Coffret Lino Brocka [Coffret DVD / Blu-Ray] : La critique

Date : 20 / 06 / 2017 à 09h30
Sources :

Unification


Le coffret Lino Brocka permet de découvrir deux très bonnes œuvres restaurées du réalisateur philippin qui a donné de véritables lettres de noblesse à un cinéma méconnu en occident.

Il est vraiment dommage que ce dernier, décédé précocement à 52 dans un accident de voiture au début des années 90, n’ai pas pu continuer son magnifique travail sur un pays qu’il décrit avec une véracité impressionnante.

Néanmoins, ce metteur en scène prolifique d’une soixantaine d’œuvres, qu’il a souvent filmé en quelques jours, a toujours su jongler entre longs métrages populaires et rentables, et cinéma d’art et essai à la qualité élevée et au propos séditieux, surtout pour le régime dictatorial Marcos en place des années 60 à 80.

Il n’a d’ailleurs pas hésité à évoquer des sujets forts et tabous comme la pauvreté, l’exploitation et l’homosexualité, thématiques que l’on peut retrouver à plus ou moins importants degrés dans les deux films de son coffret, principalement Manille.

Insiang permet aussi de montrer la condition de la femme dans un pays où ces dernières sont souvent des victimes, bien que son héroïne au caractère bien trempé n’est pas sans rappeler plus récemment la Ma’ Rosa en acier inoxydable d’un autre réalisateur philippin Brillante Mendoza, lui aussi adepte de la croisette.

En effet, si les œuvres plus intimistes de Lino Brocka n’ont pas vraiment marché aux Philippines, entraînant la faillite de la société de production du réalisateur, elles ont rencontré un fort succès à l’étranger, notamment dans les festivals, dont celui de Cannes ou les deux œuvres du coffret ont été présentées.

MANILLE

Manille est un très bon film de 1975 se focalisant sur la capitale tentaculaire des Philippines découverte à travers des yeux d’un jeune provincial.

Le scénario présente un jeune pêcheur, sans nouvelle de sa petite amie partie travailler dans cette ville, qui se décide à aller la rechercher et va se retrouver progressivement happé par l’atmosphère de la cité.

L’œuvre est sans aucune concession et montre une capitale constituée de bidonvilles, de quartiers plus où moins cossus, de maisons closes, de boutiques ou de restaurants qui fourmille de vie et n’hésite pas chaque jour à aspirer celle des plus démunis.

Le personnage principal vit de petits boulots permettant de découvrir la dure existence des travailleurs payés au lance-pierre et soumis à la bonne volonté de leurs patrons. Au milieu des chantiers inhumains, de la prostitution ambiante, féminine et masculine, des sans-abris, des moments de joies subsistent et l’entraide existe entre ceux qui n’ont pas grand-chose.

Ainsi, si l’œuvre n’est clairement pas drôle, elle ne fait jamais sombrer dans la dépression et on espère que les tribulations du jeune homme le mèneront vers sa bien-aimée.

Car il s’agit bien d’une histoire d’amour que le réalisateur Lino Brocka nous conte. Le scénario est adapté du roman d’Edgardo Reyes et malheureusement si la critique locale s’est enthousiasmée sur la réalisation de Brocka, le long métrage a été un échec commercial, sans doute lié au fait que les gens n’avaient pas envie de voir sur grand écran la vie difficile qu’ils menaient.

Sa mise en scène est d’ailleurs remarquable et la très belle qualité de la restauration permet d’apprécier au mieux cette œuvre majeure du cinéma philippin engagé.

De plus, il faut souligner que le directeur de la photographie Mike De Leon est devenu cinéaste par la suite et s’est beaucoup investi dans le cinéma philippin. C’est aussi lui qui a validé la copie de ce film.

Du côté du casting, en grande partie amateur, Bembol Roco est très bon en jeune homme amoureux. Il réussit à faire ressortir les subtilités d’un homme perdant progressivement ses illusions et ses espoirs.

Hilda Koronel a un petit rôle, mais est marquante dans celui de la jeune personne aimée qui souhaite retourner à son ancienne vie et oublier la ville qui lui a tant pris.

Manille est clairement une œuvre qui ne laisse pas indifférent, d’autant qu’elle parle de sujets polémiques sans d’ailleurs émettre de jugement. Avec une mise en scène impeccable, des acteurs très touchants et une histoire d’amour poignante, il faut vraiment découvrir cette œuvre phare d’un cinéaste majeur dont malheureusement bien peu de films sont visibles en occident.

Impressionnant et émouvant.

INSIANG

Insiang est un très bon film gardant un impact toujours important 40 après sa sortie en 1976.

Le film a d’ailleurs été présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 1978 au Festival de Cannes par Pierre Rissient.

On y découvre une jeune femme, Insiang, vivant chez sa mère amère d’avoir été abandonnée par son mari et traitant cette dernière avec dureté et autoritarisme. L’arrivée du jeune amant de la mère dans la maison familiale va être la graine permettant au drame de germer alors que la jeune femme rêve d’émancipation et d’aller vivre avec son petit ami.

L’œuvre présente donc deux portraits forts de femmes essayant de survivre dans les quartiers pauvres et populaires de la capitale philippine, Manille.

La vie locale est décrite avec un grand soin alors que le réalisateur s’est immergé dans ces lieux afin d’en filmer la vie. La gent masculine ne sort pas grandit de cette œuvre, présentant des jeunes gens désœuvrés et ne trouvant pas de travail se tournant, entre autres, vers la boisson, les paris et s’amusant à embêter les filles pour passer le temps.

La mise en scène est formidable, d’autant que la restauration est vraiment très belle. On peut d’ailleurs en juger grâce aux extraits de l’œuvre originale présentés dans les nombreux bonus du film.

Le réalisateur réussi à capter parfaitement la luminosité de son personnage principal, interprété remarquablement par Hilda Koronal que l’on peut retrouver dans son film précédent Manille.

Cette dernière est vraiment très bonne et permet de s’attacher à un personnage entier n’acceptant jamais d’être une victime. La relation de l’actrice avec la comédienne jouant sa mère, la superbe Mona Lisa, est vraiment intéressante et la fin de l’histoire en ressort encore plus percutante.

Insiang est clairement une grande œuvre à voir sans hésiter, surtout si on est amateur de cinéma asiatique. Sans aucun misérabilisme, ni jugement, elle dépeint le tableau d’une femme forte comptant avant tout sur elle-même pour se sortir de ses ennuis.

Avec un scénario que n’aurait pas renié nombre de grands réalisateurs occidentaux, un duo d’actrice impressionnant et une réalisation maîtrisée, Insiang montre parfaitement pourquoi Lino Brocka est 25 ans après sa mort encore considéré comme l’un des plus grands cinéastes philippins, et un immense metteur en scène engagé.

Superbe et accrocheur.

SYNOPSIS

MANILLE

Julio, 21 ans, a quitté il y a sept mois son village de pêcheurs pour Manille afin de retrouver sa fiancée, Ligaya. Cette dernière s’en est aussi allée à la capitale où du travail l’attendait. Mais lorsqu’elle a cessé de donner des nouvelles, Julio a tout laissé derrière lui pour partir à la recherche de sa bien-aimée. Bientôt à court d’argent, il se fait embaucher comme ouvrier sur un chantier. Julio découvre peu à peu l’univers du sous-prolétariat à Manille entre prostitution, corruption et pauvreté extrême…

INSIANG

Insiang habite un bidonville de Manille avec sa mère, la tyrannique Tonya. Elle se démène corps et âme pour survivre dans ce quartier où chômage et alcoolisme font partie intégrante du quotidien. Un jour, Tonya ramène chez elles son nouvel amant, Dado, le caïd du quartier, en âge d’être son fils. Ce dernier tombe rapidement sous le charme de sa nouvelle « belle-fille »…

BONUS

Carlotta Films a une apporté une très belle attention au coffret proposé autour du réalisateur Lino Brocka.

On y découvre 3 heures de très nombreux bonus fort bien faits. Et je ne saurais que vous conseillez d’acheter ce dernier plutôt que de vous procurer les œuvres séparément, d’autant que ce dernier coûte autant que les deux films à l’unité et permet en plus de voir un documentaire passionnant sur le cinéma philippin.

En effet, ce coffret permet de découvrir en supplément exclusif un très bon documentaire Retour à Manille : le cinéma Philippin permettant de mieux découvrir le cinéma philippin, notamment celui de Brocka.

On y découvre non seulement l’histoire du pays, les hauts et bas de l’industrie cinématographique, mais aussi la renaissance d’un cinéma engagé avec de nouveaux réalisateurs comme Brillante Mendoza.

De nombreux réalisateurs, acteurs, producteurs et personnes travaillant dans le milieu du cinéma s’expriment sur ce dernier.

Le montage permet aussi de découvrir des extraits d’œuvres philippines permettant de brosser un panorama de ce cinéma fort méconnu en France.

Les bonus de Manille donnent la possibilité de voir la bande annonce 2016 de la ressortie en salle du film.

Pierre Rissient, le découvreur du réalisateur s’exprime sur la façon dont il a pu entendre parler ses films, notamment Manille dont on le nom est souvent revenu lorsqu’il a commencé à s’intéresser au cinéma philippin.

Martin Scorsese, dont la fondation a permis la restauration du film, revient sur l’impact de Lino Brocka sur le cinéma mondial.

Le plus grand bonus est le passionnant making off du film qui laisse la parole au réalisateur et aux différents acteurs, tout en montrant des images du tournage et du long-métrage achevé.

C’est clairement un supplément à ne pas rater après avoir vu le film.

Le dernier bonus est une très belle galerie photos.

Les bonus d’Insiang permettent de voir la bande annonce 2016 de la ressortie en salle du film.

Pierre Rissient donne son avis sur ce dernier qu’il considère comme l’œuvre majeure du cinéaste tout en s’extasiant sur le fait que cette dernière a été tournée en 11 jours et s’est retrouvé 17 jours plus tard en salle.

Mais le bonus le plus imposant est un formidable documentaire d’1 heure 24, Signé : Lino Brocka, permettant de découvrir mieux le réalisateur.

Ce dernier est absolument passionnant à suivre et retrace la vie, la carrière, l’engagement et les aspirations d’un cinéaste qui s’est retrouvé en prison pour avoir prêté main forte aux démunis face au régime dictatorial que le pays à subit durant 20 ans.

On découvre nombre d’extraits de longs métrages du réalisateur commentés par ce dernier qui a toujours navigué entre films de commandes pour des blockbuster et œuvres plus intimistes, mais moins populaires.

C’est vraiment le magnifique portrait d’un homme incroyable qu’il ne faut absolument pas manquer !

SUPPLÉMENTS COFFRET :

  • Retour à Manille : le cinéma Philippin (2010) (57 minutes) Réalisé par Hubert Niogret, Retour à Manille : le cinéma philippin est une plongée passionnante au cœur de ce pan méconnu du septième art Ponctué par de nombreux témoignages (la productrice « Mother » Lily Monteverde, le réalisateur Lav Diaz ou l’acteur Phillip Salvador), ce film décrypte l’histoire de ce cinéma qui fut jadis l’un des plus évolués d’Asie et qui bénéficia de la reconnaissance internationale avec des réalisateurs comme Lino Brocka ou, plus récemment, Brillante Mendoza…

SUPPLÉMENTS MANILLE :

  • Introduction de Martin Scorsese (2 minutes)
  • Manille : Lino Brocka par Pierre Rissient (7 minutes) Pierre Rissient parle de Manille, qu’il considère comme le premier film ouvertement politique de Lino Brocka.
  • Manille… un film Philippin (1975) (23 minutes) Images d’archives et entretiens sur le tournage de Manille.Un making-of produit par Mike de Leon ; filmé et monté par Clodualdo del Mundo, Jr.
  • Galerie Photos
  • Bande-Annonce 2016 (1 minutes)

SUPPLÉMENTS INSIANG :

  • Insiang : Lino Brocka par Pierre Rissient (7 minutes) Pierre Rissient évoque sa découverte du cinéma de Lino Brocka lors d’un voyage aux Philippines et revient sur la présentation du film à la Quinzaine des Réalisateurs en 1978.
  • Signé : Lino Brocka (1987) (84 minutes) Dans ce documentaire produit et réalisé par Christian Blackwood, Lino Brocka se confie et parle de sa vie et de son œuvre Avec à l’écran Lorna Tolentino, Christopher de Leon, Dina Bonnevie, Jay Ilagan, Sharon Cuneta et Manfred Romero.
  • Bande-Annonce 2016 (2 minutes)
BANDE ANNONCE

MANILLE


INSIANG


LINO BROCKA

Né en 1939 et mort prématurément en 1991 à l’âge de 52 ans, Lino Brocka est unanimement salué comme l’un des plus importants cinéastes philippins, et surtout l’un de ses plus célèbres représentants à l’étranger.

Avant que Brocka ne fasse son apparition dans les années 1970, le cinéma philippin est en pleine expansion, surtout depuis les années 1950 où apparaissent les premières œuvres ambitieuses (Genghis Khan de Manuel Conde en 1951) et où se développent les grands studios.

Les années 1960 sont très prolifiques mais la qualité des films tournés laisse souvent à désirer : il s’agit souvent de pâles copies de films de genre américains ou japonais. C’est dans les années 1970 – alors que le régime dictatorial de Ferdinand Marcos est en place depuis 1965 – qu’un petit nombre de réalisateurs commencent à prendre des risques et qu’émerge pour la première fois un cinéma indépendant philippin, dont Lino Brocka sera la tête de file. Il réalise en 1970 son premier long-métrage, Wanted : Perfect Mother, pierre angulaire d’une œuvre qui comptera plus de 60 films.

Son premier gros succès est Tinimbang ka ngunit kulang (jamais sorti en France), portrait sans concession de la société philippine qui obtient de nombreuses récompenses dans son pays.

Suite à ce succès, Lino Brocka crée sa propre société de production, CineManila. Il réalise ensuite ses deux chefs d’oeuvre, Manille et Insiang, sortis respectivement en 1975 et 1976, qui consacreront son auteur et lui ouvriront les portes de l’international en partie grâce à la sélection d’Insiang au Festival de Cannes de 1978 (à la Quinzaine des Réalisateurs).

Par la suite, plusieurs de ses films seront sélectionnés à ce festival, parfois dans la prestigieuse compétition officielle. Lino Brocka est connu pour être un cinéaste très engagé politiquement – l’un des seuls dans son pays –, osant s’attaquer à des sujets sociétaux très forts, tels que la pauvreté, l’homosexualité ou les marginaux en général. Ce refus de la langue de bois lui vaut beaucoup de problèmes avec le pouvoir en place, le cinéaste devant ruser pour éviter la censure – ce qui ne l’empêchera pas de faire un court séjour en prison.

À travers sa filmographie, Brocka fait le choix de s’adresser à un public populaire ; en alternant films « commerciaux » et films plus ambitieux politiquement et esthétiquement, le réalisateur souhaite élever le niveau du cinéma national tout en éveillant les consciences de ses concitoyens. Grâce aux films de Lino Brocka, le monde entier a pu découvrir tout un pan inconnu du cinéma asiatique. Quant à son auteur, il est désormais considéré comme un véritable « héros national » en son pays, ayant contribué à sa façon à la chute de la dictature Marcos.

FICHE TECHNIQUE VIDEO

- Disponibilité : Coffret DVD / Blu-Ray
- Date de sortie : 07/06/2017
- Audio : Philippin
- Sous-titres : Français
- Durée du film Manille : 2 h 06
- Durée du film Insiang : 1 h 34

FICHE TECHNIQUE FILM

MANILLE

- Titre original : Maynila : Sa mga kuko ng liwanag
- Réalisateur : Lino Brocka
- Scénariste : Clodualdo Del Mundo Jr. d’après l’œuvre de Edgardo Reyes
- Interprètes : Hilda Koronel, Bembol Roco, Lou Salvador Jr., Joonee Gamboa, Pio De Castro III, Danilo Posadas, Joe Jardy, Spanky Manikan
- Photographie : Mike De Leon, Clodualdo Del Mundo Jr.
- Montage : Ike Jarlego Jr., Edgardo Jarlego
- Musique : Max Jocson
- Décors : Alfonso Socito, Soxy Topacio
- Producteur : Mike De Leon, Severino Manotok Jr. pour Cinema Artists
- Distributeur : Carlotta Films

INSIANG

- Titre original : Insiang
- Réalisateur : Lino Brocka
- Scénariste : Mario O’Hara, Lamberto E Antonio d’après l’œuvre de Mario O’Hara
- Interprètes : Hilda Koronal, Mona Lisa, Ruel Vernal, Rez Cortez, Marlon Ramirez, Nina Lorenzo, Carpi Asturias, Mely Mallari
- Photographie : Conrado Baltazar
- Montage : Augusto Salvador
- Musique : Max Jocson
- Décors : Jun Manuel
- Producteur : Miguel de León, Severino Manotok Jr. pour Cinemanila
- Distributeur : Carlotta Films

LIENS

MANILLE

- SITE OFFICIEL COFFRET
- SITE OFFICIEL MANILLE
- ALLOCINÉ
- IMDB

INSIANG

- SITE OFFICIEL COFFRET
- SITE OFFICIEL INSIANG
- ALLOCINÉ
- IMDB

PORTFOLIO

MANILLE

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INSIANG

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