Rolqwir et Noob : Entretien avec Philippe Cardona

Date : 30 / 01 / 2014 à 09h12
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L’auteur et dessinateur Philippe Cardona répond à nos questions à l’occasion de la sortie du second tome de Rolqwir, sa nouvelle création suivant les aventures d’un chevalier français parti dans un Japon anachronique du 18ème siècle pour apporter les mille et une richesses du pays de Molière. Des origines de cette nouvelle licence en passant par les thèmes qu’il souhaite aborder plus tard via Rolqwir et ses autres projets passés et futurs, il nous dit tout.

Ce nouveau tome de Rolqwir continue sur la lancée du premier, en multipliant encore plus les références franco-japonaises. D’où est venue l’idée de cette série à laquelle vous réfléchissez depuis plusieurs années avec Florence Torta ?
Si on remonte "aux origines", tout a commencé au siècle dernier. Si, si ! En 1998, Flo et moi avions créé L’école des Héros pour le fanzine Dream On que nous animions du temps de la fac à Aix-en-Provence. On s’éclatait sur la série et on rêvait de la publier en professionnel un jour. Mais nous nous disions que c’était trop "particulier" pour le marché franco-belge et qu’aucun éditeur ne voudrait d’une série sur des apprentis super-héros parodiant les mangas et les séries TV. Et en noir et blanc, en plus ! Donc on a commencé à réfléchir à une série plus "classique", plus abordable pour démarcher les éditeurs français. comme on a toujours été deux crétins, un de nos passe-temps est d’écouter des génériques de dessins animés et séries. L’un d’eux, celui de Rody le Petit Cid, commence par "un jeune garçon répétait autour de lui qu’il ne serait pas fermier. qu’il deviendrait chevalier". Et on a commencé à partir en délire sur un petit fermier qui gonflait tout le monde avec ça. En criant "Chuis pas fermier ! Chuis chevalier !". Rolqwir était né ! A partir de là, on a élaboré tout un univers, très très héroïc fantasy, basé sur L’Oiseau du temps, Lodoss, etc… Puis, on a commencé à dessiner le tome 1. Cette version a connu diverses fortunes et a même failli être publiée chez Semic… Car entre temps, en 2002, nous avions été approchés par un éditeur - Semic donc - qui voulait publier L’Ecole des Heros ! La série est donc devenue Sentaï School et a eu un tout petit succès. D’ailleurs, on y retrouvait un certain Koji qui était un fermier qui voulait devenir héros ! Chez nous, rien ne se perd… Et ainsi Semic nous a demandé une autre série. On a proposé Rolqwir. le plan se déroulait donc à l’envers… mais qu’importe ! Cependant, alors que j’étais très très avancé dans le tome de Rolqwir, le tome 1 de Sentaï sortait et commençait à bien se vendre. On nous a alors fait comprendre qu’il fallait « booster » Sentaï et laisser tomber Rolqwir… Mais le projet ne nous a jamais quittés. on l’a remanié quelques fois, et puis en 2007 je suis allé au Japon pour la première fois de ma vie, et comme pour beaucoup de voyageurs, j’ai eu un choc ! On y est retourné de nombreuses fois depuis, jusqu’à y rester 6 mois en 2010. Et tout ça a nourri l’idée de changer Rolqwir. d’en faire un chevalier, un français, à la découverte voire à la conquête d’un pays inconnu, comme nous l’avions été. On en a même proposé une version manga à un éditeur japonais qui a été très très frileux et a cru qu’on voulait se moquer des japonais - alors qu’on est loin de cette idée. Finalement, entre temps la BD Noob était parue aux éditions Soleil en mars 2010 et a eu un petit succès, donc Soleil nous a demandé une autre série. Fabien [Fournier, le créateur et scénariste de Noob] a de son côté proposé et signé Néogicia, et nous notre petit Rolqwir . La série a donc mis plus de dix ans à paraître mais ça lui a permis de mûrir et d’évoluer. Tout ça à cause d’un fermier qui voulait devenir chevalier ! Merci Rody le petit Cid [il sourit].

Tu travailles actuellement sur deux séries : Noob où tu occupes le poste de dessinateur et Rolqwir que tu co-scénarises et dessines. Avec ton poste de scénariste, je suppose que ton approche de dessinateur sur Rolqwir est différente de celle que tu peux avoir avec Noob  ? Tout à fait. Sur Rolqwir, je stresse quatre fois plus ! Sur Noob, je travaille dans des petits chaussons. Fabien est un scénariste aguerri et sait exactement où il va. Je n’ai qu’à réfléchir à la mise en scène et à être le plus efficace et le plus drôle possible pour faire honneur à son scénar. Pour info, nous n’avons jamais - Florence et moi - demandé à Fabien de réécrire quoi que ce soit. Il y a eu quelques retouches sur de rares gags dans les tomes 1 et 2 pour ajuster les réglages et être plus clairs dans les termes de MMO lorsque c’était pointu, mais c’est tout. Sur Rolqwir par contre, c’est une concentration de tous les instants ! Il faut qu’on soit clairs, drôles, efficaces, etc… A chaque étape : scénario, dialogues, découpage, puis dessin et enfin couleurs. Par contre, sur l’aspect pratique des choses, j’ai la "chance" d’être un brin schizo : quand je scénarise avec Flo, je ne pense pas au moment où je vais dessiner. Heureusement car sinon parfois je dirais « Euh non, on va pas mettre de scène de foule. Euh…. on peut éviter le grand décor là ? » Ce n’est qu’au moment de dessiner que je re-switche et que je me dis "Mais il est complètement barjo ce scénariste ! C’est quoi cette scène de foule en ville avec des immeubles ?! " 
Au final au moment du dessin, je suis presque dans la même approche que pour dessiner une page de Noob. Quoi qu’il en soit, le temps et l’implication passés sur chaque page de chaque série est le même. Il n’est pas question que j’en fasse moins sur Noob parce que je ne suis pas scénariste. Mon boulot de dessinateur reste de rendre justice au travail du scénariste et de raconter l’histoire du mieux que je peux.

Quel est le point de départ de l’écriture d’un tome de Rolqwir  ? Un thème prédéfini ? Une envie de traiter un certain genre d’histoire ?
Exactement. On faisait déjà ça du temps de Sentaï School. On se dit qu’il faut une thématique forte, une ligne directrice puis on construit le canevas autour. Le tome 1, c’est la découverte : celle du héros et des personnages, du pays, de ce nouveau monde. Le tome 2, c’est la thématique du Héros au sens plus large, et des otakus et de ce qui en découle. Le tome 3, ce sera… La cuisine et le shonen manga ! 
C’est vrai que du temps de Sentaï, ça partait parfois de ce que j’avais envie de dessiner. Mais on pouvait se le permettre car on avait 16 à 20 pages à remplir tous les deux mois, avec des épisodes de 4 pages parfois. Pour Rolqwir, on a une histoire complète à décliner sur 46 pages. Donc mon envie de dessinateur intervient parfois pour une scène en particulier - par exemple la scène de l’école du tome 2 qui a été un peu mon "caprice" - mais dans l’ensemble on se connaît de toutes façons assez pour savoir comment va partir l’histoire et comment je vais la dessiner.

Les deux premiers tomes de Rolqwir proposent deux intrigues bouclées. Est ce que les tomes suivants vont garder cette structure ou bien est ce que la série va devenir plus feuilletonante en faisant revenir certains personnages secondaires des deux premiers tomes par exemple ?
Chaque tome va rester une histoire complète, avec une petite évolution au fur et à mesure tout de même - le retour de persos déjà rencontrés, si un perso change de look ou de caractère, il n’y a pas de retour en arrière, etc… Cela vient d’une bête constatation : il n’y a presque plus de BDs de ce type-là aujourd’hui. J’ai grandi en lisant du manga et du comics, mais aussi du franco belge comme Spirou ou Asterix, avec des histoires complètes qu’on pouvait lire dans le désordre. Je trouve que ça manque de nos jours.
Qui plus est, avec la crise actuelle, à la fois générale et sur le marché du livre en particulier, on ne peut plus se permettre de faire des sagas à suivre sur 60 tomes. Seuls les manga et les comics le peuvent, car leur format de publication avec justement de la prépublication en mensuel ou hebdomadaire permet de conserver un rythme rapide qui tient les lecteurs en haleine. Même en allant vite, il me faut trois ou quatre mois pour dessiner un tome de Rolqwir donc on ne pourrait pas aller assez vite. Et j’en sortirai épuisé au bout de quatre tomes. D’ailleurs le tome 5 de Noob a failli m’achever à l’époque [rires]. En plus, on ne propose "que" 46 pages pour 11 euros ! Et encore on n’est pas à 15 euros comme d’autres BDs. J’adore la BD française qui est vraiment de qualité, mais j’en achète très très peu car c’est trop cher. Je suis le premier à le dire.
Enfin bref, du coup on préfère fonctionner sur une série de One-Shots qui ne prendront pas le lecteur à la gorge, en espérant quand même que notre série soit assez fun pour qu’il trouve l’envie, de lui même, de tout acheter et tout lire ! Je sais, je suis un incroyable rêveur…

Dans ce nouveau tome, Rolqwir visite entre autres une certaine école de héros. Une manière d’offrir un nouveau morceau de Sentaï School aux fans de la série ?
Parfaitement ! Sentaï School nous manque, à Flo, à moi, et nous l’avons constaté, aux lecteurs. Alors on s’est offert un kiff perso, avec cette scène presque gratuite dans une école de héros - qui, mine de rien, permettrait de faire le lien avec Sentaï… et si c’était le même univers 200 ans plus tôt ? Et on a joué cette carte à fond, en écrivant la scène comme on écrivait Sentaï. Il faut savoir que sur Rolqwir, mine de rien, on essaie de rester clairs et compréhensibles, niveau références et gags obscurs, afin de perdre le moins de "grand public" possible. Rolqwir est moins référencé, et moins pointu là-dessus, que Sentaï, et c’est voulu. D’une part parce qu’on a grandi en tant qu’auteurs Flo et moi et qu’on a envie de proposer autre chose, et parce qu’on a conscience - du moins, on nous l’a martelé, et j’insiste sur martelé - que Sentaï s’adressait à un public trop connaisseur et ne pourrait jamais être un giga hit de la mort - en même temps, qui peut l’être à notre époque dans le monde de la BD, vu le marché ? Et puis Rolqwir est un autre délire d’écriture. On est tellement amoureux du perso et de son univers qu’on s’éclate avec. Après, on a déjà prévu quelques détournements savoureux - rapport au thème de la cuisine, tout ça - dans le tome 3 qui raviront les passionnés sans perdre les néophytes.
Pour en revenir à cette scène "à la Sentaï School" du tome 2, on s’est juste dit « Ok, pendant quatre pages, c’est du Sentaï School, comme avant, donc chaque case c’est au moins une référence » d’où les profs, les cours, les élèves, etc… Pour finir sur une case avec nos persos. Il est clair que le nouveau lecteur qui n’a jamais lu Sentaï sera peut être perdu, mais c’est assumé et juste le temps de 4 pages. Et de toutes manières, ça fait avancer l’histoire du tome avec l’apparition de Kintaro.

D’ailleurs, parmi toutes les séries que tu as pu dessiner ou écrire par le passé, y en aurait-il une vers laquelle tu aimerais revenir pour un hypothétique nouveau tome ?
Toutes ! Sérieusement. Sentaï me manque, Serge le hamster de l’enfer me manque, et Magical JanKen Pon me manque ! J’ai d’ailleurs tellement d’idées pour un éventuel reboot/suite de MJKP… Il me manque juste le temps. Chaque série qu’on crée est vraiment comme un enfant. On s’investit à 2000% dedans. Je fais de la BD par passion et pour raconter des histoires, donc quand je n’arrive pas au bout, j’en suis frustré.
On réfléchit aussi à un retour de Sentaï School. Je l’ai déjà dit ailleurs - notamment en conventions - mais c’est énormément lié au succès - ou pas - de Rolqwir. Si la série marche et montre un potentiel pour notre humour débile, des éditeurs sont sur le coup.

Ces dernières années, tu as participé à des projets aux histoires tout d’abord humoristiques, as-tu des envies d’intrigues plus tragiques ? As-tu des projets dans ce sens ?
Bien sûr. par contre je n’ai pas le syndrome du comique qui veut son Tchao Pantin et prouver qu’il peut être triste. Si un jour on me propose un sujet et un scénar plus graves et que ça me parle, pourquoi pas. Par contre, je sais que j’y injecterai en de rares occasions une autre forme d’humour. Non pas pour déconner, mais car je pense que la joie et la tristesse sont imbriquées l’une dans l’autre. On ne peut pas faire "que" du larmoyant pour essayer d’arracher une larme ou faire "prendre conscience de quelque chose". La vie est un ensemble de choses et on ne peut écarter l’humour d’un projet. Les meilleures histoires sont celles où l’on passe du rire aux larmes et vice versa. C’est le côté « Roller-Coaster » qui crée l’émotion. Faire du pathos pour du pathos, je laisse ça au cinéma français.
J’admire un auteur comme Tezuka qui dans sa carrière à su traiter TOUS les sujets et styles, sans jamais perdre son identité. Créer à la fois Astro Boy et L’histoire des 3 Adolph, c’est juste du génie brut !
Niveau projets, j’ai des idées pour des comédies romantiques, pour des histoires de super-héros très très sérieuses et « darks ».

Pour en revenir à Rolqwir, le point de départ de l’histoire a été le voyage de Rolqwir vers le Japon pour leur inculquer fougasses et camemberts. Est-il possible que dans les prochains tomes, Rolqwir parte « à la rescousse » d’autres pays ?
C’est une éventualité qu’on se garde si par bonheur la série marche. J’adore les héros qui partent en voyage initiatique et visitent des tas de lieux. Mais il faut éviter l’encroûtement. Donc si la série marche, oui, Rolqwir partira découvrir d’autres terres et embêter des tas de gens avec une culture qu’ils ne veulent pas ! Ca reste le moteur de la série : montrer un perso déraciné qui veut implanter quelque chose dont les gens n’ont pas besoin. s’il finit par être trop sédentaire, peut être qu’il va perdre de son intérêt. Et comme je le disais, un des modèles de la série est Astérix, et j’adore les tomes où il voyage. Le pied ultime serait de continuer la série et d’alterner les tomes où il reste au Yamato (voire au village, comme Asterix) et ceux où il voyage. Un peu aussi sur le modèle des Trolls de Troy, une autre série que j’adore.
Mais bon, tout ça, ça ne dépend que d’une triste chose : les chiffres de vente ! Ami lecteur, n’oublie jamais que Rolqwir a besoin de toi pour voyager et te faire rire ! 
J’en profite pour faire une digression à propos des ventes : ami lecteur, si par malheur tu cherches Rolqwir en magasin et ne le trouve pas, sache déjà que je te remercie, mais que ça ne sert à rien de m’envoyer un mail ou un message pour me le dire. Je dessine l’album, je ne le mets pas en magasin. Si donc tu ne le trouves pas, il FAUT, et j’insiste, il FAUT le demander à ton libraire/vendeur/responsable de rayon et lui faire commander. Ainsi, il connaîtra la série et saura qu’il y a de la demande. Et au pire du pire, il reste amazon.fr, fnac.com, et tous les sites de vente en ligne. Les BDs sont même en vente sur PGM stuff, la boutique en ligne officielle de Noob (qui vend aussi les BDs Noob). A notre époque, tout se trouve en un clic ! 

Pour finir, une question qui est sûrement sur toutes les lèvres, la chèvre(-ninja) de Fernandel refait une courte apparition dans le tome 2, à quand une apparition de Marguerite, la vache de Fernandel ?
C’est une bonne question…. Et si c’était la prochaine évolution de la grenouille-chèvre-ninja ? C’est à étudier… N’oubliez jamais : dans Rolqwir, un gag n’est jamais trop gratuit ou débile !


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