Foundation : Review 1.08 The Missing Piece

Date : 10 / 11 / 2021 à 14h30
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L’antépénultième épisode Foundation 01x08 The Missing Piece décrémente le nombre de théâtres scéniques pour revenir en position centrale, à savoir trois :
- (A) Au sein du monumental Invictus, une lutte pour la survie et le contrôle s’engage entre les enragés d’Anacreon et les otages de la Fondation. Mais le mythique vaisseau disparu il y a 700 ans reste largement indomptable. Et un grand voyage commence…
- (B) Sur la lune vierge Surah, Cleon XIII se soumet à l’épreuve de la Grand Spirale et la surmonte triomphalement. Sauf qu’il réussit à la vider de tout son sens. Si bien qu’en éliminant sa rivale, c’est possiblement son avenir qu’il hypothèque...
- (C) Pas de visite au palais impérial de Trantor cette fois, nous retrouverons certainement Cleon XIV et Azura Odili dans le neuvième épisode avec le retour de Cleon XIII au palais impérial...
- (D) La planète Helicon en orbite d’une étoile noire sera le témoin de l’affrontement homérique entre Hari Seldon (e-Seldon #2) et Gaal Dornick. Les deux figures emblématiques de la psychohistoire rompront à Star’s End. Tout un symbole.

Si vous ne souhaitez pas vous plonger dans une analyse exhaustive du contenu (forcément riche en spoilers), veuillez cliquer ici pour accéder directement à la conclusion.

(A) Au large spatial de Terminus dans un théâtre moins absurde

Il fallait remonter à Foundation 01x04 Barbarians At The Gate pour que l’arc terminusien ait encore de la tenue, les trois épisodes suivants l’ayant fait déchoir au rang peu enviable de nawak dont il ne fallait retenir que la note d’intention, les showrunners ayant juste fixé des objectifs narratifs comme des managers imposent des objectifs des ventes, charge ensuite à des stagiaires sous-payés de les atteindre par n’importe quel moyen quitte à bâcler ou frelater le travail. En dépit des crédits officiels, il est difficile de croire que les arcs terminusiens aient été confiés aux mêmes scénaristes – presque sortis de l’écurie Kurtzman – que les autres arcs d’une facture nettement supérieure quand bien même souvent très imparfaits. Mais tel est au fond le style des productions David S Goyer, toujours capables du pire et du meilleur, souvent en même temps.
Foundation 01x08 The Missing Piece, laisse enfin entrevoir le bout du tunnel… au fur et à mesure que les effectifs des deux camps se dépeuplent. Il ne restera bientôt plus que Salvor et Phara en lice pour s’affronter dans un grand duel starwarsien terminal, et cette page aussi anti-asimovienne que laborieuse sera enfin tournée. Mais c’est à se demander l’intérêt de féminiser les casts pour finalement reproduire la même débauche de testostérone que dans les films les plus machistes des années 50…

L’histoire A débute par un flashback inédit, nous transportant sur Anacreon il y a 35 ans. Une planète magnifique, avec une luxuriance végétale enchanteresse comme sortie de la Terre du Milieu. Deux enfants jouent dans l’insouciance la plus totale. Soudain, des détonations transpercent le ciel, et déluge de feu embrase toute la planète. La toute jeune Phara assiste impuissante à la mort de son frère, Ilex, carbonisé sous ses yeux. La colère de Cleon XII venait de s’abattre sur Anacreon. Voilà la tragique histoire des origines de la Grande Chasseresse que celle-ci relate à Salvor, et qu’elle résumera en une phrase glaçante : « Quand les vaisseaux sont partis, il n’y avait plus d’enfants. Que des guerriers. »
Bien sûr, rien n’est plus classique que de représenter la tragédie ainsi, en accentuant les traits jusqu’au stéréotype. Mais dès lors qu’une vérité est accordée à la scène, elle n’en prend pas moins à la gorge, et la série a eu raison de mettre sur le génocide anacreonien des images dont tout porte à croire (et notamment la caution télépathique de Salvor) qu’elles sont authentiques en in-universe. Cela permet de réduire la part de manichéisme de l’arc terminusien qui pourtant n’a jamais manqué une occasion de manichéiser au maximum la narration. À défaut d’absoudre le nihilisme criminel de Phara, il sera toujours possible d’y compatir...

S’ensuivit par Kaean une lecture superstitieuse, téléologique et outrageusement nombriliste de l’extermination ayant frappé Anacreon, puisque selon elle, ses dieux ne l’auraient pas laissé mourir puis lui auraient offert l’Invictus sur un plateau pour lui permettre d’accomplir sa vengeance. Une forme de foi à la limite de la schizophrénie (et donc de la folie) qui explique que Phara ne doute pas de réussir à réparer en quelques minutes l’Invictus là où son équipage d’origine avait échoué jusqu’à ce que mort s’ensuive… Bah, dès lors que les dieux le veulent…

À la façon d’une capsule dans l’histoire A, une d’une extension A2, l’épisode nous transporte dans un environnement très Hard-SF… qui n’est autre qu’une des mines abandonnées de la Ceinture d’Anthor. Et dans paysage cosmique aussi désertique que majestueux, on entraperçoit une combinaison spatiale en trajectoire balistique, lente et silencieuse.
Hugo Crast a survécu. Cette hypothèse avait naturellement été envisagée dans la critique de l’épisode précédent, mais aussi plaisante qu’elle soit, elle restait une option capillotractée… puisque l’amant de Salvor fut déclaré perdu lorsqu’un défaut de combinaison de lui permit pas d’atterrir sur la coque de l’Invictus.
Alors bien entendu, cette issue heureuse n’est pas totalement invraisemblable. Il est parfaitement possible qu’en loupant l’atterrissage, le hasard ait voulu que la combinaison de Hugo parte dans la direction d’une mine du champ d’astéroïde. Il est même possible que cette zone possède d’innombrables mines, si bien que la probabilité est élevée de passer à proximité de l’une d’elle quelle que soit la direction prise. En outre, malgré le dysfonctionnement de la combinaison au voisinage de l’Invictus, les propulseurs (ou "thrusters") d’appoint se sont peut-être remis à fonctionner ensuite, offrant suffisamment de latitude et d’autonomie à Hugo pour réellement contrôler sa trajectoire. Ajouté à cela sa vieille expérience de mineur spatial, de commandant de vaisseau, d’utilisateur de ces combinaisons motorisée (appartenant pour mémoire à l’équipement de son propre vaisseau le Beggar), et sa connaissance de l’environnement spécifique de la Ceinture d’Anthor peuvent en effet avoir concouru à une si parfaite maîtrise de son déplacement en "vol à vue" jusqu’à atterrir à exactement un mètre d’un "Communication Relay Hub" thespien.
Cela fait bien des conditions (ou "si") à réunir, mais bon pourquoi pas. Il y aura eu bien pire dans cette série…
Toujours est-il que Hugo se reconnecte à un relai de communication, et transmet en langue thespienne un message d’alerte : « Ici Hugo Crast. (…) Ici Sian un Edan. Ancien citoyen de Thespis. J’envoie un SOS à la République thespienne. Activitié anacreonienne à signaler à l’avant-poste 59. Quelqu’un me reçoit ? Quelqu’un me reçoit ? Quelqu’un me reçoit ? »
Il reste alors 22% à la jauge d’oxygène de sa combinaison. Mais peut-être qu’il existe des sources d’approvisionnement dans ces mines…
En fin de compte, le plus problématique dans ce nouveau développement, c’est l’incohérence rétroactive qui en résulte. S’il était possible d’utiliser des relais de mines spatiale abandonnées non loin de Terminus pour appeler à l’aide (sans recourir aux balises impériales) les Thespiens, ennemis historiques des Anacreoniens, alors comment se fait-il que cette option n’ait pas été envisagée dès le troisième ou quatrième épisode de la série. Hugo disposait de son vaisseau Terminus, il lui aurait été simple de solliciter ses compatriotes d’adoption…

Retour à l’histoire A principale ou A1.
Dans Foundation 01x07 Mysteries And Martyrs, Phara et Rowan avait commis l’imprudence tactique de ne rien cacher à Salvor de leur intention génocidaire, fragilisant encore davantage sa coopération forcée. Lui révéler alors la cause première de cette soif de destruction à l’encontre de l’Empire était en quelque sorte la carotte. Vient maintenant le bâton : si jamais Hardin refusait de coopérer pour conduire l’Invictus jusqu’à Trantor, les chasseurs de Phara massacrerait chaque homme, chaque femme, chaque enfant restés sur Terminus, à commencer par Mari.
Cela reste cependant une menace hâbleuse, parce qu’au cœur de l’Invictus et sans aucune intention de le quitter, qui plus avec personne à bord du Beggar pour relayer, Phara n’a aucun moyen de contacte ses hommes sur Terminus.
Mais ironiquement, la suite de l’épisode montrera que Salvor n’a jamais pris au sérieux ces menaces, comprenant probablement elle-même que Kaean n’a plus les moyens de sa coercition sur la Fondation… Autant dire que la série contribue à en faire une "méchante" de carto(o)n-pâte alors que son histoire n’était pas forcément dépourvue d’intérêt et son actrice (Kubbra Sait) pas mauvaise.

Chaque fois que les circonstances lui permettront de discuter avec Phara ou Rowan (il n’y a plus que trois Anacreoniens vivants sur l’Invictus au début de l’épisode, et seulement deux à la fin), Salvor plaidera en faveur de la logique et de la raison. À savoir que même si l’opération kamikaze réussissait à exterminer Trantor et décapiter l’imperium, l’Empire galactique ne disparaîtrait pas pour autant. Quand bien même affaibli (car centralisé), il resterait suffisamment puissant pour exterminer l’intégralité de la population d’Anacreon en représailles. Toute l’action de Phara reviendrait donc à "achever le boulot" entamé par Cleon XII il y a 35 ans.
Mais autant la Grande Chasseresse restera sourde à cet argument pragmatique, faisait paravent de son indifférence envers l’humanité (quitte à ce que ses méthodes et leurs conséquences contredisent totalement ses objectifs), autant son subordonné Rowan révélera une certaine réceptivité (notamment lorsque Salvor évoquera le sort des enfants anacreoniens, devinant grâce à sa télépathie que Rowan est père d’une petite fille).

Mais les circonstances ne permettront pas à Hardin de poursuivre bien longtemps son opération de retournement improbable de l’ennemi…
Car à 29 minutes (selon le compte-à-rebours estimatif) du Jump en FTL, la scientifique Jacenta se fait descendre à bout portant par un canon mobile et volant dans un couloir. Lewis s’effondrera presque en larmes. Il n’y a désormais plus que deux membres vivants de la Fondation sur l’Invictus, et exit la seule actrice asiatique du cast "all inclusive", disparue aussi brutalement qu’elle était apparue.
Rowan lancera un drone équipé d’une caméra renvoyant le feed sur son brassard, et avant de se faire détruire à son tour, les images révéleront un amoncellement de cadavres de l’équipage originel devant le canon. Ce que Salvor interprètera comme une mutinerie de l’équipage contre son capitaine. Un drame du lointain passé dont le sens se sera perdu dans l’éther…
Phara obligera Salvor à jouer les appâts devant le canon, pour profiter de la diversion afin de le faire exploser. Hardin s’y résignera la mort dans l’âme, allant sans armes (puisque prisonnière) au-devant du canon, comme on affronte un peloton d’exécution, sachant que sa vie dépend de Phara et que celle-ci a une envie folle de la voir morte. Par trois fois, Hardin traversa le champ de tir, échappant de peu à la fatalité grâce à des roulés-boulés lui permettant de plonger dans des renfoncements latéraux. Finalement, de façon coordonnée, Phara éliminera cette arme automatique d’un autre âge dès son premier tir à l’arc (ne projetant visiblement pas des flèches en bois).

Continuant à progresser vers la passerelle du vaisseau, le groupe détecte un probable champ de force de première génération (donc désintégrateur) comme dans Foundation 01x07 Mysteries And Martyrs, caractérisé par son boitier latéral droit aux éclats lumineux orangés. Salvor est bien sûr envoyé pour le désactivant en reprogrammant l’un des circuits imprimés. Et là profitant d’un moment de relâchement des trois Anacreoniens restant, elle s’empare de l’arme de l’un des cadavres jonchant le sol, tire sur Phara (qu’elle rate, celle-ci se plaquant au sol), puis tire en direction de Lewis (en lui faisant signe de se baisser) vers un mur donnant sur l’espace pour créer une brèche de décompression. Profitant de la confusion créée par la décompression, elle traine Lewis en direction de la passerelle tandis qu’une cloison étanche se ferme derrière eux. L’un des trois Anacreoniens restant (celui que l’on ne connait pas) est plaqué sous l’effet de l’expulsion d’air contre la parois percé… et il meurt en quelques secondes aussi efficacement que si son torse avait été transpercé par une balle. Finalement, ce sont ses propres entrailles (chair, sang, viscères) qui serviront à colmater naturellement la brèche. Il ne reste plus que deux Anacreoniens, les deux équipes adverses se matchent en nombre.
L’intégralité de cette scène, quoique très lisible malgré sa complexité et rapidité (bel exemple de mise en scène) laisse néanmoins à désirer à divers titres.
Même si le passage à l’acte de Salvor n’est pas factuellement incohérent, il représente un cumul de risques dont la probabilité d’échec était nettement plus élevée que la probabilité de réussite. D’une part, l’arme d’un membre d’équipage n’avait que peu de change d’être fonctionnelle (soit du fait des 700 ans d’âge, soit du fait de l’épuisement des munitions). D’autre part, Salvor pouvait-elle être certaine de savoir la manier (à supposer raisonnablement que les armes ont tout de même évolué en 700 ans, a fortiori en cross civil/militaire), pas forcément au niveau des principes généraux qui sont probablement invariant mais la célérité et donc de la maîtrise requise pour prendre un adversaire supérieur en nombre, mieux armé, et aguets. De tierce part, se précipiter vers la passerelle avant que la cloison automatique ne se ferme pour échapper aux Anacreoniens, impliquait de franchir la zone du champ de force, ce qui comportait un saut de la foi en cas d’erreur de désactivation. Alors il est vrai que la situation était peut-être suffisamment désespérée pour que Hardin prenne de pareils risques, mais ce trop parfait enchainement quoique non impossible reste assez improbable. Évidemment, comme l’a déjà remarqué et souligné Salvor (dans des épisodes antérieurs et peu après dans celui-ci dans les jeux de pile ou face), outre la télépathie, son autre pouvoir mentaliste est la baraka, c’est-à-dire le pouvoir forcer la chance (i.e. altérer les probabilités à son avantage comme dans ST Deep Space 9 02x11 Rivals.
En revanche, aussi spectaculaire et gore que soit cette "mort par succion" de l’Anacreonien, elle n’en est pas moins absurde car aucunement conforme aux lois physiques. Il s’agit de la même erreur qu’à la fin de Alien, la résurrection de Jean-Pierre Jeunet (1997). En fait, pour qu’un tel phénomène puisse de produire, il faudrait que le vide spatial exerce en lui-même une aspiration, qui plus est dépassant la résistance des matériaux solides (comme des vêtements, des uniformes, des combinaisons, et les tissus humains). Mais il n’y a rien de tel, puisque ce n’est pas le vide spatial qui attire vers lui, mais la pression (d’un environnement pressurisé) qui pousse vers l’extérieur. Ladite poussée sera fonction de la pression atmosphérique, de la masse-volumique de l’air, et du diamètre de la section de la brèche. Et pour la largeur du trou apparaissant à l’écran, un simple morceau de carton épais aurait stoppé la fuite, et un corps humain en se plaçant devant en aurait fait autant sans rien ressentir. Si toutefois une section de peau nue était directement au contact avec la brèche, elle pourrait subir des dégâts plus ou moins irréversibles, mais en aucune manière perdre son intégrité comme de la viande hachée et être aspirée. Le vide spatial est un environnement bien assez inhospitalier et dangereux pour ne pas nécessiter d’en rajouter à des fins de tape-à-l’œil.

Débarrassés pour un moment de Phara et Rowan, Salvor et Lewis pénètrent dans la passerelle, silencieuse et mystérieuse depuis sept siècles tel un tombeau. Ils découvrent le cadavre de la capitaine, parfaitement conservée, morte par suicide en s’ouvrant les veines. Réussissant à allumer une sphère blanche de contrôle, ils découvrent le mot "exo" écrit en lettres de sang. Se perdant en conjectures sur la signification de ce message, ils envisagent que cela renvoie à ce qui est extérieur à la galaxie ou l’Invictus aurait peut-être rencontré quelqu’un ou quelque chose. Ce bref passage est une référence de connaisseur au cycle littéraire d’Asimov et à la place fantasmatique occupée par les questionnements sur la vie extraterrestre et les dangers extragalactiques…
Il est cependant très curieux qu’à aucun moment les personnages ne manifestent l’idée, la velléité, ou la volonté d’accéder aux journaux de bord du vaisseau impérial (quand bien même ceux-ci soient verrouillés). Car ce serait encore la meilleure façon de comprendre ce qui s’est passé et de gagner du temps sur la dynamique des conjectures...

Le compte à rebours s’accélère, et soudain quatre nacelles (cradle en VO) cerclées s’illuminent autour d’eux, comme une invitation en prévision de l’événement trans-spatial dans 20 minutes que la voix masculine de l’ordinateur de bord commence à annoncer.
Alors que Salvor n’est pas une scientifique et qu’elle ne possède aucune expérience spatiale (n’ayant jamais quitté Terminus depuis sa naissance), c’est curieusement elle (et non Lewis pourtant spécialiste du FTL) qui comprend que l’une des nacelles permet de contrôler la navigation et qu’il faut la trouver. Finalement Lewis finit par découvrir "navigation cradle" dans un recoin de la passerelle, tandis qu’un cadavre l’occupe.
On pourrait s’étonner de la décontraction et de la lenteur avec laquelle Hardin et Pirenne explorent la passerelle, à croire que la meute n’est pas derrière la porte et que le Jump en FTL vers l’inconnu n’est pas imminent.

Lewis fait enfin la démonstration de sa compétence (pour une fois que ce n’est pas seulement Mary Sue #2) et il révèle les grandes différences entres les Jumps en FTL d’il y a sept siècles et ceux de "maintenant", prouvant qu’il y a tout de même eu une évolution (ouf). Or il apparait que le double claquement sonore et lumineux qui se fait entendre à des intervalles en constante réduction (depuis leur arrivée à bord de l’Invictus) est bien un compte à rebours annonçant à chaque membre d’équipage qu’il doit rejoindre sa capsule pour s’auto-endormir ("sedate themselves" en VO). Et en ce temps-là, les vaisseaux impériaux utilisaient des appareils aux capacités énormes pour planifier les Jumps en FTL, parce que replier l’espace (folding space en VO) serait autant une affaire de science que d’intuition. Ce serait comme faire un vœu. Et ce saut cognitif (cognitif leap en VO), seul un cerveau vivant peut effectuer. La différence "aujourd’hui", c’est que l’empire a conçu des humains génétiquement modifiés, les Spaciens, pour endurer cet effort, tout en étant chargés d’endormir et surveiller les passagers. Mais ces humains non-augmentés du passé n’avaient pas ce genre d’avantages. Et si les passagers devaient s’endormir eux-mêmes, le pilote devait être câblé (hard wired en VO) directement au vaisseau. Et Lewis sort alors un câble énorme avec plein de fils de la nuque du pilote décédé. Salvor découvre alors que celui-ci a été abattu d’une arme !
Les hypothèses qu’elle formule sont : d’une part que l’Invictus sautait de plus en plus loin et que l’équipage ne pouvait plus s’approvisionner ; et d’autre part que le pilote étant mort, le vaisseau était toujours à sa recherche, ayant besoin de lui pour la navigation, d’où des sauts aléatoires…

L’épisode pose assurément là un contexte de Hard-SF passionnant, mais qui aurait franchement mérité d’être bien davantage mis à l’honneur dans la série que les péripéties et les affrontements sans intérêt avec Phara.
On peut néanmoins retenir de toutes ces informations structurelles que le voyage en FTL implique l’intervention de la conscience, ce qui n’est pas forcément un concept incompatible avec les sciences réelles ni avec la Hard SF car il est en prise avec l’interprétation de von Neumann–Wigner de la réduction du paquet d’onde (même si ce n’est pas l’interprétation qui a le plus la cote aujourd’hui en mécanique quantique quoiqu’elle ne puisse aucunement être exclue). C’est également sur un semblable principe que fonctionne l’Épice gériatrique (produite par les Shai-Hulud de la planète Arrakis) qui permet aux navigateurs de la Guilde spatiale de replier l’espace avec leur conscience. Et justement, il serait permis de se demander si la série Fondation n’a pas pris l’initiative de s’éloigner du FTL du cycle littéraire d’Isaac Asimov pour surfer sur celui du cycle de Dune de Frank Herbet afin de mieux coller à l’actualité cinématographique…
Le câblage physique des navigateurs renvoie évidement à du cyberpunk. Mais il pourrait malheureusement faire également penser à ST Discovery avec l’interfaçage de l’astromycologue Paul Stamets pour naviguer dans le très fantaisiste réseau galactique mycélien…
Les Spaciens, ces humanoïdes effilés et dégingandés qui apparaissent dans les vaisseaux impériaux "actuels" sont donc des humains OGM, ce qui pourrait ouvrir sur des considérations relatives à l’éthique du consentement présidant à de telle manipulations génétiques. Les Spaciens forment-ils une "race" d’esclaves ? Ont-ils des droits ? Sont-ils muets ? Jamais le son de leur voix ne s’est fait entendre dans la série…
En revanche, les explications formulées par Salvor sur l’origine du dysfonctionnement et la mort par mutinerie ou par suicide de l’équipage de l’Invictus ne brillent par leur clarté ni même par leur cohérence. Car d’un côté il est suggéré que c’est l’assassinat du pilote qui a provoqué les sauts FTL aléatoires du vaisseau. Mais de l’autre que l’équipage ne contrôlait plus les sauts et c’est pour ça qu’il a perdu la possibilité de s’approvisionner en denrées de base. Alors pourquoi le pilote a-t-il été abattu en premier lieu par l’équipage ? N’y avait-il pas un ou plusieurs remplaçants à bord (le minimum pour un vaisseau de cette taille et de cette puissance) ? Le système de navigation ne possédait-il pas une sécurité de blocage en l’absence de pilote ? D’ailleurs, le fait d’avoir débranché son cadavre n’a pas stoppé le compte à rebours du prochain Jump… Le champ de causalité est tout de même la bouteille à l’ancre.

Portée par l’esprit sacrificiel qui la caractérise, mais également pressée par l’urgence d’un Jump dans seulement cinq minutes qui pourraient les conduire n’importe où dans l’univers sans possibilité de retour, Salvor propose alors l’impensable : que Lewis introduise de force les câbles dans la nuque de l’héroïne sans interface ni chirurgie préalable afin de lui laisser une chance de contrôler le saut pour se matérialiser en orbite de Terminus. Pirenne confirme que l’IA devrait être capable de trouver les bons neurones mais que le sujet n’y survivrait pas longtemps, en outre un saut dans une orbite planétaire demande beaucoup de précision. Salvor est pourtant prête à consentir ce sacrifice, invoquant sa bonne étoile et son aptitude à altérer les lois de la probabilité. Elle ajoutera même avoir la conviction qu’elle était destinée à faire ça, qu’un déterminisme la conduite ici. Stoïquement, elle poussera alors Pirenne à taillader sa nuque avec un couteau, revenant finalement à la tuer…
Contrairement aux usages hollywoodiens des redshirts qui se sacrifient pour les VIP, Lewis ne se proposera pas de remplacer Hardin, ce qui est d’une lâcheté "rafraichissante". Toutefois, sans le moindre examen de conscience et avec beaucoup d’inélégance, il laissera Salvor déclarer qu’elle mérite de se sacrifier car elle une anomalie statistique ("outlier" en VO). Pirenne a visiblement oublié un peu vite que s’ils sont dans cette situation cauchemardesque et que la colonie de la Fondation a été ravagée, c’est essentiellement de son fait à lui, notamment parce qu’il s’est toujours employé à ignorer les avertissements et les conseils stratégiques de la Gardienne.
Lewis reconnaitra cependant à la toute fin de l’épisode – les larmes aux yeux of course – que Salvor est exceptionnelle et qu’il aurait dû le voir plus tôt… Un peu de pathos pour cette bonne cause, cela sent la rédemption hollywoodienne à plein nez...

Ce type de stratégie de désespoir où les héros tentent le tout pour le tout sans trop savoir ce qu’ils font est un grand classique hollywoodien, à la frontière du cliché. Cela fait même un peu penser au Kwejian Cleveland Booker dans Discovery lorsqu’il proposer de s’interfacer au spore drive et prétend piloter du premier coup mieux que Paul Stamets dans le réseaux mycelien. Une adaptation d’Asimov aurait gagné à éviter ce type de configuration clinquante de blockbuster dépourvue de vraie rigueur SF. On pratique de la boucherie et on branche un peu n’importe où dans le cortex (alors qu’il n’y a pas plus micrométré qu’une opération chirurgicale dans le cerveau) des câbles supposés interfacer le domaine le plus complexe de l’astrophysique. Salvor n’a pas la moindre idée de ce qu’implique une navigation en FTL dans un environnement considéré incompatible avec l’entendement humain (d’où l’endormissement des humains). Et finalement comme Phara, elle trouve son courage et sa boussole dans l’irrationalité d’une croyance en sa propre électivité et en une Main invisible n’ayant rien à voir avec celle de Hari Seldon ni de la psychohistoire.

Après avoir réussi non sans mal à déverrouiller la porte d’accès, Phara et de Rowan font irruption sur la passerelle l’arme au point… empêchant Salvor d’accomplir le destin qu’elle croyait être sien. Car avant d’avoir pu interfacer l’héroïne à l’arrache, Lewis a reçu une balle dans le dos et s’est écroulé, mourant.
Et comme une hystérique obsessionnelle, la Grande Chasseresse ne cessera de hurler à son subordonné, à la façon d’un mantra : « Faut la tuer ».
L’occasion d’apprécier la cohérence d’un personnage qui ne vit que pour accomplir sa vengeance contre Trantor au moyen de l’Invictus… mais qui vient de descendre le dernier scientifique à sa disposition (Lewis) et n’a maintenant de cesse de tuer Salvor… alors qu’elle avait impérativement besoin des deux pour pouvoir utiliser de FTL du vaisseau ! Chapeau l’artiste pour cette performance.

Et soudain, un nouveau joueur s’invite à la table. Des lanciers thespiens (Thespin Lancers en VO) prennent d’assaut l’Invictus, engendrant une alerte et l’activation des défenses automatiques par l’ordinateur de bord. Quoique réputés moins guerriers que leurs ennemis historiques, ils semblent bien résister à la défense du vaisseau impérial, sachant que deux corvettes anacreoniennes furent détruites. Les vaisseaux thespiens diffusent à travers le système de communication de l’Invictus un message de reddition sous peine de destruction.
Lorsque Phara donne l’ordre à Rowan de se joindre à la fête en tirant avec les canons de la passerelle, cela frise un peu le ridicule : il reste moins d’une minute avant le Jump en FTL (et nul n’est prêt à l’affronter), Invictus assure très bien sa défense lui-même (et Phara est bien placée pour le savoir) ce qui confère à Rowan le rôle peu flatteur de mouche du coche, et il n’est guère cohérent qu’un Anacreonien puisse spontanément maîtriser des systèmes impériaux vieux de 700 ans.

Dans son coin, Salvor se réjouit en se parlant à elle-même : « Tu as réussi Hugo » ! Voilà une réplique apparemment anodine mais susceptible de changer rétrospectivement la lecture des événements. Sauf à imaginer qu’il s’agisse d’un accès soudain de télépathie de la part de Salvor (ayant par exemple détecté la présence de Crast à proximité ou ses communications avec les Thespiens), le plus probable est qu’il y ait eu une concertation entre Salvor et Hugo avant le spacedive de l’épisode précédent (en dépit de la surveillance constante des Anacreoniens et off screen) pour simuler une panne de propulseur et son incapacité à atterrir afin d’être donné pour perdu dans le but de rejoindre tranquillement un post de communication et appeler à l’aide les Thespiens. Cela ne résoudrait pas l’incohérence de ne pas les avoir sollicités dès le troisième ou le quatrième épisode, mais ça rendrait le périple spatial en combinaison de Hugo nettement plus crédible (car planifiée et maîtrisé depuis le début), et ça expliquerait la retenue émotionnelle – presque excessive – de Salvor au moment où elle était supposée croire son amant perdu.
Hélas, dans tous les cas, la rapidité avec laquelle les Thespiens entrent en scène – soit à peine quatre heures après l’envoi du message par Hugo – n’est guère vraisemblable ! Leurs vaisseaux ne disposent pas du Jump impérial, et leur planète n’appartient pas au même système stellaire que Terminus. Même s’ils disposent du "FTL au rabais" employé par le Deliverance, leur célérité d’intervention reste très surestimée... sauf à imaginer qu’ils passaient par hasard à proximité de la Ceinture d’Anthor.

Toujours est-il que Hardin profite de la diversion des Thespiens pour tirer sur l’arme que Phara tenait dans ses mains afin de la désarmer. Puis c’est avec un plaisir non dissimulé que l’héroïne s’apprête à tirer à bout portant pour flinguer enfin sa Némésis. Mais c’est bien sûr là que son arme s’enraille…
Mais pourquoi n’avoir pas directement descendu Phara quand Salvor le pouvait encore (au lieu de tirer pour la désarmer) ? Bien sûr, l’objectif est de toujours maintenir une conflictualité maximale et conserver le plus longtemps possible le bad guy sans lequel le héros n’existerait. Mais on ne parle pas d’Asimov là… Effectivement.
Bref, l’arc sombre une nouvelle fois dans un catfight mano a mano entre la Gardienne et la Chasseresse. C’est même devenu désormais un rituel dans l’arc terminusien de chaque épisode...

Heureusement vient le gong. Le compte à rebours fatal achève se s’égrener, les deux cercles armillaires centraux de l’Invictus forme déjà une puissante singularité de couleur ocre… Phara s’évanouit… tandis que Salvor reste consciente en plongeant dans une réalité vaporeuse blanche. Posséderait-elle le même don que Gaal ? D’une Mary Sue, l’autre.
Le vaisseau impérial se dématérialise brutalement et emporte avec lui les vaisseaux thespiens...

Mais ce compte-rendu ne serait pas complet en n’évoquant pas une seconde capsule dans l’histoire A, ou extension A3. À savoir un bref passage par la planète Terminus elle-même que la série avait quitté à la fin de Foundation 01x06 Death And The Maiden
Le reste des troupes anacreonienne que Phara avait laissée à Terminus City ont pris le contrôle de la ville, avec une directivité martiale évoquant l’empire romain ou la Sparte antique, dont les Anacreoniens partagent d’ailleurs en partie les tenues...
Mari, la mère de Salvor, sollicite une audience auprès du nouveau potentat, le lieutenant anacreonien Freestone. Et elle explique à un interlocuteur incrédule les mystères et les menaces du Sanctuaire (Vault)… dont le champ invalidant (null field) s’étend à une vitesse alarmante, obligeant à évacuer ou déplacer Terminus City.

En guise de bilan, l’histoire terminusienne (A) se dégage du bourbier des trois opus précédents. Car elle ne se réduit plus à une masse critique d’incohérence non-stop. Certes, il subsiste encore trop d’incohérences, mais elles restent en partie interprétables et relativisables. À quoi il faut ajouter l’antagonisme cartoonesque avec Phara (en dépit de quelques nuances appréciables), et une poignée de facilités et d’embrouillaminis…
Pour autant, l’épisode a su faire quelques choix réalistes comme des héros impuissants, n’ayant pas réussi à réparer en quelques instants un FTL que l’équipage originel bien plus compétent n’avait pas su dompter...
En outre, quelques vraies thématiques de SF réussissent à émerger, et il est difficile de ne pas éprouver une fascination devant ce compte à rebours inextinguible qui projette un vaisseau fantôme vers l’inconnu. Tel un très lointain écho du Destiny de Stargate Universe...

Vers l’inconnu... ou pas. Car comme Lewis est mourant, mais pas encore mort, se considérant fichu, il est probable que dans le dos de Salvor, il s’interface lui-même au FTL au moment du Jump pour conduire l’Invictus sur Terminus. Et ainsi, le cliché hollywoodien (du redshirt qui sauve la VIP) remportera quand même la partie...

NOTE HISTOIRE A

(B) Surah pour un détournement inédit du parcours initiatique

L’empereur Cleon XIII accomplit donc les 170 km de l’épreuve de la Grande Spirale, sans son bouclier personnel, sans ses nanorobots impériaux, sans le moindre matériel organique, sans nourriture, sans eau, sans repos possible, les pieds nus, en somme comme le plus humble des pèlerins. Une épreuve du désert par laquelle sont passés tant de mystiques et de gnostiques dans l’Histoire de l’humanité, et qui connut quelques extensions science-fictionnelles mémorables notamment dans ST ENT 04x07 The Forge et The Martian Chronicles (1980).

Une règle fondamentale régit cette ordalie : qui posera un genou à terre pourra se faire aider par les autres pèlerins pour continuer à avancer ; mais qui posera les deux genoux à terre fera acte de soumission à la déesse, donc renoncera, et s’il ne trouve pas les ressources de se trainer par lui-même hors du chemin, il sera abandonné à la mort.
Il y avait foule sur la ligne de départ comme au Marathon annuel de Paris, mais après l’équivalent de quelques "jours", la fréquentation devint aussi désertique que dans la Vallée de la Mort aux Mojaves (un peu optimiste de prétendre que 50% des participants ne parviennent pas au terme, ce serait plutôt de l’ordre de 99,9%).
De plus en plus dépenaillé et fortrait, Cleon XIII noue un dialogue d’égal à égal (sans lui révéler son identité) avec un autre pèlerin issu des classes les plus populaires de l’Empire, provenant de Nishaya, une planète ultra-industrielle perpétuellement nimbée d’un brouillard blanc et où est fabriqué tout ce qui est trop toxique pour être fait sur Trantor. Et il lui aura fallu économiser une vie entière pour se payer ce voyage en FTL sur Surah. Même si ces échanges entre ce ressortissant chaleureux des working class et l’impavide bien né perpétuent certains stéréotypes, ils n’en pas moins touchants, parce que l’empereur semble découvrir avec un certain effarement la difficulté de la vie hors de son palais, et qu’il perd momentanément une vie entière de conditionnement et de prétention pour fraternellement partager un compagnonnage d’infortune. À tel point que c’est à cet inconnu que Cleon XIII devra ne pas abandonner. Perdant progressivement conscience, il a fini par poser un genou à terre, mais le travailleur de Nishaya lui permettra de pas poser le second et l’aidera à se relever. Lorsque plus tard, la situation s’inversera, l’empereur s’emploiera de rendre au simple manant la générosité qui fut la sienne, mais malheureusement, celui-ci avait déjà décidé dans son âme de s’abandonner à la déesse et de se laisser mourir sur chemin, probablement pour ne pas avoir à retourner dans son enfer industriel. Malgré tout, violant la tradition, il déplacera son compagnon sur le bord du chemin, pour lui laisser une chance d’être secouru.
Cleon XIII en aura bavé. Brulé sur tout son corps par un soleil perpétuel, tapant avec la même intensité de jour comme de nuit, ayant trébuché et chancelé sans cesse, failli tomber ou poser les deux genoux à terre cent fois. Mais finalement, il aura surmonté le chemin létal de la Spirale, jonché de cadavres, de squelettes et de cranes des vagues immémoriales de pèlerins moins fortunés que lui. À moitié nu, d’un pas mal assuré, n’y croyant plus lui-même, il pénètre enfin au centre de la Spirale dans la grotte de la délivrance, nimbée d’une superbe lumière orange et turquoise, pour pouvoir s’abandonner dans un étang à la surface lisse comme un miroir…
Par la suite, comparaissant dans une église de pierre devant une assemblée trinitaire de Zephyrs, symbolisant les trois âges de la déesse, sous un triquetra stylisé (et semi-inscrit dans un cercle), il relatera avec force détails – et en renfort de flashbacks "objectif" – sa vision. À savoir une colonne de sel qui – à la façon de lucioles ou semblable aux images projetées par le Prime Radiant de Hari Seldon – s’est élevée de l’étang pour matérialiser une trille (ou "birthroot flower" en VO) à trois pétales (fleur disparue depuis des milliers d’années mais qui couvrait à l’origine l’une des trois lunes nées de la collision entre Dol et Surah). Autant dire que cette vision sera interprétée par cette assemblée exclusivement féminine – comme peut l’être le Bene Gesserit de l’univers de Dune – comme une vision sacrée scellant officiellement la parenté trinitaire entre les trois déesses du luminisme – la Vierge (Maiden), la Mère (Mother) et l’Ancienne (Crone) – et les trois empereurs galactiques de la dynastie génétique.
La doyenne des Zephyrs consentira non seulement à reconnaître à l’empereur une âme, mais également sa pleine évolution vers l’éveil spirituel, frappant d’anathème quiconque – et en particulier Halima directement adressée du regard – oserait prétendre le contraire et bannir une telle âme.
S’ensuivra le triomphe collectif de l’empereur auprès de tous les luministes de Surah, s’inclinant désormais devant lui, y compris Zephyr Halima… qui l’appellera même pour la première fois par son titre officiel ("ô Empire"), politesse qu’il rendra par la salut impérial (index et majeur levé).
Bref, carton plein pour Cleon XIII et vraie gifle pour Halima, qui y perdra même au passage sa position de favorite à la nomination de Proxima, la vassale docile de l’Empire Zephyr Gilat étant finalement nommée à sa place.

À ce stade de la geste initiatique, il serait presque tentant d’établir un parallèle avec l’épisode Star Trek Voyager 02x24 Sacred Ground, et davantage encore avec Star Trek Deep Space 9. Car ceteris paribus sic stantibus, il y a dans le cheminement de Cleon XIII quelque chose de Benjamin Sisko, du moins celui des premières saisons de la série. Si l’on fait abstraction des contextes très différents, tout comme Sisko, Cleon XIII était le produit d’une société très rationnelle (et perçue comme dominante) que rien ne prédisposait à s’ouvrir à un système mystique ou superstitieux. Mais comme Sisko, pour le bénéficie d’une meilleure entente mutuelle entre les mondes et les paradigmes, il aura réussi à se faire accepter d’une communauté religieuse en relevant un défi spirituel… sans trop y croire lui-même ou du moins en ne sachant pas trop quoi croire ou ne pas croire.

Oui mais voilà… Cleon XIII n’est pas Sisko et la soumission sans triche aucune à une épreuve de vie et de mort (faute d’avoir le choix d’y couper au regard des objectifs poursuivis) ne postule pas pour autant une sincérité dans les déclarations ni une intégrité envers l’expérience vécue. En ce sens, et aussi choquante que va être la suite, Foundation 01x08 The Missing Piece rappellera utilement l’un des fondements de la realpolitik : n’importe quelle opportunité pourra servir un agenda politique et participer d’une manipulation : une ordalie parfaitement authentique, un parcours initiatique, une révélation mystique, une foi sincère (celle des autres voire la sienne propre), un idéal immaculé... En d’autres termes, la sincérité et l’hypocrisie ne sont pas mutuellement exclusives. Réalité que le collège des Zephyrs n’a pas su comprendre, sauf Halima… mais trop tard.

Alors que tout laissait penser que l’empereur allait immédiatement quitter Surah dans son beau destrier impérial, la satisfaction du devoir accompli, Demerzel rend finalement une visite privée à Halima… pour ce qui s’apparente à un acte de courtoisie envers une opposante vaincue.
Décidément cette série affectionne les huis clos, et cette propension est généralement un atout qualitatif, car prenant le contrepied des facilités de l’entertainment, et impraticable sans un certain niveau pour ne pas dire un niveau certain d’écriture. Or le tête-à-tête qui va opposer la première ministre impériale à la candidate Proxima vaincue est un grand moment du rock’n’roll, non sans évoquer quelques modèles de pure écriture comme Rope (La corde) d’Alfred Hitchcock (1948), Le souper d’Edouard Molinaro (1992), ou The Man From Earth de Richard Schenkman (2007).
Chacune y révélera un visage intime bien différent de l’image publique, tordant le cou à tous les préjugés. Halima n’avait aucune prévention personnelle contre la vie artificielle, elle fera un accueil à la fois fraternel et émerveillé à Demerzel lorsqu’elle découvrira que celle-ci avait arpenté la Grande Spirale… il y a 11 000 ans. Mais cette révélation ne sera que le lot de consolation de la plus indigne des missions confiées par Cleon XIII : obliger sa première ministre, d’obédience luministe et vouant une dévotion sincère à Halima à l’assassiner au moyen d’un poison indétectable perspiré par sa peau afin de faire passer son décès pour une mort naturelle (comme l’avouera un peu plus tard l’empereur, s’agirait pas non plus de provoquer une guerre sainte). Halima aura la finesse de comprendre son sort par elle-même, mais encore une fois, rien ne se passera comme prévu : elle l’acceptera avec un fatalisme et une sérénité que la foi religieuse offre parfois, si bien que l’exécution se transformera en confession mutuelle et en acte d’amour... où le bourreau sera aussi poignant que la victime, l’une n’ayant pas davantage de choix que l’autre. Comme dans tant de tragédies grecques de Sophocle, Eschyle, ou Euripide.
Tant par le pathos illuminé d’Eto que par l’inversion de la morale traditionnelle et par la touche de complaisance envers elle-même, cette scène aura en outre quelque chose de désarmant, de dérangeant... voire même d’agaçant. Mais son écriture n’en est pas moins au cordeau, au point d’avoir réussi à figurer une configuration psychologique doublement alien, tout en questionnant sur le terrain ontologique la nature artificielle d’Eto et les limites du libre arbitre.

La scène finale offrira un magnifique épilogue à ce dialogue d’adieu. Car depuis sa tombe, par la sanctification que Halima lui a prodigué sur son lit de mort, elle aura offert à Demerzel une force de résistance nouvelle contre l’imperium, lui permettent de mieux circonvenir ses contraintes programmatiques. Et c’est ainsi que sans déroger d’un iota au protocole impérial, en faisant le parallèle avec la "birthroot flower" vieille de 11 000 ans qu’elle conserve sur sa coiffeuse, Eto aura réussi à exposer à demi-mot l’imposture de la vision que Cleon XIII n’a en réalité jamais eue au terme de son périple, assurément sportif, mais aucunement initiatique. Somme toute, le flashback en présence de l’assemblée des Zephyrs était faux, façon The Usual Suspects de Bryan Singer (1995), comme le confirmera la scène finale de l’épisode...
Puis en révélant ou en feignant – car il est possible qu’elle mente elle aussi – avoir eu une vision au terme de sa propre expérience de la Grande Spirale, elle réussira à implanter dans l’esprit de Cleon XIII les propres convictions ultimes de feue Halima, à savoir que l’empereur n’avait en réalité pas d’âme lorsque Demerzel en avait une. Ce qui, transposé dans les limites de la programmation robotique de cette dernière, consistait à dire incidemment qu’il faudrait être une coquille vide pour n’expérimenter aucune vision lorsque même un robot en fut capable. Par cette simple pensée exprimée avec la plus totale équanimité, la première ministre aura réussi à conférer un goût amer au triomphe de Cleon XIII et à l’assassinat odieux qu’il ordonna dans sa lettre de cachet, lui arrachant définitivement le sourire d’autosatisfaction qu’il ne cessait d’arborer depuis son départ de Surah. Et désormais, l’angoisse du néant ne le quitte plus, y compris durant le Jump en FTL de retour sur Trantor...

Alors Demerzel a-t-elle menti elle aussi en prétendant avoir eu une vision ? Cette hypothèse serait l’explication la plus simple évidemment, et de bonne guerre en la circonstance pour déstabiliser Brother Day, car à bluff, bluff et demi. Pour le sens commun, la nature robotique d’Eto devrait exclure la possibilité technique de toute transcendance, comme le croyait l’empereur lui-même. Malgré tout, la question est encore indécidable dans la série, d’autant plus que le moteur de la foi de Demerzel parait sincère, or il trouve peut-être son origine justement dans une expérience mentale dans la grotte de la Grande Spirale il y a 11 000 ans...
Contrairement aux idées reçues, il n’y a pas forcément d’incompatibilité à l’échelle de la science et de la SF, car la cybernétique a toujours eu pour objectif de reproduire artificiellement l’œuvre de la nature, et plus les réseaux neuronaux artificiels du deep learning seront complexes, plus la frontière avec le cerveau humain s’estompera. D’où l’inquiétude envers la genèse d’une IA forte et d’une singularité (pour un possible seuil évolutionniste)...
Ainsi, dans l’univers littéraire d’Asimov, les songes et les "visions" étaient possibles, surtout pour les robots mentalistes et pour le méta-robot R Daneel Olivaw. Tout comme dans Star Trek où l’androïde Data était programmé par son créateur (le cybernéticien Noonien Soong) pour rêver et avoir des visions afin d’émuler le subconscient humain. Rien n’interdit formellement cette possibilité aux Replicants Nexus-6 de Do Androids Dream Of Electric Sheep ? (Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?) de Philip K Dick (1966) et du Blade Runner de Ridley Scott (1982), ainsi qu’aux Hubots les plus évolués dans la série suédoise Äkta människor (Real Humans) et ses nombreux épigones notamment l’anglo-américaine Humans et la russe Лучше, чем люди (Better Than Us). La série Westworld de Jonathan Nolan a quant à elle pour principal enjeu l’exploration des univers imaginaires et du subconscient des Hosts, la vie artificielle étant mentale avant d’être physique. Quant à l’univers de Battlestar Galactica 2003, bien peu de choses distinguent physiologiquement les humains des Cylons anthropomorphes, au point d’être mutuellement interféconds, de se croire vraiment humains, de rêver, et même d’avoir des révélations mystiques...
In fine, la question est surtout de savoir si une vision chez un être synthétique comme Eto Demerzel fait partie de la programmation initiale... ou si elle résulte d’un dépassement de celle-ci à la manière d’une émergence (au sens du philosophe Samuel Alexander et du biologiste Conwy Lloyd Morgan).

Au titre d’ultime robot intelligent et sentient de l’Empire, Eto aura développé une totale liberté de conscience et de pensée ("cosmique vers un nouvel âge réminiscent" bien sûr) en aparté d’une programmation sur laquelle elle ne possède aucun contrôle et totalement assujettie à l’imperium. Ce qui soudain viendrait expliquer le refuge qu’elle s’est mentalement trouvée dans la foi luminisme, à la façon d’un monde imaginaire où cette IA se réfugie pour échapper au corps robotique dont elle est prisonnière. Justifiant dès lors cette dichotomie permanente entre la bigote qui se met à trembler et pleurer dès qu’elle aborde les questions spirituelles et la machine de guerre implacable lorsqu’il est question de gérer les affaires courantes...
Pour une série qui n’était pas autorisée à intégrer à Eto Demerzel le fascinant background de R Daneel Olivaw (faute de droits sur le Cycle des robots), elle ne s’en sort finalement pas si mal en proposant quelque chose d’original sur la vie robotique et qui pourrait se reconnecter par un chemin de traverse à une thématique centrale chez Asimov, mais contractuellement exclue du champ de l’adaptation. Eu égard aux contraintes commerciales, c’est quasi-inespéré.
Et si finalement, même loin d’Olivaw, Demerzel était un personnage robotique réussi et prometteur, appelé à dépasser sa programmation comme Data, et finalement à sonner le glas de l’impérium ?

Alors, il serait possible de s’étonner de l’existence d’une rumeur galactique relative à la nature robotique de Demerzel, sachant que ce secret n’était connu que du cercle impérial le plus restreint, or celui-ci ne fraye jamais avec la plèbe (comme l’avait encore rappelé Cleon XII à Cleon XIV à la fin de l’arc C de l’épisode précédent). Dans l’Empire galactique de la série, il n’y a visiblement ni cour ni noblesse.
Néanmoins, bien d’autres indices auraient pu alimenter cette légende urbaine comme l’absence de vieillissement (détectable au bout de quelque années) ou encore des informations en amont de l’établissement de la dynastie des Cleon (qui n’a finalement que 400 ans).

Après une réconciliation publique entre Halima et Cleon XIII, avoir missionné Demerzel pour assassiner l’ancienne rivale est un ressort particulièrement choquant.
Tout d’abord parce qu’il s’agit à la base d’une pure trahison du cycle littéraire d’Isaac Asimov ! En transformant Eto en assassin professionnel à la solde de l’empereur (elle dispose tel un scorpion d’une aptitude à empoisonner mortellement les humains dans sa conception cybernétique même, et elle n’en est de toute évidence pas à son premier meurtre), la série Foundation viole les Trois Lois de la robotique et la nature de R Daneel Olivaw. Certes. Mais il faut aussi garder à l’esprit l’éclatement des droits d’adaptation imposé à Apple, obligeant du coup cette série TV à totalement ignorer le Cycle des Robots et sa répercussion sur le Cycle de Fondation. Même si ce sera fatalement rédhibitoire pour une partie des fidèles d’Asimov, il faudrait idéalement réussir la gymnastique mentale de considérer la série de Goyer à la manière d’un univers parallèle où il n’y a jamais eu de Lois de la robotique ni de R Daneel Olivaw (qu’Eto Demerzel n’est donc pas).
Ensuite, parce que non seulement Cleon XIII n’a pas été transformé par sa traversée du désert (quand bien même sans réelle vision), mais il semble soudain agir avec la même amoralité que Cleon XII.
Décider d’éliminer physiquement Halima alors qu’elle n’était plus une menace pour lui, n’est-ce pas une marque de respect seulement pour les forts (vae victis) ou l’écho d’une pratique mafieuse (consistant à éliminer implacablement tous ceux qui vous ont manqué de respect et de loyauté, même s’ils se sont amendés depuis, ou du moins s’ils sont "rentrés dans le rang") ?
Il faut plutôt y voir, comme l’a d’ailleurs parfaitement compris Halima sans le renfort d’une quelconque verbalisation, d’une épreuve de loyauté infligée à Demerzel, destinée à la tester mais aussi à la punir pour s’être agenouillée un jour devant celle qui se déclarait alors ennemie de l’empereur et qui n’est plus rien aujourd’hui.
Aussi criminelle et amorale qu’elle soit, cette décision de Cleon est assurément davantage stratégique que s’il avait tenté d’éliminer Halima dans le septième épisode alors qu’elle était en passe de devenir Proxima… ou après qu’elle le devînt. C’est aussi un acte préventif dans le cas où les circonstances futures l’auraient conduite à briguer de nouveau cette charge...
Mais contenant malgré tout son lot d’angles morts et de risques, car ce n’est pas parce que Cleon XIII a officiellement prouvé qu’il avait une âme au sens du luminisme officiel... que cela disqualifie aussi sec le courant radical représenté par Halima. D’autant plus que le discours de cette dernière ne se limitait aucunement à contester l’humanité de l’imperium, il s’agissait seulement d’une résultante. Dès lors, ce n’est pas sans risque stratégique de faire trépasser – même de cause apparemment naturelle – la représentante d’une obédience qui n’est pas forcément beaucoup moins puissante depuis le triomphe de l’empereur à l’épreuve de la Grande Spirale.
Mais la possible erreur simplificatrice de cette histoire B est d’avoir un peu trop indexé la promotion de Halima sur le seul défi lancé par l’Empereur. Or il y avait d’autres sujets de société mais également religieux en jeu dans cette nomination, et Cleon XIII n’était pas le centre du luminisme.

Bien entendu, il n’est pas nécessaire de convoquer le mysticisme et le surnaturel pour expliquer de telles visions. De la même façon que les narcotiques et les champignons hallucinogènes, les grandes souffrances physiques et morales, les épreuves de privation peuvent engendrer des perceptions altérées. Sans oublier la foi elle-même qui peut produire des effets troublants sur l’esprit… à l’image du faux Christ dans la série The Martian Chronicles (1980).
De plus il n’existe aucun lien tangible entre la notion d’âme et la capacité à surmonter une épreuve physique, qui sera le plus souvent le fait de résilience corporelle, de l’entrainement, et de la volonté. Sans quoi, les tardigrades seraient les champions du vitalisme
Et même en suivant le discours du luminisme, il y a une contradiction. Officiellement, plus de 50% des pèlerins n’arrivent pas au bout de la Spirale. Mais à l’écran, tout comme dans la charge symbolique, ce serait plutôt 99,9% (sans quoi les rares qui réussissent ne seraient pas autant célébrés). Or si la seule réussite à cette épreuve permet à l’assemblée des Zephyrs d’en conclure avec certitude de Cleon XIII possède une âme, ne devrait-elle pas également en conclure en retour que les très nombreux fidèles du luminisme qui échouent à la Spirale sont dépourvus d’âme ?
En outre, Foundation 01x07 Mysteries And Martyrs avait établi que les visions concluant le cheminement n’ont rien de systématiques ni d’obligatoires pour la religion luministe, et restent donc sans rapport avec l’existence ou non d’une âme. Mais au motif que l’empereur ne saurait se contenter de rien de moins que l’exceptionnel, il se devait d’avoir une vision, et pas par n’importe laquelle : une fleur disparue remontant à l’origine du luminisme et symbolisant son fondement trinitaire auquel la dynastie impériale peut elle aussi se rattacher (quand bien même de façon opportuniste voire parasitaire). Or par un glissement sémantique un poil manipulatoire au fil de l’épisode, un concept de vision qui était au départ facultatif devient impératif pour bénéficier de l’estime des autres et de soi. Ce qui est un comble lorsqu’on sait qu’il n’y a qu’une fraction dérisoire de pèlerins qui surmontent l’épreuve et une proportion plus infime encore qui bénéficient du privilège visionnaire. Or c’est pourtant sur cette seule base que Cleon XIII se fait adouber par l’assemblée des Zéphyrs d’abord, puis déstabilisé par Demerzel ensuite (à la fin de l’arc B). Au regard de l’importance que revêt soudain pour Brother Day cette vision et son âme, est-ce à dire qu’à défaut d’avoir évolué sur le plan éthique et moral suite à l’épreuve de la Grande Spirale, il aurait consciemment ou inconsciemment été spirituellement converti au luminisme ?
N’empêche, converti au pas, la malaise final de Cleon XIII que l’épisode tente de vendre comme une prise de conscience de sa viduité intérieure (et donc de son absence d’âme) n’est pourtant rien d’autre que l’état naturel de tous ceux qui ne connaîtrons aucune expérience mystique au cours de leur vie (quand bien même ils seraient pieux et se rendraient chaque semaine aux offices du dimanche, du samedi, ou du vendredi), c’est-à-dire 99,9% des gens, aussi bien dans l’univers galactique futuriste de Foundation, que dans le monde réel contemporain.
Enfin, cette histoire B montre que selon les circonstances et les interlocuteurs luministes, le concept d’âme prendra les sens les plus divers. Tantôt la traditionnelle entité spirituelle, immatérielle, et éternelle inscrite dans un processus de réincarnation ou de renaissance... tantôt une épithète de la compassion, de la moralité, du libre arbitre, de la possibilité d’évolution… et pouvant donc à ce titre tout aussi bien s’appliquer à un robot. Autant dire que l’âme signifierait donc tout et n’importe quoi dans la série, mais tout étant centrale dans la foi luministe, elle ne postulerait pas pour autant forcément un déisme. Plus généralement, ni l’existence de l’âme, ni sa survie après la mort n’appellent philosophiquement l’existence de dieu ou de divinités (et réciproquement comme en témoignent des millénaires de paganismes non vitalistes). Dès lors que l’âme n’est ni tangible ni démontrable, et qu’elle est sujette à des définitions aussi subjectives et fluctuantes, elle pourrait relever du droit attribué et non pas de droit attribut. L’âme n’aurait alors pas d’essence propre, elle existerait uniquement selon l’entendement de chacun et l’intensité de la foi projetée sur elle. Elle serait ainsi générée, non transcendante ou incréée. Et elle appartiendrait au Nagual (la conscience qui crée le monde) et non au Tonal (le monde qui crée la conscience) selon la pensée de Carlos Castaneda (e.g.).
Le luminisme s’apparente d’ailleurs bien davantage à une prosopopée mythologique et païenne, impliquant quelque divinité locale... qu’au déisme universel totalisant (voire totalitaire) tel qu’il est entendu dans les monothéismes contemporains. Et quel que soit le degré d’adhésion des personnages à cette croyance-là ou à d’autres, elles ne sortent jamais du champ des subjectivités, ce qui leur permet d’être compatibles avec la neutralité cosmologique et axiologique de la SF.

Toujours est-il que comme pour l’histoire D, l’épisode aura donné à l’histoire B un tour totalement imprévu…
Évidemment, l’écriture aura conféré le beau rôle à Halima et le mauvaix à Cleon… avec tous les connotés évidents et assez simplistes qu’il n’est pas nécessaire de rappeler (misandrie, masculinité toxique...). En allant même au-delà ce que les spectateurs auraient pu imaginer ou craindre…
Parce qu’en dépit des relents spiritualo-populistes de ses discours à la tribune, Halima se révèle ici humble et généreuse dans la sphère, avec une ouverture d’esprit "all inclusive" envers la vie artificielle (à laquelle le luminisme n’est pourtant pas supposé accorder de place). Et face à la mort qui vient, elle accepte stoïquement (sans supplier, sans fuir, sans se défendre) en juste une condamnation injuste tel Socrate, et elle fait montre d’une charité proprement christique devant celle qui s’apprête à la tuer, pardonnant ainsi à l’avance au bourreau qui va l’exécuter… alors qu’elle n’a finalement rien à se reprocher… sauf d’avoir eu le malheur d’être un jour sincère devant l’empereur.
Somme toute, celle qui a failli de peu devenir Proxima est une sainte ! Et la tragédie de Demerzel n’en devient en retour que plus grande, déjà en soi, mais a fortiori au regard de sa propre foi. Bourreau et exécutrice malgré elle des ordres meurtriers de l’empereur, parce que sa programmation l’y oblige sans pour autant inféoder sa conscience... d’où un supplice perpétuel.
La victime sacrificielle et le bourreau non moins sacrificielle, toutes deux victimes de l’abjecte gent masculine incarnée par Cleon XIII…

Mais il faut prendre de la hauteur pour penser cette histoire C au-delà d’un "wokisme" qui cherche probablement à prendre une revanche sur Isaac Asimov et les mâles de sa génération. Car par-delà la raillerie (ou l’indignation) que peut susciter une configuration aussi hagiographique et misandre, il y a bel et bien de l’audace dans cette histoire B...
Ce que vivent Demerzel et Halima n’en est pas moins une tragédie, quelque part entre le Spartacus de Stanley Kubrick (1960) et la saga Saw (2004-2021).
Et il est plutôt cohérent que Cleon XIII n’ait pas été métamorphosé après avoir surmonté la Grande Spirale, du moins pas immédiatement. Le contraire aurait même été un peu naïf, et il aurait alors été tentant d’accuser l’épisode de se noyer dans les "bons sentiments" ou d’être un moteur de "bonne conscience" avec une morale bien proprette. Après tout, pour quelqu’un qui n’a pas vraiment la foi, cette grande marche demeure avant tout une épreuve physique et mentale de survie, et finalement un défi de légitimité et d’autorité. Or le simple fait que l’empereur ait pris l’initiative de s’y soumettre, en risquant véritablement sa vie (il s’en est même fallu de peu pour qu’il y reste), représente déjà une énorme évolution par rapport à Cleon XII.
Trop d’évolution en une seule fois n’aurait pas été crédible. Ni prudent ... au regard des révélations de l’histoire C de Foundation 01x07 Mysteries And Martyrs. Car un écart de conduite excessif de Cleon XIII au regard de la cruelle "norme cleonienne" aurait pu lui valoir de subir le sort que le jeune Cleon XIV craint tant de son côté, c’est-à-dire d’être remplacé lui aussi. Peut-être est-ce d’ailleurs réellement la peur d’être méjugé par Cleon XII en ne laissant pas au minimum un cadavre derrière lui qui explique ce meurtre. Auquel cas, Halima serait la victime indirecte d’une guerre de survie dans les alcôves impériales...
Stratégiquement, Cleon XIII a gagné une dimension par rapport au très monodimensionnel Cleon XII, mais la tridimensionnalité n’est pas encore de mise. Encore eût-il fallu pour cela qu’il fasse sienne la pensée d’un Sun Tzu ou d’un Machiavel pour comprendre tout l’intérêt de garder dans sa poche voire à ses côtés la leader charismatique d’une mouvance radicale et difficile à circonvenir, pour tirer un bénéfice anticipateur de sa franchise et de sa perspective non léonine. Mais s’appuyer sur quiconque ne ferait pas partie de la race des seigneurs génétiques est hors du paradigme cleonien comme en avait attesté Cleon XII à la fin du septième épisode en déclarant : « C’est nous l’Empire. Rien au-delà des murs du palais n’a d’importance » (au passage, avec une démesure aussi hors-sol, il n’y a guère besoin de psychohistoire pour prédire la chute). Toujours est-il que Cleon XIII n’est pas près d’intérioriser le célèbre aphorisme de Michael Corleone dans The Godfather : Part II (Le Parrain 2ᵉ partie) de Francis Ford Coppola (1974) : « sois proche de tes amis, et encore plus proche de tes ennemis ».

Cleon XIII aura néanmoins démontré que son amoralité est bien plus chirurgicale et mesurée que celle de son prédécesseur, en payant s’il le faut de sa personne, pour y gagner une réelle efficacité stratégique. Car mine de rien, il aura réussi à réaffirmer à l’échelle de la galaxie la légitimité de la dynastie génétique sans pour autant engendrer des générations d’ennemis héréditaires…
Seulement à la différence de Cleon XIV qui est génétiquement distinct dès l’origine avec pour effet une divergence croissante dans le plan de l’acquis depuis l’enfance, Cleon XIII demeure malgré tout le parfait clone de son ainé, et seul un trauma de jeunesse (la destruction du Star Bridge et les représailles injustifiables à l’encontre de deux planètes) l’aura conduit à vouloir démarquer sa politique. Mais en dépit de tous ses efforts conscients, ce n’est pas un héritage génétique et culturel dont on se défait en une semaine, et l’atavisme inconscient le rattrape à la moindre occasion. L’hubris de Cleon Ier demeure intacte en Cleon XIII, avec pour corollaire de perpétrer certains actes au seul motif d’en avoir la possibilité (le fameux "bon vouloir" des monarques). Le meurtre gratuit de Halima en est le symptôme. Et cet acte-là, aussi inconsidéré et impulsif que ceux de Cleon XII, sera peut-être à l’origine d’un retour de manivelle via Demerzel encore plus délétère pour la survie de l’Empire que la haine de milliards d’Anacreoniens et de Thespiens...
Narrativement, cet assassinat contribue donc à doucher les illusions (ou les espérances) des spectateurs en montrant que ni le parcours initiatique ni la volonté de mesure de Cleon XIII n’ont réussi à le changer en profondeur. La figure du pouvoir absolu conserve tous les réflexes de sa classe et de son rang, de son éducation et – peut-être plus aliénant encore – de son génome. Il faudra dès lors bien plus qu’une épreuve de survie dans le désert pour que le personnage évolue vraiment, si tant est qu’une évolution soit encore possible à son âge. Pour l’heure, l’empereur continue visiblement à broyer qui il veut, Halima étant pour Cleon XIII ce que Master Orlio fut pour Cleon XII. C’est-à-dire un moustique venant perturber la contemplation de sa propre perfection.
Le cynisme l’a donc emporté sur l’idéalisme, mais tel est parfois (pas toujours) le prix du réalisme.
Et qu’un cheminement initiatique puisse être vidé de sa substance au point de conduire à une inanité, à un échec, voire à détournement de sens, c’est démystificateur au possible, tel un antidote à la pollution du schéma campbellien. Si rare dans le paysage audiovisuel. Comme pouvait l’être le film Star Trek V The Final Frontier – un ratage formel, mais l’anti-fantasy la plus subversive.

Cette histoire B a enfin le mérite de révéler la résilience de la foi, capable de toujours retomber sur ses pieds. N’importe quel événement – même aléatoire, contradictoire, ou tragique – pourra être mis en conformité avec la croyance pour repousser le doute et conférer un sens à ce qui n’en a pas forcément. Ainsi, lorsque Halima exonère stoïquement Demerzel du crime qu’elle s’apprête à commettre et dont elle va pourtant être la victime (« Vous m’avez été envoyée non par Cleon, mais par la Mère, alors faites votre office selon Sa volonté »), c’est une parfaite emblématisation du mécanisme même de la foi, dans ce qu’il peut avoir de plus admirable et de plus détestable.
Et après une telle démonstration de sacrifice et de sotériologie induite par le crime que l’empereur à fait perpétrer à Demerzel, la foi, la rancœur, et la capacité de résistance de cette dernière ne fera que se développer. Non seulement Cleon XIII n’y gagnera pas au change sur le long terme, mais cela pourrait même précipiter sa chute...
Il y a d’ailleurs un parallèle symbolique qui se dessine implicitement entre le meurtre que Brother Day a fait commettre à sa "mère" et première ministre, et celui que Hari Seldon avait fait perpétrer à son fil adoptif...

Mais au fond, à la finesse d’écriture près, les cas d’Eto Demerzel et d’Halima ne sont pas si différends de celui de Phara Kaean... dont la croyance en ses propres dieux a été paradoxalement renforcée suite au génocide d’Anacreon, chaque événement advenant dans sa vie dédiée à la vengeance devenant dès lors un signe ou une volonté divin·e...
Certes, l’être humain est naturellement porté à se raccrocher à quelque chose pour que l’existence ne devienne pas complètement absurde. Mais sur ce plan, la série de Goyer prend un malin plaisir à forcer le trait et systématiser... Est-ce à dire qu’en dépit de sa considérable avancée technologique et de son expansion galactique, l’humanité de Foundation aurait régressé vers un système de pensée antique ?

NOTE HISTOIRE B

(D) Une fin d’arc inattendue où frustration rime avec audace

Reprenant à l’instant précis où l’histoire D s’était achevée dans Foundation 01x07 Mysteries And Martyrs, cette péroraison pousse la logique du huis clos dans ses derniers retranchements possibles. Mais au lieu de flatter tous les codes audiovisuels du genre où le dialogue résout, rapproche, et élève pour culminer par un happy end gratifiant... il se produit ici l’exact inverse. D’un état de respect et compréhension mutuel au départ, en passant par toutes les gradations, les deux figures de proues de la psychohistoire vous se déchirer au-delà de toute réconciliation possible. De l’incompréhension à la dispute, de la haine à la violence, du désespoir au massacre, cette histoire D est une plongée dérangeante dans le chaos primal lorsque la dialectique, la rhétorique, et l’argumentation deviennent impuissantes.

C’est un peu comme si le jeu maïeutique tellement asimovien du septième épisode avait mal tourné, ou du moins pas de la façon dont le public l’attendait. Et cet exercice éristique, constructif au départ, aura entraîné des conséquences destructrices... Autant dire qu’il n’est désormais plus possible de soupçonner les scénaristes d’une quelconque forme de lantern...
De cette perspective, c’est audacieux, car rien dans cette fin d’arc n’était prévisible, et rien ne se révèle racoleur. Moyennant un vrai glitch, un de plus dans le plan Seldon, une des deux Mary Sue de la série décide en pleine connaissance de cause de renoncer à l’être, quitte à exposer sa vie pour déserter, quitte à faire passer son ressentiment avant l’intérêt d’une cause à laquelle elle se sent désormais étrangère. Quand bien même il s’agirait bel et bien d’un acte d’égocentrisme de sa part. Mais devait-elle fermer les yeux sur le fait que les deux personnes qui avaient le plus compté pour elle (Raych et Hari), désormais mortes, s’étaient entendues dans son dos pour l’abandonner sur le Deliverance (et sur Terminus) ? Devait-elle s’accommoder de n’être toujours pas dans la confidence ni dans le secret des dieux, du moins pas encore, d’être seulement utilisée, aujourd’hui comme hier depuis que Seldon l’a sorti des eaux obscurantistes de Synnax ? Devait-elle enfin s’accrocher à l’holo-Hari et à cette Seconde Fondation alors que son pouvoir de précognition la rendait de toute évidence indésirable, du moins gênante pour l’équilibre de la psychohistoire (au prix d’une possible contradiction avec les livres d’Asimov puisque la Seconde Fondation s’appuyait justement sur le mentalisme) ?
Et pour forcer son introduction dans le cercle du savoir, Dornick tente une dernière fois le tout pour le tout, prenant le risque de mettre en danger le vaisseau Raven, de compromettre la sauvegarde holographique de Hari, d’être carbonisée vivante en sabotant le système d’évacuation de chaleur.
Mais ce n’est pourtant pas là un bluff d’enfant gâté, ni une perte de contrôle hystérique... C’est un trop plein de manipulation, de téléguidage, et de dévalorisation.
Faute d’obtenir ce qu’elle veut immédiatement, elle franchit le Rubicon, et l’assume : tout plaquer, être libérée de l’emprise de e-Seldon #2, renoncer à la place messianique que lui avait réservée son mentor (et la série elle-même), ne jamais découvrir la vérité sur la Seconde Fondation de Star’s End, donc s’exclure du Plan Seldon... et retourner à l’anonymat sur Synnax, la plus obscurantiste des planètes de la galaxie durant un voyage en cryo-sommeil de 138 ans après, pour un retour 173 ans après en être partie ! Inutile de dire qu’elle n’y retrouvera plus aucun membre de sa famille vivant, et la colonie sera peut-être totalement recouverte par les eaux (comme dans ses pires cauchemars ou prémonitions d’enfant).
Le destin aura été cruel avec Gaal assurément, mais elle aura parachevé l’autodafé en détruisant ce qu’elle avait encore, et frappant rétroactivement d’inanité tout ce qu’elle a accompli. Il en résulte un sentiment de gâchis, par impatience, par dépression, par autodestruction… frustrant ainsi délibérément les spectateurs. Mais disparaître ainsi, couper les ponts, brûler ce que l’on a adoré... demande aussi du courage.
Et comme pour entériner jusqu’au bout ce parti pris, la voix de la narratrice intra-diégétique Gaal s’est désormais tue.
Un personnage pas si parfait que ça victime d’un destin imparfait, quoi de plus audacieux pour renouer avec le réalisme ?

Seulement dans le même temps, il serait permis de questionner la cohérence, non pas émotionnelle qui demeure largement irréprochable, mais rationnelle de l’enchaînement de tous ces choix, décisions, chantages, obstinations, refus… de part et d’autre. L’histoire D ne verserait-elle pas dans le maniérisme ?
Au passage, il est bien fragile ce vaisseau Raven, puisqu’il suffit de casser une seule vitre (ou écran) au pied de biche pour y perdre irréversiblement tout support de vie. Le procédé est quand même un peu facile, mais passons...

Dornick a démontré le sujet de valeur qu’elle était : d’abord avec son génie des mathématiques sans cursus académique (la conjoncture d’Abraxas), sa science infuse (la façon dont elle a décrypté le Raven lorsqu’elle ne pouvait rien contrôler), mais aussi son mentalisme lui permettant non seulement de prédire les événements (les tragédies surtout), mais également la survie éveillée au Jump (FTL). Quel sujet précieux elle était pour holo-Seldon. La plus parfaite des Mary Sue imaginable, assurément.
Pourtant sans mesurer sa chance d’avoir à ses côtés un tel atout, un tel cadeau du destin, holo-Hari est resté inexplicablement aussi rigide qu’une porte de prison, fermé à la possibilité de réviser le logiciel de la psychohistoire pour y intégrer une donnée nouvelle (le mentalisme précog) qui constituerait une mise en abyme dans la relation au futur. Sourd à toutes ses demandes, qui rétrospectivement n’étaient pas si grandes, au regard de ce qu’elle avait prouvé et sacrifié, holo-Seldon s’est donc obstiné à ne rien lui accorder...
De plus, Gaal Dornick avait fait la démonstration depuis son entrée en scène qu’il n’existait pas un sujet plus loyal qu’elle envers Seldon et la psychohistoire. Alors qu’elle s’était fait arrêter dès son arrivée sur Trantor sans même encore vraiment connaître Hari, et malgré les pressions (bâton et carotte du pouvoir impérial), elle n’a pas hésité à mentir pour Seldon devant la haute cour de justice de Cleon XII, risquant pour cela la mort. Finalement, elle aura partagé sans la moindre hésitation ni arrière-pensée ni rancœur l’exil de la Fondation vers Terminus. Et malgré l’exécution de son bien-aimé Raych, malgré le déshonneur de devoir partager aux yeux de l’Empire la coresponsabilité de l’assassinat de son mentor Hari, Gaal était de nouveau prête à continuer l’aventure et son "sacerdoce" au sein de la Seconde Fondation. Quel gage de plus pouvait-elle donner ? Quel gage de plus quiconque aurait pu donner ? C’est l’ensemble de sa vie que Gaal avait offert à Seldon, et ce spontanément, dès leur première rencontre. Alors entendre Hari répéter qu’elle n’était pas digne de connaître la vérité sur la mission de la Seconde Fondation, sans quoi il risquait de la détruire avant même sa création, suggérant en creux que ses contacts sur Hélicon seraient quand même autrement plus dignes de confiance qu’elle… c’est incompréhensible et insultant envers Dornick. La précognition a bon dos, puisque avant de l’en savoir pourvue, Hari agissait déjà ainsi envers elle sur le Deliverance..
Humainement comme moralement, psychologiquement comme stratégiquement, holo-Seldon aura été en dessous de tout.
Ce parti pris diégétique peut être le signe d’une écriture ambitieuse… ou assez casse-gueule selon les intentions des auteurs. Mais l’écart avec le personnage littéraire ne cesse de croître, pas forcément dans sa globalité, mais à l’échelle de cet arc assurément.

Symétriquement, le comportement de Gaal est lui-même contestable sur le plan rationnel. Pour toutes les raisons évoquées ci-avant, elle avait de quoi être furieuse et indignée, de se sentir humiliée voire réifiée comme peut l’être un pion ou un accessoire dans un chaîne causale qui lui échappe.
Mais en même temps, le personnage avait largement fait montre de sa rationalité et de son self contrôle jusqu’à maintenant. Et comparativement à la situation désespérée dans laquelle elle s’était retrouvée dans le cinquième épisode, où un suicide pouvait presque se justifier, tout avait changé pour le mieux ensuite...
Ainsi, elle n’était désormais plus seule sur le Raven, l’absurdité de ce qui lui était advenu depuis son départ du Deliverance avait largement été rationalisé grâce aux explications (quoique incomplètes) de holo-Hari, sa participation au plan Seldon quand bien même contrarié commençaient de nouveau à faire sens, et un avenir riche de potentialités s’ouvrait devant elle… Car sans même disposer de toutes les infos, il n’était pas nécessaire d’être grand clerc pour deviner que la Seconde Fédération allait être au moins aussi intéressante que la Première, si ce n’est davantage. En somme, il aurait suffi à Gaal de dominer son agacement et sa rancœur envers Hari (pour son abscondité et pour la mort de Raych)… et d’être simplement patiente...
D’autant plus que rester un peu plus longtemps à ses côtés sans compromettre le Raven, l’hologramme, sa propre vie, et la Seconde fondation de Star’s End ne lui interdisait pas de s’en dégager plus tard, mais dans un contexte bien moins contreproductif que celui-ci.
Déjà, s’aventurer en simple nacelle dans un champ d’astéroïdes (ou de débris) auquel un grand vaisseau comme le Raven avait du mal à résister en dépit de ses boucliers, c’était suicidaire ou incohérent. Mais l’épisode aura bien sûr choisi l’option de l’incohérence en faisant miraculeusement disparaître ce champ de débris pour la seule nacelle dès sa sortie du Raven… alors que ce ce dernier croisait à travers cet interminable champ de débris depuis déjà trois épisodes !
Mais en sus, mettre le cap de son petit cryopod (ou caisson propulsé de cryo-sommeil) vers Synnax alors que ce voyage demandera 138 ans, c’est nonsensique au possible. Cela revient à faire un voyage à sens unique vers le futur sur un coup de tête, et donc à dire dès à présent adieu à tous ses proches aimés. Auquel cas, quel est encore le sens de mettre le cap sur la plus obscurantistes des planètes de la galaxie... si rien ni personne ne vous reliera plus à elle à votre arrivée ? Alors que depuis Hélicon qui demeure l’un des piliers de l’Empire, un transport en FTL par jumpdrive vers Synnax aurait probablement été envisageable, avec l’intérêt d’être instantané. Et un delta de "seulement" 35 ans lui aurait peut-être permis de retrouver quelques proches encore en vie…
En sus, rester un peu plus de temps aux côtés de holo-Seldon aurait peut-être permis à Gaal de laver son nom des accusations de complicité de meurtre qui avaient été porté contre elle...
Les décisions de Dornick auront donc été, elles aussi, bien incontinentes, au point de friser l’incohérence par rapport à la typo à la fois rationnelle et sensible du personnage.

Bref, Hari Seldon et Gaal Dornick sont à égalité au match de la honte, et l’histoire D se solde par un échec cuisant, résultant en partage à la fois de torts et d’orgueils respectifs, d’émotions ou d’obstinations ayant pris le pas sur la raison et la stratégie, et peut-être aussi d’un mauvais timing (il aurait suffi que Hari soit un peu plus souple et Gaal un peu plus patiente...).
Laissant la douloureuse impression qu’il suffisait d’un rien pour que tout s’emboîte à la perfection et que l’issue soit constructive. Tel un rendez-vous manqué de bien peu. Or la vie réelle en est remplie…
Il restera cette image finale où Hari et Gaal se retrouveront séparés – au propre comme au figuré – par un mur d’incommunicabilité désormais infranchissable : Seldon repartant vers le disque d’accrétion éblouissant d’Hélicon et la fournaise qui l’attend ; Dornick vers les ténèbres de l’anonymat et le froid de l’espace (pour un destin bien différent de son homonyme littéraire).
C’est à Star’s End que leur histoire commune prend fin. Le lecteur d’Asimov mesurera l’ironie...
Même le pathos qui accompagnera cette rupture restera muet, inverti, comme figé dans l’ambre. Tel un contrepoint d’un logos en désarroi.
Kudos pour la justesse émotionnelle, dans ses meurtrissures prostrées comme dans ses embrasements cathartiques.

Mais paradoxalement, en donnant tort aux deux parties, en égratignant non seulement par les paroles (comme dans le septième épisode) mais également par les actes les deux protagonistes de cet arc, l’épisode réussit à faire vraiment honneur à Asimov. Tant par cet antagonisme dialectique opposant deux points de vue non conciliables, non hiérarchisables, et loin de tout manichéisme... que par cette démystification simultanée du deus ex machina et de la première Mary Sue… que Seldon et Dornick ont respectivement cessé d’être à ce stade.
C’est ainsi que le souffle de l’Histoire balaye tôt ou tard les prétentions des individus, comme pour réaffirmer de facto la légitimité de la psychohistoire (selon laquelle nul ne peut avoir un effet mesurable sur les tendances historiques et sociales de la galaxie). Mais narrativement, cela reste toujours un jeu dangereux et à double-tranchant. Car moins les volontés et les actes individuels n’impactent sur la Big Picture, et plus la marque d’une Main invisible ou d’un puppet master (c’est-à-dire l’auteur) devient perceptible, tandis que le récit verse progressivement dans le passage scripté au forceps du mauvais jeu de rôles. Et c’est à cette équation impossible que fut sans cesse confronté Isaac Asimov, car plus il réussissait à conférer à sa vaste Histoire du futur les attributs de complexité et de réalisme de l’Histoire du monde réel, et plus il devenait le "dieu tout puissant" de son univers (et donc l’ennemi des rôlistes).

Par la durée de voyages décennaux ou centenaires, qui doivent forcément être une forme de FTL au rabais (étant donné les distances galactiques impliquées) mais qui ne sont pas pour autant des jump instantanés (dont l’Empire conserve l’exclusivité de la technologie), voilà donc l’astuce va permettre à la série de conserver des personnages réguliers dont le paradigme hollywoodien ne saurait faire l’économie… tout en se déployant sur le temps long comme dans les cycles d’Asimov.
Car même si Gaal a été "cassée" par cet épisode, il ne fait aucun doute qu’elle réapparaitra dans la série et qu’elle y jouera un rôle important. Au même titre que l’hologramme de Hari, non exposé à l’épreuve du temps.
D’autant plus qu’en emportant avec elle dans son cryo-sommeil la dague de Raych, elle embarque peut-être aussi (consciemment ou non) une autre copie holographique de Seldon...
Au jeu de la redistribution et de la fusion des rôles qu’affectionne visiblement cette adaptation TV de Fondation, à supposer de Cleon XIV devienne ou pas le Mulet, Gaal serait ainsi "envoyée dans le futur" pour l’affronter. À moins qu’elle ne devienne Golan Trevize (du fait de ses aptitudes précog)... voire qu’elle soit même à l’origine de Gaïa en faisant la synthèse de la rationalité (mathématiques) et de la foi (Sleeper) ?

Au nombre des faiblesses de l’histoire D, il restera le regret intradiégétique que le comportement apparemment incohérent de Raych n’ait pas du tout été expliqué on screen alors que plusieurs solutions de rattrapages restaient possibles.
À quoi s’ajoutent quelques incohérences contextuelles (le cryopodde Gaal dans le champ d’astéroïdes, la fragilité du système de refroidissement, etc.), voire comportementales (selon le point de vue adopté dans le cadre de l’analyse dialectique ci-avant).
Le tout saupoudré d’une once de passage scripté de RPG (on sent bien que Gaal est attendue ailleurs par les scénaristes...), une pincée de maniérisme (avec son corollaire d’artificialité peur organique), et un zeste de pathos (mais sans excès et véhiculant une sensation à la fois de déchirement et de gâchis).

Mais en contrepartie, avec :
- une prime accordée à la frustration intentionnelle pour n’avoir pas donné aux spectateurs ce qu’ils espéraient,
- une seconde prime pour avoir lourdement écorné deux des personnages réputés les plus infaillibles du show,
- une troisième pour avoir proposé dans le cas de Gaal un parcours totalement anti-campbellien (ce qui est tellement rare que cela vaut son pesant d’or),
- et une quatrième pour avoir pris le contrepied choquant d’Asimov (en brisant le lien littéraire indéfectible entre Seldon et Dornick) tout en réussissant à être plus asimovien que jamais à un niveau ontologique et philosophique (à tel point que cela en devient aussi fascinant qu’une mécanique transdimensionnelle)...
... cette fin d’arc D étonnante mérite probablement une note élevée.
L’audace a ici le parfum d’une frustration et d’une palinodie.

Et comble de l’ironie, la goutte d’eau ayant déchaîné cette douloureuse rupture est le radicalisme de Hari Seldon envers la stricte rationalité mathématique de la psychohistoire... qui ne saurait selon lui être compatible avec l’apparente "magie" du mentalisme précognitif de Gaal. Comme si soudain, dans un ultime sursaut d’intégrité, la SF rejetait tout ce qui pourrait avoir un trait de parenté avec la fantasy, au-delà même de l’exigence d’Isaac Asimov.
De l’hyper-Asimov pour tenter de racheter tant d’anti-Asimov ?

Un détail cependant qui n’en est peut-être pas un : avant de s’embarquer dans le "cryopod" pour une très longue nuit, Gaal a le réflexe de décrocher et embarquer le "poignard mémoriel" (de Raych) avec lequel elle était arrivée sur le Raven, celui-là même qui contenait la conscience de Seldon ! Si le siège de sa conscience est encore à l’intérieur, aurait-elle alors emmené dans son périple solitaire e-Seldon #2 (ou du moins une copie de celui-ci) ?

NOTE HISTOIRE D

Conclusion

Le bilan de ce huitième épisode reste contrasté mais en nette amélioration.
L’histoire A terminusienne échappe cette fois au Jackass intégral en souffrant "seulement" d’une masse non-critique d’incohérences. C’est déjà trop, mais on revient de loin vu les trois précédents épisodes, et un contenu SF commence à poindre.
Cependant, l’épisode tire l’essentiel de sa force de ses histoires B et D qui ont en commun d’égratigner tous les personnages en prenant à rebrousse-poil les attentes des spectateurs. Entre la mise en échec du caractère initiatique d’une épreuve que Cleon XIII remporte pourtant en grand pompe, l’assassinat gratuit de Halima mais que cette dernière transforme presque en Passion christique, l’écartèlement intenable entre la conscience inviolée de Demerzel et son assujettissement déshumanisant à un programme robotique, et l’incommunicabilité croissante entre Seldon et Dornick se soldant par une rupture apparemment définitive... Foundation 01x08 The Missing Piece prouve que la série est moins conformiste et prévisible qu’elle ne le semblait jusqu’à présent, à défaut d’être une adaptation fidèle d’Asimov.
Si d’un côté, nombre de personnages (Salvor, Demerzel, Phara, Halima...) sont surtout guidés dans leurs actes et leurs décisions par une foi irrationnelle très anti-asimovienne, d’un autre côté, beaucoup d’entre eux (Hari Seldon, Gaal, Raych indirectement, Cleon XIII...) y perdent leur infaillibilité, se rapprochant ainsi paradoxalement de l’esprit d’Asimov, quoique par une voie détournée.
L’ombre du maître continue donc toujours de hanter les murs par la lenteur narrative, par la primauté accordée à des dialogues éristiques décidément de belle facture, par des passes d’arme tantôt dialectiques tantôt métaphysiques, par des questionnements existentiels incessants (quoique souvent davantage irrationnels que rationnels), par une interprétation qui ne démérite jamais (mention spéciale à l’impressionnante "versatilité" de Lee Pace), et par une worldbuilding où les vanités individuelles semblent en définitive peser de moins en moins lourd face à la marche (et à la logique) de l’Histoire.

Ne boudons pas non plus notre plaisir de retrouver Roxann Dawson derrière la caméra, toujours un gage de qualité. Elle avait interprété B’Elanna Torres dans Star Trek Voyager, avant d’être initié par Rick Berman (comme tant d’autres acteurs de la franchise) à la réalisation, au point de faire carrière ensuite dans cette profession. Elle possède à son actif notamment dix épisodes de l’inoubliable ST Enterprise, plusieurs de l’excellente The Americans ainsi que pas mal d’opus des chefs d’œuvres Treme et The Deuce de David Simon.

Après un enchaînement d’épisodes qui pouvaient laisser très perplexes les connaisseurs d’Isaac Asimov au point de conduire certains à quitter le radeau de la Méduse, Foundation 01x08 The Missing Piece parvient à donner un sens nouveau et une portée inattendue à ce qui précède, à ajouter une dimension au millefeuille scénaristique, à réaffirmer l’héritage asimovien à travers l’apagogie, à renouer avec la SF lorsque la fantasy semblait avoir gagné la partie, et à faire sortir le spectateur de sa zone de confort.
Ce qui est déjà beaucoup, même s’il subsiste encore pas mal de points à améliorer, essentiellement en matière de diégèse.

NOTE ÉPISODE

NOTE ADAPTATION

YR

ÉPISODE

- Episodes : 1.08
- Titre : The Missing Piece
- Date de première diffusion : 5 novembre 2021 (Apple TV+)
- Réalisateur : Roxann Dawson
- Scénariste : Sarah Nolen

BANDE ANNONCE



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