[Théâtre] Dom Juan : La critique
C’est par un ballet montrant la séduction d’Elvire par Dom Juan que commence la pièce issue d’une des œuvres majeures de Molière, Dom Juan ou le festin de pierre, décrivant un séducteur impénitent, athée et irrévérencieux qui croit à la logique et se gausse des croyances des autres. Une pièce de théâtre censurée par l’auteur lui-même qui est jouée dans sa quasi intégralité.
En effet, afin de revisiter ce mythe, la Compagnie Chouchenko a décidé de placer l’action de l’histoire dans les années 20. Les références aux costumes et coutumes du 17ème siècle ont été habilement supprimée et le langage actualisé avec subtilité.
Il faut, comme dans les autres pièces de la compagnie, saluer la très inventive mise en scène de Manon Montel qui à l’aide de rideaux transparents, de quelques éléments de décours et d’un magnifique travail sur la lumière réussit à recréer différents lieux dans lesquels l’intrigue se tisse.
Ce Don Juan à la scénographie rajeunie, laisse la part belle à la musique. En effet, le personnage lui-même se voit suivre par une violoncelliste, Charlotte Ruby, représentant son double. Cette dernière ponctue certaines scènes de beaux morceaux musicaux et laisse parfois sa belle voix flotter sur la pièce.
On peut de plus découvrir un Sganarelle musicien qui pousse aussi la chansonnette, mais c’est Dom Juan lui-même au saxophone qui surprend et envoute. Le magnifique passage dans lequel il décrit sa passion de la conquête en chantant en duo avec la violoncelliste est étonnant. D’autant que le mélange des voix et des instruments se prêtent parfaitement aux mots d’un complet cynisme qui décrivent à la perfection le séducteur insatiable.
Néanmoins ces passages musicaux ne dénaturent en rien l’essence même de l’œuvre. Les scènes plus légères, voire comiques, de cette dernière sont d’ailleurs amplifiée par le choix de transformer les personnages en clowns malgré eux. Ainsi la scène de la double séduction des paysannes est très réussie et la dynamique de la clownerie, dont je ne suis pas une fan immodérée, se mélange à ravir avec l’embarras d’un Dom Juan pris à son propre jeu de séduction.
Mais la mise en scène très inventive ne fait pas pour autant oublier la puissance du texte. Et c’est bien de grands acteurs qui réussissent avec talent à lui donner corps.
Toute la distribution est excellente et incarne à la perfection chacun des personnages qui apparaissent sur scène. Il faut évidemment saluer les très bons Nathan Métral et Léo Paget en Dom Juan et Sganarelle, mais les autres acteurs ne déméritent jamais, que ce soit dans le registre de la légèreté ou de la comédie.
Quant à la metteuse en scène elle-même, Manon Montel, qui interprète, entre autre, Elvire, c’est un véritable plaisir pour moi de l’entendre déclarer l’une de mes répliques préférée de la pièce : « Je te le dis encore, le ciel te punira, perfide, de l’outrage que tu me fais ; et si le ciel n’a rien que tu puisses appréhender, appréhende du moins la colère d’une femme offensée. »
Une femme d’une grande dignité et qui tentera, malgré tout ce qui lui a fait, de sauver Dom Juan des foudres du ciel.
Il me faut aussi saluer les chorégraphes des danses et combats qui rendent la pièce encore plus attractive, ainsi que la régie lumière qui lui donne une véritable âme, jusqu’à ce magnifique final, d’une belle originalité qui ponctue une très belle pièce.
Dom Juan est une magnifique pièce du répertoire classique revisité avec inventivité et justesse par la Compagnie Chouchenko. Avec une mise en scène recherchée qui se joue de l’espace pour créer des décors, des acteurs formidables qui font vivre la pièce et un texte superbe que le temps n’atteint pas, c’est vraiment à un beau spectacle que l’on peut assister.
Un beau théâtre pour de beaux comédiens qui jouent avec dextérité les grands classiques du répertoire théâtral.
Magistral !
Et pour ceux qui voudraient découvrir d’une si belle façon d’autres classiques du répertoire littéraire, la compagnie Chouchenko joue avec brio tous les jeudis soir à 19h30 Le Cid (dont vous pouvez trouver la critique ICI) et avec talent tous les samedis à 19h30 et dimanches à 15h00 Les misérables (dont vous pouvez trouver la critique ICI) jusqu’au 6 mars. Si vous êtes férus de théâtre et que vous aimez aussi vos classiques, ne passez pas à côté des autres pièces de la compagnie qui devraient vous séduire aussi facilement que Dom Juan lui-même.
INFORMATION
Programmation du 14 Janvier au 6 Mars
- tous les Vendredi à 19h30
Tout public - Scolaires dès la 4ème
Réservation au Vingtième Théâtre au 01 48 65 97 90 ou en ligne.
RÉSERVATION
SITE OFFICIEL
SITE DE LA COMPAGNIE CHOUCHENKO
SYNOPSIS
Détruisant les règles de la morale, l’insatiable Dom Juan parcourt le pays à la recherche de nouvelles conquêtes amoureuses, accompagné de son fidèle serviteur Sganarelle.
Tour à tour, comédie et tragédie se frôlent et se confondent.
Ce spectacle tout public mêlant différents arts – danse, clown, musique, combats – emporte les spectateurs dans l’univers débridé de Dom Juan.
DISTRIBUTION
- Mise en scène : Manon Montel
- Chorégraphies et assistanat : Claire Faurot
- Combat : Simon Gleizes
- Musiques : Samuel Sené
- Costumes : Patricia de Fenoyl
- Assistante costume : Floriane Boulanger
- Création lumière : David Maul, Manon Montel, Claire Faurot
Distribution :
- Dom Juan : Nathan Métral
- Sganarelle : Léo Paget
- Dom Louis/Pierrot : Alexandre Cattez
- Dom Carlos/Mr Dimanche : Jean-Christophe Freche
- Elvire/Charlotte : Manon Montel
- Mathurine/Violoncelliste : Charlotte Ruby
- Durée : 1h30
TARIFS
- Plein tarif : 25 €
- Sénior et habitant du XXème : 20 €
- Étudiant et demandeur d’emploi : 13 €
NOTE DE MISE EN SCÈNE
Le mythe de Dom Juan, voluptueux et subversif, est l’un des plus grands de la littérature universelle. Qui est ce Dom Juan ? Un héros impie qui séduit les femmes, défie la société, la famille, la religion, Dieu, jusque dans sa mort ? Comment représenter dans le contexte actuel un personnage condamné aux flammes de l’Enfer ?
La mise en scène a choisi de placer Dom Juan dans l’univers des années 1920, ère des « brigands », qui exercent encore une certaine fascination. Dom Juan est à la fois ombre et lumière. Ombre par son côté destructeur. Dès qu’il touche une femme, elle est perdue pour toujours. Et de l’autre, lumière, il refuse de croire à la sorcellerie, aux rituels mystiques et même à la religion. « Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit ». Face à son crédule valet Sganarelle, l’athéisme de Dom Juan est, au 17ème siècle, révolutionnaire.
La création d’un personnage qui témoigne de la folie du héros : celui du double de Dom Juan. Interprété par une comédienne violoncelliste, costumé comme lui, il représente une autre partie de lui-même. Muet, il ne s’exprime qu’en musique. Fantomatique, seul Dom Juan peut le voir. Deux corps pour un seul être, telle est la schizophrénie du personnage éponyme. Il ne fuit pas les flammes de l’Enfer mais l’autre partie de lui-même. Toujours en quête de liberté, assoiffé de sensations fortes, il brûle la vie par les deux bouts.
Tragédie, fantastique, mais aussi comédie : tous les registres se mêlent en cette pièce. Aussi pour les personnages naïfs, le spectacle sollicite l’art insolite du clown, pas le clown de cirque, mais celui du théâtre, de Beckett et Ionesco. Face à la cruauté de Dom Juan, ce décalage esthétique illustre les jeux de pouvoir entre dominants et dominés. Terriblement contemporaine, la pièce interroge sur les injustices sociales, avec comme principale arme le rire.
GALERIE PHOTOS
© Pierre Colletti ou Charlotte Spillemaecker
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