Ad Astra : La rencontre avec James Gray
À l’issue de la projection du film Ad Astra, James Gray est venu répondre aux questions du public.
Vous pouvez retrouver ci-dessous la traduction un peu résumée des propos qui ont été échangés et qui éclairent le film d’une autre manière. Attention, un certain nombre de spoilers sont dévoilés dans les réponses du réalisateur.
Vous pouvez aussi en visualiser la vidéo en fin d’article.
Il paraît que vous avez lu deux articles qui vous ont inspiré pour l’écriture de votre film ?
Oui. J’en ai lu un sur la mission qui doit aller sur Mars en 2033. C’est une véritable chance d’aller sur la planète, car à ce moment-là, elle sera le plus proche de la Terre. Il y aura une navette qui comportera quatre personnes qui se retrouveront dans un espace très étroit pendant un an et demie. Et je me disais que ça devait être très dur de vivre cela.
Je voulais avoir un personnage qui était un peu comme un asperger, très replié sur lui-même. En effet, je me souviens que quand j’avais vu Neil Armstrong à sa sortie de la quarantaine et qu’il avait donné une conférence de presse, on lui avait demandé ce qu’il avait pensé de la Terre vue de l’espace et, en fait, il avait répondu à la question comme un ingénieur. Il ne montrait pas d’émotions et ne parlait que de la technique.
Je voulais intégrer cela dans mon film.
En même temps, j’ai lu un article sur des scientifiques qui s’exprimaient sur la première explosion nucléaire. Ils disaient qu’à l’époque de l’essai, ils pensaient qu’il y avait une petite chance de faire exploser une partie des États-Unis. Ils s’étaient dits qu’ils devaient le faire quand même.
C’est aussi cette idée de vouloir aller jusqu’au bout de son expérience, même s’il y a des risques graves pour l’humanité, que je voulais mettre dans mon histoire.
Dans ce film, vous touchez à un nouveau genre. Il n’est d’ailleurs pas sans rappeler 2001 l’odyssée de l’espace. Comment avez-vous fait ?
J’étais très frustré de ne pas pouvoir faire certaines choses, car Kubrick l’avait déjà fait et ce n’était pas possible de le réutiliser dans mon histoire. Par exemple, il n’était pas possible de mettre de la musique classique ou de la musique électronique…
J’étais un peu coincé au niveau de ma réalisation, et Kubrick a transformé son film de science-fiction en film scientifique. C’était vraiment très inspirant. L’une des choses que je trouve parmi les meilleures dans son film, c’est quand on a la lune en arrière-plan avec de la musique et qu’il y a un astronaute qui demande aux autres de se rapprocher pour la photo. C’est une très bonne représentation de l’humanité.
J’ai essayé de faire l’opposé. Kubrick est brillant et nous dit qu’il y a des extraterrestres qui existent avec ce monolithe noir. Pour moi, il s’agit d’un problème philosophique. Il peut y avoir des bons et des méchants extraterrestres qui se battent entre eux, mais pas pour moi. J’ai essayé de faire un film sans eux.
Est-ce que vous êtes fan des films spatiaux ?
Non, je ne les aime pas. Mon film est autour de la solitude d’un enfant.
Quand j’étais enfant, Star Wars ce n’était pas mon truc, les Wookies, et les X-Wing… J’étais plutôt Les Dents de la mer. Généralement, dans les films de science-fiction, le point de vue philosophique est très mielleux. Vous pouvez penser aimer que vous voulez être seul, mais être seul, c’est ce qui vous définit. C’est la pire punition qu’un humain puisse avoir. La solitude peut rendre fou en 30 jours. Je me suis dit que le film serait sombre, mais que si le personnage principal finissait par revenir à la fin, cela apporterait une note positive.
Pourquoi avoir choisi Brad Pitt pour le rôle principal ?
Quand j’ai fait le film, je voulais comme personnage principal quelqu’un qui représente un stéréotype masculin. Son père est un connard et cela peut être vraiment toxique pour un enfant et lui créer des problèmes psychologiques par la suite. Je voulais commencer par un mythe sur le père parfait pour mieux le détruire par la suite.
Lorsqu’on imagine un mâle Américain, on pense à Brad Pitt. C’est presque un archétype en lui-même.
Pourquoi avoir utilisé deux figures du père avec celle de Tommy Lee Jones qui est le véritable et de Donald Sutherland qui est une sorte de substitution ?
Les parents sont comme un dieu pour nous quand on est enfant. C’est la personne qui centrale et son enseignement est central. Quand on grandit, on essaye de s’en extraire.
Si j’avais fait un film avec deux copains, il aurait fallu une grande exposition au début pour comprendre leur relation. Mais lorsqu’on fait un film portant sur un père et son fils, il n’est pas besoin d’expliquer cette relation, car on la comprend. D’ailleurs, dans mon long métrage, il n’y a qu’un seul dialogue entre les deux personnages.
Le film porte sur le point de vue de l’enfant sur son père qui est parti des années plus tôt. Il est un peu mystique.
Pourquoi avez-vous choisi ce design pour les tenues des astronautes et les équipements ?
Le monde futuriste que je montre est très proche de nous et je ne voulais pas que les gens soient détournés par des gadgets qu’ils verraient à l’écran. Quand j’ai parlé aux responsables des costumes et des décors, je leur ai dit que ce n’était pas un film à Oscar que je voulais. Je voulais qu’on obtienne un visuel très proche de ce qu’on avait il y a 60 ans, même s’il s’agit d’un film spatial. Je voulais essayer d’éviter le futurisme pour garder le focus du spectateur sur le personnage et sur l’histoire.
En ce qui concerne le design du film, j’ai fait des compromis. Je ne voulais pas non plus une fin sombre. Par exemple, dans Apocalypse Now, il y a une très belle fin. Et le personnage revient avec un symbole. Dans mon histoire, il est très important pour moi que le personnage se trouve transcendé. J’essaye de communiquer une idée et de faire un simple mythe. Si vous vous sentez connecté au récit, je suis ravi pour vous. Mais il faut raconter l’histoire le plus simplement et le plus clairement possible.
Quelle est la répercussion sur le fait d’être juif sur votre cinéma ?
Je ne suis pas une personne pratiquante. Je suis un athée. Mais vous devez nous parler de l’influence de ma culture. Je mets beaucoup de mystère dans mes films. Il y a aussi un niveau de conscience dont je n’ai pas conscience. Je suis un juif, et certaines choses peuvent se retrouver dans mes films sans que je m’en rende compte.
Par exemple, pour mon premier film, je pensais faire une comédie et quand je l’ai montré à mes amis, ils ont trouvé cela très triste. Cela vient peut-être du fait d’être juif, d’avoir cette perception différente.
Comment expliquer que vos astronautes ont une très forte religion et cette étrange relation avec Dieu ?
Quand vous regardez les 12 astronautes qui ont été sur la Lune, et qui sont tous des hommes blancs Américains, ils sont très différents. À des milliers de kilomètres de notre planète, à la surface de la lune, on voit la terre. Apparemment, leur expédition a eu un impact psychologique important sur eux. Ils parlent sans arrêt de Dieu. C’est pour ça que j’ai intégré ces mentions de Dieu chez les astronautes de mon film. En fait, elles expliquent ce qui ne va pas bien chez eux. C’est ma façon de montrer leur dislocation psychologique.
Votre film entier déconstruit le personnage pour le reconstruire. Pourquoi avoir choisi un héros qui n’est pas héroïque ?
C’est vrai qu’après avoir vu tous ces super-héros qui sauvent sans arrêt le monde, un héros doit toujours être héroïque. J’ai vu Avengers avec mon fils et c’est très divertissant. Mais je voulais montrer leurs failles et les erreurs qu’ils font.
Un ancien soldat parlait de la deuxième guerre mondiale et racontait une anecdote dessus. Un de ses amis avait été aux toilettes et comme il n’était pas rentré, il avait pensé que quelque chose de mal lui était arrivé. Il avait vu trois SS et les avait tués, car ils avaient tué ses amis. Il a été considéré comme un héros, mais c’était un accident. Je voulais montrer comment il fallait agir pour trouver le bon choix et le mener à bien. Le destin nous entraîne à faire des actions qui ont parfois des tragiques conséquences, mais qui peuvent mener aussi de très bonnes actions.
Est-ce que vous pouvez nous parler de votre prochain projet ?
En fait, il ne s’agit pas d’un film. Je fais la mise en scène de l’opéra Le mariage de Figaro pour le théâtre des Champs-Élysées, le mois prochain. Cela fait cinq ans que l’on me l’a proposé et j’avais dit non à l’époque. Je ne me sentais pas capable de faire ce genre de choses. Ma femme m’a dit : "Mais Paris est une belle ville et ce sera une nouvelle expérience. En plus, on aime l’opéra." Cinq ans plus tard, je me suis décidé à me lancer. J’en avais parlé avec Sofia Coppola qui avait fait une mise en scène similaire en Italie et qui m’avait dit qu’il n’y avait pas de différence avec ce que l’on fait sur un film. J’espère que cette expérience sera unique.
Ad Astra est un très bon film portant sur le voyage intérieur, en plein cœur des étoiles, d’un homme remarquablement interprété par Brad Pitt. Vous pouvez en retrouver la critique ICI.
VIDÉOS
Rencontre avec James Gray :
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