Mustang : La critique
Il aura fallu bien du courage à la réalisatrice, Deniz Gamze Ergüven, pour ne serait-ce que penser à son projet.
Elle aura surtout bénéficié de la liberté de prendre du recul, contrairement à ses protagonistes, prises comme dans les sables mouvants d’une vision archaïque de la femme, rigoriste, contraignante et subie avec plus ou moins de docilité dans la Turquie d’aujourd’hui.
Un vrai courage. Celui de porter un regard critique, politique et humain sur une société lente à évoluer vers l’égalité. Arriérée sur le sujet. Campée sur la position insoutenable de la tradition, voire de la religion, esquivée ici avec subtilité.
Deniz nous brosse les portraits de cinq jeunes filles, trop vite devenues femmes, laissées assez libres dans leur enfance pour ne pas comprendre à l’heure du passage à l’âge adulte, que les règles sont encore très strictes dans leur pays.
"Le Mustang est un cheval sauvage qui symbolise parfaitement mes cinq héroïnes, leur tempérament indomptable, fougueux." explique-t-elle. De fait, belles et rebelles, le vent de liberté qui souffle dans leurs crinières va leur coûter cher.
"A cheval" entre deux cultures, née à Ankara en 1978, ayant eu, dès l’enfance, un parcours cosmopolite marqué par de nombreux aller-retours entre la France, la Turquie puis les Etats-Unis, Deniz Gamze Ergüven, avait en mains les cartes pour poser le problème. Et elle ne s’en prive pas. En montrant qu’au naturel, la femme n’est pas plus soumise que l’homme. Et que si on la laisse grandir tranquille, elle aura la même envie, et surtout le même talent de vivre et de s’exprimer, en toute liberté.
Fervente et militante, élève à la Fémis à Paris, elle avait consacré son film de fin d’études, Bir Damla Su ( Une goutte d’eau ) à cette thèse. En 2006, il est sélectionné à la Cinéfondation du Festival de Cannes et récompensé au Festival International de Locarno (section Léopards de demain). S’ouvrant sur l’image d’une femme voilée faisant une bulle de chewing-gum, le court-métrage raconte la tentative d’émancipation d’une jeune turque (interprétée par Deniz elle-même) en rébellion contre le patriarcat et l’autoritarisme des hommes de sa communauté. Déjà.
Le sujet de l’émancipation de la femme, traité ici avec Mustang dans une situation extrême, voire extrémiste, donne évidemment à réfléchir. Mais bien au delà du discours sociétal, la réalisatrice dépeint des personnages touchants et pleins de vie. Et filme le pays avec sensibilité et amour. Les paysages sont sublimes et le choix des cadres et de la lumière font de ce film avant tout un très bel objet cinématographique.
Qui se plaindrait qu’il ait aussi du sens et forme une revendication universelle pour la liberté d’être et de penser pour tous ?
Car si ces jeunes femmes portent, avec un incontestable talent, un message politique sur le respect des droits de la femme, elles incarnent aussi avec ferveur ce temps de l’enfance qui s’efface, pour laisser place aux premiers émois de l’adolescence, pour conduire une enfant sur la voie de sa vie de femme.
Et tout cela est dit avec beaucoup de clairvoyance dans un contexte pas facile du tout.
La richesse visuelle du film n’a d’égale que la profondeur du propos. La mise en scène est foncièrement adulte et pourtant respecte admirablement ce fameux temps de l’enfance. Deniz en conserve sans doute de forts souvenirs. Qui la portent inexorablement vers la volonté de toujours plus de liberté. Et lui donne à la fois toute la force et la légitimité pour la défendre.
Elle aura profité d’un "effet de dezoomage en quittant fréquemment la Turquie pour la France", pour pointer du doigt la "forme de corsetage" qu’elle ressent à chaque fois qu’elle se rend dans son pays natal. En forçant le trait d’une société où "la condition féminine est plus que jamais au centre du débat public et tout ce qui a trait à la féminité est sans cesse ramené à la sexualité..." elle élargit le débat bien au delà de ses frontières.
Car à bien y songer, il reste encore bien du chemin à faire pour obtenir une véritable équité entre Homme et Femme. Dans encore bien des pays, qui se laissent porter, parfois avec la complicité des femmes elles-mêmes, par des valeurs contestables en la matière... Même ceux qui offrent une illusion de parité et où les différences, sont encore marquées dans bien des domaines, professionnel, salarial, sociétal, politique... et où trop souvent encore la notion de complémentarité est assimilée à celle de domination d’un sexe sur l’autre... alors qu’il est si simple d’admettre qu’ils sont tout bonnement indispensables l’un à l’autre.
Un film intelligent et courageux. Esthétiquement réussi. De l’art de dénoncer l’injustice avec grâce.
A voir.
SYNOPSIS
C’est le début de l’été.
Dans un village reculé de Turquie, Lale et ses quatre sœurs rentrent de l’école en jouant avec des garçons et déclenchent un scandale aux conséquences inattendues.
La maison familiale se transforme progressivement en prison, les cours de pratiques ménagères remplacent l’école et les mariages commencent à s’arranger.
Les cinq sœurs, animées par un même désir de liberté, détournent les limites qui leur sont imposées.
BANDE ANNONCE
FICHE TECHNIQUE
Durée du film : 1h 34
Titre original : Mustang
Date de sortie : 17 juin 2015
Réalisateur : Deniz Gamze Ergüven
Scénaristes : Deniz Gamze Ergüven, Alice Winocour
Interprètes : Güneş Nezihe Şensoy, Doğa Zeynep Doğuşlu,
Elit İşcan, Tuğba Sunguroğlu, İlayda Akdoğan, Nihal Koldaş, Ayberk Pekcan
Photographie : David Chizallet, Ersin Gok
Montage : Mathilde Van de Moortel
Musique : Warren Ellis
Costumes : Selin Sozen
Producteur : Aurora Films, CG Cinéma
Distributeur : Ad Vitam
LIENS
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