The Orville - New Horizons : Critique 3.06 Twice in a Lifetime

Date : 10 / 07 / 2022 à 13h00
Sources :

Unification


THE ORVILLE NEW HORIZONS

- Date de diffusion : 7/07/2022
- Plateforme de diffusion : Hulu
- Épisode : 3.06 Twice in a Lifetime
- Réalisateur : Jon Cassar
- Scénaristes : Seth MacFarlane
- Interprètes : Seth MacFarlane, Adrianne Palicki, Penny Johnson Jerald, Scott Grimes, Peter Macon, J. Lee, Mark Jackson, Chad L. Coleman, Jessica Szohr et Anne Winters

LA CRITIQUE FM

Sixième épisode de la saison et à nouveau une histoire qui reprend des éléments des deux premières saisons de The Orville pour venir clore une histoire. À croire que le but de Seth MacFarlane, avec ce New Horizons, est de clore la série en ayant dénoué toutes les intrigues et montré la destinée de tous les personnages. Si c’est le cas, c’est à nouveau rudement bien mené cette semaine.

Et c’est un grand classique de la science-fiction qui nous est donné à voir sur cet opus, le voyage dans le temps. Utilisé ad nauseam par un grand nombre de séries et de films et particulièrement par le grand frère Star Trek, était-il possible de montrer encore quelque chose de nouveau avec cette thématique ? La réponse est non. Et à la limite, il me semble que ce n’était pas l’objectif premier recherché par MacFarlane.

Que ce soit Starfleet ou Union Central, ces organisations militaires sont régis par des règles, des directives. Que ce soit la Prime Directive de Star Trek ou ici les principes de non-interférence dans une ligne temporelle, cela ne sort pas de nulle part. Et c’est censé être opposable aux officiers qui viendraient y contrevenir. Alors, oui, il n’y aurait pas d’épisode d’une quelconque série, si tout était respecté à la lettre.

Et pour moi, l’objectif premier de MacFarlane avec The Orville, c’est de montrer ce que c’est d’être un humain dans ces circonstances extraordinaires. Sur tous les derniers épisodes, les protagonistes humains ont du prendre des décisions qui révèlent leur humanité, idem pour leurs compagnons extraterrestres pour leur non-humanité.

Et cette semaine, contrairement à l’Amiral Picard qui a complètement oublié dans la seconde saison de sa série toute régulation de Starfleet, l’équipage du Orville connaît ses responsabilités et sa mission. Quelque soit la profonde amitié qu’ils éprouvent pour Gordon, quelque soit l’empathie qu’ils peuvent ressentir en sachant que par leur action, ils vont effacer l’existence de sa famille, les règles d’Union Central sont claires et limpides.

Et dans le cadre de cette opposition de point de vue, j’ai réellement apprécié le jeu de Scott Grimes qui a la possibilité, cette semaine, de montrer l’étendue de ses talents. Le road-trip entre Issac et Burke est également un point fort de l’épisode avec cette belle référence à Terminator 2.

Si je ne mets pas la note maximum à l’épisode, c’est principalement pour la mécanique de voyage dans le temps qui, si elle est indispensable pour pouvoir raconter l’histoire, est aussi mal exécutée que dans d’autres séries. Une des choses qui m’ont gêné par exemple, c’est l’étonnement d’Ed et Kelly sur la famille de Gordon, alors que sur l’article qui annonce sa mort à 96 ans, cela m’étonnerait qu’il n’y ait pas un paragraphe sur sa femme et ses enfants.

Et enfin, il me semble qu’il y a un gros souci temporel qui n’a pas été résolu. Le sandwich envoyé dans le futur... On ne l’a pas vu réapparaître et les conséquences pour l’avenir de l’alimentation de la galaxie peuvent être catastrophiques ;-)

LA CRITIQUE YR

Si les cinq épisodes précédents ont systématiquement offert des sequels ou des épilogues directs à des opus majeurs des deux premières saisons (successivement The Orville 02x08+02x09 Identity, 02x10 Blood Of Patriots, 02x12 Mad Idolatry, 02x04 Nothing Left On Earth Excepting Fishes, et 01x03 About A Girl), The Orville 03x06 Twice In A Lifetime prend cette fois une certaine hauteur internaliste en combinant (et en synthétisant) adroitement des éléments bien distincts de plusieurs chapitres antérieurs, en particulier le pilote The Orville 01x01 Old Wounds (pour le quantum accelerator inventé par la Dr Janice Rand et converti par le Dr Aronov en time-accelerating device, en gros une proto-machine temporelle embryonnaire), mais aussi The Orville 02x11 Lasting Impressions (où l’ouverture d’une capsule temporelle datant de 2015 conduira Gordon Malloy à vivre une aventure virtuelle avec la simulation holographique d’une ressortissante terrienne du début du 21ème siècle, Laura Huggins).

Si vous ne souhaitez pas vous plonger dans une analyse exhaustive du contenu (fatalement riche en spoilers), veuillez cliquer ici pour accéder directement à la conclusion.

Travaillant depuis deux ans sur cette technologie temporelle disruptive, Isaac et John LaMarr ont réussi à améliorer l’invention du Dr Aronov en étendant désormais son champ d’application à un vaisseau spatial entier… tout en accroissant sa précision de contrôle à la milliseconde près. En somme, c’est désormais devenu une vraie machine à voyager dans le temps, pleinement opérationnelle !
Un accomplissement qui méritait bien d’en informer l’amiral Perry (toujours un plaisir de revoir l’excellent Ted Danson). Mais là, il est sidérant de contempler la maturité de sa réaction : tout en admirant l’exploit (quoique entériné comme un "progrès" inéluctable), il le qualifie d’horreur totale car il comprend immédiatement que le voyage dans le temps sera fatalement transformé en arme stratégique, permettant aux civilisations adverses de s’en servir pour remodeler à volonté la trame temporelle et notamment effacer l’existence de l’Union avant même sa genèse ! Wow ! Il aura fallu 35 ans à la franchise Star Trek pour passer de la timide découverte temporelle dans ST TOS... au concept de guerre temporelle dans ST ENT hypothéquant l’existence même de l’UFP. Brannon Braga savait qu’il s’agissait d’une conséquence systémique inévitable de la simple possibilité du voyage temporel, mais les trekkers avaient eu curieusement beaucoup de difficultés à accepter le concept vertigineux de TCW au début des années 2000.
Tirant toutes les leçons des inerties communautaires passées, The Orville met directement les pieds dans le plat de l’hyper-réalisme : dès la première découverte de la machine à voyager dans le temps, tout le monde comprend immédiatement que plus rien ne sera jamais comme avant (comme dans l’excellent The X Files 04x19 Synchrony), et que la guerre temporelle est déjà une conséquence actée, même si on ne la voit pas encore. De quoi renvoyer dans la plus incurable des Idiocraties la politique de l’autruche temporelle pratiquée par la Fédération du 32ème siècle des troisième et quatrième saisons de Discovery.

Mais quand bien même il s’agirait simplement de retarder l’inéluctable face au tropisme irrépressible de l’évolutionnisme, l’amiral Perry donnera logiquement l’ordre de placer l’Aronov device upgradé à l’abri de la convoitise aussi bien des Krills que des Kaylons dans la station de recherche ultra-sécurisée de Sabik Three... comme était supposée l’être la station scientifique Epsilon sur Epsilon 2 dans The Orville 01x01 Old Wounds.
Plusieurs astronefs de la PU, placée sous le commandement de l’amirale Ozawa, escorte alors le "game changer"... pour découvrir avec effroi que la station de Sabik 3 a été entièrement détruite ! Il ne faudra pas plus de quelques secondes pour qu’une flotte de Kaylons leur tombe brutalement dessus. Opposant avec difficulté une résistance, les vaisseaux de la PU finiront par se réfugier dans la nébuleuse Veil pour tenter de semer les assaillants (un peu comme avec la géante gazeuse de The Orville 03x01 Electric Sheep). Mais de toute évidence, l’acharnement des Kaylons est ciblé : ils visent directement l’USS Orville... qu’ils réussissent à capturer dans un rayon tracteur.
Visiblement, il n’aura pas fallu plus de quelques heures suivant l’annonce du développement de la première véritable machine à voyager dans le temps... pour que la curée galactique débute et s’abatte sur les protagonistes ! Alors la prétendue "sagesse temporelle" du monastère klingon de Boreth rebooté par Discovery et aussi par Strange New Worlds rattache ces deux #FakeTrek au bac-à-sable des Teletubbies.

Pour éviter que l’invention de toutes les convoitises ne tombe entre les mains des Kaylons, la capitaine Mercer donnera l’ordre de la détruire. Ce dont Malloy prendra l’initiative de se charger... au moyen d’un "phaser".
En parallèle LaMarre s’emploiera à provoquer une surtension forcée des déflecteurs afin de s’arracher au rayon tracteur du vaisseau kaylon. Ce sera une réussite, l’USS Orville échappera alors aux poursuivants et disparaîtra dans la Veil Nebula.
Hélas, l’équipage découvrira bien vite que Gordon n’est plus à bord, il a disparu corps et bien...

Ainsi donc, de la même façon que Geordi La Forge avait d’abord créé la simulation holographique d’une femme dont il était tombé amoureux à distance (la Dr Leah Brahms) dans ST TNG 03x06 Booby Trap avant de la rencontrer en live dans ST TNG 04x16 Galaxy’s Child, Gordon réussira à rencontrer le sujet de tous ses rêves et fantasmes intimes, Laura, quelques 400 ans avant à Los Angeles… Néanmoins, contrairement à Philippe d’Audigné dans le Voyageur des siècles (1971) ou à Richard Collier dans Somewhere In Time de Jeannot Szwarc (1980), ce voyage temporel de Malloy sera totalement accidentel… produit par une interaction entre l’engin d’Aronov upgradé (que Gordon s’apprêtait à désintégrer) et le noyau quantique de l’USS Orville (sur-sollicité pour échapper à l’emprise du vaisseau kaylon).
Malloy se retrouvera en fait piégé sur Terre en 2015 mais réussira à envoyer un message de détresse supraluminique précisément calculé de telle sorte qu’il parvienne à l’USS Orville quatre siècles après au sein de la Veil Nebula au moment précis où le vaisseau s’y dissimulait (avec plusieurs autres de la flotte de l’Union) pour échapper aux Kaylons.
Et à la grande surprise des protagonistes, ils trouveront dans les bases de données de leur propre vaisseau des traces historiques de Gordon Malloy, devenu pilote et mécanicien aéro au 21ème siècle et mort à Pasadena en Californie le 12 juillet 2068 à l’âge de 96 ans ! Une situation qui n’est pas sans évoquer le cas de Benjamin Sisko dans ST DS9 03x11+03x12 Past Tense (quoique très différemment puisque ce dernier avait pris par nécessité la place de Gabriel Bell).
Or la Temporal Law (équivalent orvillien de la Temporal Prime Directive trekkienne) postule de se faire en aval le plus discret possible à une époque passée — quitte à se suicider ! — pour préserver l’intégrité de la timeline (et donc l’existence de la PU), mais néanmoins aussi à faire en amont le maximum pour récupérer le voyageur temporel imprudent ou égaré...

Et c’est ainsi que débute le premier véritable voyage temporel de l’USS Orville, au moyen d’une technologie encore nouvelle pour la Planetary Union de 2422 — peu ou prou l’équivalent de ce qu’elle était encore pour Starfleet en 2267 dans ST TOS 01x21 Tomorrow Is Yesterday ou ST TOS 02x26 Assignment : Earth) — et qui conduira d’abord les héros sur Terre en 2025... ayant épuisé toutes leurs réserves de dysonium pour pourvoir "reculer" davantage vers le passé (ou à l’inverse revenir vers le futur par le même biais).
Car oui, c’est dix ans après l’arrivée de Gordon sur la Terre du passé que l’USS Discovery stoppera son voyage à rebours — le vaisseau ayant en outre été durement stressé par cette équipée inédite auquel il n’était nullement préparé (de nombreux dysfonctionnements à tous les niveaux nécessitant divers délais de réparation...).
C’est au 22ème siècle que l’humanité découvrira la présence de dysonium dans le manteau terrestre, et la solution pour s’approvisionner en 2025 sera d’y forer discrètement avec les technologies du futur (donc plus profondément que le forage sg3 de Zapoliarny dans la péninsule de Kola en Russie), mais moyennant de nombreux calculs prévisionnels et une contrôle rigoureux durant l’exécution du forage au moyen d’un sonde géodésique (à la fois pour ne pas affecter les approvisionnements futurs et pour ne pas engendrer des réactions en chaîne géologiques et tectoniques).
Un travail qui par décision du capitaine Mercer reviendra au duo Isaac (pour ses capacités cybernétiques sans égal) et Charly (pour son "super-pouvoir 4D"). Il était prévisible que ces deux personnages du main cast que tout oppose soient tôt ou tard pairés le temps d’une mission par les nécessités opérationnelles. C’était même là très probablement la seule finalité — pour le moins soapesque — de l’adjonction de l’insupportable bimbo Charly Burke au main cast de la troisième saison, afin d’offrir un contrepoint à Isaac, au forceps s’il le faut, et d’insuffler diverses évolutions personnelles...

Mais curieusement, ce personnage féminin autosatisfait et égocentré, championne victimaire et monopolistique du deuil et de la souffrance, trouve pour la première fois dans The Orville 03x06 Twice In A Lifetime une place fonctionnelle, presque convaincante. Son duo contrarié et contrasté avec Isaac — dissimulé sous un écran holographique personnel émulant une apparence humaine (permettant à l’acteur Mark Jackson d’apparaître sous ses véritables traits comme dans The Orville 02x06 A Happy Refrain) — a le grand mérite de prendre le contrepied des trop classiques écueils hollywoodiens de la réconciliation factice, de l’attraction-répulsion copulatoire, ou de la rédemption conformiste. Même si la confession de son amour saphique pour feue Amanda est un moment assez soapy, Charly gagnera paradoxalement à assumer le caractère symbolique et rituel de sa haine envers Isaac (érigé en bouc émissaire de tous ses malheurs au mépris de la survie qu’elle lui doit). Une subjectivation qui réduira le lynchage collectif bien peu trekkien de The Orville 03x01 Electric Sheep à une (a)sociabilité naturelle strictement individuelle et quasi-irrationnelle.
Avec son look de pin-up texane véhiculant un WASPisme cliché, l’actrice Anne Winters fait toujours davantage l’effet de sortir d’un festival country de Nashville que... d’une flotte spatiale élitiste du futur (outre d’être prétendument dotée d’un super-pouvoir 4D nébuleux). Mais reconnaissons à cet épisode de lui avoir offert — à travers un road trip dans l’Amérique profonde des diners et des bikers — une composition bien davantage à sa mesure. Et ironiquement, Charly se révélera nettement plus scrupuleuse envers ses devoirs d’officière, envers l’obéissance aux ordres reçus (qu’elle saura exécuter même à contrecœur) et envers le respect de la timeline que... Seven Of Nine et Raffi Musiker en mode girly et buddy movie dans l’épouvantable seconde saison de Picard. Tout est relatif.
Il faut dire aussi que le décalage vernaculaire permanent d’Isaac envers l’humanité du 21ème siècle rejaillit fatalement sur Burke, au point de lui conférer la fonction de faire-valoir, sans toutefois qu’il soit vraiment possible de parler "d’alchimie". N’empêche, le "comic relief" qui en résulte est respectueux et savoureux... car jamais construit au détriment de la crédibilité d’un personnage encore plus robotique que Data dans ST TNG, flirtant en réalité avec Kryten dans Red Dwarf.
Pour "emprunter" deux motos, leur façon de "plumer" au bras de fer les bad ass du bar de motards The Iron Eagle (contre Isaac sous les traits d’un "pied tendre") demeure assez piquante, et davantage que Sons Of Anarchy, ce n’est pas sans convoquer la séance gagnante de billard par les logiciens vulcains dans l’inoubliable ST ENT 02x02 Carbon Creek. Il est malgré tout possible de se demander comment ces deux ressortissants du 25ème siècle savent si spontanément conduire ces deux-roues de grosse cylindrée...
Quant à la petite comédie immobilière du (faux) couple idéal cherchant à s’établir bourgeoisement pour pouvoir en fait accéder au sous-sol d’une maison en vente afin de pratiquer un forage chirurgical à l’intérieur du manteau terrestre (dans le but de recharger l’USS Orville en dysonium), c’est finalement une saynète aussi singulière que truculente, quoiqu’en réalité une variante de la collecte de photons par Pavel Chekov depuis le réacteur à fission du porte-avion étatsunien nucléaire dans ST IV The Voyage Home... mais habillée de The X Files 06x15 Arcadia.

Mais évidemment, le plat de résistance revient aux retrouvailles sur un tarmac californien d’Ed & Kelly avec Gordon Malloy, devenu fringant commandant de bord. Une scène magnifique, saisissant par la mise en scène et une interprétation sans faille (notamment de Scott Grimes) une collision entre des mondes qui n’étaient plus appelés à se rencontrer, comme séparés par un quadrivecteur de genre temps, lorsque la mécanique spatiotemporelle a érigé en une fraction de seconde un mur opaque entre les êtres les plus proches.
Se retrouver soudain face à son capitaine et sa XO... si loin dans le temps et dans l’espace... a fait l’effet à Gordon d’une apparition, d’une irréalité, d’un retour impossible à une vie antérieure. Lui qui a si longtemps prié pour que ce jour vienne, mais qui de détresses en désillusions, a fini par y renoncer... pour changer irréversiblement de logiciel mental et de vie. Il est des cas où un vœu exaucé bien trop tard est bien pire qu’un vœu jamais exaucé. Comme une fragrance de Sur les frontières de Pierre Christin et Jean-Claude Mézières...
Tout ça (et bien davantage) réussit à passer à l’écran en une simple minute, par le jeu d’acteur, par les regards, couvrant tout le spectre allant de l’hébétude à l’incrédulité en passant par le psittacisme. The Orville qui fut au départ vendu comme une parodie ou une galéjade achève ici sa mue, montrant à quel point elle sait tutoyer la tragédie de magnitude hellénique...

La "triste" suite coule de source. Avec une gêne indéfinissable mais doublée d’une candeur désarmante, Malloy dévoile aux visiteurs du futur qu’après plusieurs années à vivre dans les bois comme Jeremiah Johnson du film éponyme (1972) de Sydney Pollack (allant jusqu’à tuer avec son "phaser" des animaux pour se nourrir ce qui serait d’ailleurs considéré un crime dans l’utopique Planetary Union), ne voyant rien venir du futur, il a progressivement émergé et décidé de vivre plutôt que de vaguement survivre. Et petit à petit, il s’est parfaitement intégré à ce 21ème siècle de si mauvaise réputation (du moins depuis le "belvédère chronologique" orvillien), se gentrifiant en vivant pleinement le rêve américain (bon job, belle maison et vie sympa). Il a même fondé un foyer avec... Laura (qu’il a su séduire dans les pubs de New York où elle chantait alors grâce à toutes les connaissances qu’il avait d’elle). Et elle lui a donné un charmant fils, Edward, tout en étant de nouveau enceinte... Rien d’étonnant donc qu’il ne soit pas question pour Malloy de repartir au 25ème siècle...
Bref, une famille unie s’aimant d’amour sincère, une vie normale et honnête en 2025, sans histoire, à une époque finalement pas si horrible pour peu qu’on soit au bon endroit et qu’on sache se débrouiller... ou être un peu opportuniste (e.g. valorisation des vastes savoirs acquis dans le futur et d’une grande expérience du pilotage...).
Malheureusement, selon la Temporal Law de la PU, Gordon n’avait pas droit à tout ça... Il n’avait en fait droit à rien... sauf attendre pieusement d’éventuels secours, et se rendre le plus invisible possible, jusqu’à mettre fin à ses jours au besoin.
Certes, mais il n’est pas forcément donné à un officier d’une société utopique, lumineuse, ni déshumanisante ni spartiate, de réussir à se suicider, froidement, à son initiative, du moins sans menace tangible (contrairement à une procédure d’autodestruction ou un capsule de cyanure avant de tomber dans les griffes ennemies)...
Voilà une configuration qui vient rétrospectivement expliquer pourquoi le vaillant capitaine et agent spatiotemporel Braxton de la Starfleet Temporal Integrity Commission de l’UFP du 29ème siècle s’était fait clochard (un moment inénarrable de la franchise) lorsqu’il s’était retrouvé pigé en 1996 en ST VOY 03x08+03x09 Future’s End.

Par empathie et pour tenter de pleinement saisir la situation, Mercer et Grayson prendront le temps de s’immerger dans ce quotidien que Malloy s’est douillettement construit au 21ème siècle… allant jusqu’à partager un repas familial avec Gordon et Laura, émaillé des traditionnelles anecdotes sur leur rencontre. Mais en parfaits officiers de l’Union, toujours conscients des enjeux très supérieures à leurs personnes, ils ne se laisseront jamais vraiment attendrir...
À travers une succession de confrontations argumentaires et rhétoriques exhaustives, opposant des perspectives inconciliables comme dans une authentique œuvre juridique scénarisée par un David E Kelley, chacun défendra son devoir ou son intérêt. Si bien que les échos des disputes permettront à Laura de comprendre la provenance réelle de son mari Gordon, avouant l’avoir même soupçonné plusieurs fois par elle-même de venir du futur (il connaissait par exemple la relative innocuité de la Covid-19). Elle témoignera ainsi d’emblée d’une complète ouverture d’esprit à l’accepter pleinement (une perle cette Laura !).
Ed et Kelly rappelleront le devoir impérieux de protéger le ligne du temps et le joyau utopique de l’Union, mais aussi les sanctions pénales encourues par les officiers violant la Loi temporelle. Tandis que Gordon soulignera qu’il n’avait aucun moyen de savoir si sa simple arrivée au 21ème siècle n’avait pas effacé tout le futur d’où il était venu, transformant donc le sacrifice attendu de lui en acte de foi. Et puisque personne n’était venu à son secours les premières années, il n’aurait pas logique (selon la mécanique temporelle) que quelqu’un vienne après (et effectivement, Ed est arrivé dix ans trop tard). Enfin, l’arrivée de l’USS Orville a finalement prouvé selon lui que non seulement ses actions et sa descendance n’ont pas altéré la timeline originelle mais qu’elles étaient peut-être même nécessaires à son existence... convoquant ainsi implicitement un paradoxe de prédestination (ou Pogo paradox dans Star Trek). Celui-là même qui fut utilisé parcimonieusement par ST IV The Voyage Home, mais dont a usé et abusé ad nauseam la seconde saison de Picard pour couvrir toutes les incontinences émotionnelles de ses personnages (le sénile amiral Picard en tête), jusqu’à se prendre totalement les pieds dans le tapis.

Mais ce qui fut accordé à Cristóbal Rios pour demeurer en 2024 aux côtés de la belle Teresa Ramirez qu’il venait de rencontrer au seul nom des lois de guimauves diabétiques universelles présidant au #FakeTrek... ne sera pas accordé à Gordon Malloy pour demeurer en 2024 aux côtés de sa femme Laura Huggins Malloy et de ses enfants parce que The Orville comme Star Trek ne sont pas des univers de Bisounours démagogiques. Et dans le présent cas, l’indétermination quantique ne permet pas de savoir si la présence, les actes et la progéniture de Gordon affecteront ou non le futur. Alors dans le doute, un tel risque ne saurait être pris...
Ed et Kelly reviendront même avec l’officière de sécurité xelayane, Talla Keyali, pour emmener de force Gordon ! Mais il s’y opposera avec toute la vigueur de son arme à particules, exigeant à défait que sa famille son emmenée dans le futur avec lui, faveur qui ne lui sera pas non plus accordée.
Mais lorsque le commandant de l’USS Orville apprend par radio que le dysonium a été extrait des entrailles, il change de stratégie et annonce froidement, tel un couperet, qu’il poursuivra son voyage dans le passé pour récupérer son ex-pilote dès son arrivée en 2015, lorsqu’il était désespérément désireux d’être secouru, longtemps avant de simplement envisager l’idée de s’installer et de prendre épouse au 21ème siècle. Impliquant donc un détricotage causal... Difficile de décrire le choc dans lequel cette annonce plongera Malloy...
Ce dernier aurait probablement pu encore éviter à ses enfants — et aussi à l’amour de sa femme Laura — d’être effacés de la timeline, en acceptant de suivre ses collègues qui étaient venus pour le rapatrier (et le faire possiblement traduire en justice). La douleur d’une séparation définitive et brutale valant probablement mieux que l’inexistence, en prolongeant l’aphorisme d’Alfred Tennyson (« Mieux vaut avoir aimé et perdu ce qu’on aime que de n’avoir jamais connu l’amour »).
Ou alors à l’inverse, Gordon aurait pu estimer égoïstement (comme la plupart des êtres humains) que l’existence de ses enfants avait davantage d’importance de n’importe quel futur (quand bien même utopique), et alors tirer avec son "phaser" en puissance maximale pour désintégrer dans le dos ses amis Ed, Kelly et Talla bien décidés à faire disparaître sa famille (ironiquement comme l’amiral Perry pressentait que les Krills ou les Kaylons chercheraient à le faire tôt ou tard à l’endroit de la Planetary Union). Une question de priorité et de choix corollaire, comme toujours dans un monde causal. Oh Malloy a bien mis en joue ses amis partant exécuter leur sentence nihiliste dix ans plus tôt, il a même failli tirer… mais n’a cependant pas franchi ce Rubicon.
C’était un carrefour, pas seulement de son existence, mais probablement aussi de l’humanité entière. Pourtant, malgré ses supplications presque à genoux, et tandis qu’il avait des moyens (certes criminels) pour les stopper, en laissant ainsi de facto les "bourreaux" faire leur "office" — c’est-à-dire expurger radicalement la timeline en amont — Malloy a malgré tout démontré qu’il était resté au plus profond de lui un officier de l’Union. Mais il n’en aurait pas forcément été de même dix ou vingt ans après, tant le vécu redéfinit implacablement et irréversiblement les individus…
Reste le désespoir ineffable de la scène qui suit, Gordon sachant le sort indescriptible qui attend ses enfants, sa femme commençant elle aussi à le comprendre — les déchirantes promesses sacramentelles et anxiolytiques sur un amour indélébile et éternel étant bien impuissantes à conjurer le néant qui vient (comme e.g. dans The Twilight Zone 1959 01x11 And When The Sky Was Opened). Le fondu au noir qui clot cette désespérance existentielle peut vraiment pris au sens le plus littéral pour les personnages... car dans la scène suivante, Ed et Kelly auront récupéré Malloy — fou de joie — un mois après son échouage. Autant dire que sa famille n’existe désormais plus et n’a jamais existé !
Au nom de la pérennité sacrée de la ligne du temps, Ed et Kelly se sont symboliquement transformés en "anges de l’apocatastase" pour Edward et son adelphe non né, comme Spock et Kirk furent des "anges de la mort" pour Edith Keeler dans ST TOS 01x28 The City On The Edge Of Forever.

Cette incursion à l’époque de la production semble à la base tout ce qu’il y a de plus classique pour qui connait tous les précédents du Star Trek historique (1964-2005), mais sans pour autant les plagier, quoiqu’il soit possible de trouver quelques parentés avec le cultissime (et jouissif) ST VOY 03x08+03x09 Future’s End avec le sombre ST ENT 03x11 Carpenter Street... et en filigrane la saga Terminator.
Néanmoins, sur le fond, The Orville 03x06 Twice In A Lifetime proposera surtout un dilemme moral insoluble digne du plus traumatique et diviseur d’entre tous, à savoir l’indépassable ST VOY 02x24 Tuvix... où après d’innombrables débats, la capitaine Janeway avait en âme et conscience plongé froidement dans le néant de l’inexistence (et pas "seulement" de la mort) un innocent afin de rétablir une continuité brisée.
Et pour l’occasion, ce sont toutes les considérations épistémologiques d’épisodes exceptionnels comme ST ENT 01x13 Dear Doctor, ST TNG 02x15 Pen Pals, ST TNG 03x04 Who Watches The Watchers, ST TNG 07x13 Homeward (entre autres) qui seront remis indirectement à l’honneur ici, notamment quant à l’interdiction intrinsèque de jouer à Dieu... mais finalement à l’impossibilité de ne pas le devenir malgré soi dès lors qu’il est question d’être ou de néant ! Une leçon de relativisme fractal où le dérisoire ou l’insignifiant de l’un sera le fondamental ou le vital de l’autre. Et inversement.

The Orville 03x06 Twice In A Lifetime est également ambitieux par ses problématiques temporelles, moins prétextes qu’elles pourraient sembler de prime abord. Même si le scénariste officiel est Seth MacFarlane, il n’est pas difficile de détecter ici toute la "jurisprudence" Brannon Braga (aux antipodes de celle d’Alex Kurtzman).
La mécanique temporelle de l’épisode repose sur la solution idéaliste (hypothèse de John von Neumann) au problème de la mesure quantique, l’une des options les plus intéressantes philosophiquement (quoique susceptible d’ouvrir la voie à des dérives mystiques ou pseudo-scientifiques) puisqu’elle fait intervenir la conscience de l’observateur pour "fixer" la réalité. Ainsi, la destination spatiotemporelle (dans le champ amplifié de la machine Aronov améliorée) de Gordon est décidée par son subconscient (quitte à s’apparenter à une forme d’omnipotence performative durant les fugaces 10-43 secondes de cette autre ère de Planck)... De même, la nouvelle trame temporelle est suspendue à une indétermination du "flux" causal tant que l’USS Orville n’aura pas pris sa décision. Le real Star Trek historique n’avait jamais ouvertement privilégié cette hypothèse (ses quelques flirts implicites avec von Neumann n’avaient pas dépassé des formes complexes de "simulacres" comme dans ST TNG 04x05 Remember Me), penchant plutôt en faveur de l’hypothèse quantique (non moins fascinante) des états relatifs d’Hugh Everett (comme le fond la plupart des SF authentiques).
Toujours est-il qu’il n’y a pas en soi d’incohérence, ni science-fictionnelle, ni même scientifique dans le parti pris de The Orville 03x06 Twice In A Lifetime. Et il faut bien reconnaître une certaine élégance à souligner ainsi l’humilité (non pas comportementale mais idéologique) des personnages... qui faute de connaissance temporelle suffisante préfèrent appliquer un principe de précaution (aussi cruelles que puissent être ses implications individuelles). Tout comme il y a une certaine originalité à considérer que la timeline est encore un flux à l’état de potentialité quantique (i.e. donc non encore définitivement altérée/réécrite) tant que les répercussions temporelles n’ont pas toute rétro-impacté (le message envoyé vers le futur par Gordon appelant des effets éventuels dans le passé et formant ainsi une boucle de rétroaction causale). Certes, d’aucuns pourraient percevoir ce schéma comme une facilité narrative (un des corollaires apparents de l’hypothèse quantique de John von Neuman), comme si le temps lui-même restait poliment suspendu à la décision des héros pour faire son choix et figer sa chronologie. Mais bien sûr, il n’y a en réalité là ni animisme de fantasy ni VIPisme de micro-univers dès lors que l’on comprend que les personnages eux-mêmes sont dans une boucle causale en amont des effets temporels encore indéterminés à leur niveau (c’est-à-dire qu’ils font partie des causes mais ignorent les conséquences de choix qu’ils n’ont pas encore faits).

Mais les audaces scientifiques de l’épisode ne s’arrêtent pas là. En effet, pour la (presque) première fois, une œuvre trekkienne s’efforce de faire explicitement cohabiter ses postulats supraluminiques avec le modèle standard de la relativité générale d’Albert Einstein. Ainsi en dépit des apparences peut-être, en réalité très loin d’un Superman tournant en FTL autour de la Terre (dans le film de Richard Donner en 1978) ou de l’USS Enterprise en distorsion autour du soleil (dans ST IV The Voyage Home), l’équipement amélioré d’Aronov ayant été endommagé durant le précédent saut temporel (entre 2025 et 2015), le toujours génial John LaMarr (décidément un pur alter ego orvillien de Geordi La Forge) a alors l’idée d’employer le quantum drive (équivalent orvillien du warp drive dans le STU) mais sans le quantum field (équivalent du subspace field dans le STU) pour bénéficier de la dilatation temporelle à une vitesse relativiste au voisinage de c dans le continuum spatiotemporel normal. Non sans rappeler avec pertinence qu’à de pareilles vitesses, n’importe quelle poussière interstellaire peut être létale pour le vaisseau (par transfert d’énergie cinétique). Dès lors, pour revenir rapidement en 2422, il faudra que l’USS Orville vole dans l’espace normal à 99,9999% de la vitesse de la lumière dans le vide (une asymptote en effet car en réalité infinie dans son propre référentiel) en accomplissant le trajet aller-retour entre la Terre et Alpha Tucanae, séparées d’environ 200 années-lumière, pour avancer de 400 ans vers le futur. Une façon astucieuse de replacer le FTL dans l’espace-temps de Minkowski tel un quadrivecteur, comme avait su remarquablement le faire le diptyque Stargate Atlantis 03x10+03x11 The Return, tout en rappelant en creux ici que la distorsion de Star Trek avait été à l’origine pensée par Gene Roddenberry comme un "bouclier temporel" (cf. ST TOS 00x01 The Cage) avant que Miguel Alcubierre ne développe sa fameuse métrique.

Quelques petits bémols ou questionnements peuvent néanmoins être adressés à l’épisode :
- La découverte de la destruction de la station (pourtant très sécurisée) Sabik 3 était un tel indicateur de péril que la flottille de l’Union aurait dû se préparer à repasser à tout moment en FTL. Or lorsque les vaisseaux Kaylons leur sont tombés dessus, l’USS Orville et son escorte sont restés bien atones, puis les ont affrontés en dogfight, alors que le rapport de force défavorable aurait plutôt appelé à fuir par quantum drive plutôt que se réfugier (comme presque à chaque fois) dans une nébuleuse ou une géante gazeuse.
- La navette véhiculant les deux équipes (Isaac & Charly / Ed & Kelly) survole derrière un écran d’invisibilité ("cloaking system") Los Angeles la nuit (vue nocturne contemporaine bien connue des riverains, des touristes et des cinéphiles). Mais lorsqu’elle se pose dans une zone désertique surélevée de la périphérie, il fait jour ! Faut-il penser que les héros ont fait off screen du tourisme aérien durant plusieurs heures ? Bah, quoi de plus naturel que de "profiter" un peu d’un tel "baptême temporel" avant d’aller au turbin... Il n’est cependant pas à exclure qu’Isaac ait fait de longs repérages aériens dans le cadre de la délicate opération de forage. Bref, tout est possible... même l’erreur de montage. Toujours est-il que l’atterrissage au moyen d’un vaisseau invisible en Californie convie évidemment le souvenir de ST IV The Voyage Home, mais l’équipe de The Orville a probablement été plus prudente de pas atterrir au milieu d’un parc de San Francisco…
- Il reste frustrant que les voyages dans le passé conduisent presque toujours les héros trekkiens aux USA, et surtout en Californie. Certes, à force, c’est devenu un rituel voire une convention audiovisuelle, comme le bruit dans l’espace. C’est aussi une affaire de budget. Dommage quand même pour les quelques restes du monde...
- Lorsque l’USS Orville s’est échoué en 2025 (au lieu de 2015), autant il était logique d’aller chercher le "carburant" (dysonium) au plus près (c’est-à-dire dans le sous-sol terrestre mais à condition de ne pas affecter le futur), autant aller directement à la rencontre de Malloy avec une décennie de retard pouvait avoir quelque chose d’irresponsable ou d’amateur, connaissant la nature sociale humaine et la propension irrésistible à créer des liens (parfois fécond) avec son entourage. La nécrologie et les éventuelles autres informations sur Gordon présentes les bases de données de l’USS Orville ne contenaient peut-être aucune information détaillée sur son statut marital et paternel, mais sa simple visibilité générale dans les archives historiques et sa carrière de pilote de ligne (relevée par Ed & co avec indignation) aurait dû faire craindre le "pire" en la matière. Dès lors, venir à la rencontre de Malloy en 2025 aurait dû représenter la dernière extrémité (dans le cas où la poursuite du voyage vers 2015 n’aurait finalement pas été possible après l’extraction du dysonium). En somme, les deux missions sur Terre (Isaac & Charly / Ed & Kelly) n’auraient pas dû être concomitantes... mais subordonnées l’une à l’autre.
- Malgré tout, si les héros étaient repartis directement en 2015 après avoir fait le plein de dysonium (sans rencontrer Gordon en 2025), les conséquences auraient in fine été exactement les mêmes (la relations avec Laura et l’existence des deux enfants auraient été gommés de la timeline d’une aussi implacable façon). Le choix des protagonistes de faire un détour par 2025 peut à la fois s’expliquer par un complet manque d’expérience temporel et/ou la curiosité de comprendre les agissements répréhensibles de Malloy (qui leur seraient restés à jamais abscons s’ils étaient directement venus le secourir avant qu’il ne commette d’entorse à la Loi temporelle). Or dans la mesure où ce choix opérationnel est sans conséquence (ni envers les règlements de l’Union ni envers l’issue finale), il est au pire possible d’y voir une licence scénaristique acceptable destinée à montrer et affronter sans ambages ce qu’il aurait été plus confortable (mais narrativement bien moins enrichissant) d’occulter ou d’ignorer.
- Il y a un apparent sadisme (possiblement choquant) de la part d’Ed à annoncer à Gordon qu’il va effacer de l’existence sa famille, un acte ontologiquement plus cruel encore que de la tuer ! Cette forme de torture mentale pourrait même représenter un vrai pousse-au-crime (ou une mise à l’épreuve)... sachant en outre que Malloy est armé. Il aurait évidemment été plus "charitable" ou du moins davantage stratégique de "néantifier" sa famille hypocritement, sans rien lui dire, au fond comme avec des animaux de compagnie que l’on s’apprête à faire piquer... avec tendresse et amour. Mais c’est encore à supposer que Gordon ait pu croire au revirement de Mercer et à l’absence de "plan B"... au risque d’induire la pire paranoïa et les pires psychotages pour ses derniers instants de partage avec sa famille. Du coup, il serait à l’inverse possible d’y voir une forme très mature de loyauté et de transparence de la part d’Ed envers un ami égaré, afin de ne pas le prendre en traitre et lui laisser la possibilité d’affronter stoïquement son destin. Enfin peut-être était-ce une ultime chance que le capitaine Mercer laissait délibérément à Malloy pour le suivre de son plein gré afin d’éviter à sa famille de disparaître. En sus, à l’échelle de la franchise Star Trek, Gordon est vraiment à Ed ce que Tuvix fut à Janeway : les deux innocents dont le seul crime fut d’exister, suppliant pour leur vie, tandis que l’apôtre de l’utopie des Lumières, convaincu de son bon droit, les envoie impitoyablement à la guillotine au nom d’un intérêt supérieur avec l’assentiment général ! Dans tous les cas, la dramaturgie est ici poussée à son paroxysme tant les héros en titre ont en apparence le mauvais rôle (celui qui incombe à la responsabilité et à la hauteur de vue) : Janeway effaçant une vie pour le bénéfice certain de deux officiers, et Mercer effaçant une famille (dont assurément deux enfants) pour le bénéfice incertain d’une quasi-infinité de sujets. Mais si d’aucuns sont en droit de la trouver outrée, ils ne doivent pas perdre de vue que c’est pourtant le rhème et l’enjeu même de l’épisode ! C’est-à-dire que c’est là l’élément cardinal de l’histoire. Du coup, les showrunners auraient certes eu la liberté de ne pas le montrer ni même l’évoquer (pour ménager les spectateurs), mais aucunement de ne pas le faire exister (hors champ). Auquel cas la dramaturgie de l’épisode aurait juste été affaiblie dans la représentation... sans pour autant être consolidée dans l’articulation. Les partis pris adoptés ont en réalité le mérite d’être les seuls à permettre aux spectateurs de prendre toute la mesure de la tragédie, sans rien édulcorer ni affadir.
- Embarquer dans le futur la famille de Gordon comme celui-ci l’exigeait aurait pu sembler un moindre mal. Mais autant cette option aurait pu faire sens si elle s’était appliquée uniquement à ses enfants (n’étant pas supposée exister dans la timeline originelle), autant elle aurait été très irresponsable en y incluant sa femme (native du 21ème siècle et dont rien ne dit qu’elle n’a pas un rôle direct ou indirect déterminant pour la trame temporelle, du moins hors d’un paradoxe de prédestination). Or même si l’on fait abstraction de la cruauté de séparer une mère de ses enfants, la configuration présentait un autre problème insoluble : Laura était enceinte d’un bébé qui n’était pas supposé exister dans cette timeline ! Alors à moins de lui imposer un avortement forcé ou de lui arracher le fœtus, les répercussions restent impossibles à calculer... surtout pour de complet newbies du voyage temporel... In fine, aucune de ces solutions n’étaient mélioratives, et revenir en 2015 étant encore la seule option à peu près fiable pour la ligne temporelle sous l’empire des incertitudes et des indéterminations.
- Est-ce que la sévère réprimande de Mercer et de Grayson par l’amirale Howland — avec menace de révocation au moindre manquement — suite à la détransition illégale de Topa dans The Orville 03x05 A Tale Of Two Topas pourrait expliquer l’extrême légalisme des protagonistes dans The Orville 03x06 Twice In A Lifetime ? Au point même d’avilir leurs motivations réelles, par exemple en refusant d’accéder aux diverses demandes de Gordon (le laisser vivre en 2025, ou à l’inverse le rapatrier en famille en 2422) uniquement pour préserver leur carrière désormais sur la sellette ? Cette hypothèse cynique ne tient guère la route pour pas mal de raisons... #1 Les menaces de Howland à la fin de l’épisode précédent étant davantage formelles que réelles, et l’amirale n’avait guère fait mystère de son adhésion morale à l’opération chirurgicale pratiquée par Isaac. #2 Il y a dans The Orville 03x06 Twice In A Lifetime tellement d’échanges de fond que ceux-ci ne laissent aucune place — faute d’angle mort — à un possible manque de sincérité et de conviction chez Ed et Kelly dans leur adhésion et leur application de la Loi temporelle de l’Union (aussi bien par la lettre que par l’esprit). Un tel niveau de verbalisation, de transparence et de psychologie aurait forcément laissé apparaître — même en creux — une once de préoccupation autocentrée chez le capitaine et/ou sa XO. #3 Le scope de l’épisode touche à la préservation ou non de la ligne temporelle, à l’existence ou à l’inexistence de la Planetary Union. Les préoccupations du staff de l’USS Orville portent donc sur le destin de la galaxie, non sur des plans de carrière ou la crainte de perdre son job. #4 L’absence totale d’expérience temporelle de l’Union limite fatalement beaucoup un encadrement juridique précis faute de jurisprudence (le voyage temporel de l’USS Orville en 2025/2015 est quasiment le premier de l’Histoire connue). Dès lors, il est exclu que Mercer puisse être sanctionné pour ses choix de commandement en vertu d’un code fatalement embryonnaire et en work in progress, a fortiori si la timeline a bien été sauvée in fine. Dans le droit positif, ce sont d’ailleurs les agissements des pionniers qui jettent les premières bases concrètes d’un code de conduite (comme l’avait montré ST ENT dans le cas de Jonathan Archer). S’il fallait absolument trouver des torts légaux à Ed, c’est d’avoir entrepris un voyage temporel sans en avoir préalablement avisé l’amirauté ni avoir obtenu son aval. Certes, une timeline réputée en suspens pouvait psychologiquement pousser à agir en urgence. Cette justification reste assez pauvre en 4D, mais dans le doute et/ou dans l’ignorance des mécanismes temporels exacts impliqués, la crainte d’un effondrement en cascade compromettant l’existence même de l’USS Orville et des héros pouvait expliquer — à défaut de légitimer — cette ligne de conduite.
- La solution développée par LaMarr pour voyager vers le futur est très élégante tant elle s’inscrit dans les sciences contemporaines. Le voyage à vitesse relativiste dans l’espace normal (plafonné par l’asymptotique c) s’est d’ailleurs efforcé de représenter l’effet Doppler relativiste (plutôt bien d’ailleurs avec une composante bleu vers l’avant, rouge vers l’arrière, et verte au centre de la trajectoire). Néanmoins l’épisode a omis certaines des incidences du facteur de Lorentz, en particulier l’énergie requise et la masse qui tendent vers l’infini lorsque la vitesse tend vers c.
- Serait-il possible d’imaginer que chaque altération temporelle de l’épisode (réception du message de Gordon dans la Veil Nebula, missions sur Terre en 2025, sauvetage de Gordon un mois après son arrivée en 2015...) conduirait à la genèse d’une nouvelle réalité alternative additive (cohabitant donc avec la précédente) et non pas à une altération de timeline (i.e. remplaçant la timeline précédente par une nouvelle timeline substitutive) ? Cette première hypothèse est en réalité très peu probable. Car d’une part la jurisprudence temporelle trekkienne jusqu’en 2005, et davantage encore celle de Brannon Braga, est placé par défaut sous le régime des lignes temporelles substitutives et non additives lors de toute altération temporelle (ce qui n’exclut pas bien sûr par ailleurs l’existence d’univers parallèles selon la théorie d’Hugh Everett). Car d’autre part l’univers de The Orville a toujours suggéré l’existence d’une seule timeline à la fois, à l’instar de The Orville 02x14 The Road Not Taken (où une timeline dystopique avait remplacé la timeline originelle tandis que l’objectif était de restaurer l’initiale et non d’en créer une troisième) ou encore de The Orville 03x06 Twice In A Lifetime (dont l’indétermination quantique de la timeline suite à la projection de Gordon en 2015 n’aurait aucun sens dans un système additif). Car de tierce part, en raisonnant par l’absurde, il n’y aurait aucune réelle dramaturgie ni tragédie nihiliste dans ce sixième épisode de la troisième saison si chacun générait sa propre réalité alternative sur mesure (il y aurait ainsi l’univers où Gordon n’a jamais voyagé dans le temps, celui où il aurait vécu heureux en famille au 21ème siècle entre 2015 et 2068, et celui où il aurait vécu en 2015 juste un mois avant de revenir en 2422). Cette dernière approche serait peut-être ludique pour construire des arbres de décision mais serait largement dépourvue de portée sémantique et ontologique. Alors certes, au début de l’épisode, suite à l’envoi du sandwich dix secondes dans le passé, Malloy s’est retrouvé durant quelques secondes avec un doublon en déplorant de ne pouvoir garder les deux ; Isaac a alors expliqué que ne pas envoyer dans le passé ledit sandwich préalablement reçu créerait un paradoxe temporel, poussant LaMarr à renchérir humoristiquement sur la genèse d’un tout nouvel univers qui bifurquerait du premier juste pour un sandwich ! Cependant il ne faut pas prendre trop au sérieux cette ligne de dialogue, car non seulement la mécanique temporelle est une discipline nouvelle et encore largement méconnue dans l’internalisme de The Orville (comme l’assumera LaMarr lui-même plus tard dans l’épisode), mais il s’agit surtout d’une blague dans le style si prisé par Seth MacFarlane (au même titre que l’envoi consécutif dudit sandwich trois mois dans le futur à la demande de Gordon).

Conclusion

Alors on peut toujours chipoter sur quelques possibles imperfections de détail, ainsi que sur le classicisme de certaines situations. Mais il n’en demeure pas moins que The Orville 03x06 Twice In A Lifetime réussit à mettre en scène un des choix impossibles les plus mémorables de la SF audiovisuelle à ce jour... en osant aller jusqu’au bout de ce que certains opus antérieurs du même genre/thème (dans et hors Star Trek) avaient juste effleuré (ou seulement théorisé).
La détermination des personnages principaux à appliquer la loi temporelle de la Planetary Union en prenant sciemment à revers tous les réflexes empathiques et "family friendly" du public accouche d’une redoutable dialectique, d’un croisement discursif suivant l’architecture des meilleurs procès... mais dans le grand prétoire de l’univers (à l’instar de Poul Anderson ou de Jack Vance). Et comme le "prévenu" est le personnage le plus attachant, alliciant, et attendrissant de la série, la hardiesse scénaristique est à son comble.
Autant dire que la dramaturgie posée par le destin de "l’orphelin du futur", Gordon Malloy, se hisse au niveau admirable d’une tragédie antique (mais avec une logique formelle d’ordre supérieur grâce à la composante SF)... tant par les dialogues et la tonalité des scènes, que par les non-dits et les implications ontologiques, par les choix courageux et polémiques (ne laissant aucune latitude à une dérobade ni à un "en même temps" confortable), par le malaise indicible distillé (lorgnant presque le stoïcisme voire le nihilisme d’un ST ENT 03x21 E²).
Inutile alors de préciser que, du fait de sa richesse et sa maturité trekkienne, The Orville 03x06 Twice In A Lifetime enfonce et défonce à lui tout seul encore davantage (si cela est possible) les affligeants dix épisodes de la seconde saison de Picard — qui, malgré une thématique voisine, n’apparaît rétrospectivement que plus risible dans sa mécanique temporelle et indécente par l’irresponsabilité décomplexée de ses personnages (seulement guidés par le pathos et le nombrilisme).

Derrière une écriture très fine, The Orville 03x05 A Tale Of Two Topas avait indignement sacrifié l’intérêt collectif (jusqu’au suicide potentiel de toute l’Union) à un intérêt individuel (aux accents wokiens). Mais telle une revanche du pragmatisme, The Orville 03x06 Twice In A Lifetime réaffirme la prévalence essentielle de l’intérêt général sur l’intérêt personnel, dans une incommensurable douleur, dans la torture intime s’il le faut. Inutile de préciser laquelle des deux approches est la plus trekkienne (tant cette vertu suppose un équilibre entre idéalisme et réalisme).
En outre, qualité rare, ce sixième épisode de la troisième saison de The Orville incite à réfléchir, à questionner, à débattre, à comprendre... avant de juger (éventuellement). Laissant ainsi chaque spectateur pleinement libre de se positionner (ou pas d’ailleurs). Mais sans pour autant dispenser les héros de faire leur devoir d’officiers et donc d’assumer des choix à la fois engageants et impersonnels. Tout en admettant dans une conclusion stupéfiante de lucidité que rien ne permet d’avoir l’arrogance d’affirmer que chacun d’eux n’en aurait peut-être pas fait autant que Gordon dans une situation aussi intenable. Car les grands principes et les systèmes survivent rarement lorsque l’individu se retrouve isolé et livré à lui-même. Une radioscopie sans appel de la monade humaine dans toute sa faiblesse et sa fragilité.
Effectivement, comme l’avait un jour dit Benjamin Sisko dans ST DS9 : « il est facile d’être un saint au paradis ». En d’autres termes, tant que vous n’aurez pas vous-mêmes été envoyés en enfer (en live et pas seulement dans une simulation ou un stage de formation), vous ne saurez jamais vraiment qui vous êtes ni de quoi vous êtes capables (pour le meilleur ou pour le pire).
Si bien que, comme il se doit, comme dans un jugement dernier, le seul vrai juge de ce chemin existentiel prohibé sera finalement Gordon Malloy lui-même, selon la période de sa vie : juge de l’implacabilité d’une Planetary Union capable d’envoyer sans sourciller dans la non-existence son mariage avec Laura et leur progéniture résultante (en annulant rétroactivement leur naissance) ET juge de sa propre irresponsabilité pour avoir eu l’égoïsme infini d’altérer la ligne temporelle sous l’empire de la solitude et du désespoir. Contrairement à la tradition sapientale, c’est le plus jeune qui jugera son alter ego le plus âgé. Lequel des deux était le vrai Gordon ? Eh bien les deux, chaque humain étant en réalité foncièrement pluriel et évolutif.
Bref, le meilleur des deux mondes diégétiques. Car indécidable... et pourtant décidé par décohérence quantique.

Mais traiter jusqu’au bout et sans complaisance un des tropes les plus pesants de la SF n’empêchera aucunement The Orville 03x06 Twice In A Lifetime de laisser du temps au temps, tout en se payant le luxe :
- de débuter par un solo à la guitare acoustique de Gordon célébrant — à travers That’s All I’ve Got To Say de Jimmy Webb — ce passé mythifié ricain où il laissera (sans pouvoir encore l’imaginer) une partie considérable de lui-même,
- et de se terminer par une communion spatiale entre frères d’armes par-delà le bien et le mal, par-delà ce qui fut ou ne fut pas, autour d’une bouteille de whisky.
Toute la grâce d’un ST ENT 01x13 Dear Doctor. Superbe.

Même s’il n’est peut-être (?) pas "nitpick-proof" dans le "bétonnage" logique de son histoire, The Orville 03x06 Twice In A Lifetime n’en est pas moins un chef d’œuvre sur le fond, offrant une hybridation philosophique transgressive entre un ST VOY 02x24 Tuvix et un ST DS9 05x22 Children Of Time sous l’ombre métaphysique d’un The Last Temptation Of Christ de Martin Scorsese (1988).
Parce qu’il ose prendre à rebrousse-poil les réflexes conditionnés par des décennies de normes hollywoodiennes.
Parce qu’il ose être scientifiquement innovant.
Parce qu’il ose être politiquement incorrect.
Parce qu’il ose être moralement insatisfaisant.
Parce qu’il ose en fait être une proposition de vraie SF pour adultes... où le logos l’emporte sur l’ethos et le pathos.
Alors... kudos.

NOTE ÉPISODE

NOTE STAR TREK

BANDE ANNONCE



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