Star Trek Sans Limites : La critique détaillée

Date : 03 / 09 / 2016 à 14h30
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Unification


L’expérience de 2009 pouvait tenir à un slogan, aussi provocateur que pervers, typiquement "south-parkien" : « le reboot va vous violer, mais vous allez adorer ça » !
Adorer peut-être (?) pendant, mais probablement pas après (cf. South Park 12x08 Le problème chinois (The China Problem). Non du fait d’un improbable résidu de complexe judéo-chrétien envers la jouissance (post-coitum animal triste), mais du fait d’une authentique profanation qui se mesure avant tout par ses conséquences. Un viol aussi bien des valeurs et de l’esprit de Star Trek, que de son univers et donc d’une continuité scrupuleusement respectée, enrichie, et consolidée durant quarante ans (1964-2005).
Le second opus de JJ Abrams en remit une couche. Sous couvert de transposition politique aussi simpliste qu’impropre de la prétendue relation entre les familles Bush et ben Laden (ce qui plut évidemment à tout ce que la presse ciné française compte de bobos), Star Trek Into Darkness a surtout réussi à tourner en ridicule l’amour des trekkers pour le cultissime Star Trek II La colère de Khan (The Wrath Of Khan), tout en dévoilant à cette occasion que l’équipe de Bad Robot était en fait incapable de tirer profit du seul atout narratif d’un univers parallèle, à savoir la liberté de s’affranchir bel et bien d’une continuité préexistante - tenue pour être un frein à la créativité aux yeux des scénaristes flemmards ou incompétents.
Les dix dernières années du jubilé (1966-2016) que Star Trek sans limites prétend célébrer en grande pompe aujourd’hui se sont donc écrites dans un tout autre univers, lequel semble ne même pas partager les lois physiques et logiques de l’univers premier, tout en demeurant couardement blotti dans son ombre...
Le pire des deux mondes en somme.

Puis JJ Abrams fut appelé en 2014 à servir sous la bannière de l’univers imaginaire prétendument concurrent (Star Trek ayant été en fait "starwarisé" par ses soins en 2009 et 2013 pour lui servir de tremplin professionnel afin d’être embauché sur Star Wars), et les scénaristes (Robert Orci et Alex Kurtzman) furent poliment écartés (officiellement pour divergences créatives après l’ébauche d’un premier script mais en réalité parce que Star Trek Into Darkness ne fut jugé par la Paramount comme suffisamment rentable au regard de son colossal budget de production). C’est donc en quelque sorte une nouvelle équipe qui fut chargée du développement de Star Trek sans limites, mais cependant toujours sous la houlette de Bad Robot (JJ Abrams restant le producteur exécutif). À la réalisation, le cinéaste taiwanais Justin Lin célèbre pour la saga branchouille Fast & Furious, et au scénario Doug Jung & Simon Pegg. Ce dernier, outre d’avoir interprété un Scotty très très lourdement recasté dans le reboot, est aussi et surtout un scénariste britannique assez réputé quoique spécialisé dans un registre parodique et décalé (Shaun Of The Dead, Hot Fuzz, et Le dernier pub avant la fin du monde formant la Blood And Ice Cream Trilogy / The Three Flavours Cornetto Trilogy).
Dès lors, en dépit d’une production toujours chapeautée par JJ Abrams et sa société Bad Robot, les trekkers pouvaient raisonnablement espérer que ce troisième opus élèverait le niveau du reboot, pour – qui sait – se rapprocher quelque peu de ce que Star Trek était avant son assassinat physique de 2005 et son assassinat cérébral de 2009.
Alors qu’en est-il finalement ? Star Trek sans limites est-il enfin un "vrai Star Trek" comme l’écrivait l’ami Frank Mikanowski dans sa critique ? Ou constitue-t-il pour la troisième fois une usurpation décomplexée de label ?
Eh bien, probablement un peu des deux !

La première question qui fâche : une promesse essentielle non tenue !

Dans les interviews promotionnelles précédant la sortie de Star Trek sans limites, Simon Pegg annonçait que l’antagoniste du film ne serait pas juste un "méchant-voulant-se-venger" comme ses deux prédécesseurs, mais qu’il aurait de vraies bonnes raisons de détester la Fédération. Mieux, le réalisateur Justin Lin insistait fièrement sur sa volonté de questionner la raison d’être de la Fédération des Planètes Unies, et même de la "déconstruire" (sic) à l’occasion du cinquantième anniversaire de la franchise. Telle était selon lui la fonction narrative première de l’antagoniste, Krall, dont l’hostilité envers la Fédération, si elle ne devait pas forcément être partagée par les spectateurs, devait au moins les interpeller, les faire réfléchir.
Voilà qui était ambitieux… sachant que l’utopique Fédération constitue en réalité le personnage principal de l’univers Star Trek, la matérialisation même de l’idéalisme et de l’humanisme de cette science-fiction plus optimiste que les autres, la structure prométhéenne qui fut au centre de chacune des cinq séries historiques (y compris en creux puis en construction dans la prequelle Enterprise). Impossible alors de ne pas songer à Star Trek Deep Space Nine qui, dans les années 90, avait remarquablement questionné les paradigmes même de l’utopie trekkienne et révélé son relativisme, notamment par la voix de Michael Eddington qui dans l’épisode DS9 04x22 For The Cause avait su déranger les spectateurs en montrant que la Fédération pouvait, d’une certaine perspective, être considérée comme "pire que les Borgs". Et il ne s’agissait pas là d’une provocation gratuite, mais bien d’une réflexion très structurée, renvoyant à la fonction socio-pédagogique de l’utopie, qui dans toute l’histoire humaine de la pensée, aussi bien chez les fabulistes, les politologues, que les économistes et les philosophes, a toujours tenu lieu d’épouvantail ou de contrepoint discursif, au mieux d’illusion ou d’asymptote.
Bien entendu, il n’était pas raisonnable d’espérer qu’un film estival de deux heures puisse rivaliser en réflexion avec une série très écrite de 176 épisodes. Néanmoins, les prétentions de Justin Lin et de Simon Pegg en plaçaient clairement la barre sémantique plus haut que dans les deux "massacres filmés" précédents.
Quelle n’est donc pas la déception insigne de découvrir que l’antagoniste Krall n’est qu’un énième "méchant-prétexte" monodimensionnel, aux motivations au moins aussi stériles et ineptes que celles de ses "illustres" (dans le sens de "infamous" et non de "famous" prédécesseurs Nero et Khan 2.0 (nous y reviendrons), et dont la soif de vengeance – oui une nouvelle fois et plus que jamais en fait – constitue le seul horizon de la critique sociale et épistémologique proposée.
Pire. Au moins les motivations rétributives du Khan rebooté (interprété par Benedict Cumberbatch dans Star Trek Into Darkness) présentaient-elles un "commencement de fondement", car elles trouvaient leur origine dans l’authentique iniquité d’une "Fédération de faucons" ayant imperceptiblement glissé vers la dystopie (suite à la destruction de l’USS Kelvin et au génocide de Vulcain).
En revanche, tout comme Nero dans Star Trek 2009, Krall, anciennement capitaine de vaisseau de Starfleet, n’était qu’une victime des circonstances (mais en aucun cas de la Fédération). Le premier fut témoin de la destruction de sa planète, Romulus, du fait d’une supernova ; le second fut transporté par un trou de ver sur Altamid, une planète lointaine et isolée. Mais curieusement, tous deux chercheront à faire précisément payer ceux qui n’ont strictement aucune responsabilité dans leur infortune. Nero : les Vulcains puis la Fédération plus d’un siècle avant qu’ils ne mettent au point la seule technologie capable d’avaler une supernova (et à l’aide de laquelle Spock tenta réellement de sauver Romulus). Krall : la Fédération (encore !) alors qu’au titre d’officier vétéran de Starfleet, il ne pouvait en ignorer la vocation humaniste (et son corollaire de politique d’assistance et de sauvetage), pas plus qu’il ne pouvait ignorer que ses signaux de détresse avaient une probabilité infime d’être captés hors du Necro Cloud.
Bien entendu, l’alibi-joker rituel en pareil cas sera la folie maniaque du bad guy de service, qui résultera toujours soit de la douleur, soit de la solitude, soit de quelque artefact extraterrestre de convenance (ici la prédation de la force de vie et du génome d’innombrables proies humanoïdes faisant oublier à Krall son identité humaine et sa langue natale anglaise, mais bien entendu pas sa soif de vengeance – pratique pour les besoins du film).
Toujours est-il qu’à force d’avoir été surexploité ad nauseam depuis des décennies par Hollywood, le ressort combiné de la vengeance et de la folie témoigne d’une complète démission créative, plus encore lorsque le scénariste et le réalisateur ont le culot de vendre le film au moyen d’un argument de renouvellement narratif et même carrément d’ambition dialectique (la prétendue remise en question étayée de l’un des fondamentaux structurels trekkien).
Bullshit !
En outre, politiquement, la combinaison "folie + vengeance" est une belle dérobade, pour ne pas dire une lâcheté, car c’est une solution commode pour éviter de se retrouver face à un "méchant intelligent". C’est bien plus consensuel de se contenter à chaque fois d’un adversaire bien "propret", qui ne véhicule aucune forme de subversion intellectuelle, qui ne pourra jamais séduire, ni suborner, ni faire douter qui que ce soit, car exempt de toute ambition assumée de puissance et dépourvu de toute idéologie constructiviste. Exit ainsi tout débat politique, tout questionnement social, tout dilemme moral. Que nous sommes loin ici de l’amoralité implacable cardassienne, du Vae victis à la mode klingonne, de l’évolutionnisme transhumaniste des Borgs, ou de la hiérarchie génétique froidement déployée par le Dominion...
Mais bon sang, avec les diagnostics qu’ils font et l’outrecuidance qu’ils affichent, comment se fait-il que Simon Pegg et Justin Lin tombent eux-mêmes à pieds joints dans cette même ornière - la pire du paysage audiovisuel actuel ?! Ne voient-ils pas que lorsqu’on en arrive à devoir expliquer les agissements d’un antagoniste par la seule folie, on coupe définitivement l’unique fil d’Ariane qui aurait pu le relier à l’empathie et/ou à l’intellect des spectateurs ?! Et dès lors, un film agonistique (les blockbusters hollywoodiens n’étant hélas pas capables d’être autre chose qu’agonistiques) perd tout l’intérêt de son ressort principal. Parce qu’il ne subsiste plus la moindre confrontation de paradigmes (façon Dialogue sur les deux grands systèmes du monde de Galileo Galilei). À la place évidemment : encore et toujours ce foutu manichéisme hollywoodien ! Or il n’y a pas plus stérile et anti-trekkien que le manichéisme...

Un festival de clins d’œil à en donner le vertige (ou le bourdon)

Star Trek 2009 et Star Trek Into Darkness avait déjà donné le ton du collage un brin pop art, mais dans son expression la plus médiocre, à savoir un vulgaire bottin mondain de clichés.
Simon Pegg et les auteurs de Star Trek sans limites étendent cette fois le spectre anthologique à l’ensemble des quarante années du vrai Star Trek (1964-2005), témoignant donc d’un bagage trekkien plus affirmé que celui d’Orci & Kurtzman - dont la vague culture en la matière se limitait à Star Trek II La colère de Khan et à quelques gimmicks rances de la doxa.
Dans Star Trek sans limites l’avalanche de références est polymorphe et multimodale, navigant entre les Easter eggs dédiés aux exégètes et les entérinements matriciels nourrissant l’imaginaire collectif, entre le picture/name dropping et le mashup/remix. Certes, lorsque ça n’apporte strictement rien en intradiégétique (cas malheureusement ici), c’est en général plutôt le signe d’une carence créative... ou d’une démagogie fan-service de degré 0 (ou 1). Mais faute d’avoir pu (ou voulu) inviter en personne à la teuf quelques représentants des cinq séries historiques (comme nombre de trekkies en auraient rêvé), il y aurait peut-être mauvaise grâce à reprocher au film-cinquantenaire d’avoir à défaut convoqué à sa "jubilé party" des échos du "Star Trek qui fut". (À noter que ledit jubilé n’est que celui de diffusion et non de création/production, La série originale ayant débarqué sur le petit écran à partir de 1966, tandis qu’elle fut produite dès 1964 et son pilote The Cage projeté en salle dès 1965.)
Maison-témoin meublée de récup’, plutôt que construction pérenne et viable, ce "film du cinquantenaire" peut entièrement se raconter en feuilletant simplement son herbier d’emprunts. Mais c’est pratique quelque part. Du coup, allons-y :

- Le prologue de Star Trek sans limites s’ouvre sur une négociation de traitée menée par Kirk avec la délégation Teenaxi pour le compte de la république Fibonan. Amphithéâtre déployée tout en verticalité, vue en contreplongée… bref un faux air de tribunal klingon dans Star Trek VI Terre Inconnue (The Undiscovered Country) et dans ENT 02x19 Le procès (Judgment).

- Les minuscules Teenaxi prenant d’assaut Kirk représentent un mâtinage entre Tribbles et "Craignos Monsters" (comme les appelait Jean-Pierre Putters) dans la La série originale, à l’instar des parasites neuraux se collaient aux humanoïdes dans TOS 01x29 La lumière qui tue (Operation — Annihilate). Il est également possible d’y voir un clin d’œil aux créatures qui s’accrochaient à Jason Nesmith (Tim Allen) sur la planète de béryllium dans Galaxy Quest (1999) de Dean Parisot.

- Dès la première entrée du captain’s log, au début du film, Kirk annonce que la mission spatiale quinquennale en est à son 966ème jour. Or 9/66 désigne aussi le mois de septembre de l’année 1966 durant lequel a débuté la diffusion de TOS (précisément le 8 septembre 1966 par l’épisode Ils étaient des millions (The Man Trap) qui s’avérera être en réalité le sixième de La série originale en chronologie interne). Ainsi, Star Trek sans limites ouvre d’emblée le bal de la commémoration cinquantenaire.

- La prémisse du film est posée : Kirk déprime car il a cessé de croire dans la mission (spatiale) et, partant, dans sa vocation (de capitaine). Pour ne rien arranger, c’est aussi l’anniversaire de ses 30 ans, or le jour de sa naissance se superpose avec le jour de la mort de son père (cf. le teaser de Star Trek 2009). Alors pour lui remonter le moral, Bones lui apporte du brandy saurien, puis tente de le remotiver en lui redonnant le goût de la capitainerie au moyen de l’un de ses petits speechs dont il a le secret.
Toute cette séquence est un miroir paramétrique d’une célèbre scène de Star Trek II La colère de Khan : on rajeunit de 22 ans les deux protagonistes anniversaire pour anniversaire (et exit la presbytie-pas-glamour-du-tout d’un papy Shatner pourtant autrement crédible en vétéran), on remplace la bière romulienne (initiale) par du brandy saurien (davantage emblématique car mise en scène pour la première fois dans TOS 01x01 Ils étaient des millions, le premier épisode apparu à l’écran dont on célèbre justement la date de diffusion), et on remplace la dépression de Kirk pour cause de vieillissement (et crise de la cinquantaine) par une dépression pour cause de… euh… de quoi au juste ? Disons... de monotonie ou de mal de l’espace. Et comme ça on est tendance à donf, on fait dans le bore-out...

- Surgissant de l’infini cosmique comme la station cardassienne Terok Nor rebaptisée Deep Space Nine dans le générique de la série éponyme, voici Yorktown… La station-ville spatiale que Bones qualifie ironiquement de "monstruosité" et de "boule de neige spatiale" tire son nom de celui que Gene Roddenberry comptait initialement donner au vaisseau spatial que devait mettre en vedette la série Star Trek. Mais durant la phase de production du pilote The Cage en 1964, USS Yorktown a finalement été remplacé par un plus emblématique USS Enterprise… La démesure de Yorktown pourrait éventuellement être lue (?) comme une lettre d’amour symphonique au créateur du Trekverse.

- Kirk communique ses projets de réaffectation au sol à la commodore Paris, commandant la station-ville Yorktown (et interprétée par l’actrice iranienne Shohreh Aghdashloo). Celle-ci est possiblement une aïeule de l’amiral Owen Paris, père de Tom Paris dans VOY.
En fait, plus la peine de conjecturer : le scénariste Simon Pegg a récemment déclaré (information non-Canon donc) que la commodore Paris est tout simplement la grand-mère de Tom Paris ! Logique : par la volonté constante de ses scénaristes successifs, le Star Trek rebooté est décidemment un micro-univers où il n’y en a que pour ses V.I.P., qui ont quasiment tous des liens de familles entre eux (comme les monarchies européennes d’il y a quelques siècles).

- À son arrivée sur Yorktown, Sulu retrouve sa famille et notamment sa fille, encore très jeune. Entérinement rétrospectif de la rencontre avec l’enseigne Demora Sulu au début de Star Trek Générations qui avait plongé James T. Kirk dans une mélancolie poignante.

- Débarquement de Kalara (Jessica Wolff) sur Yorktown. Fausse identité, fausse espèce, faux appel de détresse, fausse allégation "attrape boy-scouts", double et même triple discours à tiroirs, mensonges gigognes, prédation, piège machiavélique… La fausse Kalara et sa tactique duplice, c’est ni plus ni moins la version abrégée (et édulcorée) de la fausse Seska dans VOY, réunissant les mêmes "qualités" qui mèneront l’équipage de l’USS Voyager dans un semblable piège. Comme dans Star Trek sans limites, l’équipage se retrouvera encalminé sur une planète peu hospitalière, si ce n’est que dans VOY 02x26+03x01 L’essentiel/L’assaut (Basics), l’USS Voyager ne s’y crashera pas (contrairement à l’USS Enterprise sur Altamid), mais sera volé par Seska et les Kazons.

- Branle-bas de combat. Dans les tréfonds du Necro Cloud, et à portée visuelle de la planète Altamid, ce n’est pas un flotte - même fournie - de vaisseaux spatiaux mais un essaim insectimorphe et coordonné de drones cyber-organiques qui fond sur l’USS Enterprise. Le vaisseau de Starfleet est laminé sous le nombre. Aucune surprise dans cette issue, les bandes-annonces avaient déjà tout montré. Et pour le trekker, c’est d’autant moins une surprise que cette configuration avait déjà été mise en scène dans l’épisode VOY 03x04 L’essaim (The Swarm). Certes, l’USS Voyager survivait à semblable assaut, mais c’était plus d’un siècle après (et l’intention avouée de l’adversaire n’était pas la même).

- Lorsque Kirk ordonne l’évacuation de l’USS Enterprise en perdition dans des "Kelvin pods", outre la référence explicite au vaisseau (cf. le prologue de Star Trek 2009) dont la destruction est la pierre angulaire de cette nouvelle timeline (au point de porter désormais officiellement son nom dans la communauté Trek), c’est également une allusion au mode d’évacuation de l’USS Enterprise E dans Star Trek Premier Contact (First Contact).

- La scène de rentrée atmosphérique puis de crash de la soucoupe de l’USS Enterprise dans une région montagneuse d’Altamid est un rip-off accéléré de la rentrée atmosphérique et du crash de la soucoupe de l’Enterprise D dans une région montagneuse de Veridian III. Mais lorsque la séparation entre la machinerie et la soucoupe (déjà reprise dans le pastiche-hommage Galaxy Quest en 1999) est parfaitement contrôlée dans Star Trek Générations (permettant à l’équipage de s’y réfugier), ladite "séparation" est provoquée de force par l’antagoniste Krall dans Star Trek sans limites (obligeant l’équipage à s’éjecter).

- Ce n’est pas un hasard numérique si la destruction du vaisseau USS Enterprise (premier du nom dans la Fédération) intervient justement dans le troisième film du reboot, car c’est aussi dans le troisième film - Star Trek III À la recherche de Spock (The Search For Spock) - de la décalogie historique que l’USS Enterprise disparaissait dans une contrail de feu. La différence de taille malgré tout, c’est que le Kirk premier fut contraint de saborder lui-même son vaisseau la mort dans l’âme après vingt ans de relation fusionnelle quasi-maritale (et après avoir assisté impuissant à l’assassinat de son fils David) ; tandis que le jeune Kirk a essentiellement été brutalement dépossédé de son espace de jeu (cinq ans de grand huit) comme en témoigne le reflet de sa mine renfrognée quand la soucoupe s’écrase.

- Krall - assisté de son âme damnée Manas - conduit ses proies humanoïdes dans le vaste complexe souterrain (abandonné par les Grands anciens d’Altamid) pour les vider de leur énergie vitale. Un "camp de la mort" qui n’est pas sans évoquer ceux des Borgs dans le diptyque VOY 05x15+05x16 Aux frontières des ténèbres (Dark Frontier)… Toutefois, la soif avide de "jeunesse éternelle" convie plutôt les Son’as Ru’afo et Gallatin (avec la complicité de l’amiral de Starfleet Matthew Dougherty) du film Star Trek Insurrection. Seulement comme avec le capitaine Ronald Tracey dans TOS 02x23 Nous le peuple (The Omega Glory), la fontaine de jouvence n’induisant pas uneforme d’une prédation strictement autocentrée.

- Ça y est, comme dans chaque film du reboot, il apparait que Nero/Khan/Krall a l’intention de se venger de la Fédération, ce refrain hypnotique nous rassure. À cet effet, le méchant-parce-que a réussi à assembler l’archéo-super-arme de destruction massive des Grands Anciens d’Altamid en arrachant son second morceau aux coffres d’archives de l’USS Enterprise, ou plus précisément à la "poche" occipitale de l’enseigne extraterrestre Syl (condamnée ensuite à en devenir la première victime sacrificielle). Oh c’est curieux : l’Abronath ressemble comme deux gouttes d’eau - une vraie réimpression 3D - à la mythique Pierre de Gol, archéo-arme d’amplification télépathique vulcaine que tentait de réassembler (également) l’isolationniste T’Paal dans TNG 07x04+07x05 La Pierre de Gol (Gambit)

- L’Abronath consume la matière organique vivante aussi efficacement et aussi rapidement que les radiations Thalaron dans Star Trek Némésis. Si ce n’est l’Abromath est noir et ne laisse rien de visible derrière après avoir tout gloutonné tandis que le Thalaron est vert et laisse des statues de pierres comme la Gorgone Méduse.

- Pour aspirer la vie de leurs victimes humanoïdes au moyen du super-équipement des Grands anciens (Ancient Ones) d’Altamid, Krall et ses deux complices recourent au procédé bien gore de les pendre par les pieds tels des jambons… c’est-à-dire exactement comme dans le second épisode ENT 01x03 Mission d’exploration (Fight Or Flight) de la série prequelle où des aliens prédateurs réifiaient d’une semblable façon leur proies Axanars pour les vider de leur sang au moyen de pompes industrielles.

- Star Trek sans limites révèle que les Grands Anciens crypto-lovecraftiens d’Altamid étaient semble-t-il de souche insectoïde. Une forme déjà rencontrée – explicitement et à l’écran – dans la série prequelle avec la composante insectoide des groupements multi-espèces Xindis… et auquel le film fera référence verbatim par le dossier militaire de Krall lorsqu’il était encore Balthazar M. Edison.

- À la surface d’Altamid, l’équipage est éparpillé, du moins ses V.I.P. (les anonymes étant quant à eux regroupés et conduits à l’abattoir). Ainsi, les couples (voire trinômes) se forment : Kirk et Chekov (vs. Kalara), Spock et McCoy, Uhura et Sulu (vs. Krall), Scotty et Jaylah. L’occasion d’échanger, de résoudre ses dissensions, de mieux se comprendre et se connaître, de nouer ou renforcer ses liens… Là, c’est tout la tradition low budget de la franchise télévisuelle qui est convoquée, soit des dizaines d’épisodes où – par économie d’échelle – un nombre restreint de protagonistes des casts principaux étaient réunis dans des huis clos (ou des huis à cieux ouverts) lors de crashs planétaires en navettes, d’emprisonnements, ou de perditions spatiales. Pour n’en citer que quelques-uns en mémoire : ENT 01x16 Compagnons d’armes (Shuttlepod One), ENT 02x13 Crépuscule (Dawn), TOS 01x16 Galilée ne répond plus (The Galileo Seven), TNG 03x07 L’ennemi (The Enemy), TNG 04x09 La dernière mission (Final Mission), DS9 05x09 L’ascension (The Ascent), DS9 06x11 La danse de la folie (Waltz), VOY 02x07 Séparation (Parturition), VOY 05x13 Gravité (Gravity)

- Et justement, la relation un peu conflictuelle d’amour-haine que révèle le binôme Bones/Spock (où ce dernier voit son équanimité et même sa logique compromises non seulement par les blessures physiques dont il souffre mais également par son désir de participer au repeuplement de New Vulcan au prix si nécessaire de sa relation avec Uhura) évoque l’épisode TOS 03x23 Le passé (All Our Yesterdays) où les deux mêmes personnages se retrouvaient "coincés" dans le passé glaciaire de la planète Sarpeidon tandis que Spock "régressait" vers un état pré-Surak de la vulcanité au point de vouloir s’établir avec la belle indigène Zarabeth.

- Après avoir découvert que la "maison" (sic) dans laquelle s’est réfugiée la survivante combattive Jaylah est en fait l’épave de l’USS Franklin, Scotty révèle alors que Starfleet a imputé sa disparition mystérieuse à une "main géante verte" ("giant green hand") ! Une image marquante, hypnotique même, qui sort directement de la rencontre explosive de l’humanité trekkienne prométhéenne avec une divinité mythologique (ayant immobilisé l’USS Enterprise au moyen d’une "main énergétique" géante et verte) dans l’épisode TOS 02x02 Pauvre Apollon (Who Mourns For Adonais ?). Faut-il en déduire que dans cette nouvelle trame temporelle où tout va beaucoup plus vite, Starfleet a déjà (i.e. avec plus de quatre ans d’avance, par exemple durant les deux premières années de la mission spatiale quinquennale de Kirk) croisé le chemin d’Apollon ? Et ce jusqu’à lui imputer (à lui ou à ses semblables) rétroactivement diverses énigmes des débuts de l’exploration spatiale ? Malgré tout, ce qui pourrait s’apparenter à une facilité aux frontières de l’anachronisme peut tout aussi bien être l’expression truculente d’une légende spatiale, voire de l’écho diffus de la Prime Reality. Star Trek sans limites en rajoute d’ailleurs une couche en glissant fugacement une main spatiale verte durant le générique de fin.

- Après avoir été téléporté à bord de l’USS Franklin par Scotty, Bones a révélé son angoisse viscérale envers ce mode de transport, soit une posture consistante avec Star Trek The Motion Picture (et renvoyant possiblement aussi aux épisodes ENT 02x10 Une peur invisible (Vanishing Point) et TNG 06x02 Le règne de la peur (Realm Of Fear). Puis lorsque Scotty révèle qu’il lui a fallu téléporter Spock et McCoy séparément pour ne pas prendre le risque de les "coller" l’un à l’autre (car les téléporteurs – quand bien même upgradés par ses soins – de l’USS Franklin pré-NX-01 n’étaient à l’origine destinés qu’aux marchandises), McCoy admet qu’il n’y aurait pas pire scénario que d’être fusionné à Spock. Double allusion ici. Au sens symbolique, c’est une épreuve schizophrène qu’endurera justement Bones vingt-deux ans après dans le troisième film (Star Trek III À la recherche de Spock (The Search For Spock)) de la décalogie historique (lorsqu’après sa mort physique, Spock transféra en McCoy son katra alias âme). Au sens littéral, c’est un cauchemar (physique et éthique) que mit en scène le remarquable épisode VOY 02x24 Tuvix (lorsque Tuvok et Neelix fusionnèrent en un nouvel humanoïde de synthèse).

- S’étant arraché d’Altamid sur le Millennium Falcon... enfin sur l’USS Franklin sommairement retapé, Kirk se débarrasse en un tournemain de tout l’essaim de drones cyber-organiques par une simple diffusion radio d’un tube des Beastie Boys. Wow, plus fort encore que dans Mars Attacks ! (1996) de Tim Burton (on reconnait bien ici la signature foutraque de Simon Pegg, qui a pour manie de glisser dans toutes ses œuvres les attributs affectifs de la génération X dont il est un bruyant porte-parole).
Puis l’USS Franklin pourchasse Krall qui s’est introduit avec un swarm ship dans Yorktown. S’ensuit alors une interminable session de bobsleigh à travers les gigantesques tubulures toroïdales de la station spatiale jusqu’à ce que Kirk provoque une collision volontaire avec le micro-vaisseau de Krall… conduisant finalement le Franklin à sombrer dans l’eau du vaste bassin de la Central Plaza… c’est-à-dire comme l’oiseau de proie Bounty commandé par Kirk sombrant dans la baie de San Francisco à la fin de Star Trek IV Retour sur Terre (The Voyage Home).

- Lorsque Krall, redevenu partiellement Balthazar Edison (après avoir s’être "nourri" d’une bonne brochette d’officiers de l’USS Enterprise), fuit dans Yorktown vêtu d’un yellow shirt, sa silhouette de dos évoque Benjamin Sisko dans DS9 05x06 Épreuves et tribulations (Trials and Tribble-ations).

- Après avoir découvert dans les effets personnels de feu Spock-Nimoy la photo de groupe de l’équipage de TOS du Prime Universe, le sentiment d’appartenance familiale de Spock-Quinto à l’USS Enterprise s’en trouvera renforcé, le conduisant à renoncer à son projet de quitter Starfleet… tout comme Kirk renoncera à sa tentation amirale après sa victoire sur Krall. Mais par-delà l’extermination de six milliards de Vulcains et la mort de Spock-Nimoy (qui guidait New-Vulcan), il est possible de voir dans la velléité de Spock-Quinto un écho (avec sept ans d’avance bien entendu) du tropisme qui avait conduit son alter-égo de la timeline originelle à quitter le service actif de Starfleet vers 2270, au terme de la première mission quinquennale de l’USS Enterprise, pour accomplir le rituel du Kolinahr sur Vulcain. Vulcain n’existant plus dans la Kelvin timeline, c’est l’apostolat de New-Vulcan qui aura pour ainsi dire supplanté la "voie de la logique pure".

- Vers la fin de Star Trek sans limites, Chekov tente de convaincre une belle extraterrestre que le whisky a été en fait inventé par une Russe… ce qui renvoie à la même tartarinade chauvine dans TOS 02x15 Tribulations (The Trouble with Tribbles) (parmi de nombreuses autres réappropriations historiques de ce style par Chekov au profit des Russes durant La série originale).

- La levée de voile sur l’USS Enterprise A dans une "bullet time inverse" (i.e. en accéléré comme il se doit dans le reboot) téléporte le spectateur à la fin de Star Trek IV Retour sur Terre (The Voyage Home) où un nouveau vaisseau – quasiment identique au premier – renaissait en gloire (mais après deux ans d’attente et d’incertitude côté spectateurs).

- À la fin de ce même Star Trek IV Retour sur Terre (The Voyage Home), une réplique culte de McCoy (« The bureaucratic mentality is the only constant in the universe. We’ll get a freighter ») avait alors beaucoup fait rire de public soviétique de l’époque (1986). Serait-ce alors un "retour de politesse" trente ans après, lorsque, contemplant la construction de l’USS Enterprise A dans Star Trek sans limites, Kirk, Spock et McCoy prennent une pose (la tête levée fixant un même point hors champ) très caractéristique des affiches de cosmonautes produites par la propagande russe durant les années Soyouz. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le reboot flirte avec l’imagerie soviétique, car dans Star Trek Into Darkness les uniformes de sol de Starfleet (et surtout leurs casquettes) étaient un copié-collé de ceux de l’Armée rouge (la couleur en moins).

- 50 espèces aliens encore jamais vues auparavant sont mises en scène dans Star Trek sans limites, tel aura été le parti pris de Justin Lin pour souffler les 50 bougies de la franchise.
Alors certes, dans un univers supposé si vaste, quoi de plus normal que de croiser à bord de l’USS Enterprise ou sur la station vedette de la Fédération autant d’espèces inconnues (et dont la diversité est supposée faire honneur à l’IDIC vulcain), quand bien même les quarante ans de franchise dans la timeline initiale ne les auraient jamais mises en image ni évoquées dans les lignes de dialogues. Après tout, que représente une "fenêtre" d’environ 550 heures (pour 736 opus) en comparaison de plus de 300 ans d’Histoire spatiale déployées sur les milliers d’années lumières de la Fédération ?
Mais d’un autre côté, le considérable delta de représentation (et finalement "d’écart-type humanoïde") entre les deux univers, combiné au faible écart temporel (à peine plus d’un siècle) entre la fondation de l’UFP (2161) et le timeframe (2263) de Star Trek sans limites peut laisser songeur… Tant d’espèces différentes (que l’on ne rencontre pas deux fois la même - hormis les humains et les Vulcains - durant les deux heures de films) pourrait laisser penser que la "banlieue spatiale" de la Terre est surpeuplée, ou que le "Starfleet des faucons de W" a colonisé la galaxie entière, ou alors… que l’univers du reboot est décidément bien petit, tandis que ce défilé intensif d’aliens aux couleurs et aux formes les plus bigarrées tiendrait en fait… d‘une visite au zoo. Serait-ce une façon imagée (ou sarcastique) de renvoyer au titre du premier diptyque de la franchise, à savoir TOS 01x11+01x12 La ménagerie (The Menagerie) ?

Tout est – encore et toujours – beaucoup trop grand (ou trop gros)

Après que Star Trek 2009 et Star Trek Into Darkness ont sorti du 24ème siècle (2387) originel un vaisseau romulien seulement minier et pas même militaire (le Narada) de 10 km de long, aient ré-imaginé un USS Enterprise du 23ème siècle significativement plus imposant que dans La série originale, après avoir intronisé un vaisseau de guerre (l’USS Vengeance) deux fois plus gros encore (au point de rivaliser voire de dépasser en taille les vaisseaux commandés par Picard un bon siècle après, comme si la puissance était affaire de volume, cf. l’USS Defiant NX-74205 de DS9, les vaisseaux Tholians, ou encore le drone romulien dans la quatrième saison d’ENT…), il fallait que Star Trek sans limites – comme son titre français le clame fièrement – fasse dans une surenchère démesurée avec la station-ville Yorktown d’un diamètre supérieur à 50 km et d’une complexité architecturale littéralement… virtuelle ! Un parti pris révélateur de la façon dont est désormais entendue la SF audiovisuelle à Hollywood : à partir du moment où il est possible de le composer en imagerie tridimensionnelle numérique de synthèse, il n’y a aucune raison de ne pas le présenter comme réalisable et donc réalisé en dur. C’est pourtant dans le sentiment inconscient, mais salvateur, de frustration inhérent à des limites symboliques que réside (entre autres) la différence entre la (hard-)SF crédible de Star Trek et l’imaginaire débridé des pulps.
Justin Lin s’est accordé un plaisir gourmand – et assurément communicatif notamment pour les lecteurs du Golden Age et/ou pour les pilotes contemporains de jets – à faire virevolter sa caméra autour des anneaux circulaires entrelacés de la cité spatiale Yorktown, à se plonger avec délice dans les conduits navigables au cœur de tores dont toutes les surfaces extérieures ont été urbanisées, à osciller entre les quadratures et les conjonctions/oppositions axiales des gratte-ciels, à voler en freeflight sans voilure ni wingsuit, en glissant sur les champs gravitationnels variables (ou séquentiels) comme un planeur le ferait avec les courants ascendants, en somme à se jouer avec malice de la relation millénaire de l’homme avec son écosystème planétaire naturel pour composer un véritable ballet de sensations psychédéliques (rarement à l’écran les notions de haut et de bas n’auront été à ce point relativisés). Malgré tout, structurellement, il s’agit davantage d’un flirt avec les perspectives imaginaires de Maurits Cornelis Escher ou plus récemment avec la fantasy Upside Down de Juan Solanas voire avec l’onirisme d’Inception de Christopher Nolan, que d’une SF solide et convaincante, du moins non-anachronique, c’est-à-dire en accord avec le niveau scientifique et énergétique de la Fédération du 23ème siècle (quand bien même sise dans une autre trame temporelle). Difficile en effet de croire que la combinaison des connaissances de Spock-Nimoy venu du futur (2387), de la paranoïa de la Section 31 suite à la destruction de l’USS Kelvin, de l’intelligence améliorée de Khan-Cumberbatch, et de la nouvelle chaine d’évènements résultante… aient réussi dans cette nouvelle timeline rebootée à faire passer en seulement trente ans une civilisation de type II sur l’échelle de Kardashev à une civilisation de type III ! En contemplant la fantasmagorique Yorktown et son architecture impossible, comment d’ailleurs ne pas y voir – mutatis mutandis – une parenté cyclopéenne avec la sphère de Dyson rencontrée dans TNG 06x04 Reliques (Relics), si ce n’est que cette dernière était le produit d’une civilisation ancienne et inconnue (cf. le thème SF du "Big Dumb Object" par exemple dans Rendez-vous avec Rama d’Arthur C. Clarke, La grande porte de Frederik Pohl, etc.), jugée dans l’épisode de La nouvelle génération incomparablement plus avancées que la Fédération, y compris selon les standards du 24ème siècle trekkien.

Les "méchants-parce-que" sont – encore et toujours – dénués de tout intérêt, ils veulent – encore et toujours – se venger (en cherchant à faire payer à la Fédération toutes leurs rages de dents), leurs agissements sont – encore et toujours – confus (parfois même absurdes), et leurs crimes n’existent – encore et toujours – que pour glorifier à bien peu de frais les (super-)héros

Dans Star Trek sans limites, Balthazar M. Edison était un MACO, soldat vétéran des guerres (xindies et romuliennes) qui présidèrent à la genèse d’une Fédération idéaliste… hantée par les traumas du passé et guidée par le fameux « plus jamais ça ». Oui, comme tente de le bredouiller Edison derrière son masque de Krall, c’était une époque de guerre et même d’extermination. Mais comme en a témoigné sous toutes les coutures la série prequelle ENT, c’était aussi une époque charnière, celle d’une nouvelle espérance et d’un nouveau départ. Bon sang, Edison a été aux premières loges pour assister à la concrétisation vibrante et flamboyante de ce pour quoi il s’est si longtemps battu de toutes ses tripes. Il a durablement travaillé aux côtés de Starfleet (ne fut-ce que durant la mission xindie de la saison 3 d’ENT) pour en connaître les valeurs et la déontologie, même en période ingrate de lutte primale pour la survie. Et ce n’est clairement pas lorsque Starfleet s’est étendue en 2161 à l’ensemble de la communauté multi-espèces de la Fédération que ses valeurs ont été trahies. Là encore, Edison était bien placé pour le savoir puisqu’il est lui-même devenu un capitaine de vaisseau en ces temps pionniers de l’utopie (lorsque le corps des MACO a été dissout). Alors que signifie cette recherche absurde de bouc émissaire ?! Ne sait-il pas qu’il n’y a pas de "risque zéro" dans les voyages spatiaux (cf. le trou noir rencontré dès 2152 dans ENT 02x09 Anarchie sur l’Enterprise (Singularity) ? Lui qui étant à l’origine un soldat, dont la profession était d’affronter stoïquement la mort au quotidien, n’aurait-il pas dû être le premier à être préparé à la perspective d’une issue fatale sans que son employeur n’en soit tenu comptable ? Et même si Edison n’avait pas eu conscience d’avoir été avalé par un trou de ver dans le Gagarin Radiation Belt (il l’était pourtant, comme en témoignent ses journaux de bord enregistrés), même s’il n’avait pas eu connaissance des propriétés isolantes du Necro Cloud (il l’était pourtant, depuis au moins le scan de la sonde Magellan), l’idée même d’aller reprocher à Starfleet (dont il est pourtant devenu un officier émérite) et à la Fédération (à la naissance de laquelle il a pourtant assisté) d’ignorer intentionnellement des signaux de détresse et de l’avoir sciemment abandonné lui et son équipage, cela ne tient pas la route une seule seconde ! Mieux vaut ne pas se piquer de la jouer sur le mode Terminus les étoiles (The Stars My Destination) lorsqu’on est à des années-lumière de la cohérence d’un Alfred Bester. Peut-être est-ce même encore plus aberrant (?) que lorsque Nero considérait Vulcain et l’UFP "responsables" – par passivité et non par ignorance – de la destruction de Romulus en 2387.
Pire, au regard du sort implacable que le cosmos a bien souvent réservé aux équipages de Starfleet, du temps même d’Edison et d’Archer, et ce sans même qu’il y ait besoin de guerres ou d’ennemis, le destin de l’équipage de l’USS Franklin fut plutôt enviable. Rescapés sur une planète de classe M, riche en écosystèmes et en ressources, sans prédateurs majeurs, et abritant le trésor inespéré de technologies fabuleuses laissées par de mystérieux Grands Anciens, toutes prêtes à l’emploi et offrant notamment la possibilité de quitter sans trop de difficultés Altamid, au minimum contacter des extraterrestres de passage. Franchement, il n’y avait pas de quoi devenir fou, ni se transformer en prédateur cinglé, assoiffé de vengeance envers les siens, a fortiori lorsqu’on se prétend soldat d’élite.
Mais la cohérence n’est pas davantage la préoccupation du personnage que des scénaristes. Ainsi Balthazar Edison réussit-il le tour de force de reprocher - dans l’espace du même film - à la Fédération à la fois "d’être la guerre" pour n’avoir pas secouru l’équipage du Franklin et donc de mériter un acte de vengeance, et "d’être la paix" et donc de mériter d’être anéantie au motif que lui, Edison, est "un guerrier issu d’une ère de guerre" !!! C’est vraiment lumineux ! Manque plus que de reprocher à la Fédération d’être responsable des risques inhérents à tout voyage, à la vie elle-même, et tant qu’à faire d’être également coupable des anomalies spatiales, des lois cosmiques, des lois naturelles... et de l’inexorable inflation du prix du ballon de rouge au comptoir.
Manifestement, les scénaristes du reboot – Simon Pegg en tête – sont à court d’imagination, et surtout à bout de souffle, pour sortir éternellement de leur chapeau des super-méchants-de-la-mort n’existant que pour anéantir la Fédération avec des motivations toujours plus improbables. Mais après Nero qui était quasiment cartoonesque de haine et d’inconséquence, après John Harrison alias Khan 2.0 qui relevait quelque peu le niveau mais dont la stratégie opératoire était pour le moins confuse (a fortiori pour un Augment), Balthazar M. Edison alias Krall réussit l’exploit d’être le plus inconsistant et le plus illisible de tous. Il était difficile d’imaginer pouvoir faire pire que Nero dans le registre des "méchants" foireux, mais Star Trek sans limites sera parvenu haut-la-main à repousser cette "ultime frontière"-là.
Et sur le plan des méthodes, Edison n’est pas moins invraisemblable que sur le terrain des intentions. Au lieu de chercher à réparer l’USS Franklin (un travail du niveau d’un officier ingénieur comme l’auront prouvé Scotty et Jaylah, dont Edison devait avoir les pareils dans son équipage initial) pour quitter la planète où il s’était échoué, au lieu d’utiliser le formidable arsenal technologique abandonné par l’espèce native d’Altamid pour regagner l’espace et/ou appeler d’autres extraterrestres à l’aide, celui-là même qui blâmait indûment la Fédération de crimes totalement imaginaires s’est mis à perpétrer des crimes incomparablement pires : utiliser une technologie de transfert d’énergie vitaliste exhumée des fonds d’Altamid pour étendre sa longévité en consumant la vie (et en même temps l’ADN) de tous les humanoïdes qui avaient le malheur de croiser sa route. À l’état naturel, ce vampirisme de vie (et non de sang) évoque bien entendu le cultissime Lifeforce de Tobe Hooper, et plus récemment les Wraiths de la série Stargate Atlantis. Décliné sous une forme technologique, la série Babylon 5 avait mis en scène un artefact extraterrestre de ce genre qui pouvait avoir à la fois une fonction punitive et médicale (les deux pouvant d’ailleurs se corréler, notamment lors d’exécutions capitales). Mais dans tous ces cas, et hors de toute considération morale bien entendu, de telles formes de prédations – qu’elles soient naturelles ou artificielles – postulaient par soucis de crédibilité un minimum de rendement. Or visiblement, "l’aspirateur d’énergie vitale" des Grands anciens d’Altamid était d’une inefficacité stupéfiante. Déjà, en théorie, Balthazar Edison qui est de la même génération que Jonathan Archer, probablement même plus jeune que lui, n’avait pas besoin d’une telle technologie pour demeurer vivant en 2263 du fait des progrès accomplis en terme d’espérance de vie humaine (d’après Star Trek 2009, Jonathan Archer était toujours en vie cinq ans avant, en 2258). Certes, à l’état naturel, Edison aurait été très âgé en 2263, mais néanmoins potentiellement vivant. Du coup, combien lui a-t-il fallu voler de vies humanoïdes innocentes pour rester simplement jeunes quelques décennies de plus ? Vu le rythme industriel de son entreprise d’extermination, il faut croire qu’une vie saine "captée" à son pic de vitalité ne "rapporte" pas plus de quelques heures, tout au plus quelques jours de jeunesse supplémentaire. Et qui plus est au prix d’une complète perte d’identité, jusqu’à en oublier l’usage - du moins spontané - de sa langue natale (ce qui n’arrive presque jamais aux amnésiques)… mais bien sûr pas de la haine ni de la soif de vengeance à l’encontre de la Fédération. C’est ainsi que Balthazar Edison est devenu Krall (et ses deux collègues Jessica Wolff et Anderson Le respectivement Kalara et Manas). Question "rentabilité ", un siècle de vie volée pour un jour de gagné, c’est à la limite de l’arnaque, et c’est aussi faire bien peu de cas de la vie comme potentiel énergétique.
Certes, après plusieurs décennies à ce "régime", il serait possible que tout ce petit monde soit devenu complètement accro à la consommation de l’énergie vitale d’autrui, et que le discours absurde de haine et la vengeance à l’encontre de la Fédération ne soit qu’un alibi délirant de camé impatient de mettre la main sur un plus gros stock de dope (en l’occurrence les millions d’habitants de Yorktown). Malgré tout, l’implacabilité froide et méthodique de Kalara (lorsqu’elle dupe le staff de la station-ville Yorktown en invoquant un besoin d’assistance vital suite à un crash de vaisseau sur Altamid, puis manipule Kirk - avec en réserve plusieurs "tiroirs" de secours - pour faire tomber son vaisseau et son équipage dans un piège létal afin de récupérer la partie manquante de l’arme de destruction massive Abronath) et par-delà, le degré de préméditation de toute la stratégie - quand bien même incohérente en amont (cf. le "chapitre" suivant) - de Krall (i.e. tromper, attirer et détruire le vaisseau amiral d’une Fédération ayant un siècle d’avance sur celle qu’il avait quittée, puis partir en force à l’assaut de la plus gigantesque et avant-gardiste station-ville au moyen de son essaim de drones cyber-organiques pour y déployer l’Abronath de l’intérieur)… cela fait tout de même davantage penser à un opération commando de longue haleine qu’à un casse de junkies.
Quoi qu’il en soit, drogué ou pas, dénaturé ou pas, Krall, cet être composite et en perpétuelle fluctuation génique, ne saurait constituer une quelconque excuse – plus encore en terme de cohérence que de moralité – pour les motivations et les décisions initiales d’Edison, dont témoignent sans ambages les journaux de bord de l’USS Franklin.
Quant à l’improbable amnésie, elle ne serait pas davantage un alibi recevable, car dans ce tragique asile mental, Krall était probablement moins cramé sur le plan mémoriel que les très contemporains Jason Bourne ou Jason Mac Lane (XIII), guerriers d’élite eux aussi, victimes d’injustices eux aussi, et pourtant n’ayant jamais eu d’emblée la "vengeance dans la peau", pas plus que les amnésiques du monde réel, même soldats, même violents à l’origine.
Finalement, le dénominateur psychosociologique commun de cette mosaïque de contradictions, c’est l’exacerbation incontinente du "Moi". Parce que "Je" a été victime de telle ou telle injustice (subjective ou objective) de la vie ou du cosmos, parce que le "Je" n’est pas satisfait de la façon dont la société a évolué et n’a pas évolué (à la fois), parce que "Je" est misanthrope et n’aime pas l’univers tel qu’il est, parce que "Je" est tout simplement mortel, parce que seul le destin et le bon plaisir de "Je" importe… alors "Je" va s’employer à faire payer, à faire souffrir un maximum de monde, gratuitement, comme en pervers exutoire. Et "Je" va même tenter de justifier ses actes au moyen de boucs émissaires de fortune, sur la base de raisonnements plus ineptes les uns que les autres, allant de la prédation pure d’autrui à une vengeance contredisant grossièrement tout ce que "Je" prétend croire et prétend être (ou avoir été). Nous sommes ici confrontés à une immaturité socio-psychologique criante, mais que Simon Pegg essaie sournoisement de mettre sur le dos de la période pré-Fédération de la chronologie trekkienne (alors que la série Enterprise avait pourtant mis en évidence une authentique phase d’éveil de l’humanité). La ladite immaturité caractérise en réalité uniquement l’état de l’humanité que le reboot a vendu depuis 2009… jusque dans ses représentations de la période post-Star Trek Némésis du Prime Universe (Nero) et de l’ère prequelle commune (Balthazar Edison) !
Narcissisme et immaturité à chaque échelon, effacement du système et des structures en présence des individus et de leurs hidden agendas personnels, incapacité à mettre entre parenthèse son égo pour entrevoir des perspectives plus larges et plus hautes - précisément celles que le vrai Star Trek n’a jamais cessé de valoriser et de promouvoir entre 1964 et 2005.
Star Trek version reboot, c’est juste l’humanité contemporaine (dans laquelle se reconnaît un Roberto Orci ou un Simon Pegg), mais avec infiniment plus de technologie.
Pour la troisième fois.

Non seulement le dénouement (c’est-à-dire la victoire des "super-héros" sur le(s) "super-méchant(s)") est 100% prévisible et téléphoné, mais en plus, les procédés résolutifs sont – encore et toujours – incohérents voire risibles

- Dans Star Trek 2009, Spock-Nimoy n’eut aucun scrupule (de son propre aveu) à jouer aux dés la survie de la Terre pour susciter l’amitié entre les jeunes Kirk et Spock, tandis que l’USS Enterprise sauvait in fine Spock, Kirk, et Pike en éliminant d’un claquement de doigt un mur de torpilles du futur lancées par le Narada… lorsqu’une infime poignée de ces mêmes torpilles suffisaient au début du film à anéantir une flotte entière de vaisseaux de Starfleet (USS Enterprise comprise) autour de Vulcain. Allez comprendre…
- Dans Star Trek Into Darkness, une lutte à mort entre deux vaisseaux de Starfleet s’engage en orbite de la Lune terrestre dans l’indifférence totale de la capitale de la Fédération et sans que nul à bord ne songe même à solliciter les forces de Starfleet dont l’état-major était pourtant à portée visuelle – état-major qui n’a ensuite pas non plus tenté de téléporter les équipages des deux vaisseaux en perdition et en voie de se crasher sur la planète-mère ! Le pompon étant le sang du Christ… enfin de Khan (mais visiblement pas des autres Augments) qui ressuscite commodément les morts pour servir vite fait (en dix minutes chrono) la petite "Passion de Kirk".
- Star Trek sans limites repousse plus loin encore les limites supportables des serial-incohérences. Pour ce qui est de l’articulation de sa cagade de bad guy, bienvenue dans le carnaval du non-sens intégral, du nanar sans queue ni tête.
• L’usage que Krall fait de son l’arsenal apocalyptique sorti des profondeurs d’Altamid n’a ni queue ni tête, ce qui permet aux héros de vaincre les doigts dans le nez une puissance de feu qui aurait normalement dû laminer toute la Fédération. C’est un peu le principe du train fantôme, l’éléphant accouche bien vite de la souris.
• Krall possède désormais le moyen de surveiller depuis Atlamid et à travers l’opaque Necro Cloud (ce n’était pas le cas à son arrivée) tout ce qui se passe sur Yorktown (et à bord de l’USS Enterprise). Faut-il vraiment gober qu’un humain (non Augment) du 22ème siècle ait réussi à détourner de leur usage (au profit d’une rétro-communication intrusive) les sondes Magellan pourtant d’un siècle plus avancées, sans même que Starfleet ne le détecte ?
• Lorsque l’équipage de l’USS Enterprise atterrit en capsules de sauvetage sur Altamid, comment se fait-il que les seuls qui ne tombent pas directement dans la nasse de Krall, ce sont cinq des sept héros de la distribution principale ? Belle neutralité probabilist ! Les cinq héros vont donc pouvoir errer un peu à la surface d’Altamid (pour avoir quelques "conversations façon TOS") avant de se retrouver (par un hasard aussi improbable que Kirk et Spock-Nimoy sur Delta Vega dans ST 2009) et organiser une "cellule de résistance" dans l’épave de l’USS Franklin.
• Krall maîtrise une force de frappe et d’intervention (les drones cyber-organiques) qui ne fait qu’une bouchée de la technologie et du personnel de Starfleet lorsqu’il est dans l’espace. Comment se fait-il alors qu’il ne soit pas capable de détecter les fuyards au sol d’Altamid (et qui plus est à seulement quelques kilomètres de sa "ruche") et même réfugiés (pour Jaylah depuis d’ailleurs bien longtemps) dans son ancien vaisseau ? Les drones de Krall détectent dans un premier temps Spock et McCoy, mais aussitôt que Scotty téléporte ces deux derniers à bord de l’USS Franklin, tout le monde échappe au radar de Krall - pourtant dopé à la technologie des Grands Anciens ! Tandis qu’à l’inverse, l’antique USS Franklin n’a aucune difficulté à détecter avec ses scans Uhura, prisonnière de la ruche, et porteuse d’un minerai vulcain caractéristique.
• Durant ses échanges "asylumesques" avec Uhura, Krall se targue d’attendre de pied ferme la venue du capitaine Kirk. Pour un archnemesis aussi bien préparé, sa forteresse se prendra pourtant comme une passoire ! Nos héros ont donc apparemment raison de ne douter de rien en prétendant pouvoir à quatre (et quasiment à main nue) s’attaquer à la ruche de Krall et à ses millions de drones cyber-organiques qui viennent de ne faire qu’une bouchée de l’USS Enterprise surarmée. Allez hop, une diversion dans le style de Fast & Furious (Kirk en biker viril, démultiplié en une vingtaine d’images holographique grâce à un gadget de Jaylah), et nos vaillants héros réussissent à libérer ce qu’il reste de l’équipage (Krall a vraiment vampirisé la plupart des lower decks et autres anonymes de l’USS Enterprise, mais bien sûr pas Uhura ni Sulu), puis les téléporter sur l’USS Franklin.
• Et pourquoi Krall s’est-il lancé dans un plan aussi capillotracté pour récupérer la seconde partie de la super-arme-gore Abronath, alors que pour anéantir la station Yorktown et massacrer ses millions d’habitants, l’essaim de drones cyber-organiques suffisaient largement ?
• L’essaim cybernétique créé par les Grands Anciens d’Altamid (et récupéré puis dirigé par Krall), capable de désagréger en quelques secondes le vaisseau amiral de Starfleet et semble-t-il aussi la monumentale cité spatiale de Yorktown, quantitativement invulnérable aux armements les plus high tech de la Fédération, se voit pourtant vaincre en un tournemain par une vulgaire diffusion radio VHF émise depuis l’antique USS Franklin, et pas n’importe quelle diffusion s’il vous plait, carrément le hit punk-rock Sabotage (1994) des Beastie Boys (déjà mis à l’honneur durant l’enfance de Kirk dans Star Trek 2009, tandis que leur Body Movin (1998) fut diffusé dans Star Trek Into Darkness). C’est probablement cool dans la tête funky de Simon Pegg, et puis les commentaires décalés de l’alienne bad ass Jaylah sont total groovy, mais alors question vraisemblance, c’est le nawak intersidéral, même avec plusieurs grammes de bibine dans la tuyauterie ! L’aporie dépasse ici l’entendement : une civilisation ultra-avancée aurait donc développé un système de forage planétaire, de défense spatiale, et surtout d’attaque implacable, disposant d’une puissance de calcul phénoménale en mesure de cordonner une infinité de drones organiques par voie "cyberpathique"… pour que cette liaison BCI (interface neuronale directe) – pourtant cœur tactique du système – soit mortellement vulnérable à la technologie électromagnétique la plus embryonnaire sur l’échelle de l’évolution scientifique des civilisations, et inondant même de façon naturelle le cosmos (saturé d’ondes radio du fond diffus cosmologique à n’importe quel pulsar) !!! En gros, c’est la bombe atomique qui serait court-circuitée par un klaxon de tricycle pour bébé, c’est dire si c’est sérieux ! On frise ici la bonne blague d’un épisode parodique de Futurama, sachant que même un Galaxy Quest n’aurait pas osé recourir à une telle pirouette résolutive dans son épopée-pour-rire.
• À la fin, après avoir transformé une nouvelle fois l’USS Franklin (pourtant de conception antérieure au NX-01 de Jonathan Archer) en submersible dans le bassin de la Central Plaza (comme l’USS Enterprise dans les océans de Nibiru il y a trois ans), lorsque Star Trek sans limites nous inflige l’inévitable climax antagoniste entre le héros et le bad guy, c’est en fait tout l’argument de la course-poursuite à la Mack Sennett dans Yorktown puis du fight mano-a-mano qui ne tient pas… exactement comme le marathon dans San Francisco à la fin de Star Trek Into Darkness ! Car il aurait été tout simple de téléporter Krall et sa super-arme de destruction massive portable Abronath hors de la station-ville (ou vers nulle part, c’est-à-dire sans le(s) rematérialiser). Pourtant, dans une ville spatiale de la Fédération, ultra-peuplée (des millions d’habitants), ultra-gigantesque (sphérique sur plus de 50 km de diamètre), et technologiquement plus futuriste (du moins en apparence et en décorum) que ne l’a jamais été le 24ème siècle de Picard, il ne se sera manifestement trouvé aucun personnel de Starfleet pour intercepter avec célérité Krall dont le corps humain était pourtant hybridé d’un génome alien facilement identifiable aux scanners (même mêlé à la foule) ?! Krall qui évoluait quant à lui tranquillement pedibus cum jambis dans Yorktown (à l’instar de Khan 2.0 dans San Francisco) jusqu’à rejoindre sans difficulté aucune (et sans rencontrer la moindre résistance d’un quelconque service de sécurité) le processeur atmosphérique central du complexe (trônant comme un naos dans une cage de verre transparente) ! Ben voyons. Fallait-il vraiment que seuls nos boy-scouts de (super-)héros soient capables de traquer dans les eaux, sur terre, et dans les airs - de la façon la plus étirée et laborieuse - le méchant-parce-que et son système-de-la-mort-qui-tue ?!

Signe invariant du reboot : la vraisemblance on s’en fout, ce qui compte c’est que les contextes, les concours de circonstances, la dynamique immersive, et même que le micro-univers lui-même courbe(nt) l’échine ou s’efface(nt) pour permettre aux héros de s’arroger exclusivement tous les moments de gloire, eux et eux seuls (le retour de l’inoxydable "Je"). L’effort collectif, auquel semble rendre humblement hommage Kirk durant son échange conclusif avec la commodore Paris, ne concerne en réalité que la Justice League des sept (super-)héros prédestinés dont il est le fer de lance, mais en aucun cas la société et les structures.

Niveau zéro de l’exploration trekkienne – encore et toujours

L’exploration, c’est l’argument, la devise, la raison d’être, la finalité, l’identité même de Star Trek depuis le premier jour, depuis le premier pilote TOS 00x01 The Cage.
Mais dans l’univers rebooté, l’exploration est devenu un vulgaire gimmick pas plus long qu’un générique, une espèce de formalité dont on se débarrasse vite fait dès le début du film. En somme, une façon de distribuer une sucette aux trekkers à l’ouverture de la séance pour qu’ils ne viennent pas faire une crise d’hypoglycémie durant le film.

Il est tout même très symptomatique que sur ce plan, les trois films du reboot soient construits exactement de la même manière :
- au début du teaser (c’est-à-dire des quelques minutes qui précèdent le générique de début selon la syntaxe de la plupart des épisodes de séries télévisées), le personnel de Starfleet est en train d’accomplir une mission d’exploration :
• dans Star Trek 2009, c’est l’USS Kelvin qui est chargé d’investiguer sur un inexplicable trou noir bordé de nuage d’éclairs ;
• dans Star Trek Into Darkness, c’est l’USS Enterprise qui explore la planète Nibiru, puis viole la Directive Première pour sauver l’espèce autochtone des ravages d’un super-volcan ;
• dans Star Trek sans limites, c’est l’USS Enterprise qui accomplit sa troisième année de mission d’exploration quinquennale, tandis que Kirk rend visite aux Teenaxi sur leur planète avant de révéler qu’il en a marre… de l’exploration spatiale à seulement 30 ans (tout un symbole) ;
- puis au bout de cinq à dix minutes, pendant le teaser ou après le générique de début (selon les cas), la mission exploratoire initiale est brutalement ou progressivement abandonnée au profit de grosses bastons cosmiques entre les Gentils-qui-sauvent-la-Fédération et les Méchants-qui-veulent-exterminer-la-Fédération jusqu’à la fin du film :
• dans Star Trek 2009, c’est l’arrivée du Narada et de Nero qui met instantanément un terme à toute forme d’exploration, aussi bien à l’échelle de l’USS Kelvin (détruit) que de Starfleet dans son ensemble (qui devient progressivement le bras armé d’une Fédération de plus en plus contemporaine, donc dystopique) ;
• dans Star Trek Into Darkness, c’est l’attaque terroriste de John Harrison, alias Khan 2.0, qui redirige les priorités de Starfleet vers le pur bellicisme (chasses à l’homme, fomentation de guerres…) à la satisfaction de son faucon de chef d’état-major, l’amiral Alexander Marcus ;
• dans Star Trek sans limite, même si l’on peut inclure à "l’exploration" les séquences de découverte – façon montagnes russes – de l’irréaliste station-ville Yorktown, il ne faut pas plus de douze minutes pour que la manipulatrice Kalara entre en scène et conduise inéluctablement les protagonistes vers une dynamique strictement destructive et guerrière ;
- enfin, dans l’épilogue (les dernières minutes du film), les héros-qui-ont-sauvé-le-jour réaffirment leur belle solidarité de classe (V.I.P. only) en récitant liturgiquement (en chœur ou en canon) le crédo trekkien : « These are the voyages of the starship Enterprise, its (five-year) mission : to explore strange new worlds (…) »

Franchement, l’invariance de ce procédé grossier, film après film, schlingue l’arnaque totalement décomplexée !
Et le plus ironique tient au fait que c’est probablement Star Trek Into Darkness qui aura offert – in fine – la micro-scène (sur Nibiru) la plus authentiquement exploratoire (quoique en kit prédigéré) du reboot alors que le parti pris dystopique assumé de ce second film était pourtant celui qui s’y prêtait le moins.
Comment ne pas entendre mentalement Orci, Kurtzman, et désormais Pegg nous dire avec condescendance : « Ok, vous êtes contents les trekkies ? Vous avez eu vos cinq petites minutes d’exploration trekkienne, non ? Bon, alors maintenant, ne nous faites plus chier avec ça, histoire qu’on puisse "blockbusteriser" en paix. »

Le fond – encore et toujours – aux abonnés absents

Même si les interactions entres les personnages ont un petit air de TOS, même s’il y a d’innombrables références internes au "Star Trek qui fut"… pour autant, il n’y a – encore et toujours – aucun vrai sujet de fond, aucune de ces problématiques chargées de sens que seul le spectre élargi de la bonne SF met à l’honneur et que Star Trek transcende.
Dans Star Trek 2009, quel était l’apport sémantique de l’histoire ? Qu’il n’est pas possible de vaincre un envahisseur du futur… autrement qu’avec des connaissances venues également du futur ? Euh… Ou qu’il vaut définitivement mieux être sept V.I.P. que six milliards d’anonymes ? Ou bien que peu importe à quel point la timeline est bousillée, Kirk, Spock, Bones, Scotty, Uhura, Sulu, Chekov deviendront toujours potes ? Ou encore qu’il n’y a rien de plus important dans l’univers que l’amitié prédestinée ? Vraiment ?
Et quelle est donc la sémantique de Star Trek Into Darkness ? Que c’est méchant d’obliger un génie à travailler pour vous en prenant en otage sa "famille" ? Que l’expérience (télépathique) de la mort est un moment de solitude effrayant ? Qu’un vrai (super-)héros doit être capable de sacrifier sa vie pour sauver ses amis ? Que c’est mal de vouloir déclencher une guerre par un procédé manipulatoire ? Qu’il faut faire attention à ne pas se mettre à ressembler à ses ennemis à force de les combattre ? Que l’administration puisse être directement ou indirectement impliquée dans des attentats terroristes sous fausse bannière sur son propre territoire ? Qu’une utopie peut imperceptiblement virer à la dystopie sans que nul ne s’en rende compte ? Mouais. Alors certes, l’imaginaire collectif récent a été marqué par le spectre de l’opération Northwoods, par le complotisme incontinent qui a prospéré sur les décombres du 9/11, et par neuf saisons de 24 heures chrono. Mais ça reste tout de même un peu léger pour du Star Trek, et assurément pas nouveau à l’échelle de la franchise (cf. DS9 et ENT), mais admettons effectivement que dans Star Trek Into Darkness, cela ne relève pas du zéro absolu.
Et qu’en est-il de la sémantique de Star Trek sans limites ? Que les voyages au long cours dans l’espace, ça rend vieux ? Que la destruction de l’USS Kelvin et l’extermination de Vulcain a quand même eu le "mérite " d’avoir engendré une méga-giga-téra-péta-exa-zetta-yotta station spatiale de ouf vraiment top ? Qu’il faut se méfier des capitaines de Starfleet pré-Fédération quand ils s’abîment sur des planètes isolées parce qu’ils risquent d’en revenir berserk avec l’intention d’exterminer l’univers entier ? Qu’il faut faire gaffe aux technologies abandonnées par les Grands Anciens ? Qu’il ne faut pas faire confiance aux belles aliennes éplorées qui vous appellent à l’aide ? Qu’un bon "esprit de famille" entre potes permet mieux de vaincre l’adversité ? Que tous les événements de l’univers doivent favoriser la complicité amicale prédestinée entre sept "Élus" ? Euh, est-ce vraiment à ce niveau stratosphérique de réflexion qu’est supposé s’élever Star Trek ?
Finalement et contre toute attente, question fond, le moins vide des trois est Star Trek Into Darkness !
Malgré tout, nous sommes loin, mais alors très loin des dix films historiques, lesquels, en dépit du manque de moyen (ou de rythme) de plusieurs d’entre eux, offraient - chacun - non pas un mais plusieurs vrais sujets de fond ! À dire vrai, ils débordaient tellement de fond que leur forme était parfois à la remorque, négligée ou dépassée. Par les temps qui courent, un tel profil serait une grâce.

Tout va – encore et toujours – beaucoup trop vite.

Dans Star Trek sans limites, les héros de l’univers rebooté ont mentalement davantage vieilli en trois ans que leurs homologues de l’univers originel en trente ! Il a suffi que s’écoulent 966 jours, c’est-à-dire moins de trois ans, depuis de début de la mission d’exploration quinquennale entamée à la fin de Star Trek Into Darkness pour que Kirk réagisse déjà tel un vieux birbe. Il en a marre, il veut se poser, l’espace c’est toujours pareil, c’est si vaste, à quoi bon tout ça… etc. Dans l’univers originel, il ne s’était jamais trouvé que Kirk – même vieux ou fatigué – ait lui-même demandé une affectation au sol. Au contraire, sa promotion d’amiral vers 40 ans dans Star Trek Le film (The Motion Picture) et sa mise à la retraite à la fin de Star Trek VI Terre Inconnue (The Undiscovered Country) lui furent imposés… à son grand dam. Et même à 60 ans, Kirk, le vrai, rêvait encore, même en ayant connu la béatitude du Nexus, de continuer à caracoler dans l’espace, comme en témoigne subtilement Star Trek Générations. Et c’est sans parler de la série VOY, où après sept ans d’exploration dans le quadrant delta, l’équipage de l’USS Voyager était prêt à remettre le couvert pour plusieurs décennies…
Mais ça, c’était dans le Star Trek historique. Dans Star Trek Beyond en revanche, "l’ultime frontière" se consomme visiblement avec une bonne dose de Prozac. Le cosmos lui-même aurait-il changé de nature entre les deux timelines ?
Et puis de quel "ennui" se plaint donc Kirk ? Comme nous le montre ostentatoirement le prologue de Star Trek sans limites, son exploration de l’espace lointain est émaillée d’aventures cartoonesques, pleine d’humour slapstick comme Star Trek 2009 les affectionnait. Entre les mains et la langue qui enflent sous l’effet du vaccin contre le Melvaran mud fleas... et les lilliputiens Teenaxi qui vous sautent à la gueule et s’accrochent à vous comme des poux, il y a vraie communauté d’esprit… et de (mauvais) goût…
Oui, communauté quand tu nous tiens, l’affectation au sol de Kirk aurait bien entendue été assortie d’une promotion au rang… d’amiral (vice-amiral pour être précis) et au commandement de la ville spatiale Yorktown et ses millions d’habitants ! Rien que ça ! Aucun doute n’est permis, nous sommes décidemment toujours dans ce "Starfleet de bac à sable", où l’on devient capitaine de vaisseau à 25 ans et amiral à 30. Enterrés, les maréchaux d’Empire !
Oh bien entendu, le crash sur Altamid et la confrontation sanglante avec Krall ont pour fonction de redonner goût à Kirk pour les voyages spatiaux à la fin du film. Car c’est bien dans le fauteuil de capitaine sur la passerelle et non dans celui d’un bureau de l’amirauté que se trouve tout le "fun" (sic) – véritable motto du reboot. Mais là encore, lorsque cette prise de conscience avait demandé quelques années dans la timeline originelle, il aura ici suffi de quelques jours…
Ah oui, n’oublions pas que l’USS Enterprise NCC-1701 est détruit et l’USS Enterprise NCC-1701-A lui succède direct dans le même film, avec 23 ans d’avance et deux films de moins.
La scène de construction en accéléré à la fin de Star Trek sans limites allégorise d’ailleurs à merveille le parti pris général du reboot : "vite, vite, plus vite bordel" ! Après tout, nous ne sommes que dans un univers compressé.
Malheureusement, la compression est ici loin d’être lossless.

Bref, aucun doute, nous sommes bien ici dans une production Bad Robot, davantage attachée au sensationnalisme de premier visionnage qu’à une quelconque consistance dans le long terme, davantage portée sur les interactions et les émotions entre ses V.I.P. de personnages (oligarchie de fait) que sur la cohérence des structures et à l’exploration de sujets de fonds.
Et sur ces terrains-là, il n’y a strictement aucune réelle différence entre les trois films du reboot.

Le cinéaste de Fast & Furious freine un peu la cadence afin de mieux voir (et entendre) les personnages : pour le meilleur... mais hélas aussi pour le pire.

La seule vraie différence avec les crus de 2009 et 2013 est à chercher du côté des personnages, des émotions (ou des nostalgies) qu’ils réussissent (éventuellement) à susciter, notamment à la faveur d’un rythme plus contrasté, accordant entre les nombreuses (et inutiles) scènes pyrotechniques, davantage de place à l’écoute et à l’introspection.
Et pour y parvenir, la recette que Star Trek sans limites a redécouvert, c’est en fait une vieille martingale. Celle du théâtre, du petit comité, de l’intimité, du huis clos… mais aussi et surtout ici du buddy movie. Il fallait réduire "l’effet meute" de la "Justice League" en favorisant un maximum d’interactions duales (en présence ou nom d’un ennemi). Déjà, à bord du vaisseau, dans le cadre de l’isolement spatial (pour une jolie scène privée et alcoolisée entre Kirk et Bones). Mais mieux encore, à la faveur d’un crash sur une planète inconnue, expulsés de leur zone de confort (le cadre familier de l’USS Enterprise, les sept personnages du main cast et une guest star (en l’occurrence Jaylah, l’incontournable amazone-sexy-punkette-couillue de toutes les superproductions actuelles) vont se retrouver redistribués en binômes (Kirk & Chekov / Spock & McCoy / Uhura & Sulu / Scotty & Jaylah)… pour un stage de survie dans la nature. Une telle reconfiguration catalyse les explorations psychologiques intimistes, obligeant les personnages à mutuellement se rapprocher, à résoudre leurs éventuels différends face à des contraintes communes de survie… entrant souvent en résonnance avec des traumas personnels du passé. Dans l’industrie télévisée étatsunienne, on qualifie cette forme narrative de "redemption episode", réputé à l’origine être d’une grande audace, mais tristement galvaudée à force de surexploitation destinée à faire pleurer Margot (Les Randonneurs, version born again).
Toujours est-il que pour la première fois, les protagonistes prendront le temps (oui vous avez bien lu !) de se parler un peu, ce qui ne s’était quasiment encore jamais produit depuis 2009 (c’est-à-dire depuis 2258 en intradiégétique/internaliste) tant les lignes de dialogues étaient toujours invariablement stéréotypées et fonctionnalistes. Mais si cette "authenticité" inattendue représente incontestablement une bouffée d’air frais à l’échelle du reboot, elle demeure malheureusement assez quelconque (voire contrefaite) à l’échelle du vrai Star Trek - tout étant relatif. Certes, les échanges entre Spock & Bones, entre Scotty & Jaylah, et dans une moindre mesure entre Kirk & Chekov fleurent bon La série originale, avec une bonne dose d’alchimie, d’ironie et de sous-entendus caustiques. Quant à Chris Pine, son interprétation de Kirk est devenue nettement plus mature, plus fine, le progrès est flagrant. Malgré tout, assez rapidement, tout cet exercice de ralliement presque liturgique finit par apparaître pour ce qu’il est en réalité : un travail d’imitation voire de contrefaçon. À la façon dont une mélodie pleine de magie, chargée de nostalgie et de sens, transparaîtrait tant bien que mal derrière un remix techno (quand bien même réalisé avec respect)… Cela évoque puissamment TOS, oui, mais pour souligner ensuite à quel point ce n’est en fait pas TOS !
Alors ce jeu de Colin-maillard à la fois synesthésique et sadomasochiste pourra émouvoir, peut-être même émerveiller… ou alors exaspérer selon les sensibilités.

Et ce focus sur les personnages n’est de toute façon pas exempt d’écueils bien soaps, surtout dans le cadre du couple Spock/Uhura que traine le reboot depuis 2009 comme un boulet de teen movie, et qui atteint ici son point culminent de contreproductivité scénaristique lorsque les choix de destin de Spock (et partant de New Vulcan s’articule finalement autour de la poursuite ou non de sa relation sentimentale avec Uhura.
Pas plus que ce focus sur les personnages n’est exempt de lourds truismes abramsiens, faussement profonds, par exemple lorsque Bones dit à Kirk avec force componction « You spent so long trying to be George Kirk, you forgot what it meant to be Jim. », c’est du même tonneau que dans Star Trek 2009 lorsque Pike disait au jeune Kirk avec force prédestination : « You can settle for a less than ordinary life, or do you feel like you were meant for something better ? Something special ? Enlist in Starfleet. »
Mais la perle est sans aucun doute une phrase tirée du journal de bord du capitaine et qui est supposée expliquer son désintérêt pour l’exploration spatiale : « But if the universe is truly endless, then are we not striving for something forever out of reach ? (Si l’espace est infini alors ne cherchons-nous pas à atteindre l’inaccessible ?) » No comment !
En fin de compte, si le fonctionnalisme calibré des deux premiers opus s’exprime ici bien moins dans les dialogues (c’est déjà ça), il s’exprime hélas tout autant dans la finalité des interactions. Star Trek sans limites aura bel et bien été le "redemption episode" convenu pour les versions rebootées de Kirk et de Spock. Les deux héros envisageaient de changer de carrière au début du film pour des raisons plus ou moins artificielles, mais les événements – pourtant aussi brefs que blockbusteriens – du film auront réussi à les remettre dans le droit chemin de leur prédestination bien plus efficacement que leur (presque) trois ans d’expérience spatiale en commun.

Là où, en revanche, il n’est pas possible de relever un quelconque progrès, même en le voulant très très fort, c’est dans la sphère affligeante des "dialogues" (et faut le dire vite) entre les héros et leurs antagonistes, d’une pauvreté frisant la caricature involontaire. Record de nullité battu dans toutes les scènes opposant Uhura à Krall… qui nous perdent dans les tréfonds de la zèderie, sur les rives des pires productions Asylum.
Star Trek Beyond est effectivement le film de tous les contrastes : pour la volupté (toute relative) de quelques moments à connotation trekkienne, il faut en passer par des moments pires encore que dans les deux films d’Abrams.
Est-ce vraiment un fair trade ? La réponse est bien sûr laissée à la discrétion de chacun…

En tout état de cause, nous touchons là du doigt un syndrome récurrent dans tous les films du reboot produits par Bad Robot (et plus généralement dans la plupart des superproductions contemporaines) : le manque paroxystique d’intérêt des "méchants" de convenance, au point d’être totalement interchangeables entre eux, et posés en outre par les auteurs comme obligatoires et indispensables (alors que l’une des vocations philosophiques de Star Trek est justement de transcender toute notion axiologique de "bien" et de "mal" dans un infini relativisme).
Du coup, tous les acteurs chargés d’interpréter les bad guys de service furent affreusement sous-employés pour ne pas dire ridiculisés, films après films, qu’il s’agisse d’Eric Bana en Nero, de Benedict Cumberbatch en Khan 2.0, et malheureusement aussi d’Idris Elba en Krall. Et cela fait d’autant plus pitié à voir et à entendre qu’Idris Elba est l’un des acteurs les plus brillants et charismatiques de sa génération, apte à composer des rôles complexes et très écrits. Or que lui offre Star Trek sans limites ? Une épaisseur impénétrable de latex ne laissant plus rien transparaître de ses traits et de ses expressions (mais où sont passées les compositions prosthétiques subtiles de Michael Westmore qui réussissait à littéralement transcender le jeu de Robert O’Reilly en chancelier Gowron ?), et un script indigent lui faisant bredouiller au pire des inepties onomatopéiques de Cro-Magnon, au mieux (lorsqu’il reprend vaguement forme humaine avant l’hallali final) des propos foncièrement incohérents.
J’ai mal au vrai Star Trek tout comme aux chefs-d’œuvre indépassables Sur écoute (The Wire), Luther, Ultraviolet

Un verre levé en l’honneur de feu Leonard Nimoy, de feu Anton Yelchin, de feu Spock, et un éloge funèbre à la timeline (originelle) d’où il est venu

"Aux amis absents (To absent friends)", tel pourrait être le sous-titre, l’incipit, ou la dédicace de Star Trek sans limites. Et c’est assurément par cette voie sensible que ce troisième film aura réussi à gagner le cœur d’une partie des trekkers qui n’attendaient plus grand chose après le "rouleau compresseur JJ Abrams".
Et si le film de Justin Lin a au moins réussi une chose, c’est son oraison funèbre – sans pompe ni discours ni grandiloquence (pouah !) – de l’icône du trekkisme par-delà les âges, morte hors-champ. Feu Leonard Nimoy se confond désormais sémiotiquement avec son personnage Spock ("I’m Spock ayant définitivement remplacé "I’m Not Spock"), décédés en même temps le 27 février 2015… et en 2263 dans une autre trame temporelle. Mais c’est seulement sa date de naissance (26 mars 1931) qui aura été célébrée par l’immatriculation (NX-326) de l’USS Franklin.
Pour un verre officiellement levé par Kirk et ses compagnons à la mémoire de la quasi-totalité de l’équipage de l’USS Enterprise vampirisé par Krall dans des conditions atroces, c’est aussi et surtout un verre symbolique dédié à feus Leonard et Spock-canal-historique, indissociables dans l’univers rebooté. Mais le verre aura été également levé à feu Anton Yelchin, décédé trop tôt dans un accident et qui, dans la scène conclusive, fait une apparition presque fantomatique à l’écran, n’ayant alors pas conscience d’être filmé... dans ce qui deviendra son propre hommage posthume. Une mise en abyme que d’aucuns pourraient trouver macabre mais qui prend en fait parfaitement la mesure du fatalisme (et parfois de l’ironie) de la mortalité. Reste maintenant à savoir si JJ Abrams respectera vraiment sa décision courageuse (annoncée sur Postmedia Network) de ne pas recaster (une nouvelle fois) Pavel Chekov, et donc peut-être d’assumer (également) la mort de ce personnage à l’écran (dans le quatrième opus de la Kelvin timeline déjà prévu par la Paramount en dépit d’un score au box office pour le moment assez décevant).
Comme toujours, le réel était appelé à rattraper tôt ou tard la fiction : Star Trek III À la recherche de Spock (The Search For Spock) s’était en son temps déployé autour d’une semblable scène commémorative… mais trichant alors avec une "mort pour de faux", puisque le script prévoyait déjà la "résurrection" de Spock à la fin. Tandis que la mort, la vraie, est toujours marquée de la pesanteur de l’irréversible. Les précédents trekkiens – certes intentionnels quant à eux – sont donc davantage à chercher du côté du trépas poignant et définitif de Kirk dans Star Trek Générations… et aussi au fond d’un autre verre, un verre de Château Picard levé en mémoire de feu Data dans l’ultime film de la franchise historique, Star Trek Némésis.

Toutefois, d’une perspective trekkienne affective, le point culminant du film a été atteint lorsque Spock-Quinto, avisé de la mort de son alter égo l’ambassadeur Spock-Nimoy, accède à ses effets personnels rapportés de sa timeline, pour y trouver un coffret sur lequel est fièrement gravée l’IDIC (Infinite Diversity in Infinite Combinations en langue vulcaine. S’illumine alors dans son corps glorieux une photographie des sept protagonistes de TOScast originel s’il vous plait – tirée d’une photo promotionnelle de Star Trek V L’ultime frontière (The Final Frontier) (ironiquement le plus mal aimé des films et pourtant l’un des plus authentiques au sens de la série originale).
Une scène qui semble avoir arraché des larmes à nombre de trekkers dans les salles obscures, comme l’avait fait en 1996 la scène de "nativité trekkienne" à la fin de Star Trek First Contact (lors de l’arrivée des Vulcains sur Terre). Mais les larmes n’étaient probablement pas de la même nature : le film de Jonathan Frakes accomplissait une prophétie qui dormait silencieusement et inconsciemment dans le cœur de chaque trekker, tandis que le film de Justin Lin aura fait soudain ressortir - par la puissance évocatrice d’une photographie mythique donc à la façon d’une épitaphe - tout ce qui a été définitivement perdu… depuis 2009.
D’une perspective science-fictionnelle maintenant, cette photographie s’apparente à "une fenêtre sur un autre temps" comme nous en avait offertes VOY 04x23 Le témoin (Living Witness), et plus encore à "une fenêtre sur autre univers"… comme en fabriquait le Dr. Walter Bishop dans la série Fringe (produite par Bad Robot).

Mais aussi touchante que soit cette scène (et cette mise en abyme photographique), passé l’aveuglement de l’émotion initiale, il y a tout de même un petit effet indésirable : à savoir la montée en probabilité que Spock-Nimoy (et donc Nero) soient vraiment venus de l’univers originel et non d’un autre univers bien distinct (et dont on se ficherait un peu)… Dommage pour tous les trekkers qui avaient le secret espoir que restât intouchée la parfaite unité du Star Trek historique (les déclarations d’intention des auteurs n’étant pas Canon). Du coup, Romulus et ses habitants auraient bel et bien été anéantis en 2387 dans le Star Trek historique, c’est-à-dire huit ans après Star Trek Némésis. Or il s’agit-là d’une tragédie particulièrement inexplicable tant sur un plan sociologique (au regard de ce que nous avons pu voir des Romuliens et de leur extrême capacité d’anticipation durant 200 ans d’Histoire) que scientifique (au regard de ce que savons des supernovæ, de la vie et de la mort des étoiles)… tout en entrant potentiellement en contradiction avec ce que la série Enterprise avait laissé entrevoir (via la Temporal Cold War) du futur trekkien post-24ème siècle.

Alors quitte à se nourrir des déclarations non-Canon des auteurs, il faut savoir que depuis qu’il a récupéré le portefeuille scénaristique du reboot, Simon Pegg a de plus en plus tendance à s’ériger en caution morale, en script doctor, et même en think tank trekkien à lui tout seul ! Dans cette perspective, il s’est récemment illustré en déclarant que par son arrivée en 2233 (via le trou noir de Hobus en provenance de 2387), Nero aurait non seulement créé une nouvelle timeline (s’étendant donc entre 2233 et le futur infini), mais également un nouvel univers (s’étendant donc depuis l’origine des temps jusqu’à leur éventuelle fin). Parce que, toujours selon Pegg, le futur (altéré) rétro-impacterait automatiquement le passé jusqu’au Big Bang ! Astucieux en effet pour expliquer les nombreuses micro-différences (pour nitpickers only !) qui semblaient déjà exister entre les deux timelines/univers à l’arrivée du Narada en 2233 (à l’instar des stardates grégoriennes). Mais en sciences réelles, c’est une affirmation particulièrement aventureuse, car cela suppose d’extrapoler très librement et sur une échelle de temps très peu vraisemblable le sixième postulat quantique, c’est à dire l’évolution temporelle bidirectionnelle de l’état quantique selon l’équation de Schrödinger. En sciences trekkiennes, cela semble en revanche plus convaincant - de prime abord du moins - étant donné que les voyages temporels sont inéluctablement appelés à devenir tôt ou tard des variables d’ajustements (voire de manipulations) dans le Trekverse, notamment à partir du 29ème siècle (toutefois le 29ème siècle de la timeline originelle mais pas forcément de celle du reboot). Seulement d’un autre côté, la création d’un nouvel univers à part entière (et non d’une "simple" nouvelle timeline qui plus est substitutive et non cumulative) n’est pas du tout conforme à ce que Star Trek avait donné à voir de sa mécanique temporelle - ultra-homogène - durant les quarante années historiques (et ce ne sont pourtant pas les voyages et les anomalies temporelles - dans toute leur largeur de spectre - qui ont manqué)... Quant à invoquer d’improbables propriétés uniques de la Red Matter de Star Trek 2009 - comme tente de le suggérer Simon Pegg - pour justifier l’altération d’une timeline dans les deux sens du temps (!?), cela revient à vouloir essayer de "réparer" après coup des invraisemblances au seul moyen du MacGuffin qui les a initialement engendrées !
Il y a vraiment quelque chose de surréaliste pour ne pas dire d’ubuesque à voir Pegg "se démener" pour tenter de "rattraper" les norias d’inconsistances scénaristiques laissées par Orci et Kurtzman...

Un hommage appuyé à la série prequelle Enterprise, tronc commun de tous les Star Trek, les vrais comme les faux

Inutile de rappeler le caractère séminal de la série Enterprise créée par Rick Berman et Brannon Braga. Incomprise durant sa diffusion, elle demeure plus que jamais aujourd’hui l’une des pièces maîtresses de la franchise. Son ambition était de relater l’aventure spatiale humaine d’avant Star Trek, puis de lever le voile sur les origines multiples et paradoxales de l’utopique Fédération… explorant ainsi la période probablement la plus riche de la chronologie trekkienne. Mais l’ironie du sort, c’est que son annulation prématurée et inique par les Ferengis de la Paramount lui vaut aujourd’hui d’être l’unique série appartenant aux deux timelines, constituant en fait leur seul socle mutuel (puisque antérieure à la fourche causale de 2233), portant ainsi au carré sa vocation prequelle.
Et cette réalité causale aura été assumée comme jamais par le troisième film du reboot… dont tout le ressort scénaristique repose en fait sur les incidences de l’ère d’Enterprise – et plus particulièrement leur part négative oubliée d’une Histoire qui consigne et exacerbe plus volontiers leur seule part positive (la Fédération, les accomplissements humanistes et scientifiques…). Loin du petit clin d’œil timoré de Star Trek 2009 (i.e. le beagle de l’amiral Archer disparu dans une expérience de trans-téléportation ratée), c’est ici carrément l’antagoniste – oui, l’antagoniste qui détruira l’USS Enterprise de Kirk, vampirisera une partie de son équipage, puis cherchera à exterminer la Fédération – qui provient en fait de la société prequelle et qui est supposé être un pur produit de ses traumas et de ses guerres (Xindis et Romuliennes, cités explicitement dans le film). Son dossier militaire révélera d’ailleurs sa qualité de soldat vétéran des MACO (Military Assault Command Operations), ayant participé aux guerres xindi (ayant donc probablement servi à bord de l’Enterprise NX-01 sous le commandement de Jonathan Archer durant la saison 3 d’ENT) puis romulienne (que la série prequelle devait justement mettre en scène dans ses saisons 6 à 10 si elle n’avait pas été annulée en 2005).
Mais Star Trek Beyond ne s’arrête pas là. Il va même jusqu’à accorder la place d’honneur à un petit vaisseau contemporain du NX-01 de Jonathan Archer, l’USS Franklin, au design très proche (quoique plus rustique et plus compact), pourvu des mêmes "polarized hull plating" que Kirk activera d’ailleurs (en lieu et place des boucliers/shields non inventés à l’époque), et ne disposant pas encore de téléporteurs validés pour le transport d’êtres vivants (contrairement au NX-01 qui eut l’honneur de recevoir les premiers). Place d’honneur en effet, car c’est bien grâce à ce substitut de Faucon Millenium (Millennium Falcon) retapé par Scotty que Kirk sauvera le jour.
À cette occasion, c’est tout juste si les "versions reboot" des héros de TOS ne revêtiront pas les uniformes de la série Enterprise. En effet, les tenues de survie du vaisseau de de Kirk évoquent les uniformes du NX-01 au bémol près de quelques nuances (même coupe et même couleur bleue, mais galonnage différent). Malgré tout, difficile de faire rimer ce clin d’œil timoré avec les audaces inégalées du diptyque ENT 04x18+04x19 In A Mirror Darkly où les "versions miroir" des protagonistes de la série prequelle avaient revêtu les uniformes de La série originale. Le prototype même de détail ludique ou fétichiste qui insuffle généralement une grande jouissance à une âme de trekkie... mais dont il ne reste dans ce troisième Kelvin qu’un arôme artificiel éventé.

Dans une certaine mesure, Star Trek sans limites pourrait donner l’impression de porter son attention sur les bas-côtés, sur les caniveaux, et partant, sur les laissés-pour-compte de l’aube spatiale. Est-ce à dire qu’il serait en quelque sorte le remake explosif et à gros budget d’ENT 01x06 La colonie perdue (Terra Nova), un épisode (généralement peu apprécié), qui renvoyait quant à lui à une époque encore plus embryonnaire de l’exploration du cosmos, au lendemain de la découverte du FTL (warp/distorsion) par les humains (Zefram Cochrane) ? Là aussi, il s’agissait d’une mission spatiale qui se terminait mal, des astronautes coincés sur une planète peu hospitalière, dans l’impossibilité d’entrer en contact avec leurs semblables terriens, et que le silence béant (des sphères) aura fait progressivement sombrer dans une paranoïa complotiste. Seulement au contraire d’Altamid, sur la planète Terra Nova, nulle technologie archéo-futuriste abandonnée par d’improbables Grands Anciens, nulle perspective vengeresse (si tant est qu’elle ait pu intéresser ces pionniers-là), juste les plus humiliantes contraintes de survie… ayant finalement transformés en l’espace de deux générations les colons-astronautes menés par le capitaine Mitchell en "homme des cavernes".

Alors faut-il voir dans tout ça une lettre d’amour à la série prequelle, aussi bien dans ce qu’elle a eu la possibilité que ce dans qu’elle avait l’intention de mettre en scène ? Faut-il en déduire que les auteurs de Star Trek Beyond connaissent, aiment, et comprennent la série Enterprise ? Difficile de conclure, parce que la simple consultation rapide d’un wiki en ligne peut désormais suffire à l’ébauche d’un tel script. C’est d’ailleurs ce que Simon Pegg admet lui-même avoir fait, remerciant au passage les contributeurs américains de Memory Alpha. Eh oui, les choses ont bien changé. Du temps béni de Gene Roddenberry et de Rick Berman, il n’existait aucun portail interactif de ce genre pour offrir instantanément à n’importe qui une illusion de savoir.
Et justement, au royaume de la cuistrerie, il est difficile de ne pas relever de curieuses "bizarreries" dans les relations que Star Trek sans limites tente de nouer avec la série prequelle, aussi bien en termes de chronologie que de psychologie. L’USS Franklin est présenté dans le film comme le premier vaisseau humain à distorsion 4, donc forcément antérieur au NX-01 d’Enterprise (puisque défini comme étant le premier vaisseau humain à distorsion 5), pourtant son immatriculation est clairement ultérieure (NX-326) et jamais la série prequelle n’en a fait mention (alors que l’extrême fragilité contextuelle face aux Xindis l’aurait largement justifié). Quant aux motivations vengeresses de Balthazar M. Edison, Anderson Le, and Jessica Wolff, des motivations explicitement établies comme antérieures à leur métamorphose respective en Krall, Manas, Kalara par la technologie de transfert d’énergie des Grands anciens (Ancient Ones) d’Altamid, elles contredisent largement les idéaux moitié-naïfs moitié-traumatiques des artisans de la Fédération – exemplaires soldats MACO ô combien inclus – tant mis à l’honneur par la série prequelle.

Bien entendu, avec une bonne connaissance de l’univers trekkien et un peu d’imagination, il est toujours possible de "rattraper le coup", c’est-à-dire d’assurer une fois de plus soi-même (et pour pas un rond) le S.A.V. du travail bancal (ou du moins incomplet) des scénaristes. Après Star Trek 2009 et Star Trek Into Darkness, les trekkers commencent à en avoir l’habitude. C’est même en passe de devenir tellement naturel qu’ils s’en plaignent de moins en moins. L’homme s’habitue en effet à tout… surtout lorsqu’on maquille de bien réelles carences en prétexte à connivence.
En guise d’illustration ludique, faisons donc un peu de broderie et de couture pour bétonner tout ce bousin...
Admettons donc que l’USS Franklin était le premier vaisseau terrien à distorsion 4. Il l’était assurément à l’origine, au moment de sa construction, mais il a très bien pu être upgradé ensuite (comme l’a par exemple été le NX-01 après 2155 dans ENT 04x22 These Are The Voyages…). Construit avant le NX-01 (distorsion 5), en un temps où la Fédération n’avait pas même été imaginée (et encore moins son système d’immatriculation), il portait simplement le nom de Franklin (sans USS). Son millésime se glisse alors fatalement dans l’étroite fenêtre temporelle sise entre 2145 (le premier vol expérimental humain à distorsion 3 sur le NX-Delta de Duvall figurant en flash-back dans ENT 02x24 L’étoffe d’un héros (First Flight) et 2151 (le premier vol inaugural humain à distorsion 5 par le NX-01 de Jonathan Archer dans ENT 01x01+01x02 En avant toute (Broken Bow). Avec la fondation de la Fédération (UFP) en 2161, la force militaire terrienne des MACO a été dissoute, mais contrairement au NX-01 qui a été symboliquement décommissionné (cf. l’épisode épilogue d’ENT), le Franklin (dont l’immatriculation pouvait être à l’origine par exemple NX-Epsilon) a été intégré à la nomenclature du nouveau Starfleet (c’est-à-dire le Starfleet de la jeune Fédération et non le Starfleet strictement terrien d’avant 2161) et est ainsi devenu l’USS Franklin NX-326 (en remplacement du Franklin NX-Epsilon par ex.). Peut-être parce qu’avant 2161, le Franklin avait été placé sous les commandement des MACO, et même assigné à la défense de la Terre durant la saison 3 d’ENT (expliquant que la série prequelle n’en ait jamais fait mention), son commandement a été finalement été confié au vétéran Balthazar M Edison (intégré à Starfleet et élevé au grade de capitaine de vaisseau, peut-être pour le récompenser de son service exemplaire en tant que soldat MACO et/ou pour "compenser" la dissolution du corps auquel il appartenait). Que Scotty déclare (au moment de téléporter Bones) qu’il vient de bidouiller des téléporteurs à l’origine conçus uniquement pour le fret confirme bien que la construction du Franklin est antérieure à celle du NX-01. Ce passage pourrait d’ailleurs constituer une allusion au pilote de la série prequelle où plusieurs membres d’équipages s’étonnaient de la possibilité de téléporter des humains, cette technologie étant alors réputée réservée à la matière inerte.
Et hop, voilà donc le cas nébuleux de l’USS Franklin légitimé en internaliste !
Passons maintenant au cas plus épineux de son commandant…
Krall était - dans une autre vie - le terrien Balthazar M. Edison, vétéran et héros des guerres ayant présidé à la genèse de la Fédération des Planètes. Officier MACO et compagnon d’armes de Jonathan Archer durant la "campagne xindie" dans le Delphic Expanse et possiblement par la suite durant la mythique guerre Terre-Romulus. Balthazar M. Edison fut ainsi le témoin privilégié de la genèse d’une ère nouvelle, de la fondation de l’UFP en 2161, une UFP idéaliste et pleine de rêves dans la tête pour conjurer les guerres cruelles (et même les génocides) qui ont précédé. Mais en dépit d’une réussite éclatante aux yeux de la postérité (et d’un moment si enviable aux yeux des trekkers), le prix humain de la construction de cette jeune utopie fut très élevé, et ce sont toujours les soldats – aux premières lignes de l’horreur – qui y ont laissé une partie de leur humanité. Reconnaissance sociale, décorations clinquantes, et promotions gratifiantes n’y auront pas changé grand-chose. D’autant plus qu’Edison se considérait en propre frappé de la même obsolescence que le corps militaire MACO lui-même, vestige encombrant d’un passé qu’il était plus confortable d’oublier, historiquement essentiel à l’existence même de la Fédération, mais faisant en même temps injure à l’ordre utopique nouveau. Et se voir intégrer à Starfleet puis confier le commandement d’un vieux vaisseau plus ou moins dépassé (quand bien même initialement MACO), et désormais intégré à la nouvelle flotte de la Fédération, cela pouvait laisser une amertume, aussi indéfinissable que viscérale. Celle d’avoir gagné toutes les guerres de son temps et d’avoir ainsi contribué à bâtir un monde meilleur, mais d’y avoir en même temps perdu sa raison d’être. Dès lors, il "suffisait" d’un crash sur une planète lointaine isolée, sans possibilité d’être entendu ni retrouvé par les siens… pour que sa foi – déjà pas bien grande – en la Fédération vacille, et que cette dernière devienne sur le temps long un bouc émissaire symbolique à la fois de son malheur et de son mal-être. La technologie de transfert énergétique d’Altamid, et ses propriétés hautement narcotiques, achevant de transformer Dr. Edison en Mr. Krall, un prédateur psychopathe dont le discours incohérent n’était qu’une rémanence fragmentée et dégénérée du héros qu’il fut en des temps pionniers. Et puis, argumentum ad potentiam, le vrai Star Trek ne manque pas d’alibis, c’est-à-dire de "précédents" faisant en quelque sorte "jurisprudence", avec de grands hommes devenus cinglés à l’instar du capitaine Garth Of Izar (dans TOS 03x14 Whom Gods Destroy) qui sera probablement au cœur de la prochaine série Star Trek Discovery de Bryan Fuller (après l’avoir déjà été dans la fanprod très médiatisée Prelude To Axanar).
Alors, cette conjecture improvisée à la va-vite vous a-t-elle convaincus de la cohérence et - tant qu’à faire - de la "profondeur" du destin tragique de Balthazar Edison, rejeton oublié et maudit de la série Enterprise ? La réponse plurielle à cette question singulière illustre bien la façon dont tout un chacun pourra aussi bien se convaincre de la crédibilité que de l’absurdité d’un même film…
En tout état de cause, cette petite apagogie (ou raisonnement par l’absurde) aura saisi l’abysse qui peut exister entre tout ce qu’il n’y a pas dans un film (ni dans les têtes de ses auteurs/commanditaires/mercenaires) et tout ce que le fanboy énamouré peut décider d’y mettre pour justifier sa posture et tenter d’universaliser son ressenti.

Un mot symbolique sur la réalisation ciné

JJ Abrams et Justin Lin sont tous deux de bons techniciens, qui se sont donc professionnellement acquittés du travail de forme pour lequel ils ont été grassement payés.
Mais contrairement à ce que sa réputation de réalisateur enfiévré de Fast & Furious laissait craindre, Justin Lin aura même su composer des scènes plus intimistes et introspectives que son prédécesseur, réussissant ainsi à faire moins injure au style cérébral de Star Trek, encore que c’est avant tout au scénario que l’on doit ce parti pris (JJ Abrams aurait donc probablement réussi à en faire au moins autant, cf. son Super 8 de 2011). Plus curieux encore, les scènes d’actions de Justin Lin – à peine moins nombreuses – se sont paradoxalement révélées dans l’ensemble moins lisibles et maîtrisées que chez JJ Abrams. Qu’il s’agisse de l’interminable destruction de l’USS Enterprise, du renversement inutile de la soucoupe sur Altamid (où la duplice Kalara trouvera la mort), de l’attaque en diversion de la base de Krall par le biker Kirk sur sa grosse cylindrée sortie de Sons Of Anarchy et à l’aide du démultiplicateur holographique de Jaylah, ou encore de la course-poursuite à rallonge sur Yorktown, toutes ces scènes sont finalement assez soûlantes, presque soporifiques, tant elles sont sursaturées d’action et d’agitation inutiles, tant elles capitalisent uniquement sur l’image au détriment de la perception. La destruction de l’USS Kelvin dans le teaser de Star Trek 2009 tient du chef d’œuvre cinématographique en comparaison. Et ne parlons pas de la "mort" des USS Enterprise dans Star Trek III À la recherche de Spock et Star Trek Générations qui boxent dans une toute autre catégorie : celle des déchirements et des deuils, lorsque le trépas d’un vaisseau sonne en même temps le glas de toute une époque. Rien de tel malheureusement dans Star Trek sans limites, ne fut-ce que parce que les deux opus précédents n’ont jamais donné à s’attacher à un vaisseau désincarné au look d’Apple Store.
Malgré tout, à l’inverse des scènes d’action à proprement parler (i.e. destruction de vaisseau, combat au sol…), Justin Lin s’est acquitté avec une réelle maestria de toutes les séquences de navigation spatiales et aériennes, tout particulièrement dans le cadre de l’exploration sensationnaliste de la cité Yorktown… mais davantage dans un style roller coaster / parc à thème que cinématographique à proprement parler.
Mention spéciale pour la pertinence de la représentation du voyage à distorsion présenté (pour la toute première fois) d’une perspective latérale (lorsque l’USS Enterprise fait cap vers Yorktown), laissant ainsi apparaitre les bulles de distorsion courbant l’espace à la façon de vagues tridimensionnelles successives (respectant ainsi à la fois le manuel technique de TNG publié en 1991/2005 par Michael Okuda & Rick Sternbach et les considérations techniques de l’épisode TNG 04x05 Souvenez-vous de moi ! (Remember Me).
En résumé, dans les scènes intimistes et introspectives, ainsi que purement spatiales/aérienne, Justin Lin n’a rien à envier à son prédécesseur. Mais dans les trop nombreuses scènes survitaminées à grand spectacle, la forme chute un petit cran en dessous de celles des deux précédents films (on en viendrait presque à regretter les lens flares méta-artistiques de JJ Abrams).

Deux kudos sans réserve (mais seulement deux)

Bien qu’humaine à l’origine, Jessica Wolff a été physiquement - et possiblement mentalement – transformée par l’energy transference system d’Altamid. C’est donc sous la forme d’une extraterrestre, ne parlant que la langue de ses précédentes proies humanoïdes, que Kalara est scannée et examinée par les systèmes très High-Tech de Yorktown (écrans transparents et incurvés, affichages tête haute (HUD), réalité augmentée, surimpression holographique… le reboot est décidemment indexée sur les dernières tendances (ou phantasmes) geeks de l’actu Google-Facebook-Microsoft-Samsung-Apple).
Et c’est alors que Star Trek sans limites concrétise pour la toute première fois l’un des projets que Rick Berman et Brannon Braga destinaient à la série prequelle dans le cadre de la place cardinale que ses premières saisons devaient accorder aux problèmes de communication et de traduction avec les aliens rencontrés : entendre à la fois la voix originelle des extraterrestres dans leur langue d’expression réelle (avec mouvement de la bouche synchronisée sur la VO) et en léger décalage la traduction recomposée (par les traducteurs universels) dans la même voix en langue anglaise. Ce mode de fonctionnement des universal translators incomparablement plus transparent constitue un pur fantasme pour tout amateur de hard SF, que malheureusement aucune SF n’avait encore jamais vraiment mis en scène. Bien entendu, Star Trek ne manquait pas d’argument pour justifier en internaliste l’entente exclusive par les personnages humains (et donc par les spectateurs) des seules traductions en anglais (en l’occurrence des systèmes d’inversion de phase en temps réel extrapolant les actuels casques aéronautiques à réduction de bruit active…). Néanmoins, après des années à ce régime routinier, il arrivait que les auteurs finissent par perdre un peu de vue que les dialogues inter-espèces reposent sur des UT non dépourvus de contraintes inhérentes (à exemple des structures variables SVO ou des idiotismes culturels…), et les spectateurs finissaient du coup par avoir l’impression – certes subjective – que l’univers entier de Star Trek parlait anglais (en somme comme l’univers de Stargate). C’est dans ce contexte qu’un surcroit d’attention porté sur les questions d’exo-linguistique prend tout son sens dans une série prequelle, et représente même un enjeu épistémologique majeur comme ont pu en témoigner des classiques de la SF littéraire (à l’exemple de L’Invincible et de Fiasco de Stanislas Lem, de Pontesprit de Joe Haldeman...).
Malheureusement, il y a toujours un écart entre les belles idées et la faisabilité pratique, et il s’est avéré durant la phase de production d’ENT qu’il n’était tout simplement pas tenable matériellement : #1 d’inventer pour l’ensemble des dialogues de chaque épisode une nouvelle langue extraterrestre (qui ne ressemblât point à de l’espagnol mal prononcé), #2 de faire interpréter les acteurs dans ces langues imaginaires sans y perdre en expressivité, #3 et de leur faire réaliser leur propre doublage ensuite ! Du coup, cette "traduction universelle à double voix" a fini au cimetière des formidables projets avortés pour la série prequelle (tout comme un style davantage dark ‘n gritty, l’absence totale de téléporteurs, une première saison sise uniquement sur Terre, et j’en passe…).
Quinze ans après, Star Trek sans limites a le grand mérite d’avoir exaucé ce vœu pieux techno-linguistique le temps d’un film, confirmant bien à cette occasion à quel point ce parti pris expérimental est casse-gueule et ingérable à grande échelle (Kalara n’a que peu de répliques, son incarnation est ectoplasmique, presque virtuelle), mais offrant en même temps une "vérité extraterrestre" rarement atteinte du seul fait de la préservation automatisée de la barrière linguistique.
Kudos.

Il n’existe pas un sujet plus polémique que l’homosexualité dans Star Trek. Notamment parce qu’il est difficile pour tous les apologètes de la franchise de concilier sereinement son extrême avant-gardisme social en matière de métissage et de libertarisme (première représentation audiovisuelle de tous les phénotypes humains affranchis de tout marqueur ethnoculturel, premier baiser interracial télévisuel, tolérance envers toutes les formes de diversités et de choix de vie, économie techno-communiste, etc.) et à l’opposé son absence complète de tokenisme en terme de visibilité LGBTI humaine durant ses quarante années de production historique (1964-2005).
L’explication est à rechercher du côté de son créateur Gene Roddenberry qui, emporté par une foi prométhéenne sans borne en l’humanité et les progrès qu’elle était appelée à accomplir sur le temps long, avait imaginé sans malice que l’homosexualité était simplement une "maladie" génétique comme une autre que la science trekkienne allait forcément "guérir" ! En le rapportant à son époque, il serait bien anachronique de qualifier ce raisonnement d’homophobe, surtout qu’il n’était alors pas possible d’anticiper une évolution sociologique vers l’affirmation communautaire. Mais ce sujet est aujourd’hui délicat à aborder car Gene Roddenberry est désormais devenu une figure hagiographique quasi-religieuse qu’il n’est plus permis de questionner (visionnaire, gourou, et saint comme chaque trekkie le sait), tandis qu’en même temps l’hystérie politiquement correcte est prête à foudroyer n’importe qui au moyen du plus infamant des anathèmes ("homophobie") !
Du coup, il est plus pratique de faire porter tous les éventuels torts à son successeur Rick Berman qui, adoubé par Gene en personne, avait mis un point d’honneur – jusqu’en 2005 – à rester scrupuleusement fidèle à l’ensemble de sa vision. Et c’est ainsi que durant quarante ans, l’homosexualité est restée en elle-même un non-sujet dans Star Trek (les volontés idéologiques d’intégrer des personnages humains ouvertement gays dans le main cast ayant été in fine systématiquement écartées), tandis que l’attention narrative était portée sur la dénonciation (allégorique ou transpositionnelle) des préjudices directs ou indirects endurés par les homosexuels durant les diverses époques de production (ou dans l’Histoire terrienne)...
Mais paradoxalement, s’il aurait été courageux de faire figurer à l’écran des personnages ouvertement gays avant tout le monde (ce qui aurait impliqué de la faire dans TOS et non à partir de TNG), il ne fallait pas moins de courage pour persister à n’en faire figurer aucun lorsque tout Hollywood s’y était mis ad nauseam.
Certes, ce fut probablement une occasion historique manquée (dans la série originale). Mais manquée pour manquée, mieux valait ensuite ne pas courir misérablement derrière les modes. Star Trek aura ainsi su demeurer jusqu’au bout (enfin jusqu’à 2005) indépendante des vogues, soit en les lançant, soit en les ignorant. Et elle aura ainsi renforcé, plus qu’aucune autre œuvre, le caractère post-tokeniste de sa société emblématique, en transcendant toutes les fiertés communautaires et laissant à la sphère intime les orientations sexuelles. Des épisodes comme TNG 04x17 The Outcast, DS9 02x23 Crossover, DS9 04x06 Rejoined, VOY 07x07 Body And Soul, et ENT 02x14 Stigma sont là pour témoigner de l’absence d’homophobie chez Rick Berman, mais également de son intelligence à vouloir dépasser les exhibitions, les militantismes et les communautarismes foncièrement anachroniques dans l’utopique Fédération du Trekverse.

Mais en 2016, la donne est devenue fort différente. Rick Berman a hélas pris sa retraite après avoir été inélégamment remercié par la Paramount fin 2006, tandis que fut embauchée en 2007 une nouvelle équipe sans aucun lien avec Gene Roddenberry (si ce n’est d’utiliser sans retenue son nom pour vendre tout et n’importe quoi). Et la caractéristique première du reboot lancé en 2009 est de n’avoir strictement aucune personnalité, d’être un consommable stéréotypé formaté par des études de marché, enchaînant les blockbusters semblables à tous les autres blockbusters. Dès lors, l’alignement sur les modes étant dans l’ADN du reboot, la question n’était plus de savoir si l’homosexualité humaine allait s’y inviter de façon ostentatoire, mais simplement quand et comment.
Star Trek sans limites apporte cette réponse, et contre toute attente, elle est plutôt intelligente, au minimum astucieuse !
Bien entendu, il ne faut pas être dupe : lorsque le scénariste Simon Pegg a annoncé en fanfare début juillet 2016 - donc avant la sortie du film aux USA – qu’il avait fait du Sulu recasté un personnage gay, son objectif putassier était de lancer un gros buzz médiatique dans le cadre de la promotion du film. Peu lui importait que son parti pris d’écriture (ou de marketing) ne semblât s’inscrire dans un conformisme de quotas, et pire, ne trahît la sensibilité gay (et la déontologie professionnelle) de l’acteur George Takei (qui s’était investi durant toute sa carrière à faire de son Sulu un personnage hétérosexuel convaincant). Signe éloquent : Pegg opposa Takei une fin de non-recevoir aussi impitoyable que faussement déférente.
Néanmoins, par-delà les intentions réelles (et les bassesses éventuelles) des auteurs, l’exercice se juge sur pièce, et pour un univers multi-auteurs en work in progress durant désormais plus de cinquante ans, l’internalisme demeure l’arbitre ultime de la pertinence. Or sur terrain-là, le terrain de l’in-universe, il s’avère que c’est un vrai sans-faute, à dire vrai dans l’esprit de ce que fit durant quatre saisons avec tant de maestria la série Enterprise envers la chronologie trekkienne : introduire de nouvelles perspectives sur ce que l’on croyait savoir pour crédibiliser et grandir rétrospectivement l’ensemble de l’édifice. La scène en question de Star Trek sans limites est brève et se déroule dans l’indifférence la plus totale aussi bien de la caméra que des héros débarquant sur Yorktown (bravo au non-regard teinté de bienveillance que Kirk-Pine porte sur le couple de Sulu !). Mieux, elle n’aurait même probablement pas été remarquée par la plupart des spectateurs sans le focus préalable de Simon Pegg dans les médias et sur les réseaux sociaux. Autant dire qu’elle matérialise à la perfection un principe essentiel, prenant encore plus de sens dans le futur trekkien, à savoir le droit à l’indifférence... et qui était justement l’inhérence première du Star Trek bermanien jusqu’en 2005.
Dans la Kelvin timeline, le compagnon (ou mari) de Hikaru Sulu est donc un homme. Eh bien, so what ? Des sept personnages principaux de La série originale, Sulu est le seul à n’avoir connu aucune aventure (du moins à l’écran) avec une femme, tout au plus avait-il laissé filtrer un intérêt discret pour Uhura (au début de TOS) puis pour Ilia (au début de Star Trek Le film (The Motion Picture), et enfin pour la belle musculature klingonne de Vixis (à la fin de Star Trek V L’ultime frontière (The Final Frontier)). Qu’importe au fond, le Sulu originel pouvait parfaitement être bisexuel. Ou alors, pour aller dans le sens de la réponse publique de Simon Pegg à George Takei, ainsi que des études de genres d’Alfred Kinsey, chacun posséderait un certain potentiel d’hétérosexualité et d’homosexualité à la naissance qui se verrait ensuite hypertrophié/atrophié selon le vécu spécifique – et les vécus furent en l’occurrence bien distincts chez les Hikaru Sulu des deux timelines. Formulé d’une façon plus SF (et bien entendu dans le cadre de l’hypothèse quantique des multivers de Hugh Everett), il existerait au moins un univers parallèle ou tout hétérosexuel posséderait son alter-ego homosexuel (et inversement), et un Sulu hétérosexuel dans TOS n’aurait du coup rien d’incompatible avec un Sulu homosexuel dans le reboot.
Mais mieux encore que toutes ces arguties mesquines sur la sexualité des anges, il serait plus trekkien d’estimer qu’il n’existerait simplement plus dans l’utopique Fédération – multi-espèces et multi-sexuelles (cf. l’exceptionnel ENT 02x22 Le troisième sexe (Cogenitor)) – de distinction pertinente entre hétérosexualité et homosexualité. La société humaine de Star Trek ayant depuis longtemps dépassé toutes les formes de revendications et d’exhibition identitaires/communautaires, qu’elles soient nationales, religieuses, ou sexuelles, il n’y aurait donc plus ni stigmatisations ni besoins d’appartenance, ni étiquetages ni clivages, simplement des rencontres personnelles entre individus ne prêtant à aucune forme d’amalgame ou de généralisation (un peu à la façon dont la sexualité était mentalisée dans l’antiquité hellénique). Soit une superbe façon de se reconnecter en quintessence à la vision réelle de Gene Roddenberry entretenue dans l’âtre si longtemps par le fidèle Rick Berman.
Pour le coup, les auteurs de Star Trek Beyond, qu’ils aient été animés par de bonnes ou de mauvaises intentions (voire par une absence totale d’intention), ont eu de facto la main étonnamment légère et heureuse sur ce sujet, a fortiori au regard des standards particulièrement primaires et suivistes du reboot.
Kudos.
Il n’est d’ailleurs pas certain que la future série Star Trek Discovery développée par le piètre Alex Kurtzman réussisse à être aussi fine sur cette question, étant donné ses prétentions idéologiques et la place visible qu’elle prétend vouloir donner à l’homosexualité… en un âge de l’humanité où ce qualificatif clivant et réducteur est probablement devenu sans objet. Mais là réside le piège perpétuel : instrumentaliser et même trahir la société trekkienne pour ne parler en fait que de notre morne époque. C’est justement ce que le reboot a (très mal) fait depuis 2009, à l’exception notoire - donc - de la méta-sexualité de Sulu dans Star Trek Beyond.

Conclusion

Il est certain que Star Trek sans limites distille une douce mélopée familière, une fragrance trekkienne, qui parlera intimement à l’affectivité d’une majorité de trekkers, tout particulièrement ceux qui se sont sentis dupés par les deux films de JJ Abrams. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que ce chant des sirènes se nourrira aussi de l’immense frustration mâtinée de résignation qui a progressivement gagné la communauté des fans, superproduction après superproduction. Les trekkies les plus impliqués auront eu sept ans pour en prendre leur parti, pour passer inconsciemment de l’indignation à la normativité, tout en se consolant parfois au moyen de fan-productions - quant à elles de plus en plus nombreuses et visuellement quasi-professionnelles.
Rien d’étonnant donc que, dans l’empire des ersatz, il soit toujours possible de se satisfaire des quelques cacahuètes – quand bien même grand luxe et aromatisées "TOS" – que daignent lancer les derniers mercenaires en date de la Paramount… et même pourquoi pas, de trouver des trésors de "trekkisme vrai" chaque fois que le vide sémantique s’habille de signes de reconnaissance, c’est à dire en langage fan-service, de "clins d’œil internalistes".
Aucun doute, Simon Pegg et Justin Lin aiment davantage et connaissent mieux l’univers de Star Trek (ou, à tout le moins, savent mieux utiliser les wikis) que Roberto Orci, Alex Kurtzman, et JJ Abrams. Mais le comprennent-ils mieux pour autant ? Rien n’est moins sûr.
Pour une série d’améliorations portées sur la qualité des échanges entre les personnages principaux, sur la capacité à freiner le train de l’action pour ménager quelques ralentis et focalisations, sur la diversité des références internes (dépassant enfin le seul horizon de La colère de Kahn), sur la mise à l’honneur de la série prequelle, sur l’élégance des commémorations funèbres (Nimoy/Spock/Yelchin), sur quelques scènes de SF impressionnantes et virtuoses (Yorktown), et sur une poignée d’inspirations inattendues (comme l’homosexualité de Sulu ou la traduction universelle à double voix)… oui, on pourrait croire que ça fait tout de même pas mal… eh bien, en retour (le prix à payer en somme) Star Trek sans limites partage – voire aggrave – les travers les plus saillants et dirimants des deux précédents films de JJ Abrams : exploration trekkienne réduite à une formalité de dédouanement, méchant(s) stérile(s) et cartoonesque(s), manichéisme anti-trekkien, victoire abracadabrante des "Gentils" sur les "Méchants", record historique d’incohérences factuelles, facilités et raccourcis narratifs à la pelle, faible congruence générale, innéisme oligarchique (V.I.P. only) et mépris implicite des anonymes, technologies anachroniques et mégalomaniaques, micro-univers de surenchère où tout va trop vite, scènes d’action souvent peu lisibles (et inutiles)... et surtout, surtout, absence totale d’apport sémantique c’est-à-dire de fond ! Aucun doute, sur la balance, les défauts pèsent ici beaucoup plus lourd que les qualités !
Et il ne faut pas se méprendre : quelques bonnes lignes de dialogue centrées sur les interactions entre les seules vedettes de la distribution principale, ce n’est pas du fond (pas plus que ce n’est en soi de l’humanisme) ! C’est peut-être une condition nécessaire au vrai Star Trek oui, mais ce n’est certainement pas une condition suffisante !
L’écriture de la seule interaction, c’est du character driven, du buddy movie, du soap-opera, de la camaraderie, de l’esprit de famille, une soirée entre amis... c’est-à-dire l’essentiel de l’entertainment d’Hollywood qui ne s’appelle pas Star Trek.
En revanche, le véritable Star Trekvéritable dans le sens de ce qu’il fut entre 1964 et 2005 – c’est bien davantage qu’une histoire de potes, car il n’est franchement pas nécessaire d’aller si loin dans le temps et dans l’espace pour faire ce que font si bien les sitcoms ici et maintenant (ainsi que les comédies "so british" de Simon Pegg).
Le véritable Star Trek, c’est du story driven et de l’universe driven, ce sont des réflexions, des dilemmes, de vrais sujets de fond qui touchent aussi bien aux problèmes de société, aux structures, au droit, à la politique, à l’éthique, à la philosophie, aux sciences, à la définition de la vie, aux questions existentielles et métaphysiques, et plus généralement à tout ce qui dépasse l’entendement humain grâce au spectre élargi et multidimensionnel de la SF.
Le véritable Star Trek, c’est une œuvre qui cherche à déranger et à faire évoluer les spectateurs non à engranger les "like" sur les réseaux sociaux (tout en se dédouanant par des notes d’intention), c’est une œuvre qui a quelque chose à dire et pas seulement à montrer.
Et sorry Ronald D. Moore, mais le format film n’a jamais été une excuse pour n’avoir aucun fond. Le fond n’est pas l’apanage des seules séries télévisées, tout un siècle de 7ème Art peut en attester de façon éclatante, et même dix vrais films Star Trek peuvent (plus modestement peut-être) en témoigner aussi.
Tout au mieux, Star Trek sans limites peut-il être considéré comme un film sympathique et entrainant, parfois même assez bien dialogué voire touchant par tout ce à quoi il renvoie, effleurant ainsi l’écume de l’essence trekkienne… mais qui finalement – par lui-même – ne dit rien, ne parle de rien, ne sert à rien.
Tout au mieux, Star Trek sans limites est-il un bel hommage à Star Trek, à la grandeur de ce que fut Star Trek dans une autre vie (comme dirait Nero à propos de Kirk), mais ce n’est pas en lui-même un Star Trek.

Petit algorithme conclusif à l’usage des trekkies

Le trekker qui - généralement sous l’angle ludique - a kiffé le reboot de 2009 et son sequel de 2013 ne sera ni déçu ni dépaysé par Star Trek sans limites. Dans les grandes lignes - les seules qui importent selon la grammaire des blockbusters - c’est bien le même visage relifté et "dépoussiéré", le même micro-univers centripète, le même recast jeuniste, le même esprit iconique, les mêmes raccourcis (spatiaux, temporels, et narratifs), le même sens du rythme et du spectacle, quasiment autant d’action sous stéroïdes… et c’est tout aussi reposant intellectuellement (après une journée de travail, cela fait toujours du bien d’arrêter un peu de penser).

En revanche, le trekker-orphelin-depuis-2005 aura quant à lui deux - en fait trois au total - façons différentes d’appréhender Star Trek sans limites :
- Soit sous l’angle cynique (profil : trekker vacciné) : en considérant que le vrai "tour de force" de ce troisième film est surtout de réussir à faire davantage illusion que les deux précédents, donc d’être le pire des trois en termes d’usurpation et de trompe-l’œil (le changeling/changelin apprendrait ainsi progressivement à mieux imiter celui dont il a pris la place au point de duper à chaque fois un nombre croissant de trekkers).
- Soit sous l’angle spéculatif (profil : trekker en manque) : en estimant que, même s’il ne déroge à aucun code des blockbusters, Star Trek Beyond représente malgré tout un progrès réel et peut-être même (?) sincère en direction du vrai Star Trek. Le corollaire implique alors de décider si ce troisième film est resté à la porte du Royaume ou s’il l’a franchie… Du coup, l’angle spéculatif sera lui-même subdivisé en deux sous-options :
• Ou bien l’approche puriste (sous-profil : trekker resté coincé quelque part entre 1964 et 2005 tel un vieux combattant) : dans ce cas, en dépit de ses efforts, Star Trek sans limites ne mérite pas pour autant le label dont il se drape car toutes les conditions stipulées dans les formulaires A47 et E736 ne sont toujours pas réunies (fond réel, exploration trekkienne, structures sociales, story driven, narration cohérente, manichéisme transcendé ou au minimum antagonistes sérieux, résolution crédible, etc.).
• Ou bien l’approche fataliste (sous-profil : trekker qui a fini par régler ses pendules à l’heure du reboot parce qu’il faut bien évoluer avec son temps) : auquel cas Star Trek Beyond mérite enfin de son label (après onze ans d’attente frustrante), quand bien même en mode Canada Dry, parce qu’au moins cette fois il n’a ni violé ni insulté la Trekkie Pride, et de surcroît il est davantage soapy… euh… character driven que les deux précédents opus réunis.





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