantanamo, représailles militaires souvent injustifiées, mensonge de l’administration W sur les armes de destructions massives en Irak…).
Mais imaginons maintenant que la réaction des USA ait consisté à organiser l’extermination de toutes les populations musulmanes du Moyen-Orient (à coup de bombes atomiques par exemple) et que l’Islam ait été légalement interdit ? Impensable n’est-ce pas, même dans les cauchemars les plus populistes des très peu utopiques sociétés contemporaines ? Eh bien c’est pourtant ce que la dystopie anti-trekkienne de la série Picard a fait - dans l’indifférence quasi-générale - aux formes de vies synthétiques en dépit des droits attributs que celles-ci avaient auparavant acquises.
Donc, une nouvelle fois, la contre-utopie de Picard s’avère bien plus sombre que la non-utopie contemporaine.
Faut-il rappeler qu’en 2153, l’attaque xindie avait bien davantage endeuillé la Terre (sept millions d’humains exterminés) que l’attaque des Rogue Synths en 2387 sur Mars (92 143 morts). Mais hormis quelques réactions isolationnistes (le mouvement Terra Prime par ex.), il n’y eut aucune mesure envers les Xindis comparable à celle qui a été prise ici à l’encontre les Synths. Et pourtant, l’UFP n’existait pas encore, c’était huit ans avant sa fondation (en 2161).
Le couplet indigné sur Dunkerque (par lequel s’achève brutalement l’interview) est en soi un grand moment du rock’n’roll. Jean-Luc Picard se drape ici augustement de ses habits de vieux combattant meurtri et gardien de la mémoire, tels les historiens-grognards Karl-Heinz Frieser, Jacques Laurent, ou Roger Holeindre, exhumant ces blessures indicibles de l’Histoire que la bonne conscience, la cuistrerie médiatique, et l’amnésie organisée s’emploient à étouffer ou abstractiser. La Bataille de Dunkerque (et notamment les hésitations du général von Rundstedt et même d’Adolf Hitler à écraser les troupes franco-anglaises) et l’Opération Dynamo (avec la décision de commandement du Field Marshal John Gort d’évacuer le BEF dans le dos des Français, semant les germes d’une déloyauté et d’un abandon britanniques qui conduiront à l’armistice de 22 juin 1940 et au Régime de Vichy) constituent assurément un passionnant sujet de stratégie militaire (quoique exposé à d’innombrables théories du complot selon les intentions et les préméditations imputées aux différentes parties), doublé d’une tragédie humanitaire, morale, et politique édifiante.
Pour autant, cette tentative forcée d’analogie avec l’abandon de la population romulienne à l’anéantissement par une supernova relève du pur sophisme, tant en terme de nature (la Fédération n’aurait pas exposé la vie de ses propres ressortissants dans l’effort d’évacuation de Romulus) que de degré (les morts de la catastrophe de Dunkerque entre le 20 mai et 3 juin 1940 se sont comptées en dizaines de milliers de militaires... et non en milliards de civils).
En outre, comment se fait-il que l’opération pharaonique programmée par l’amiral Picard ait été compromise et même abandonnée du seul fait de la destruction des chantiers astronautiques d’Utopia Planitia sur Mars ? Les auteurs ont-ils perdu de vue que la Fédération est une gigantesque société qui s’étend sur les quadrants alpha et bêta de la Voie Lactée, et qui du temps de First Contact (en 2373) comportait environ 150 civilisations extraterrestres différentes (donc probablement bien davantage 14 ans après en 2387 durant la tragédie de la supernova Hobus). Dans ces conditions, comment se fait-il que toutes les réserves de ressources de l’UFP et de Starfleet se limitent à Mars ? Ce n’est pas parce que les séries ST ont porté leur attention en priorité sur des équipages majoritairement humains (à la fois pour des questions de sociabilité naturelle et des questions de budget) que les ressources de l’UFP se limitent à la seule Terre ou au seul système solaire. Sauf à vouloir suggérer en creux (et avec le plus grand naturel s’il vous plait) que la Fédération ne serait que la vitrine hypocrite d’un impérialisme terrien...
Mais c’est hélas le message corollaire à cette subordination du sauvetage romulien aux seules ressources de Mars. Entre le syndrome du micro-univers typiquement abramsien/kurtzmanien et le basculement dans le crypto-miroir d’un Terran Empire (beaucoup moins caricatural mais nettement plus hypocrite).
Par ailleurs, ce que l’interview révèle de la tragédie de la supernova rentre directement en contradiction avec les événements relatés dans ST 2009 par Nero (certes peu fiable) et par Spock (fiable quant à lui).
Dans ST 2009, il était question d’un supernova spéciale (Hobus) qui devait avaler la galaxie entière, et non comme ici du soleil de Romulus devenu supernova (et dont il serait possible d’échapper au rayon d’action simplement en s’éloignant). En somme, la série Picard tenter de redorer (un peu tard) le blason kurtzmanien en corrigeant les absurdités semées par Kelvin à coup d’occultation (une forme d’omerta) et de Tipp-Ex (une triche éhontée).
De même, cette interview se garde bien de faire mention du rôle des Vulcains en général et de Spock en particulier dans la tentative de sauvetage de Romulus ? Probablement parce que la red matter (créant des trous noirs supermassifs à partir d’une simple goutte) était une peu trop "magique" pour le vernis de crédibilité que tente de se racheter désormais à peu de frais la série Picard.
Pourquoi Nero se présente-t-il lui-même comme le dernier des Romuliens, alors que même l’UFP n’a pas eu la possibilité de sauver 900 millions de Romuliens comme le voulait Picard, beaucoup ont visiblement survécu à l’échelle d’un empire s’étendant sur des centaines voire milliers d’années-lumière (et constituent même les forces obscures agissantes de la série) ?
Sans même revenir ici sur tout l’illogisme de Nero voulant se venger des deux seules civilisations à avoir tenté de sauver les Romuliens (les Vulcains et les Terriens), c’est en amont le ressort causal lui-même qui est profondément inepte. En effet, quand bien même les Romuliens auraient un peu changé en huit ans (entre 2279 et 2287) suite au coup d’état de Shinzon dans ST Nemesis, il ne faut pas perdre de vue que ce dernier avait été soutenu par la frange la plus belliqueuse et la plus impérialiste de la flotte. Il reste donc tout à fait inexplicable que la civilisation la plus calculatrice et la plus paranoïaque de l’univers connue de Star Trek n’ait pas anticipé des siècles (au minimum des décennies) à l’avance la transformation naturelle (supernova) qui attendait le soleil de leur planète mère (Romulus). Et dans la mesure où il s’agit également de l’une des civilisations les plus puissantes, à la tête d’un empire galactique, comment expliquer qu’ils n’aient pas eux-mêmes disposé des moyens pour évacuer leur planète mère, ou du moins une bonne partie de celle-ci ?
Finalement, en entérinant puis en essayant de faire entrer au forceps dans les sciences réelles (une supernova menaçant son propre système et non la galaxie entière) l’intrigue à la base de ST 2009, loin de fournir un quelconque cicatrisant ou ciment internaliste, Picard ne fait que davantage aggraver (si cela est possible) l’incohérence et l’invraisemblance initiale.
Et n’invoquons même pas le comics ST Countdown (traduit en français) qui raconte une toute autre histoire, alors qu’il avait été présenté en 2009 par Kurtzman et Orci comme "presque canon"...
Tout de même, il y a quelque chose d’ubuesque à devoir aujourd’hui s’appuyer sur le contenu d’un reboot connu pour ses invraisemblances en cascades et son appartenance à une autre timeline... afin de questionner la crédibilité d’une série supposée se dérouler dans la timeline historique après TNG. Mais c’est probablement ça la "magie kurtzmanienne" : l’absence de limites à l’horizon multidimensionnel des incohérences.
Par extension, c’est un fort désagréable retour de manivelle que nous impose aujourd’hui la série Picard. En 2009, la chronologie alternative Kelvin avait été créée pour s’affranchir des contraintes de continuité et ainsi pouvoir rebooter en paix Star Trek sans directement affecter le Prime Universe historique. Mais in fine, ce "contrat" n’aura pas été respecté, puisque onze ans après, c’est ce même univers parallèle (Kelvin) qui vient – mine de rien – étendre son emprise et imprimer sa marque sur la ligne temporelle de TNG, jusqu’à impacter en profondeur le destin du Star Trek historique (et de ses personnages). Les trekkers se seraient-ils fait avoir ? Est-ce un abus de confiance ? Car avec du recul, les "garanties" originelles de Bad Robot se révèlent n’avoir été que des promesses électorales.
Accessoirement, difficile de croire qu’avec les technologies dont dispose l’UFP, la stratosphère de Mars - quand bien même terraformée - soit toujours en combustion vingt ans après l’attaque...
Cette interview anthologique constitue le socle diégétique sur lequel se déploie la série Picard.
Mais tragiquement, on ne retrouve presque rien ici de Jean-Luc Picard, ni sa voix, ni ses intonations, ni sa prosodie, ni ce stoïcisme crypto-vulcain qui l’avait fait entrer dans la légende.
Parce que derrière l’alibi facile du grand âge et des traumatismes, ce n’est finalement pas Jean-Luc Picard – celui de TNG – qui s’exprime ici.
Non, c’est l’acteur et surtout le militant Patrick Stewart, tellement obnubilé par ses combats politiques contre le Brexit et contre Donald Trump qu’il ne mesure pas l’étendue des dégâts structurels qu’il inflige à l’univers imaginaire l’ayant rendu célèbre.
Un pilote ne suffit généralement pas à juger de la valeur d’une série (notamment sur le terrain narratif). Mais dans certaines circonstance, il permet d’évaluer l’essence et les structures de l’univers dans lequel l’ensemble de la série prendra place. A fortiori lorsque ledit pilote inclut une séquence sans appel qui récapitule vingt ans d’Histoire, et l’état de la société par les choix accomplis.
Serait-il possible d’imaginer plus grand gâchis que celui-là ? Plus de trois siècles (2063-2399) de progrès sociaux systémiques, une authentique utopie sans cesse consolidée par la survie aux plus implacables lois naturelles (Borgs, Dominion...)... pour finalement connaître les mêmes effondrements éthiques, ornières triviales et écueils médiocres que les sociétés contemporaines. S’être autant élevé, avoir tant accompli, avoir tellement promis... pour se dégonfler telle une vulgaire baudruche, n’être en réalité arrivé nulle part et avoir fait un complet surplace. Voilà la "belle leçon" démystificatrice délivrée par Picard : l’UFP n’a jamais vraiment été une utopie, quand bien même imparfaite ! Ou comment ruiner l’espérance roddenberrienne et le rêve trekkien pour une poignée de conformisme transpositionnel (pas même réaliste au regard des écarts évolutionnistes).
Bien évidemment, depuis l’origine, Star Trek transposait périodiquement l’actualité et les sujets de société de ses époques successives de production. Par sa dimension métaphorique et parfois moralisante, TOS fut même la championne sur ce terrain (par exemple avec des épisodes comme TOS 02x16 A Private Little War ou TOS 02x25 The Omega Glory). Néanmoins, par rapport au pli pris en 2009, la différence essentielle tenait à ce que lesdites transpositions s’exprimaient alors quasi-exclusivement à travers des sociétés périphériques ("planète de la semaine", adversaires récurrents, concurrents géopolitiques...) mais presque jamais à travers l’héroïne elle-même de Star Trek, à savoir la Fédération des Planètes unies (UFP). Dès lors, cette dernière pouvait être développée selon la logique et la cohérence de son propre univers de SF, sans être perpétuellement et anachroniquement indexée sur les évolutions de nos sociétés des 20ème et 21ème siècles. Ainsi, jusqu’en 2005, Star Trek représentait le meilleur des deux mondes : la possibilité externaliste de transposer pour "édifier" les spectateurs du moment (vocation de pédagogie ou de whistleblowing)… tout en construisant un internalisme (in-universe) cohérent envers lui-même (c’est-à-dire non assujetti aux modes, aux obsessions, et aux tragédies du contemporain).
Portons maintenant notre attention sur un autre dialogue, non moins instructif, entre Jean-Luc Picard et la Dr Agnes Jurati au Daystrom Institute à Okinawa :
Amiral Picard, C’est un honneur.
Docteur Jurati, merci de m’accorder ce moment.
Agnes, comme puis-je vous aider ?
En me disant si on peut créer un androïde sentient de chair et de sang.
[Jurati se met à rire à gorge déployée] Non vraiment, comme puis-je… C’est pour ça que vous êtes venu ici ?
Oui.
Même avant l’interdiction, c’était… Un androïde en chair et en os, ça faisait partie de nos projets. Mais un androïde sentient, pas avant mille ans.
C’est donc encore plus étrange que j’aie pris le thé avec l’un d’eux [Jurati est stupéfaite]
C’était phénoménal. Des synthétiques sensibles semblant humains à l’intérieur et à l’extérieur. On dirait qu’il y a une éternité de ça. ... Bienvenue au reste de la Division de Recherches synthétiques de la Fédération.
C’est une ville fantôme.
Sous plusieurs aspects. Les androïdes qui ont détruit Mars venaient de ce labo. À présent, on a juste le droit d’agir en théorie… étudier, publier, faire des simulations.
Mais vous ne pouvez rien créer en réalité.
Exact. C’est tout ce qui a toujours compté pour nous, pour moi. Personne ne fait plus de synthétiques, d’aucune sorte. Ce serait une violation du traité galactique.
N’est-il pas possible de créer un synthétique à l’air totalement humain ?
La réponse courte est non.
Donnez-moi la longue.
Ce sera encore non.
Faites-moi plaisir, je vous en prie. [Jurati exhibe alors les morceaux de B-4] C’est B-4, n’est-ce pas ? Il ressemble tellement à Data.
C’est une copie inférieure. Data a essayé de télécharger le contenu de son réseau neural dans B-4 juste avant sa mort. Presque tout a été perdu. Finalement, B-4 n’était pas du tout comme Data. En fait, aucun autre synthétique n’a été comme lui.
Non.
Et voilà où le bât blesse. Personne n’a été capable de réutiliser la science qui a servi à créer Data. Puis Bruce est arrivé. Maddox. Il m’a recruté à Starfleet. Malgré la mort de Data, on était très près du but. Puis, on nous a fait fermer et ça l’a dévasté.
Où est-il maintenant ?
Il a disparu après l’interdiction. J’ai essayé de le retrouver, mais…
Vous avez dit : "Malgré la mort de Data", ce qui signifie que tout nouveau synthétique a été créé à partir de Data.
Les perfectionnés, oui. Si vous aviez le réseau neural de Data, faire un corps hôte en chair et en os serait relativement simple.
Mais ses neurones sont morts avec lui.
Maintenant, vous revenez à ce "non" que je vous ai promis.
[Picard sort de sa poche l’anneau que Dahj lui avait montré avec deux cercles superposés] Ça signifie quelques chose pour vous ?
[Jurati perplexe limite tétanisée] Où avez-vous trouvé ça ?
C’était à ma jeune amie avec qui je buvais du thé, celle dont vous disiez qu’elle ne pouvait pas exister.
[Jurati contrariée] J’aurais… vraiment aimé que vous soyez venu ici durant mon jour de congé. C’est un symbole de clonage neuronique fractal.
Pardon ?
C’est une belle idée radicale de Maddox. Sa théorie était que le code total de Data, même ses souvenirs, pouvait être reconstitué à partir d’un seul neurone positronique. S’il y a un synthétique qui est parfait, comme vous l’avez dit…
Alors, Data, ou une partie de lui, une essence de lui…
L’essence, oui.
… seraient vivants.
Il n’y a pas moyen de le savoir sans examiner…
Dahj. La fille. La fille de Data. Il avait toujours voulu une fille. Je crois que Maddox l’a créée d’après une vieille peinture de Data.
Une femme. Oui. Je suppose qu’on peut les faire ainsi.
Pardon. Les ?
Elles sont créées par paires.
Des jumelles ?
Des jumelles.
[Picard soulagé] Alors il y en a une autre.
Un dialogue riche en lui-même, mais présentant de nombreuses inconséquences par rapport au background trekkien ainsi qu’au contexte posé par la série.
Tout d’abord, faut-il que l’amnésie des personnages (et la méconnaissance des auteurs) soit grande pour limiter la possibilité de sentience synthétique au seul Data... au motif d’une prétendue impénétrabilité à la rétro-ingénierie de la technologie positronique de Noonian Soong !
Rien que dans la famille des androïdes Soong, il y avait Lore (certes détruit), Lal (dans TNG 03x16 The Offspring avec probablement des archives sur les expériences menées par Data), et bien entendu la Dr Juliana Tainer (synthétique et que pourtant rien ne différentiait d’une humaine) dans l’épisode TNG 07x10 Inheritance - un épisode qui avait d’ailleurs révélé l’existence de plusieurs autres androïdes conçus par Noonian Soong à divers stades prototypaux (probablement plus avancés pour certains que B-4 pour certains).
Ensuite, les équipages des diverses séries ST ont créé ou rencontré de nombreuses autres formes de vies artificielles qui avaient reçu légalement le statut de sentients ou pouvaient au minimum y prétendre. Par exemple les Exocomps créés par la Dr Farallon dans TNG 06x09 The Quality Of Life. Mais également les androïdes créés par les Old Ones sur Exo III (dans TOS 01x09 What Are Little Girls Made Of ?, ceux de la Planet Mudd dans TOS 02x12 I, Mudd, ceux créés par Flint dans TOS 03x21 Requiem For Methuselah, les replicants de Parada dans DS9 02x14 Whispers...
Et puis, il y a le considérable volet des hologrammes ayant accédé à la sentience (appelés parfois "vie photonique"), du James Moriarty créé par Data (TNG 06x12 Ship In A Bottle), de l’EMH de VOY, du Vic Fontaine de DS9, des différentes communautés de photoniques créés par l’USS Voyager (le village irlandais de Fair Haven dans VOY 06x17 Spirit Folk, toute la communauté de VOY 07x09+07x10 Flesh And Blood...), puis la reconnaissance légale (quand bien même partielle) de leur sentience dans VOY 07x20 Author, Author sur le modèle de TNG 02x09 The Measure Of A Man.
Donc ignorer autant d’exemples d’authentique sentience (et la liste ci-dessus n’est même pas exhaustive) – certains remontant même parfois au 23ème siècle (donc plus d’un siècle avant Picard) – pour que l’experte sur la question, Dr Jurati, affirme qu’il n’existe aucun autre sentient synthétique en dehors de Data et qu’il faudra encore 1 000 ans pour réussir à en fabriquer un... cela relève d’un irrespect profond de l’internalisme trekkien, doublé d’une forme de bigoterie à la seule gloire de Data (réduisant ainsi les problématiques IA de la franchise à un cliché).
De plus, le "traité galactique" ayant interdit tous les synthétiques ne semble pas s’appliquer aux IA holographiques, à l’exemple de celle (nommée "Index") qui a guidé Picard dans le centre des archives quantiques de Starfleet. Sa finesse psychologique aurait pu en faire, elle aussi, une candidate à la sentience, a fortiori si elle s’inscrit dans la tradition matricielle des EMH, désormais vieille de presque 30 ans. Or s’il y a bien une chose que les dernières saisons de VOY avaient réussi à montrer, tant sur un plan ontologique que légal, c’est que la sentience n’est pas déterminée par le caractère matériel ou photonique (un véhicule), mais par le seule élaboration de l’IA. Et sur ce terrain, l’EMH de l’USS Voyager n’avait rien à envier à Data.
S’il faut vraiment entériner en in universe un tel niveau d’inconséquence, cela renforce le caractère totalement arbitraire de l’organisation des discriminations par l’UFP dystopique.
Il est également permis - du moins à ce stade de développement de la série - de contester le déni de sentience des Rogue Synths. Parce qu’un jugement ontologique ne saurait être indexé sur des considérations morales (ce que l’UFP historique évitait justement de faire). Ainsi, ce n’est parce que ces Synths ont commis un meurtre de masse sur Mars qu’ils en sont moins sentients (à l’image des crimes dans l’Histoire de l’humanité). Au contraire, s’il n’y a pas de téléguidage ou de manipulation en amont, cette attaque d’Utopia Planitia pourrait justement apporter la preuve de leur sentience, l’attestation d’un libre arbitre, c’est-à-dire la capacité des Synths à dépasser par eux-mêmes leur programmation initiale (par-delà le bien ou le mal qui demeurent des notions relatives). Ce volet philosophique, pourtant essentiel, a été complètement zappé. Mais eût-il encore fallu chercher à déterminer les motivations des Rogue Synths...
Enfin, last but not least, il y a de quoi lourdement questionner la cohérence scientifique de la "théorie de Maddox" selon laquelle le code total et les souvenirs de Data pourraient être reconstitués à partir d’un seul neurone positronique (une "théorie" finalement validée en in universe puisqu’elle a présidé à la genèse de Dahj et Asha). Cette tentative d’analogie avec la génétique, et augmentée d’une poésie fractale ("le tout est dans la partie et la partie est dans le tout") n’est absolument pas compatible avec un ensemble de données uniques quantifiables, qui pourtant caractérisaient la technologie positronique dans TNG. D’un côté, on prétend que Data est tellement complexe et tellement unique qu’il n’est pas possible de le reproduire ; et de l’autre, on prétend le dupliquer par crypto-mitose à la façon d’un vulgaire virus.
Au fait, pourquoi les androïdes doivent-ils être créés par paires ? Juste pour satisfaire le fil rouge de la série ?
Cela frise le nawak scientifique dont DIS s’était fait une spécialité...
Cerise sur le gâteau, la teneur des échanges (« You can tell me if it is possible to make a sentient android out of flesh and blood » puis « It was the grand slam - sentient synthetics that appear human inside and out ») entretient une confusion grossière entre la cybernétique et la biotechnologie. Créer "un être sentient de chair et de sang" revient simplement à engendrer (par procréation/méiose ou par clonage/mitose) un humain (ou un humanoïde) biologique, ce qui contredit – dans la définition même – la nature synthétique d’un androïde. Et même en supposant que la frontière évolutionniste entre entités organiques et entités synthétiques se soit progressivement estompée (à la façon des douze modèles Cylons de BSG 2003 quoique aux antipodes de ce que le 24ème siècle trekkien avait toujours entériné dans TNG/DS9/VOY hors du transhumanisme borg), alors cela serait en aval totalement incompatible avec la prétendue filiation directe (par pseudo-"mitose positronique") entre Data – androïde 100% synthétique – et Dahj... dont il serait suggéré ici (par « A flesh-and-blood android was in our sights, but a sentient one ? Not for a thousand years » puis « That makes it even more curious that recently I had tea with one ») qu’elle serait en réalité à la fois artificielle et biologique !
Oui, décidément, ST Picard partage bien le portnawak scientifique de ST Discovery, en ne pigeant strictement rien aux ambitieuses notions qu’elle mécomprend, embrouille, déforme, trahit, et contredit à l’échelle d’un même épisode, voire d’une même réplique.
Dans la même veine (ou pas) :
Comment se fait-il que Dahj, qui "procède" directement de Data, dispose de super-capacités innées de combat que son géniteur n’avait pas ?
Quand Dahj repère à distance l’approche du commando romulien, pourquoi son reflexe est-il aussitôt de s’éloigner du lieu public très fréquenté (le parvis même des archives de Starfleet !) où elle discute avec Picard... pour entraîner ce dernier (pourtant âgé et physiquement diminué) vers un lieu apparemment désert ? À croire que l’androïde tenait vraiment à faciliter au maximum sa propre agression, exécution, puis explosion !
Lorsque les "ninjas" romuliens ont attaqué – en se matérialisant les uns après les autres – pour tenter de kidnapper voire tuer Dahj, pourquoi ne l’ont-ils pas directement téléportée (à un endroit précis ou en dispersion) ? Fallait-il vraiment que cet épisode pilote paie son "audace" contemplative par plusieurs scènes de combats chorégraphiés bidons, digne de Lara Croft... ou de la parodique Section 31 de Discovery ?
Si Picard a démissionné de Starfleet (outre d’être désormais indésirable), comment se fait-il qu’il puisse avoir aussi facilement accès aux archives quantiques de Starfleet ?
Aussi fascinant(e) que soit le rallie-papier ou la chasse au trésor onirique que poursuit Jean-Luc Picard entre rêves et tableaux, difficile de ne pas songer à Milo Giacomo Rambaldi, ce fil rouge ultra-capillotracté de la piètre série Alias. Mais en terme de crédibilité envers un univers de SF obéissant aux lois naturelles (et non de fantasy obéissant à la magie ou au surnaturel), d’où viennent les informations (pourtant préalablement inconnues de lui) qui s’imposent à l’esprit de Picard par la "voie des rêves" ? Est-ce l’éveil d’un super-pouvoir mental comme chez le professeur Charles Xavier (des X-Men) ? Ou bien est-ce le spectre de Data (voire un ange gardien) qui le guide ainsi au fil de l’épisode ?
Jean-Luc Picard prononce une ligne de dialogue en langue française (dans la VO) lorsqu’il s’adresse à son compagnon canin Number One : « Je sens que tu penses ramener ça à la maison mais c’est hors de question. Fais pas semblant de ne pas parler français, on sait pratiquer. » L’initiative est assurément sympathique (dans le registre de l’in joke), mais néanmoins malheureuse. Car si le personnage est supposé français et francophone, il n’en est pas de même pour l’acteur britannique. Celui-ci répète donc son texte phonétiquement, et le résultat est à peine intelligible. Car n’est pas Sara Giraudeau qui veut (elle fut capable de répéter phonétiquement à la perfection de nombreux dialogues en farsi alors qu’elle ne connaissait pas un mot de cette langue persane). À l’ère des productions internationales étatsuniennes "hors les murs", il est dommage que Patrick Stewart n’ait pas été doublé (sur la piste VO) par un véritable francophone.
Picard commande au synthétiseur de son château un "Tea, Earl Grey". Sauf qu’au lieu d’ajouter "hot" conformément au gimmick rituel de TNG, il l’a remplacé par "decaf" (traduit en français par "sans théine"). Une initiative de Patrick Stewart lui-même en guise de lettre d’amour à ses fans. Souhaitons qu’au pays de Demolition Man, le vin de Chateau Picard ne soit pas non plus sans alcool.
Conclusion
En définitive, si Picard 01x01 Remembrance offre une expérience dépaysante pour tout connaisseur du ST historique, elle se construit surtout sur une perte complète de repères. L’UFP n’est désormais plus un acquis, ni un point de mire, ni un point de référence, ni une pierre de touche. L’épisode axe sa perspective sur le seul héros Picard, dorénavant solitaire dans un monde hostile et interlope, pourtant le sien et celui des trekkers.
Ce n’est pas un hasard si pour la première fois dans l’histoire de la franchise, cette série porte la nom d’un personnage (à l’instar des superhéros de DC et de Marvel), car Picard assume en fin de compte davantage la dynamique centripète qui avait été initiée en 2009 dans Kelvin (un univers de poche gravitant autour des personnage iconiques recastés de TOS, puis renforcée en 2017 dans Discovery (le culte de Mary-Sue Michael Burnham glorifiée par son univers sur mesure). Ce n’est pas non plus innocent si à la fin du beau générique d’ouverture, l’emblème de Starfleet vole en éclats. Tout un symbole.
L’expérience proposée n’est donc plus collective et sociale, mais elle est strictement individuelle voire individualiste. Et elle conduit le spectateur dans un monde qui possède les atours flamboyants de TNG, oui, mais la déchéance au cœur de Blade Runner (une dystopie totale comme démontré plus haut), une conscientisation typiquement contemporaine (place des médias, mode de vie, discriminations et préjugés ordinaires, ruelles sombres mal famées, Romuliens qui ont perdu tout exotisme alien pour s’apparenter désormais à d’insipides Californiens ou à de braves immigrés latinos...), et un flirt malsain avec la loi de Godwin.
Cela ne surprendra toutefois personne étant donné l’invariance des showrunners/producteurs depuis 2009, les bandes-annonces de Picard (toutes transparentes sur ces questions), et les dernières déclarations de Patrick Stewart (qui ne dissimulent rien des objectifs transpositionnels et idéologiques de la prochaine série).
Pour des raisons intradiégétiques qui deviennent de plus en plus éloquentes), le héros mythique de TNG va rejoindre le camp des rebelles contre une UFP foncièrement contre-utopique, par certains côtés davantage encore que ne le sont nos sociétés contemporaines. Soit un schéma ultra-ressucé (et essoré jusqu’à la moelle) dans l’imaginaire (notamment en fantasy) mais auquel le Star Trek historique avait systématiquement et délibérément échappé jusqu’en 2005, dans la mesure où l’idéal trekkien relevait d’une réussite collective et sociétale, non individuelle et contre-sociétale. D’où e.g. le refus obstiné de Benjamin Sisko à relier la "cause" infondée du Maquis de DS9...
Alors bien entendu, l’UFP originelle n’a jamais été à l’abri de quelques dérives. Pour se limiter au seul 24ème siècle : Bruce Maddox dans TNG 02x09 The Measure Of A Man, l’amiral Anthony Haftel dans TNG 03x16 The Offspring, l’amirale Norah Satie dans TNG 04x21 The Drumhead, l’amiral Leyton dans DS9 04x12 Paradise Lost, Benjamin Sisko dans DS9 05x13 For The Uniform voire dans DS9 06x19 In the Pale Moonlight, l’amiral Matthew Dougherty dans ST Insurrection, l’agent Luther Sloan dans DS9, l’éditeur dans VOY 07x20 Author, Author…
Mais ces accidents de parcours demeuraient toujours le fait de quelques rogues, de quelques faucons, de quelques radicaux, mais jamais de la société elle-même dans son ensemble tant celle-ci participe de la définition trekkienne. Et dans la plupart des cas, il s’agissait d’anticorps rapidement endigués par le système lui-même ; et loin d’invalider les fondements utopiques de l’UFP, ils la renforçaient dans sa capacité à s’autopréserver, même en période de guerre (lorsque le pronostic vital était engagé). Ces problématiques ouvraient toujours de passionnants débats éthiques, conduisant à des départs essentiels entre cynisme et réalisme, entre naïveté et idéalisme, entre perfection et utopie... mais sans jamais y sacrifier cette dernière. Et surtout, en aucune circonstance, cela ne conduisait à une régression conceptuelle du topos et de la raison d’être trekkienne à l’aune d’une vulgaire homothétie futuriste des USA, ce qui aurait constitué le pire des reniements possibles de l’univers sans pareil créé par Gene Roddenberry puis crédibilisé par Rick Berman.
Malheureusement, il semblerait que les Star Trek abramsien puis kurtzmanien ne puissent pas se penser autrement que comme des extensions triviales du contemporain, où le suivisme le plus bienpensant se décline toujours par des dystopies structurelles dont la seule fonction est des glorifier les héroïsmes personnels.
Il ne faut plus se faire d’illusion : Picard démarre si bas, si loin dans la dystopie, que sa seule finalité est de permettre au personnage en titre de restaurer à lui tout seul la Fédération qui a si mal tourné.
Somme toute comme Michael Burnham dans DIS.
Et comme Kirk dans Kelvin.
Mais quoi de plus naturel, puisque la sinistrose contemporaine envers l’avenir a rendu les utopies invendables de nos jours (hormis pour quelques happy end hollywoodiens assorties de formules pieuses en fin de série/film). Seules les dystopies ont désormais la cote, d’autant plus qu’elles sont vraiment les seuls à s’accorder au format sérialisé/feuilletonnant. Tandis que les idéalités collectives sont systématiquement sacrifiées sur l’autel des exploits individuels.
Picard 01x01 Remembrance est assurément un bien bel épisode de SF, dans son fond (de beaux dialogues signés Akiva Goldsman et James Duff) comme dans sa forme (introspective et contemplative), prenant le contrepied de Discovery et de ses WTF non-stop. Il témoigne en sus d’un apparent scrupule de continuité (quoique très loin d’être parfait et analyses-proof, nous sommes tout de même loin des épisodes de l’ère bermanienne). Il offre en bonus le plaisir non coupable du renouement avec l’un des personnages les plus fondamentaux de l’imaginaire trekkien.
Mais de la capitalisation sur la sympathie qu’il inspire naturellement aux spectateurs... à une authentique prise en otage émotionnelle (à la faveur de son âge avancé, de sa fragilité, de sa philanthropie, et des injustices endurées), il n’y a qu’un Rubicon... franchi sans hésitation par l’épisode.
Et malheureusement, Picard 01x01 Remembrance partage tout de même avec Discovery et Kelvin un irrespect (ou une méconnaissance) de l’univers trekkien dans ses strates les plus profondes, une inculture crasse (doublée de cuistrerie) dans le domaine scientifique, et surtout un conformisme idéologique qui consiste (une fois de plus) à fouler aux pieds l’utopie trekkienne pour donner la possibilité au(x) héros en titre de la reconstruire à nouveau. Comme si chaque nouvelle déclinaison, le ST kurtzmanien prétendait réinventer la roue. Mais une roue carrée.
À tel point que derrière toutes les ressemblances contextuelles avec TNG se profile un univers qui serait presque candidat au miroir et qui laisse un indicible malaise au trekker, à la frontière de l’uncanny valley (la vallée dérangeante). Par la forme, le ton, le rythme et les dialogues, ça ressemble bien davantage à Star Trek que Kelvin et Discovery, mais sur le contexte, sur le terrain structurel et en terme de worldbuilding, c’est finalement encore moins du Star Trek !
En somme, pire car meilleur ?
YR
ÉPISODE
Episode : 1.01
Titre : Remembrance
Date de première diffusion : 23 janvier 2020 (CBS All Access) - 24 janvier 2020 (Prime Video)
Réalisateur : Hanelle M. Culpepper
Scénariste : Akiva Goldsman et James Duff
BANDE ANNONCE