Chouf : La critique

Date : 01 / 10 / 2016 à 12h45
Sources :

Unification


Chouf commence par le retour de Sofiane, le fils prodige chez sa famille qui habite dans une cité-dortoir de Marseille. Celui-ci est parti à Lyon pour faire des études de commerce et est promis à un avenir honnête, alors que Slim, son frère qui est resté, contribue à subvenir aux besoins de leur famille par des activités illégales, tel un fils prodigue. Très vite pourtant, ce dernier se fait tuer et Sofiane, que tout le monde voulait tenir éloigné des affaires du quartier va se retrouver dans le monde du trafic de drogue pour trouver les responsables de la mort de son frère.

À travers le regard de Sofiane, le film prend alors des accents quasi-documentaires en nous immergeant totalement dans les lieux de vie où s’effectuent le trafic. On y croise des guetteurs, des dealers, des habitants acceptant de servir de planque pour préparer la marchandise, mais aussi et surtout les pontes qui ont su faire du trafic de drogue un business lucratif. C’est bien entendu en compagnie de ces derniers que le récit va prendre une plus grande ampleur, lorsque l’intégrité de Sofiane va être confrontée aux exigences de la grande criminalité. Le film met également en avant le déterminisme social qui empêche de nombreux jeunes de sortir de leur quartier et de grimper l’ascenseur social, obligeant beaucoup d’entre eux à vivoter grâce à divers trafics. Sofiane découvre aussi qu’il est perçu comme un étranger qui ne peut être inclus dans les combines de ses amis d’enfance, car plus instruit donc forcément honnête.

Chouf n’est cependant pas un film moraliste ou qui prétend bêtement dénoncer. On perçoit que Karim Dridi, le réalisateur, a voulu utiliser le langage cinématographique pour montrer aux spectateurs certains aspects peu reluisants de la réalité vécue dans certains quartiers, mais au combien intéressante à montrer sur le grand écran. On retrouve d’ailleurs dans Chouf des références conscientes ou inconscientes à de nombreux chef-d’œuvre comme La Haine, La Cité de Dieu ou encore The Wire, et qui en font un film somme d’influences majeures parfaitement digérées. La mise en scène est efficace et la progression dramatique du récit exemplaire. À aucun moment, on s’ennuie et de nombreux rebondissements nous scotchent sur notre siège. Un sentiment de révolte et d’impuissance s’emparera de vous à la vue des nombreuses victimes de la noirceur extrême qui sommeille chez certains personnages.

Malgré la gravité du sujet, l’humour occupe une place importante et elle est mise en valeur par des répliques caustiques, certains personnages hauts en couleur et des situations qui prêtent au gag. Ces respirations donnent au film une touche d’humanité qui contribue beaucoup au plaisir qu’on a à le regarder. La plupart des acteurs ne sont pas des professionnels et pourtant, chacun joue son rôle de manière remarquable, contribuant à donner une grande crédibilité à l’univers du film.

En cette période d’élection présidentielle où il est beaucoup question de l’identité et notamment celle de ceux ayant une culture musulmane, je pense qu’il est nécessaire d’évoquer un des aspects importants du film. Dans The Wire, qui est considérée comme l’une des plus grandes séries de la télévision américaine, tous les dealers étaient joués par des noirs. Dans Chouf, ils sont majoritairement d’origine arabe. Dans les deux cas, il ne faut pas y voir une volonté de stigmatiser, mais tout simplement y voir la mise en lumière d’une réalité sociologique : qu’importe la couleur, le modèle urbain qui a été choisi par de nombreux gouvernements du monde entier pour loger des millions de personnes issus de l’immigration a grandement contribué à développer en leur sein de la délinquance et de la criminalité.

Le film n’oublie pas de montrer la responsabilité des flics ripoux dans la pérennité du trafic de drogue, mais n’a malheureusement pas le temps de développer la responsabilité des politiques. Nous ne sommes pas dans une série télé qui peut se donner le temps de développer ces aspects périphériques tout aussi intéressants, mais qui nous auraient éloignés de l’intrigue.

Chouf est l’un des meilleurs moments de cinéma auquel j’ai assisté cette année. Je suis rarement ressorti d’une projection le cœur rempli d’autant d’enthousiasme, et paradoxalement, de tristesse. De l’enthousiasme parce que le film est un bijou comme on voit peu dans le cinéma de genre français, et de la tristesse parce que le récit est une tragédie grecque dont on ne sort pas indemne.

On ne le voyait pas arriver, et pourtant, Chouf est sans aucun doute l’un des films qui marquera l’année de son empreinte, mais aussi l’histoire du cinéma français. Un petit chef-d’oeuvre à savourer lors de sa sortie en salle et ce, sans aucune once d’hésitation !


SYNOPSIS

Chouf, ça veut dire "regarde" en arabe. C’est le nom des guetteurs des réseaux de drogue de Marseille. Sofiane, 24 ans, brillant étudiant, intègre le business de son quartier après le meurtre de son frère, un caïd local. Pour retrouver les assassins, Sofiane est prêt à tout.
Il abandonne famille, études et gravit rapidement les échelons. Aspiré par une violence qui le dépasse, Sofiane découvre la vérité et doit faire des choix.

BANDE ANNONCE


FICHE TECHNIQUE

- Durée du film : 1h48
- Date de sortie : 05/10/2016
- Réalisateur : Karim Dridi
- Scénaristes : Karim Dridi
- Interprètes : Sofian Khammes, Foued Nabba, Zine Darar, Oussama Abdul Aal, Foziwa Mohamed, Nailia Harzoune, Tony Fourmann, Mourad Tahar Boussatha
- Musique : Jérôme Bensoussan, Chkrrr
- Photographie : Patrick Ghiringhelli
- Montage : Monique Dartonne
- Décors : Yann Mercier k
- Costumes : Karine Serrano
- Producteur : Tessalit Productions, Mirak Films, France 3 Cinéma
- Distributeur : Pyramide Distribution

LIENS

- ALLOCINÉ
- IMDB

PORTFOLIO

Chouf



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