Star Trek Into Darkness : Neuf minutes et toujours rien de nouveau sous le soleil (de Nibiru)...
Après la thèse, voici l’antithèse sur ce preview de Star Trek Into Darkness.
"Explosif, volcanique, plein les mirettes..." en effet. Mais est-ce que cela suffit pour faire un Star Trek ?
La sortie du second opus façon JJ Abrams le 12 juin 2013 représentera l’aboutissement d’un conditionnement méthodique du public, entamé il y a déjà quelques jours avec la sortie de l’affiche dystopique "nolanienne", puis la diffusion de première bande-annonce narrée par le Joker himself… enfin Benedict Cumberbatch.
Etape suivante dans un processus de mise en bouche savamment orchestré : les projections en comité restreint de la preview du film un peu partout sur la planète, dans le but d’alimenter les rumeurs… et les frustrations.
En France, cela se passait à l’IMAX 3D d’Ivry sur Seine hier lundi, à midi. La séance était constituée d’une projection en VO intégrale, puis en VF, des neuf premières minutes de Star Trek Into Darkness.
Petit surprise (qui n’en était pas une) : plus aucun shaking camera ni lens flare… qui furent la pénible signature visuelle de Star Trek 2009. JJ Abrams aurait-il prêté attention aux critiques et décidé de corriger le tir dans ST 2013 ?
Non ! En fait, il a troqué une mode contre une autre, encore plus tendance à Hollywood : l’IMAX natif + la 3D, dont les contraintes techniques (et l’intelligibilité pour les spectateurs) exigent davantage de stabilité et de fluidité dans la photographie.
Mais nul ne se plaindra que tous les chemins mènent à Rome. Outre le ratio 16/9ème plus proche du champs visuel humain (que le 2:35:1), l’IMAX natif confère à l’image un supplément de netteté et de propreté, et la qualité des effets spéciaux – signés une nouvelles fois ILM – garantissent à Star Trek Into Darkness un visuel référentiel. Et si au passage, la mise en scène gagne en classicisme – et en clarté –, c’est finalement toujours ça de pris.
Plus raisonnablement, Into Darkness représente en fait le state of the art 2013, à l’instar de la majorité des films Star Trek, litmus de leurs époques respectives, depuis ST The Motion Picture très inclus.
L’histoire
Venons-en à maintenant à l’ossature, du moins au peu qui nous en a été dévoilé...
Réveil matinal d’un couple inconnu dans le lit conjugal… L’homme est interprété par Noel Clarke (connu pour le rôle de Mickey Smith dans Dr Who), et la femme par la très belle Nazneen Contractor. La scène semble tirée de notre réalité contemporaine (du sentiment de muette routine au plus trivial des modèles de réveil-matin)… Seule une inscription en toutes lettres à l’écran établit que l’action prend place à Londres en 2259 (les stardates étant désormais enchâssées dans le calendrier grégorien), soit exactement un an après la fin de ST 2009.
Le film compte-t-il lever un voile sur cette Terre trekkienne du futur, si souvent évoquée durant quarante années de Star Trek mais si rarement mise en scène ? Possible. Malheureusement, à ce stade, rien d’instructif ni même de significatif : le Londres du 23ème siècle ne se démarque guère du Londres d’aujourd’hui hormis par de gigantesques tours se découpant sur des arrière-plans embrumés, et décalquées de celles qui dominaient l’Iowa dans ST 2009.
Au moyen d’un véhicule individuel aéroglisseur (ou magnéto-hydrodynamique) - évoquant une technologie déjà rencontrée avec l’aéro-moto du cyber-pandore de ST 2009 – le couple se rend dans un royal hospital (architecture britannique traditionnelle) au chevet d’une petite fille malade, possiblement mourante. Un médecin leur annonce de toute évidence une mauvaise nouvelle, et son impuissance curative. Mais rien n’est verbalisé. En effet, à ce stade, le film est exclusivement visuel : le mime se nourri de l’imaginaire collectif pour suggérer au pas de course une tragédie mille fois rencontrée (et parfois vécue) ailleurs.
L’honneur de la première ligne de dialogue du film échoit finalement à un mystérieux personnage qui apostrophe le couple à la sortie de l’hôpital : "voulez-vous que je sauve votre fille ?". Benedict Cumberbatch sort alors de l’ombre, et la caméra s’attarde sur son expression énigmatique. Fondu au noir.
Changement radical de décors. A une Terre finalement bien grise (une dystopie qui s’ignore ?), la seconde scène du film oppose l’ambiance diaprée et animée de la planète… Nibiru (selon la mention à l’écran, cette fois non datée) ! Nouvelle venue dans le bestiaire cosmologique de Star Trek, il s’agit bien sûr d’une référence appuyée à un astre de la mythologie assyrienne, ayant bénéficié d’un regain de popularité au début du 20ème siècle lorsque l’auteur néo-évhémériste Zecharia Sitchin a supposé qu’il s’agissait d’une planète géante de notre système solaire mais encore inconnue des astronomes modernes, passant à proximité de la Terre sur des cycles de révolution longs (plusieurs milliers d’années) et provoquant à chaque fois des cataclysmes. Recevant alors d’autres dénominations (telles "Planète X", Perséphone, "12ème planète", ou encore Hercólubus), Nibiru est progressivement devenue un phantasme des courants théosophiques, jusqu’à être propulsée sur le devant de la scène à la faveur du nouveau millénarisme du 21 décembre 2012.
Beaucoup s’interrogeaient sur la raison de la prédominance de la couleur rouge dans la bande-annonce. La couleur vient en fait avec le mythe : d’après la tradition ésotérique, Nibiru est réputée rouge… et volcanique. Caractéristique emblématique que vérifie également la Nibiru de Star Trek Into Darkness, si ce n’est qu’il est probable qu’elle ne soit pas sise quant à elle dans notre système solaire.
A noter que rien n’indique la synchronicité entre les deux premières scènes. Il est tout à fait possible que les événements sur Nibiru (et donc probablement durant la suite du film) ne se déroulent pas en 2259, mais par exemple plusieurs années après (dans ce cas, l’introduction aurait valeur de flashback).
Avec la même nervosité clipesque que dans la seconde scène de ST 2009, lorsqu’un Kirk gamin se prenait pour le roi du bitume… et de la voltige, ST 2013 plonge le spectateur dans une fuite éperdue à travers la végétation exotique de Nibiru. Ayant malencontreusement fait fuir leur monture tératologique (évoquant le Tauntaun la planète Hoth de Star Wars), les deux post-adolescents en sont réduits à prendre leur jambes à leur cou… devant la volée de flèche de leurs poursuivants (les natifs albinos de Nibiru, maquillés un peu "à la manière ST TOS"). Au passage, cette scène constitue une vitrine pour la technologie IMAX 3D, et notamment ses capacités immersives (les spectateurs ont la piquante impression de recevoir les carreaux en pleine poire).
Mais au fait, pourquoi donc cette cavalcade ? Parce qu’il apparaît que Kirk a volé – sans raison (pour le "fun" probablement !) - un rouleau de parchemins sacrés devant lesquels les indigènes se prosternaient. Tout ça est probablement supposé être drôle, à la façon d’une poursuite accélérée dans Benny Hill, mais ça laisse tout de même songeur sur le degré de maturité du gamin à qui le vaisseau amiral de la Fédération a été confié…
Vient alors l’inévitable falaise, et derrière le gouffre. Le jeune Kirk avait évité de très peu la chute dans l’étrange "canyon de l’Iowa" dans ST 2009 (qui avait perdu Harve Bennett)... Comme par antisymétrie, le post-ado et son acolyte sautent cette fois sans hésiter dans le vide… surplombant finalement une gigantesque étendue d’eau. Plongeon impeccable, les deux protagonistes regagnent très vite à la nage l’USS Enterprise immergée, maintenue ainsi invisible aux yeux des indigènes. Et le sas passé, ils sont alors accueillis par Scotty-la-bonne-blague (aka le roi de la blague qui fait pitié). Cette scène de plongée permet d’ailleurs de réintroduire (avec émotion ?) l’USS Enterprise rebootée, sous la cadence de la même BO de Michael Giacchino que dans (ST 2009) (la scène du spacedock), mais ici en version (encore davantage) abrégée.
Les rumeurs parlaient de l’immersion du vaisseau dans une planète entièrement aquatique (tel le planétoïde des Moneans dans ST Voyager plus encore qu’Argo dans ST The Animated Series ou Kamino dans Star Wars). A ce stade du récit, il n’en est rien, ladite planète étant essentiellement volcanique.
L’USS Enterprise serait donc un insubmersible ? C’est inédit dans la franchise, la prouesse étant jusqu’alors réservée à des navettes et des aéronefs légers. Mais après tout, lorsqu’on est capable de survivre à un trou noir (ST 2009), que représentent quelques tonnes d’eau ?
Pendant ce temps-là, dans une navette de l’Enterprise survolant le volcan autour duquel se déploie la société des indigènes de Nibiru, Uhura et Sulu s’apprêtent à envoyer Spock (Quinto) au cœur du cratère en éruption – en combinaison ignifuge et suspendu par un filin - pour y déployer un inhibiteur volcanique.
C’est ainsi que se dévoile l’objectif de la mission des protagonistes sur Nibiru : sauver un monde de l’extinction… mais sans que les natifs ne s’en rendent comptent ! Si la mission est officielle (et non à l’initiative "généreuse" du seul Kirk), voilà un refit bien charitable (ou politiquement correct ?) de la Prime Directive trekkienne ! Starfleet marcherait-il soudain dans les pas de la mythique espèce évoquée dans ST TOS : les Preservers ?
Avant le plongeon, Spock et Uhura se bécotent langoureusement en public et durant leur service, foulant au pied tout ce qui pouvait rester de crédibilité militaire au Starfleet rebooté… et de vulcanité au Spock recasté…
L’opération ne devait durer que 90 secondes en tout… mais le câble cède sous les effets combinés des projections et des remous volcaniques, et Spock chute alors dans le cratère. Celui-ci atterri miraculeusement indemne sur un ilot rocheux et non directement dans la lave. Le temps de retrouver ses esprits, il décide de poursuivre la mission malgré tout… en faisant détonner l’inhibiteur volcanique… et cette fois lui avec.
Conscients de sa survie à la chute et de ses intentions pour le moins suicidaires (les communications ont été maintenues avec la navette et avec l’Enterprise), Kirk et son équipe tentent désespérément de trouver une solution pour rapatrier Spock. Mais impossible, même pour le petit génie de la téléportation, Chekov 2.0, car le volcan génère trop d’interférences magnétiques. Ultime recours : arracher en toute hâte l’Enterprise à son parking subaquatique pour survoler le volcan et en téléporter alors Spock.
Oui mais voilà, Spock refuse catégoriquement, invoquant l’absoluité de la Prime Directive et citant sa formule fétiche (que le reboot galvaude comme une Table de la Loi) : « The needs of the many outweigh the needs of the few ». En effet, l’opération de sauvetage impliquerait que l’USS Enterprise se dévoile aux indigènes...
Tandis que Kirk questionne Bones sur la réciprocité (« - Que ferait Spock si les rôles étaient renversée ? – Il te laisserait crever »), les coulées, que dis-je, les vagues de lave se referment inéluctablement sur Spock... à genoux et les bras en croix, résigné, attendant la mort en martyr.
Concédons tout de même à cette dernière séquence une force stoïcienne. A la façon du superbe épisode ST ENT 02x08 The Communicator, être prêt à mourir pour la Prime Directive est quelque chose d’admirable. Même si l’issue effective ne fait aucun doute…
Logiquement, c’est là qu’il serait approprié d’insérer le synopsis de ce qui ne fut pas projeté hier, tel que décrit sur la plaquette officielle de la Paramount distribuée à l’entrée du cinéma IMAX :
« Alors qu’il rentre à sa base, l’équipage de l’Enterprise doit faire face à des forces terroristes implacable au sein même de son organisation.
L’ennemi a fait exploser la flotte et tout ce qu’elle représentait, plongeant notre monde dans la chaos…
Dans un monde en guerre, la Capitaine Kirk, animé par la vengeance, se lance dans une véritable chasse à l’homme, pour neutraliser celui qui représente à lui seul une arme de destruction massive.
Nos héros entrent dans un jeu d’échecs mortel. L’amour sera menacé, des amitiés seront brisées et des sacrifices devront être faits dans la seule famille qu’il reste à Kirk : son équipe. »
Quelques spéculations
Ceux qui espéraient que l’identité du bad guy soit révélée dans cette séquence introductive en seront donc pour leur frais : le mystère reste entier ! Malgré tout, le contexte peut fournir quelques pistes. En supposant que JJ Abrams et son équipe n’ont pas délibérément éconduit les spéculateurs en annonçant que Cumberbatch interprète un personnage canon de ST The Original Series, autrement dit l’un des adversaires, ennemis ou "victimes" de James T Kirk dans la timeline originelle (le nouvel univers rebooté et "comicsisé" ne pouvant évidemment que graviter autour de Kirk), voici la short list des choix possibles :
Khan (ou à défaut l’un de ses séides améliorés tel Joachim), régulièrement démenti et pourtant toujours favori des rumeurs, mais dont la présence dès 2259 au sein de la Fédération supposerait un sérieux bouleversement de la timeline originelle (Kirk ne le rencontre qu’en 2267, et celui-ci ne développe une soif de vengeance que suite au bouleversement climatique de Ceti Alpha en 2268). Pourtant, les aptitudes mentales supérieures et les technologies d’ingénierie génétique dont il est porteur pourraient expliquer la proposition qu’il fait aux parents de la petite fille condamnée par la médecine officielle.
En supposant (hypothèse très optimiste) que Peter Weller ait repris dans ST Into Darkness son rôle de ST Enterprise, à savoir John Frederick Paxton, disciple du colonel Green et de l’amélioration génétique de l’humanité, diverses passerelles eugéniques pourraient alors être envisagées...
Garth Of Izar, l’un des plus prestigieux capitaines et héros de Starfleet (bataille d’Axanar), devenu psychopathe criminel après avoir acquis des pouvoirs de métamorphe au contact des Antosians. Mais dans la mesure où sa folie n’a pas été diagnostiquée immédiatement (mais seulement à l’occasion de l’invocation intempestive du General Order 24 aux commandes d’un vaisseau), il est possible de supposer que l’insanité s’exprimerait par d’autres biais dans une ligne temporelle alternée. Cette hypothèse accréditerait le port de l’uniforme de Starfleet par Cumberbatch dans la première bande-annonce.
Gary Mitchell, camarade de promotion de James T. Kirk, métamorphosé en omnipotent pervers par les radiations de la Galactic Barrier mais finalement défait et tué par Kirk. Ces événements ne se produiront qu’en 2265 dans la ligne temporelle originelle, et connaîtront de toute façon une semblable issue dans les comics non canon (mais supposés respectés par les scénaristes) de l’univers alternatif. Difficile alors d’imaginer que Gary Mitchell soit ressuscité des morts pour plonger la Terre dans le chaos au moyen de stratégies traditionnelles (c’est-à-dire sans faire usage d’une omnipotence indissociable de la malveillance acquise).
Ben Finney, dont la carrière dans Starfleet fut brisée – ou du moins ralentie - par l’extrême légalisme du Kirk originel. Mais comment trouver pareil schème chez le Kirk gamin et indiscipliné de la nouvelle trame temporelle ? En outre, Ben Finney ne possède guère la trempe d’un super-méchant, sa vindicte demeurait ciblée et non globale.
Finnegan, dont Kirk fut un souffre-douleur à Starfleet Academy. Seulement les classiques cas de bizutages, même un peu hards, ne donnent pas naissance à des croisades cosmiques…
Charles Evans, que Kirk avait abandonné aux inhumains Thasians tant les appétits sadiques de l’adolescent étaient devenus incontinents, pourrait bien un jour échapper à ses geôliers et vouloir se venger d’une humanité qui ne pouvait l’assumer. L’idée a d’ailleurs été exploitée dans une fan production réalisée par Tim Russ, ST Of Gods And Men. Seulement se poserait alors le problème de l’âge : Charlie avait 17 ans en 2266, il en aurait donc 10 en 2259, ce qui ne colle pas, timeline alterée ou non.
Bien entendu, Kirk s’est également fait d’autres ennemis durant la séries et les films TOS, à l’occasion de ses nombreuses interventions, à l’écran et hors champ, notamment parmi les Romuliens et plus encore les Klingons, très humanomorphes au milieu du 23ème siècle ! Cumberbatch n’incarnerait-il pas par hasard Kor, Koloth, ou Kang ? Ainsi, bien d’autres possibilités existent, formellement, et s’il le faut, chirurgie esthétique à l’appui (très familière à l’univers Star Trek). D’autant plus que rien n’impose que le bad guy ait été dès le début du film l’ennemi attitré de Kirk, projetant sur lui sa soif de vengeance. Kirk se sera peut-être juste trouvé sur sa route, quand bien même différente de celle de l’univers originel.
Seulement lesdites possibilités sont-elles compatibles avec l’iconisme inculte exhibé par le reboot abramsien pour asseoir son hyper-accessibilité ? Peut-être. Si ce n’est que dans le "Star Trek nouveau", un personnage central n’a vraiment sa place que s’il est parfaitement connu de ceux qui n’ont jamais vu un seul épisode ou film de la franchise.
Mais déjà outre-Atlantique, les indiscrétions fusent (y compris sur les sites officiels). Aux dernières nouvelles, Benedict Cumberbatch interpréterait un certain John Harrison, inconnu du canon. Alors JJ Abrams a-t-il mené en bateau son public en prétendant que le bad guy "réfléchissait" l’univers originel, ou bien John Harrison n’est-il qu’un nom d’emprunt dissimulant une autre identité ? L’intox pure et simple est d’ailleurs possible car la politique du secret de JJ Abrams rendrait des points à celle de feu Steve Jobs.
Ce serial spéculatif sans grand intérêt est manifestement loin d’être achevé...
Pour finir, même s’il est improbable que l’excellent Peter Weller ait repris le rôle de John Frederick Paxton (bien dommage d’ailleurs, car cela aurait pu conférer à ST Into Darkness une belle légitimité internaliste), mon intuition me porterait vers une problématique eugéniste plus ou moins inspirée du triptyque des Augments/Améliorés (avec Brent Spiner) dans la quatrième saison de la série ST Enterprise - John Harrison devenant alors en quelque sorte la "version bulldozer" d’Arik Soong...
Manquant cruellement d’imagination, et tentant maladivement de recycler les meilleurs hits du Star Trek historique (et de Star Wars), il est à craindre qu’Orci, Kurtzman, et Lindelof aient tenu à indexer ST Into Darkness sur ST II The Wrath Of Khan à divers niveaux. Par-delà l’évident pitch du "méchant qui veut se venger" – constante éculée de tous leurs scenarii -, il existe peut-être un parallèle sur le thème de la "mort multiple" de Spock, ou plus exactement de la fausse mort qui en dissimule une vraie. En effet, début 1982, la rumeur voulait que décède Spock dans le film de Nicholas Meyer. Puis lorsque le public découvrit le film, effectivement Spock semblait être tué dans les dix premières minutes…
Mais ouf, fausse alerte, le spectateur fut alors rasséréné, imputant naturellement la rumeur funeste à la seule simulation du Kobayashi Maru. Quelle ne fut donc pas la surprise générale à la fin du film : Spock mourrait pour de bon ! Certes il ressuscitait ensuite (planète Genesis oblige), mais ils s’agissait là du film suivant…
Eh bien, fin 2012, la situation est quelque peu comparable. D’abord Zachary Quinto laisse entendre que ST Into Darkness pourrait bien être son ultime interprétation de Spock. Puis la bande-annonce étendue pour le marché japonais laisse transparaître un salut vulcain d’adieu derrière une vitre – qui parlera à tous ceux qui auront été marqués par le fin de ST II The Wrath Of Khan. La présentation officielle sur la plaquette officielle du film s’achève par « et des sacrifices devront être faits dans la seule famille qu’il reste à Kirk : son équipe ». Et finalement, les dix premières minutes mettent en scène ce qui s’apparente à la mort certaine de Spock. Bien entendu, la suite du spectacle programmé pour mai prochain sauvera Spock par un tour de passe-passe scénaristique (n’est pas Hitchcock qui veut). Mais la lave de Nibiru pourrait bien être le rideau de fumée d’un trépas plus traditionnel, c’est-à-dire sis à la fin du film… Les ingrédients d’un bis repetita placent sont donc réunis.
Bilan temporaire
Le plaisir (incontestable) du spectacle (très vite) passé, l’impression subjective demeure partagée : exaspération (devant un produit qui s’apprête une nouvelle fois à fouler aux pieds l’âme et l’esprit de Star Trek) ou indifférence (envers un Star Trek in name only) ?
Aucun des personnages ne semble digne de ses prérogatives. Persiste la sourde impression que les baby-héros jouent (à un MMORPG ?) plus qu’ils ne bossent et ne vivent (l’aventure humaine). Rien ne semble vraiment importer en fin de compte.
JJ Abrams & co se piquent d’insuffler de la noirceur dans Star Trek... Même si cela s’éloigne des idéaux roddenberriens et que cela fut déjà fait (et fort bien fait) auparavant dans les séries ST Deep Space 9 et ST Enterprise (ainsi que dans le film ST Nemesis), au fond pourquoi pas ? Mais faut-il encore le pouvoir, et une ambition frappée au coin de Battlestar Galactica 2003 est difficilement compatible avec la cool attitude que JJ Abrams inflige au reboot. ST Into Darkness sera-t-il capable de conférer un minimum de gravité, de pesanteur aux ravages et à la dystopie qui s’annoncent à gros roulements de tambours ? En dépit d’une esthétique branchouille flirtant avec Nolan, il est permis d’en douter. Car dans le premier opus, l’extermination de six milliards de Vulcain n’avaient pas réussi à ternir l’euphorie permanente. Or quels que soient les dégâts en volume - façon Roland Emmerich – que le personnage interprété par Cumberbatch réussira à infliger à la Terre (et/ou à la flotte de Starfleet), le palmarès macabre du premier opus demeure largement indépassable.
La fixette des trekkers – et du public en général – sur l’identité du "méchant de service" est également révélatrice d’une triste carence conceptuelle. A croire que Star Trek a été réduit à un vulgaire shoot’em up au mécanisme et à l’issue invariantes, et dont l’unique intérêt se limiterait dorénavant au seul paramètre interchangeable : le nom de la crapule que les héros vont devoir dégommer ! Mais diantre, où sont passées l’exploration, l’ontologie, la philosophie, le questionnement, le recueillement ? Ce recueillement que l’on rencontrait même dans les plus explosifs longs métrages de l’ère Bennett/Berman ?
D’ailleurs le jeu irrespectueux du recast semble lui-même en faillite, lorsque le choix du recasté est tellement opaque qu’il n’est pas possible de deviner quel personnage historique il est supposé émuler et s’approprier…
Oui il y aura de l’action à gogo, oui les blaguounettes hollywoodiennes vont fuser non-stop, oui ce sera giga-spectaculaire, oui il y aura un maximum de casse et même de destructions massives, oui ce sera carrément une pure démo image & son pour showrooms, oui le bad guy sera très dark, et oui la poignée de (super-)héros réciteront l’hymne bienpensante à l’amitié tout en massacrant joyeusement le méchant-de-la-mort-qui-tue. En somme... le portrait craché de n’importe quel autre blockbuster rippé de comics, qui aurait pu tout aussi bien s’appeler Transformers 3 ou Battleship.
Mais utiliser une fois de plus le label Star Trek pour vendre de la variétoche, en saturant le produit de références trekkiennes grossières (comme autant de cacahuètes-alibis que l’on lancerait à des singes dans un zoo), c’est jouer commercialement sur les deux tableaux : mander le "public pop-corn" tout en assujettissant les trekkers… Des trekkers qui - comme chacun le sait - ne résisteront jamais aux sirènes de la curiosité, surtout lorsque celle-ci est amplifiée par la pénurie audiovisuelle tant en matière de Star Trek que de (vraie) SF tout court.
Chapeau bas, la Paramount ! Aimer ou pas, adhérer ou non, tout cela est désormais obsolète. Car la ruée dans les salles est garantie… et toute réaction - aussi bien positive que négative - nourrira ipso facto le buzz planétaire.
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